Chapitre XVI

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre XVI


-Mayéla, est-ce qu’il y a un souci ?

-Non, maman, il n’y en a aucun. Je t’ai dit que c’était le travail. Quand je rentre je suis fatiguée.

-Donc tu es tellement fatiguée, que tu ne peux même pas passer à la maison ? Il n’y a pas de lits ici pour que tu te reposes ? Hein ? Même à l’église, tu ne viens plus. 
-C’est la fatigue maman. Répété-je bêtement en triturant les bordures de ma robe.
-Humm. Bon, c’était un bonjour, comme ton père et moi nous inquiétions.
-Il n’y a pas de raison maman… Sinon, vous, vous allez bien ? Papa, son arthrite ne le fait pas trop souffrir? Demandé-je réellement intéressée même si cela permet de détourner la discussion.
-Ah, son nouveau traitement le soulage mais il est bientôt fini, donc il ne prend pas ça tout le temps. Il le prend seulement quand il a mal
-Quoi ? Mais, n’importe quoi ! Et pourquoi tu ne me l’as pas dit ?
-J’allais te dire ça comment ? Tu ne réponds pas à tes messages et ne passe pas à la maison
-....

Okay, là je lui ai tendu le bâton pour me faire battre. 

-Demain, je te ferai un transfert pour qu’il renouvelle son traitement. 
-Ah tu ne peux même pas venir le voir, c’est seulement l’argent que tu envoies? D’accord. Bon, je vais m’occuper de mon mari
-Maman…
-Au revoir Mayéla.
-Ma….

….Man.
Je retire mon téléphone, de mon oreille et le balance sur mon lit avant de me recoucher en position foetale. J’en ai marre de cette situation. 
J’attrape mon oreiller et le cale entre mon bras et ma tête de sorte qu’il me soit plus d’enfouir mon visage et pleurer à ma guise en étouffant mes pleurs. Si Elo m’entendait, elle viendrait me remontrer les bretelles dans la minute. Sauf que là, j’ai besoin de pleurer. 
C’est le seul moyen que je connaisse pour évacuer mon mal-être, la peine, la douleur que je ressens. Tout va de mal en pis actuellement et je commence à perdre pied. 
Depuis que j’ai connaissance de mon état, je ne suis pas partie voir mes parents, parce que cela sous entendrait que je doive leur annoncer qu’ils vont être grands-parents et que je vais devoir élever mon enfant seule. De là, j’imagine sans mal la série de questions qu’ils me poseront et à laquelle je ne serai pas en mesure de répondre, tant je suis dans le flou.
Ça ne m’était pas encore arrivé, d’être perdue à ce point, de ne pas savoir comment réagir face à une situation donnée... jusqu’à présent. Je refuse d’aller chez mes parents, de lire la déception dans leur regard et en particulier dans celui de mon père, le mari de ma mère, l’homme qui m’a élevée. Parce que je ne suis pas sa fille biologique mais qu’il a contribué à mon éducation comme si son sang coulait dans mes veines, je me suis toujours obligée à lui faire honneur, à donner le meilleur de moi même pour qu’il soit fier et qu’à aucun moment il ne regrette d’avoir d’une certaine façon “investi sur moi”. Il m’a présentée comme sa fille auprès des siens, m’a inculquée ses valeurs, et moi j’ai toujours fait en sorte de les respecter. Même si nous n’avons jamais parlé à coeur ouvert, je sais qu’il attend de moi un comportement exemplaire, que je construise un foyer avec un homme bon, et non que je lui emmène des petits enfants fait hors mariage. Tout comme Tata Augustin, il est traditionaliste, et même si lui n’irait pas jusqu’à me renier, la déception que je lirai dans ses yeux aurait le même effet...

-Qu’est-ce que tu fais, tu pleures encore ?

J’essuie rapidement mes larmes et me retourne vers la porte pour voir Elodie, une main sur les hanches, le visage réprobateur.

-Non, enfin, si, mais c’est pas pour ce que tu crois. Mon père ne se porte pas bien, et je me fais du souci pour lui

Ce n’est pas un mensonge, je me fais vraiment du souci pour lui, et je peurs aussi parce que je suis dans l’incapacité d’aller le voir. Même si nous n’avons pas réellement entretenu une relation père-fille, j’ai beaucoup d’affection pour lui, et le savoir souffrant m’attriste.

-Oh. Désolée
-Au lieu de me dire qu’il n’avait plus d’argent pour renouveler son traitement, il a décidé de prendre ses médicaments que lorsqu’il souffre
-N’importe quoi. Non mais les vieux là, faut leur parler. On est là pour quoi ? Dit-elle en secouant sa tête 
-Je dois penser à leur faire un transfert demain
-Tu vas faire comment ? Le médecin t’a dit de ne pas bouger ? De beaucoup te reposer non ?

Soupir.
Je veux me focaliser sur mon enfant, mais toutes ses histoires autour me stressent tellement que ma tension augmente. Je suis alitée depuis trois jours, non sous ordre du médecin mais sous ordre d’Elo qui est venue s’installer à la maison, pour me veiller. Ce que je trouve particulièrement gentil mais je ne peux pas non plus trop lui en demander

-Oui mais je vais faire comment ?
-Je n’aime pas quand tu poses des questions bêtes. Tes parents là, t’ont pas donné deuxième nom ? On va utiliser ça parce que Mayélà, ça te va pas 

Je la regarde en biais, puis prends l’oreiller et le balance vers elle. 
Yes, dans le mille !

-Aie, Jane Cena, c’était mieux ! Rit-elle en passant sa main dans son tissage. Faut pas faire mon fils va être violent !

Je m’installe sur le dos, les yeux rivés sur le plafond blanc, les mains sur le ventre. Lorsque je suis dans cette position, je le sens mieux…

-C’est peut-être une fille. Murmuré-je. 
-C’est vrai. Confirme-t-elle en venant s’allonger à mes côtés prenant la même position que moi. Dans tous les cas, tata Elo a hâte de la rencontrer et de lui faire des papouilles.
-....
-Mais, si je peux émettre un petit souhait. Dit-elle en se relevant pour se pencher vers mon ventre. Si tu pouvais éviter de ressembler à ton paternelle, ça t’évitera de te prendre des cocos gratuits ! 
-Elodie ! 
-J’ai dit, comme ça il ou elle est prévenu(e).... Demain pendant ma pause du midi j’irai faire ton transfert
-... Elo pourquoi tu es si gentille avec moi ?
-Parce que les perles comme toi ont aussi besoin d’avoir une épaule sur qui se reposer.
-Merci d’être là. Dis-je simplement en serrant sa main
-Y’a pas de quoi… Mince ! Ma pause déjeuner finit dans dix minutes !

Je lève les yeux vers l’horloge murale et constate qu’il lui reste même moins de 10 min. Je l’aide à réunir ses affaires et l’accompagne jusqu’à la porte. J’espère qu’elle ne sera pas prise dans les embouteillages parce qu’ils risquent d’allonger son de trente minutes, qu’elle est sûre d’avoir. 

Je fais demi-tour pour retourner dans la chambre, lorsqu’on toque à la porte d’entrée. Oh non, elle n’a quand même pas oublié ses affaires, si ?

-Alors là, il ne va pas te rater. Dis-je en allant ouvrir. Tu peux être certaine qu’.... Shomari
-...
-Qu’est-ce… qu’est-ce que tu fais là ?

Comme réponse, ses yeux s’abaissent sur la partie se trouvant en dessous de mon buste. Je suis le trajet de son regard, et observe comme lui, l’arrondi de mon ventre, souligné par la robe strech, près du corps que je porte, et qui ne laisse aucun doute sur mon état. 
Mince.
Sur le moment, je m’en veux d’avoir mis cette robe. Je ne me sentais pas à l’aise dans mon jogging, j’avais trop chaud, alors après ma douche, je l’ai troqué contre cette robe. Mais je m’en veux de l’avoir fait. J’aurais dû opter pour un pagne, ou une robe ample. Ça aurait considérablement atténué la froideur de son regard sur mon ventre et ce sentiment d’insécurité que je ressens en sa présence. 
Face à l’allure menaçante qu’il adopte en revenant sur mon visage, j’ai le réflexe de vouloir refermer la porte mais il perçoit mon geste, et se montre plus rapide en bloquant la porte de son pied.

-Je suppose que tu n’as rien fait. Dit-il en me fixant dans les yeux
-Je t’ai dit que tu n’avais aucun soucis à te faire, je ne chercherai pas à t’imposer cet enfant
-C’est ça… prends tes affaires. Tu as vingt minutes pour réunir ce que tu peux prendre, j’enverrai quelqu’un récupérer le reste.
-Quoi ?
-Je viens de te dire de prendre tes affaires, qu’est-ce que tu n’as pas compris ? 
-Et pour… pourquoi... je réunirai mes affaires ?
-Parce qu’il est hors de question que je te laisse élever cet enfant ! 

Mais il disait qu’il n’en voulait pas et l’air qu’il prenait laisser penser que … Je l’observe, perdue, ne comprenant pas ses propos.

-Je t’arrête tout de suite, ne pense pas que je le fais pour toi ! Tu peux mourir ça me serait égal. Je ne veux pas que mon sang soit encore plus souillé qu’il ne l’est déjà. Si tu venais à l’élever, à coup sur il finirait comme ta cousine et toi ! Et ça, il en est hors de question !

Je reçois ses paroles comme des uppercuts portés au bas ventre avec une force telle que je pourrais me plier en deux de douleurs. Les mots m’atteignent plus que les actes, il le sait et s’en sert sans remord pour me faire du mal.

-Shomari, mais c’est quoi ton problème ? Articulé-je la voix tremblante. Comment tu peux imaginer une minute que je sois ce genre de personne ! On était ensemble pendant plus de six mois, tu m’as vue dans tous mes états… tu… tu étais là pour me soutenir quand ça n’allait pas. Comment tu peux croire que je t’aurais fait un coup pareil...Snif… Tu sous entends que j’ai joué un rôle avec toi snif et ce n’est pas le cas. Je t’assure ! Snif, cette grossesse, je ne l’ai pas prémédité ! Tu dois me croire
-Et c’est pour ça que tu veux à tout prix la garder ? Prends-moi pour un con ! Tu as bien calculé ton coup mais sache une chose, tu as mal choisi ta proie !

J’éclate en sanglot face à ses mots durs, prononcés par une personne à qui j’ai donnée ma confiance, en qui je pensais avoir trouvé un confident, un ami, un amant, avec qui je me suis permise de rêver d’une vie à deux. Ça fait doublement plus mal, l’impression de suffoquer, la poitrine oppressé et la sensation de chute dans le vide, ne sont rien face à ces petites fissures qui craquellent et finissent de réduire mon coeur en mille morceaux.

-Tu peux arrêter de jouer les pleureuses, j’ai bien compris que tes larmes ne se tarissaient pas mais elles ne me font rien, donc économise les et vas prendre tes affaires !

Mais comment peux-t-on autant se tromper sur une personne. Comment on peut être à l’écoute, doux, compatissant, et protecteur puis changer complètement de face et être aussi froid, dédaigneux et odieux ?
Ça ne peut pas être le Shomari que j’ai connu, celui qui voulait tant que je prenne conscience de ma beauté aussi bien intérieure qu’extérieure. Celui qui voulait à tout prix que je lui parle, que je me confie à lui. Celui qui a su être patient, attentionné et m’a fait découvrir les plaisirs de la chair. 

J’essaie de me ressaisir, mais je me sens tellement affaiblie, comme s’il venait de me vider des derniers forces qu’il me restait

-C’est bon, tu as fini, on peut aller ranger des affaires
-.... J’ai pas la force de lutter avec toi. Murmuré-je une main sur le coeur. J’ai pas la force...

Une sensation de grand vide s’empare de moi, me laissant totalement démunie de toute énergie. Même de celle me permettant de tenir debout. J’ai comme des bourdonnements dans les oreilles, et le sentiment que le sol se dérobe sous mes pieds puis plus rien… C’est le trou noir

*****
Il est 22h 47 quand je peux enfin me poser sur mon canapé, avec mon verre de LJ sans glaçon. Pendant de longues minutes, je regarde sa couleur ambrée, accentuée par l’éclairage tamisé. Je le porte à mes lèvres et le bois cul-sec. J’ai attendu ce moment, où je pourrais sentir, la marque de brûlure que la liqueur laisse sur son passage et les troubles qu’elle apporte avec le temps. Je reprends un autre verre, que je bois aussi cul sec avant de m’en servir un troisième que je sirote. 
J’avais vraiment besoin de ça. Pour oublier les évènements de l’après-midi, Mayé, l’hôpital, ses larmes séchées sur ses joues. Tout.
C’est pas ce que je voulais… Pas de cette façon…

“Bizzz, bizzz, bizz”
Merde, on peut l’entendre vibrer à 5 mètres . 
J’attrape mon téléphone posé sur la table basse, et décroche après avoir vu le nom de Lyne inscrit sur l’écran

-Hey
-Tu devais pas m’appeler dans la journée pour me confirmer ta présence Dimanche
-Oui sûrement. Soupiré-je. J’ai eu un contre temps
-Tu as toujours des contres temps. Et pourquoi tu chuchotes ? Ton contre temps serait du domaine privé ?
-... Plus ou moins.
-Je vois. Je ne vais pas t’importuner plus longtemps, je voulais une confirmation, je dois en déduire que je l’ai ?
-....
-Ari ?
-Huumm… oui. On se voit dimanche
-Tu es sûr que ça va ?

Non, rien ne va, mais je n’ai pas d’autre choix que de faire avec.

KULA