Chapitre XXX

Ecrit par Tiya_Mfoukama

Chapitre XXX 


-Au seigneur, snif, je vous en prie, faites qu’il ne lui soit rien arrivé de grave ! Marmonné-je


En larmes, la vue totalement brouillée, je tente de me ressaisir afin de pouvoir composer ce fichu numéro, mais j’ai du mal à me calmer. Faut que je pense à elle, à mon bébé, au fait qu’elle ait besoin de moi, là maintenant, qu’en ne me ressaisissant pas immédiatement, je retarde le moment où je serais près d’elle, où je pourrai la prendre dans mes bras. 

-Ressaisis-toi Mayéla. Me dis-je en faisant quelques exercices de respirations.

Je parviens enfin à me calmer et arrive à voir l’écran de mon téléphone. Les mains tremblantes, je finis de composer le numéro de Nathalie et lance l’appelle.
Ça sonne, plusieurs fois mais ça ne réponds pas et stupidement, j’imagine le pire. 
Mes tremblements s’amplifient et mes larmes sont à deux doigts de redoubler et franchir avec force la barrière de mes paupières. 

-Il ne lui est rien arrivé. Elle va bien, par la grâce de Dieu, elle va bien. Me répété-je comme si ça allait finir par me convaincre.

Si seulement je m’étais levée… J’aurais dû me lever, ça aurait peut être fait la différence… 
Je tente à nouveau de joindre Nathalie, mais encore une fois l’appel ne passe pas.Et ce trafic qui n’avance pas ! Punaise !

-Ressaisis-toi Mayéla,snif, ressaisis-toi. M’intimé-je une fois de plus.

Je balance ma tête vers l’arrière et la laisse lourdement retomber sur l’appuie-tête. Je ferme les yeux, oublie cette chaleur étouffante, la cacophonie qui se joue au dehors, amplifiant cet air lourd qui me suis depuis que j’ai quitté la maison de mes parents.

Elle est venue me réveiller ce matin pour que l’on aille manger des croissants dehors mais j’avais sommeil et j'ai préféré la laisser avec Nathalie. J’ai préféré dormir plutôt que passer du temps avec ma fille et maintenant, il se peut que… Je pousse un soupir et essuie du revers de la main les larmes qui ont réussi à s’échapper. 

J’aurais dû y aller avec elles. Je peux pas m’enlever de la tête qu’il ne se serait rien passé si seulement je m’étais levée. 

Après trente-cinq minutes d'embouteillages, le taxi arrive enfin devant la clinique et c’est les jambes flageolantes que je me précipite à l’intérieur et fournis toutes les informations dont je dispose à l'une des secrétaires de l’accueil. 

C’est fou comme le temps semble ralentir lorsque l’on est pressé. Les minutes s’égrainent, la tension nerveuse augmente et l’envie de crier, de bousculer pour provoquer une réaction s’empare de nous. 
A cet instant, j’ai envie de bousculer la secrétaire qui effectue une recherche sur son ordinateur. Elle est d’une nonchalance qui nourrit mes envies de violences à son encontre. Pourtant Dieu seul sait que je ne le suis pas de nature.

Je pianote sur le plan d’accueil, la poitrine oppressée en essayant de contenir ma colère qui se dirige doucement mais sûrement vers elle. 

-Mademoiselle s’il vous plaît ! 
-Madame calmez-vous. Je comprends votre frustration mais je ne suis pas une machine alors laissez-moi faire mon travail.
-Je veux simplement….
-Madame. Me coupe-t-elle sèchement. S’il-vous-plait !

Sans est trop ! Je fais preuve de beaucoup de retenu depuis tout à l’heure mais là ….

-Non, ça ne me plaît pas ! Ma fille qui n’a même pas encore trois ans vient de se faire renverser par une voiture, depuis que je suis au courant de cet accident, je n’ai plus de nouvelles d’elle, je ne sais pas dans quel état elle est ! Je suis tétanisée à l’idée qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave. Tout ce que je veux c’est pouvoir la voir alors vous allez me dire où elle est sinon je ne répondrais plus de rien !
-Oh votre français de 10 mille c’est pas avec moi que vous allez le faire, vous pensez être la seule à pouvoir crier ? Hein ?
-Ah Priscillia toi aussi. Intervient une secrétaire. 
-Moi aussi quoi ? C’est la seule à avoir un parent ou un enfant malade ? 

J’hallucine presque en l’entendant parler. Ma fille n’a même pas trois ans, c’est encore un bébé et elle ose me répondre de cette façon? 

-Bon, ça va, je vais reprendre le dossier. Laisse-moi la place.

Je les observe changer de place, la Priscillia se leve en marmonnant une phrase qui ressemble à une suite insultes, puis redonne les informations que j’ai fournies plus tôt à la nouvelle secrétaire, qui entre deux informations me présente des excuses au nom de sa collègue. 
-Votre fille est dans la chambre 203, vous allez seulement suivre l’infirmière qui est juste derrière vous. Me dit la secrétaire. Elle va dans le service où est votre fille. 
-Merci beaucoup. 
-Je vous en prie.

Je suis la fameuse infirmière jusqu’à une chambre dont la porte est entrouverte où j’aperçois Nathalie avant de m’avancer un peu plus et voir Mewani. 
Mon coeur se serre en la découvrant allongée dans le lit, le visage tuméfié, un bras plâtré et gémissante de douleurs. 

-Oh mon bébé ! Je suis désolée de ne pas avoir été là plus tôt !
-Maman…
-Je suis là, mon bébé, je suis là, snif. Maman est là.

Je me mets à pleurer en la prenant précautionneusement dans mes bras pour la bercer.

-Je suis vraiment désolée madame, on devait prendre les croissants mais on est passées devant chez Gigi, elle voulait manger et on s’est arrêtées juste pour commander. Je lui ai lâchée la main le temps de passer la commande, ça n’a même pas pris dix secondes. Je vous jure madame; Je suis vraiment désolée snif. Madame je vous demande pardon.
-....

Je n’écoute pas Nathalie, je préfère me concentrer sur les blessures visibles de ma fille. 

-Où est le médecin ?
-Il...Snif? Il a dit qu’il allait revenir. 

Ses propos sont à peine prononcé que le médecin entre dans la pièce, se présente et me fait un compte rendu de l’état de Mewani.
Grosso modo, elle a eu beaucoup de chance selon ses dires. Elle souffre d’un léger traumatisme crânien, d’une entorse bénigne au pied droit. Il semble que ce ne soit que son bras gauche qui ait tout pris et qu’une seule nuit en observation devrait suffire. 
Elle s’est fait renverser par une voiture et il ne préconise qu’une nuit observation ? Non mais il se fout de moi ?
Je m’apprête à lui faire part de mon mécontentement quand Shomari déboule dans la pièce, la chemise en sueur et l’air affolé. 
Il ne manquait plus que lui….

-Papa… Souffle Wani en le voyant.
-Hey ma puce ? 

Elle se dégage de notre étreinte en grimaçant et va se réfugier dans les bras tendus de son père en gémissant un peu plus.
Sans qu’il n’ait à le lui demander, le médecin lui répète tout ce qu’il m’a dit juste avant son arrivée. 
Suite aux informations qu’il lui donne, Shomari lui pose plusieurs questions avant de le laisser prendre congé de nous.

-Monsieur, je suis vraiment désolée. Lance de nouveau Nathalie en larmes. J’ai manqué de vigilance pourtant je fais toujours attention. C’est la première fois et malheureusement….Snif. Je suis vraiment désolée. Vraiment.
-Nathalie, je sais que tu fais attention à elle comme à la prunelle de tes yeux. C’était un malencontreux accident, et on doit se réjouir qu’elle n’ait rien de très grave, okay ?
-Okay.
-Bien, maintenant rentre chez toi, repose-toi et on se voit lundi matin. D’accord ?
-....

Elle acquiesce en secouant légèrement sa tête inclinée vers le bas, le visage toujours baigné de larmes.

-Nathalie. Reprend Shomari en se tournant vers elle, toujours avec Wani dans ses bras. Elle n’a rien de trop grave donc arrête de pleurer. Ça ne l’aide pas de te voir dans cet état alors calme-toi.
-Oui monsieur.

Ses propos rassurant et le ton qu’il emploie aide Nathalie à se ressaisir.
Elle finit elle aussi par nous quitter, une dizaine de minutes après et nous restons tous les trois ou devrais-je dire, ils restent tous les deux, Shomari et Wani, tandis que moi je les regarde.
Je dois avouer que je suis un peu jalouse de leur relation, de cette complicité qu’ils ont. Wani est très affective comme enfant, mais avec Shomari c’est particulier. Elle donne l’impression de se porter beaucoup mieux en étant dans ses bras. Ils créent une distance avec les personnes qui les entourent dès qu’ils sont ensemble. Je ne sais pas comment l’expliquer...C’est comme s’ils excluaient le reste du monde pour rester ensemble. 
Je devrais être heureuse de savoir ma fille aussi proche de son père. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir avoir ce genre de relation avec le mien alors je devrais me réjouir qu’elle, elle puisse y avoir droit… Mais ça n’est pas le cas. 
Ça doit faire de moi une mauvaise personne?

-Tu es là depuis longtemps ? 
-Non. Ai-je répondu en sortant de mes pensées. Juste quelques minutes avant toi. 

Je prie intérieurement pour ne pas qu’il me demande les raisons de mon absence pendant l’accident quand mon téléphone se met à sonner.
Un coup d'oeil à l’écran m’informe qu’il s’agit de ma mère. 
Mon Dieu, c’est vrai que je suis partie en les laissant avec le peu d’informations dont je disposais. Ils doivent être dans un état d’angoisse son nom.
Je m’empresse de décrocher et de rassurer ma mère.

-Ah Mayéla mais il fallait au moins nous appeler dès que tu es arrivée !
-Pardonne-moi maman, je suis arrivée il y a moins de trente minutes seulement et ce n’est que maintenant que je suis en mesure de parler.
-Trente minutes ? Depuis que tu es partie ?
-Le taximan est passé par un chemin qui nous a directement mené dans un embouteillage, puis je me suis retrouvée en face d’une secrétaire sans coeur, je t’en parle même pas.
-Ah vraiment ce pays là. Bon au moins ma petite fille n’a rien grâce à Dieu. Dis à ma rivale que je vais lui préparer un bon plat, elle va vite se remettre sur pied. Vous arrivez dans combien de temps ?
-Oh...pas aujourd’hui, le médecin préfère la garder en observation jusqu’à demain, mais dès que l’on quitte l’hôpital, on viendra directement.

Je sens le regard de Shomari sur moi, et lorsque je lève les yeux, je le vois m’interroger du regard. Je joue à celle qui ne comprend pas et poursuis ma conversation avec ma mère puis avec mon père avant de raccrocher.

-Tu viens de leur dire qu’elle irait chez eux demain ? Lance-t-il sans même attendre que je range mon téléphone.
-Oui, on devait passer le week-end là-bas, ça ne change pas grand chose. Dis-je en posant mon téléphone sur la petite table se trouvant près du lit.

Je m’avance au plus près du lit et m’adresse à Wani, bien que mes paroles sont destinées à Shomari.

-Mami m’a dit qu’elle allait te préparer un bon repas demain. Tu penses que tu pourras manger ?
-Oui. Murmure-t-elle en secouant à peine sa tête.

Je souris. 
Je ne pensais pas qu’un jour la passion de ma fille pour la nourriture m’épargnerait une dispute, parce qu’à coup sûr, c’est ce qui allait se passer. Je sais qu’il était sur le point de me dire qu’il voulait avoir Mewani à ses côtés pour la surveiller, mais maintenant qu’elle sait ce qui l’attend chez mes parents, il sait qu’elle refusera de le suivre s’il souhaite l’emmener ailleurs que chez eux.

Nous passons la journée et la nuit à l’hôpital aux côtés de Wani en nous organisons de la meilleure des façon pour éviter de se tirer dans les pattes.

Je me réveille le lendemain avec de sévères courbatures, le petit lit amovible prêté ètait incommodant mais j’évite de me plaindre quand je vois Shomari dans le fauteuil. La position qu’il adopte est clairement inconfortable, et après l’avoir entendu grogner et jurer plusieurs fois dans la nuit, je sais qu’il va être de très mauvaise humeur aujourd’hui.
Je me fais donc toute petite en m’occupant de Wani qui semble allez mieux que la veille.

-C’est bon, vous êtes prêtes ? Me demande Shomari sur le pas de la porte de la chambre.
-Oui. Tu as payé et récupérer les ordonnances ? 
-Oui… Allez, viens là. Dit-il en prenant Wani dans ses bras.

Je récupère mes affaires et celles de Wani puis les suis jusqu’à la voiture de Shomari.

Je le laisse l’installer à l’arrière, pendant que je vais prendre place côté passager. Dès que je referme la portière, je suis tout de suite enveloppée par les effluves du parfum qui empreignent chaque tissu, paroi, espace qui constitue l’intérieur de cette voiture. 
Je m’agite un peu sur mon siège, pas très à l’aise et pour cause… La situation est assez déconcertante…. C’est la première fois que nous nous retrouvons ensemble dans un habitacle aussi petit. Moi assise à ses côtés, notre fille juste derrière. … pour beaucoup, ce n’est que de cette façon que l’on peut percevoir le quotidien d’une famille normal… mais nous, c'est différent, nous ne sommes pas une famille…

Je sens une colère sourde monter en moi, et se diriger vers Shomari, mais également pour ne pas dire surtout vers moi. Je suis en colère contre mon manque de discernement, ma naïveté, la façon avec laquelle je me suis livrée.

Quand je pense que deux ans plus tard, j’arrive encore à être en colère contre lui et contre moi, je me dis que je n’ai rien fait, que je stagne toujours. 
Ressasser le passer ne m’apportera rien, l’avenir est dans mon présent, dans mon futur avec Thierry. c’est ce que j’essaie de me dire mais ….

-On est arrivés.
-Déjà. M’exclamé-je en sortant de ma rêverie. 
-...
-C’est qu’hier ça m’avait paru tellement long, avec les embouteillages. Ajouté-je devant l’air qu’il prend.
-J’ai pris un raccourci.
-Oh, okay.

Je descends de la voiture et entreprends d’aller récupérer Wani qui est endormie mais il m’arrête.

-Je vais la prendre. 

Ça m’embête. Ça m’embête beaucoup, parce que j’ai fini par faire part à mes parents notamment à mon père des problèmes que je rencontrais avec Shomari, parce que les deux ne le portent plus dans leur coeur, parce qu’il arrive que Thiery nous dépose ou vienne nous chercher et que cela pourrait être mal interprété et parce que….. Oh non ! C’est pas vrai ! J’ai oublié de prévenir Thierry! 
C’est pas possible mais comment j’ai pu oublier de le prévenir !

Je sors immédiatement mon téléphone de mon sac et tente de déverrouiller l’écran, mais celui-ci reste noir. Déchargé. Mince ! Mince ! Mince !

-Un souci ? Me demande Shomari.
-Euh… Non, non. Mon téléphone est simplement déchargé.
-Hum.

Nous entrons dans la petite parcelle de mes parents, et sommes accueillis dès l’entrée par ma mère qui est en train de piller des feuilles de manioc.

-Maman mais pourquoi tu fais ça, y’a Malou pour le faire !
-Ah, si je peux faire, je fais. Toute façon, je ne suis pas en train de faire, je vérifie seulement que c’est bien fait.
-Oui, je sais comment tu vérifies. Dis-je en lui retirant le pilon des mains.
-Comment va ma ri…..Ah. Bonjour.

Et voilà ce que je redoutais. En croisant le regard dédaigneux qu’elle lance à Shomari, je me dis que ce n’était vraiment pas une bonne idée de le faire venir ici.

-Bonjour maman, tu vas bien ? Dit-il
-Hum… 

J’implore silencieusement ma mère du regard pour qu’elle ne fasse aucune esclandre. A la différence de moi, ma mère ne mâche pas ses mots. 
Je lui rappelle qu’il est le père de ma fille et que nous sommes tenus d’entretenir de bons rapports. Ce qu’elle semble comprendre puisqu’elle décide de l’ignorer et se focaliser sur sa petite fille. C’est au moins ça d’acquis.

Nous entrons tous les quatre dans la maison et je suis étonnée de tomber nez à nez avec maman Delphine. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas vue. Faut dire que je fais tous mon possible pour ne jamais me retrouver au même endroit qu’elle. Et jusqu’à présent, ça marchait plutôt bien.

Même si ça m’écorche les lèvres, je la salue par politesse, ce qu’elle ne me rend pas. Elle préfère m’interpeller de la façon la plus basse qu’il soit.

-Mais ça c’est ton ex mari non ? Je croyais que vous étiez divorcés et que tu fréquentais un autre homme ? Tu as repris avec lui ?
-Oh ya Delphi’... Souffle ma mère.
-Ah, c’est comme ça que vous vous retrouvez enceinte sans savoir qui est le père ou que vous mettiez au monde des enfants de différents pères. 

Bien, au moins le ton est donné.
Je ne me tourne pas vers Shomari, par peur et surtout par lâcheté, et lui indique vaguement d’un geste de la main, le salon dont il se souvient. Quant à moi, je décide d’aller me réfugier dans la cuisine, mon lieu de prédilection. 
J’y retrouve Malou qui finit de transvaser de la nourriture dans des saladiers, et des plateaux.

-Tu as besoin d’aide ?
-Non madame, j’ai bientôt fini. 
-Je vais quand même faire des desserts, ça accompagnera tout ça. Dis-je en prenant un tablier.

C’est surtout un moyen pour moi de ne pas me retrouver près de Shomari et ma tante, mais c’est peine perdu. Cette dernière ne fait qu’entrer dans la cuisine, émettre des commentaires , se plaindre de tout ce que je suis en train de faire et me prendre de haut comme jamais on ne l’a fait dans le passé. 

Je me contiens énormément, d’ailleurs, je pense que c’est ma pus grande qualité et que beaucoup la prenne pour ma plus grande faiblesse. 
Parce que je ne réponds pas, je tente de toujours rester diplomate, les gens comme maman Delphine pensent que je n’ai pas de répondant. Mais arrive un moment où le vase devenu trop plein déborde, où toute la bonne volonté du monde ne peut pas suffire à laisser le vase trop plein malgré le débordement et ce moment semble être imminent.

-Et là où il est parti s’enfermer avec ton père c’est pour demander quoi ?

Quoi ça ? Shomari discute avec mon père ? De quoi ?
J’ai bien envie de lui demander plus d’explications, mais je décide de l’ignorer encore.

- Au final, tu es même avec qui ? Vraiment je ne comprends pas, quand les autres se marient et fondent des foyers toi tu décides de te prostituer? 

C’est bon. C’est plus que je ne peux supporter.
Je dépose le moule que j’étais en train d’enfariner et me retourne pour lui faire face.

-Mais qu’est-ce que tu racontes! Comment peux-tu penser que je me prostitue ? Tu ne me connais même pas !
-Mais est-ce que ta vie est un secret ? Tu n’as tellement pas honte de ce que tu fais que tu ne prends pas la peine de te cacher. 
-...
-Epargne au moins tes parents et ta fille de tes choses. Où tu veux qu’elle te voie faire pour reproduire les mêmes actes plus tard.
-Je t’interdis de parler de ma fille tu as compris ! M’emporté-je en pointant mon index vers son visage.
-C’est à moi que tu t’adresses de cette façon ? 
-Et tu vois qui d’autres dans cette cuisine ?! Je… Je sais pas ce que je t’ai fait mais je commence à en avoir marre de tes réflexions ! Alors aujourd’hui tu vas me dire ce qui ne va pas !
-Hé-hé-hé-hé-hé… Mais dis-donc… Donc tu penses que MOI, je peux rentre des comptes à une petite pute de ton acabit? Hein ? On a coupé les feuilles de manioc ensemble ? Ça ne va pas chez toi ! Tu peux avoir dix ans, trente ans, cinquante ans, si tu me parles encore comme ça, je te casse la figure, tu m’as compris ? Tu penses que tes faux airs de sainte nitouche peuvent marcher avec moi ? Déjà petite tu aimais que les hommes te touchent et aujourd’hui tu peux faire croire à qui tu veux que tu as changé mais nous deux on se connaît. 

J’en reviens pas… J’ai l’impression de m’être pris trois coups de massue sur la tête. Mes oreilles se mettent à bourdonner, et le sol tournoie autour de moi. Je ferme les yeux pour pouvoir me reprendre, mais des sortes de fash, me reviennent… Des regards ridés à la fois appuyés et lubriques… des sourires vicieux,... des propos aux connotations douteuses …. Moi petite…. Et ce soir, où il est entré dans la chambre où je dormais….

-Il a failli me violer ce soir là. Marmonné-je.
-Hé! Je t’ai déjà dit que…
-Il a une tâche de naissance au bas vendre en forme d’étoile à plusieurs branches. La coupé-je en larmes.
-... Mayéla je t’ai dit…
-Il m’a dit qu’il serait content et que je serai une bonne petite nièce si je le touchais, et le laissais en faire autant. 
-....
-C’est toi qui nous disais qu’il fallait jamais laisser un tonton nous approcher, tu te souviens ? Tu...Tu nous disais tout le temps de refuser les bonbons, de ne pas suivre les tontons et de crier si on se sentait en danger. Tu te souviens ?
-....
-J’ai crié parce que je me suis sentie en danger. Et toi t’a pas voulu me croire. T’as pas…

“PAF”
La gifle magistrale que je me prends me fais revenir dans le présent.
Maman Delphine tremble de tout son être et à les yeux embués de larmes, malgré ça, je peux déceler de la colère, de la peine et de la tristesse en elle. 
Elle sait. Elle sait que j’ai raison, que je dis la vérité. Elle le sait.

-Imbécile. Lance-t-elle avant de détourner le regard et sortir de la pièce. 

Je suis sur le point d’exploser. Toutes ses péripéties ces histoires, qui se mêlent et s’entremêlent dans ma tête… C’est plus possible. J’ai besoin d’évacuer de lâcher prise. Juste cinq minutes, pas plus après je promets, de me montrer forte, je promets de pas me laisser envahir, mais là.. juste cinq minutes.
La porte de la cuisine s’ouvre à la volet sur Shomari qui m’informe de son départ imminent et je vois là le prétexte idéal pour partir un moment.

-J’ai besoin de prendre des affaires pour Wani chez moi, tu peux me déposer s’il te plaît. Je ne te demanderai pas de me raccompagner, je reviendrai en taxi.
-Okay. Répond-il en me toisant.

J’informe ma mère, que je trouve devant la porte d’entrée, de mon aller-retour à mon domicile, en lui précisant que je ne serai pas longue. 
Le temps du trajet, je maîtrise tant bien que mal mes émotions, et ce n’est qu’après être sortie de la voiture de Shomari, presque comme une voleuse malgré les remerciements bredouillés, avoir ouvert mon portail, et la porte de ma maison que je me laisse glisser sur le sol de l’entrée, mes jambes ne pouvant plus me porter. 
C’est fatiguant de toujours tout absorbé… Je suis épuisée…
Les épaules affaissés, je sens toutes ses émotions exprimées sur le coup et refoulées par la suite, prendre possession de moi, m’envahir. Et je me laisse submerger jusqu’à ce que je craque. 

-Mayéla, qu’est-ce qu’il y a.

Je n’ai pas besoin de lever la tête pour savoir à qui appartient cette voix. L’entendre à le don d’amplifier mes larmes, et je ne cherche pas à les atténuer. J’ai besoin de craquer, de tout lâcher.

-Mayéla?
-Je te déteste Shomari, je te déteste pour tout ce que tu es, et tout le mal que tu m’as fait ! Crié-je en pleure. Je me suis abandonnée à toi, j’ai cru en toi, à tout ce que tu me disais. Aujourd’hui, j’ai le coeur brisé et je peux pas avancer parce que tu es toujours là. 
-....
-Tu m’as tué Shomari, et pourtant je t’aime toujours, et je te déteste pour ça !
-....
-Est-ce que tu penses que je méritais vraiment que tu me fasses souffrir comme tu l’as fait ? 
-.... Je suis désolé.
-Non, non, non, tu peux pas être désolé. On est désolé parce qu’on est arrivé avec une demi-heure de retard, parce qu’on s’est trompé de paquet de gâteau, mais, on est pas désolé pour ce que tu m’as fait !
-....

Je suis inconsolable mais surtout inarrêtable, je lui dis tout ce que j’ai sur le coeur mais que je ne lui ai jamais dit, et il reste là à m’écouter, l’air neutre, mais attentif. Je ne vois plus le temps passer, je sens juste mon coeur se libérer à chaque fois qu’un mot franchie la barrière de mes lèvres.

La tête reposée contre le mur, je respire rapidement, comme si je venais de finir un sprint.

-Mwana, je te demande pardon.

Soupir.

KULA