Chapitre3 : Vacarme
Ecrit par Alexa KEAS
Lucie Yayra MEDEDJI
Je sais que je suis la risée de tout le bureau, pour ne pas dire de toute la ville. Ça chuchote et ça ricane à mon passage. Si on me demande comment je fais pour tenir le coup, je ne saurais répondre parce que je ne le sais pas moi-même. Chaque jour, je me lève avec cet espoir que mon téléphone sonnera et qu’au bout du fil j’entendrai sa voix. A chaque fois que la sonnerie du portail de notre maison retentit, je cours l’ouvrir en espérant que ce soit lui. Que quelqu’un m’explique comment mon mari a pu disparaitre sans laisser la moindre trace durant notre nuit de noce. Je retourne la question de mille façons dans ma tête sans trouver la réponse.
Malgré le refus de papa, je me suis quand même installée chez Ephraïm parce que c’est là qu’est ma place. Nous nous sommes mariés et je n’ai plus de place chez mon père. Rester chez moi aurait signifié un abandon de ma part mais je suis loin de laisser tomber. Mon patron m’a convoqué dans son bureau il y a une semaine pour me dire qu’il comprendrait si je voulais prendre des congés. Ce qui ne serait pas judicieux de ma part car travailler m’aide à m’évader un tant soit peu. Je suis prise en pitié par la moitié de la ville tandis que l’autre moitié jubile de mon malheur.
C’est l’heure de la pause et le bâtiment est quasiment vide. Je ne me rappelle plus ce que déjeuner ou manger tout simplement veut dire. Je suis obligée de porter deux à trois collants sous mes jupes pour qu’elles tiennent sur mon corps amaigri. N’eut été le soutien de mes deux meilleures amies et de ma famille, j’aurais sombré dans la folie. Chaque instant est une prière muette à Dieu afin qu’il me sorte de ce tunnel obscur. Rester dans l’incertitude et le doute me tue à petit feu.
Je saisis mon téléphone et compose ce numéro que j’épellerai même en étant dans le coma.
-Allô mon commissaire.
Je peux entendre son soupir.
-Allô Lucie.
-Toujours pas de nouvelle ?
-Non, pas de nouvelle entre ces soixante minutes où tu m’as appelé.
Je ne saurais être désolée de l’appeler toutes les heures.
-Bien, je vous rappelle.
-Non Lucie, ce n’est pas la peine de le faire. Dès que nous aurons du nouveau, nous vous contacterons.
Je ne me retiens plus et éclate en sanglot au téléphone.
-Lucie, calmez-vous je vous prie. Je sais combien ça peut être dur.
-Non, vous ne savez pas. Vous n’avez aucune idée de ce que je vis depuis vingt-six jours et quinze heures maintenant. Crié-je hystérique.
Je raccroche sans autre forme de procès et me lève de mon siège pour m’allonger au sol, heureusement recouvert de moquette. Je me sens mieux ainsi et me fiche pas mal de paraitre ridicule. Ephraïm, mon Dieu, que t’est-il arrivé ? Où es-tu mon amour ? Je pleure jusqu’à ce que, fatiguée, le sommeil m’emporte.
Je sens une main tapoter mon épaule et ouvre lentement les yeux. Je souris en sentant l’odeur de son parfum.
-Ephraïm, chéri. Tu es là !
-Non Lucie, réveillez-vous. Vous délirez complètement.
Cette voix n’est certainement pas celle de mon homme. Je me redresse et ouvre réellement les yeux pour tomber sur mon directeur. Il me regarde de cet air triste auquel j’ai très souvent droit depuis le drame de mon mariage.
-Oh monsieur, excusez-moi. C’est la pause et j’ai voulu me reposer. Je ne dors pas beaucoup, je…
Il pose un doigt sur mes lèvres pour m’intimer l’ordre de me taire. Son geste me surprend.
-Il est dix-neuf heures Lucie. Vous avez donc dormi durant presque six heures !
-Oh mon Dieu, dis-je paniquée. Vraiment, je suis désolée monsieur. Je comprendrai si vous me virez.
-Vous avez toujours été un employé exemplaire. Je ne vais pas vous licencier pour si peu, surtout que je sais que vous traversez une période difficile.
-Oui, mais ce n’est pas une raison pour manquer à mes devoirs.
Ce n’est qu’en ce moment que je réalise que je suis toujours au sol et que mon patron est accroupi auprès de moi. Comme s’il lisait dans mes pensées, il se met debout et me tend la main. J’hésite un instant avant de lui tendre ma main. Il m’aide à me relever.
-Merci monsieur. Lui dis-je.
-Je vous en prie, Lucie. Vous êtes comme une fille pour moi, dit-il en souriant.
Je n’ai jamais vu un sourire aussi sincère de ma vie. C’est bizarre mais je n’ai qu’une seule envie, me jeter dans ses bras et pleurer un bon coup. Monsieur Yaovi GBELAN, directeur et fondateur de ce cabinet dans lequel je travaille est un homme de la soixantaine. Il se respecte beaucoup et nous traite tous, nous ses employés avec respect. Il ne fait pas comme les autres directeurs, dans les bureaux desquels, les petites filles à peine sorties de l’adolescence se pavanent en longueur de journée. Monsieur Yaovi a toujours suscité notre admiration à tous dans ce cabinet d’expertise-comptable.
-Prenez vos affaires, je vous invite à diner.
-Je suis honorée mais…
-Pas de mais qui tienne, ma chère enfant. Je vais prendre mes affaires aussi alors dépêche-toi. Je dois manger avant vingt-et une heure, ordre de mon médecin. Tu ne ferais pas attendre ton vieux père ?
Il réussit à me faire sourire. Je remballe mes affaires et le rejoins à l’extérieur. Il me demande de laisse ma voiture sur le parking pour que son chauffeur nous emmène tous les deux dans la sienne.
-Demain il te ramènera la voiture chez toi car je ne veux pas voir tes pieds ici.
Je manque de pleurer face à tant de gentillesse.
-Merci patron, dis-je d’une voix émue.
-De rien, ma fille. Allez, allons-y.
Il monte à l’avant avec son chauffeur et me demande de monter à l’arrière. Tout au long du trajet jusqu’au restaurant, il discute et rigole avec son chauffeur comme s’ils étaient de vieux amis. Cet homme ne cessera de m’étonner.
Apparemment, il est un habitué des lieux car tout le monde le salue avec familiarité.
-J’ai pris la peine de commander pour toi, dit-il dès que nous prenons place.
Devant mon air ahuri, il ajoute.
-Ici, c’est un peu comme ma deuxième maison, tu sais. Je leur envoie mon menu de la semaine à chaque début de semaine.
-Et votre femme ? Ne puis-je m’empêcher de demander.
-Je n’ai plus de femme depuis dix ans maintenant. Nous ne sommes pas divorcés, elle vit toujours sous mon toit mais entre nous c’est fini. Disons que nous cohabitons comme de parfaits étrangers.
J’écarquille les yeux, choquée !
-Je te raconterai mon histoire, un jour peut-être mais pour l’heure, c’est toi qui me préoccupe. Tu vas me faire l’honneur de vider le plat qui va être posé devant toi tout à l’heure. Tu n’as plus que la peau sur les os !
Je m’efforce de sourire.
Mon téléphone se met à sonner et je me dépêche de le récupérer de mon sac.
-Excusez-moi.
Monsieur Yaovi me fait un signe de la main pour me dire de répondre en toute liberté. Je me lève pour aller discuter avec mon père sur l’esplanade du restaurant. Il m’appelle tous les soirs à vingt-heures pour s’assurer que je suis bien rentrée chez moi et que je vais bien. Papa est agréablement surpris quand je lui dis être au restaurant, sans préciser avec qui.
-Rappelle-moi dès que tu seras rentrée. Dit-il avant de raccrocher aussitôt.
A vingt-et deux heures, ce sera au tour des filles de m’appeler. D’ici là, je serais rentrée. Cinq minutes après mon retour de table, le serveur débarque avec nos plats.
-Mange ce poisson, tu m’en diras des nouvelles. S’extasie monsieur Yaovi.
Moi je n’ai plus qu’une envie, celle de vomir. Je me retiens quelques secondes puis cours en vitesse en direction des toilettes dont j’ai repéré la porte en arrivant. Je vide mon estomac de toute la quantité de coca cola bu au cours de la journée. Je prends appui contre la porte pour éviter de tomber car je suis prise par un vertige qui ne dit pas son nom. Il me faut dix minutes avant de pouvoir avancer et retourner dans la salle.
-Tu m’as fait peur ! Tu es toute pâle !
Je veux bien lui dire que je suis désolée mais je ne tiens plus sur mes jambes et me laisse tomber au sol. Je vois les gens s’activer autour de moi sans pouvoir réagir. Un petit moment plus tard, je sais que je suis emmenée dans un hôpital mais je me sens trop faible pour dire quoi que ce soit et ferme les yeux.
A mon réveil, la lumière du soleil illumine la pièce. A mes chevets, j’aperçois mon père.
-Papa ! Arrivé-je à dire.
-Oh ma chérie, tu es réveillée. Tu m’as fait une de ces peurs ! Heureusement que c’est pour la bonne cause. Reste tranquille, je vais appeler le médecin.
Sur ce, il sort de la chambre. La seule question qui me taraude l’esprit est celle de la supposé bonne cause qui justifierait mon état. Ephraïm serait-il de retour ? J’attends impatiemment le retour de papa et du médecin. Je suis examinée et reçois la nouvelle comme une bombe en plein visage.
-Félicitation madame, vous allez avoir un bébé. Me dit le médecin.
-Merci docteur, réponds-je.
Papa sourit tout seul tandis que moi, je ne sais si je dois rire ou pleurer. Je veux mon mari. Nous sommes censés nous tenir la main quand le médecin annoncera une telle nouvelle.
*
*
Marie KENOU
Je glisse un petit billet de cinq cent francs au portier qui ne tari jamais d’éloges à mon égard.
-Au revoir madame. Me dit-il en me montrant ses trente-deux dents.
-Au revoir, Komi.
J’avance d’une démarche prestigieuse, digne de celle d’une miss sur un podium, jusqu’au parking de la banque. Une fois installée au volant de ma voiture, je sors de mon sac les liasses de billets que je viens de récupérer et en extrais dix billets de dix milles francs. Je mets ces derniers dans une enveloppe et remets le tout dans mon sac. Je prends mon téléphone ensuite et joins Fabrice. Le salop refuse de décrocher. Au bout de cinq tentatives sans succès, j‘abandonne et démarre la rage au ventre.
Tout au long du trajet jusqu’à chez lui, je ne décolère pas. Je me gare à quelques mètres plus loin de la maison et me tape le reste du trajet à pied. Ma colère est telle que je zappe ses deux voisins se trouvant dans la cour et avance en furie jusqu’à sa porte. Avant de toquer, je tends l’oreille et guette sa présence par la fenêtre ouverte. Le ventilateur tourne au salon et je perçois de la musique depuis la chambre. Mon sang ne fait qu’un tour quand j’entends ce qui semble être des gémissements. J’enlève mes chaussures aux talons compensés et me mets à cogner sa porte avec.
-Fabrice, ouvre-moi cette porte sinon je vais la défoncer.
Je fais autant de vacarmes que possible mais il ne daigne pas m’ouvrir. Je ressors de la maison sous le regard indifférent des voisins et vais chercher un gros caillou dehors. Fabrice vit dans une cour commune de quatre ménages et toute la cour est habituée à nos délires.
A l’aide du caillou, je me mets à cogner de plus en plus fort. Je veux donner un énième coup quand la porte s’ouvre. Je manque de me retrouver au sol. Je jette le caillou dans la cour et me précipite à l’intérieur en bousculant Fabrice qui ne porte qu’un boxeur.
-Où est la salope qui se trouve avec toi ? Où est-elle ?
Bras croisés sur son torse, il me regarde sans rien dire. Je me rends dans la chambre mais ne trouve personne. Le lit est également bien dressé. Non, je n’hallucine pas, j’ai bien entendu des gémissements provenant de cette chambre.
Je reviens dans le séjour et trouve Fabrice debout à la même place que tout à l’heure.
-Où est la chienne…
-Oh Marie, ça suffit ! Crois-moi, tu vas payer pour les réparations de la porte que tu as abîmée. Non mais tu es malade ?
-Tu n’avais qu’à m’ouvrir !
-Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans ‘’je ne veux plus te voir ?’’
-Non Fabrice, tu ne peux pas me faire ça ! Tu sais que je t’aime.
-Marie, toi et moi, c’est fini. Je ne peux plus continuer avec toi. Ta jalousie maladive va finir par me tuer.
-Je t’aime Fabrice, tu le sais. Ma jalousie n’est que l’expression de mon amour pour toi !
-Fiche-moi la paix, Marie. Sors d’ici et ne reviens plus jamais.
Je connais son remède. Je me saisis de mon sac à mains et en sors l’enveloppe que j’ai préparé pour lui.
-Tiens, pour les réparations de la porte. Je m’en vais donc.
Il me regarde avec colère sans prendre l’enveloppe. Je sors donc les billets de l’enveloppe et les fourre entre ses bras croisés. Je fais un pas en avant et m’arrête pour le regarder. Il n’a toujours pas bougé. Je fais un autre pas et atteins la porte quand je me sens projetée vers l’arrière.
-Viens ici ! Grogne-t-il.
Il soulève mon petit corps sans grand effort et me jette sur le canapé. Il va ensuite verrouille la porte et revient vers moi.
-Je vais te punir pour ton insolence Marie. Je n’ai pas digéré la scène de la dernière fois.
Tout en parlant, il fait descendre son boxer, exhibant à ma gourmande vue, ses bijoux de famille aux proportions d’un dieu. Je fonds littéralement !
Fabrice tire mes jambes en les ramenant vers lui et m’enlève mon collant. Le boubou que je porte dessus est enlevé et jeté quelque part dans la pièce. Les instants qui suivent, je réclame ma punition à tue-tête. Plus rien ne compte que mon plaisir en ces instants là et du plaisir, Fabrice sait m’en donner. Après avoir gratifié mon entrejambe d’experts coups de langue, Fabrice me fait entre en moi avec vigueur. Le mot ‘’douceur’’ ne fait pas partie du vocabulaire de Fabrice et j’adore ça. Il me ramone comme j’aime et me fait monter au septième ciel plusieurs fois avant de me rejoindre à son tour.
-Je t’aime tellement Fabrice !
-Il va falloir arrêter de me faire des scènes de jalousie partout. Je ne le supporte plus.
-C’est promis mon chéri, je ne recommencerai plus.
-Je l’espère Marie, je l’espère pour toi.
J’aurai voulu rester encore un peu et profiter de cette machine qu’il entre les jambes mais je devoir m’appelle. Je me dépêche d’aller me rincer avant de partir, non sans laisser quelques billets de plus à Fabrice. Finalement, il a eu droit à cent cinquante milles au lieu des cent milles d’habitude. Ça ne fait rien, les sensations qu’il me procure sont inestimables.
Je m’arrête à un point de transfert d’argent mobile pour transférer à m belle-mère son argent. Elle a de la chance qu’internet à réduit les distances et qu’elle est en contact permanent avec son fils, autrement, elle n’aura rien du tout. Elle et moi ne nous aimons pas, c’est un fait. Je récupère les enfants à l’école et nous rentrons ensemble à la maison.
A peine je pose mon corps encore empreint des caresses de Fabrice sur le canapé que mon téléphone se met à sonner. C’est mon cher mari sans aucun doute.
-Allô chéri ! Dis-je d’une voix mielleuse.
Les enfants, Katia, Stanley, venez. Papa appelle…
Nous passons un bon moment de conversation téléphonique en famille. J’avais déjà préparé le déjeuner des enfants avant de sortir alors je les laisse se débrouiller et vais m’enfermer dans ma chambre. Ils ont respectivement dix et huit ans et savent se passer de moi. Couchée sur mon lit, je repense à mon ébat de tout à l’heure avec Fabrice et sens ma petite culotte se mouiller. Je n’ai plus la force de traverser toute la ville pour retourner chez Fabrice alors je l’appelle pour qu’il me rejoigne. Ce ne sera pas la première fois. J’enverrai les enfants dans leurs chambres quand il sera là pour qu’ils ne le voient pas. Ils savent qu’ils n’ont pas le droit d’entrer dans ma chambre si je ne leur en donne pas la permission. Je ne m’encombre pas de personnel de maison qui servirait de caméra de surveillance à ma belle-famille. Déjà, qu’ils sont tous jaloux du confort dans lequel leur fils me fait vivre, je ne vais pas leur donner une occasion de plus, de faire de moi leur cure-dent, en mettant une domestique chez moi.
Les bonnes, on les connait. Elles sont toutes des commères en puissance. Après tout, la vie continue. Je ne vais pas me priver d’un tel engin que celui de Fabrice parce que j’ai un mari à l’étranger qui s’occupe bien de moi. A trente six ans bientôt, je suis encore belle et fraiche. La bague à mon doigt n’est qu’un décor.
J’envoie les enfants dans la chambre dès que Fabrice me signale qu’il est devant le portail. Je le fais entrer et nous filons en douce dans ma chambre dont je verrouille la porte. Je suis aussitôt plaquée contre cette dernière et mes tétons sont aussitôt malmenés par les doigts de Fabrice.
-Tu aimes ça hein !
-J’adore ! Hum…
La sonnerie de mon téléphone nous coupe dans notre élan. Je suis obligée de décrocher sinon René risquerait d’appeler les enfants. Alors que j’ai le téléphone collé à l’oreille, Fabrice a ses lèvres collées à mes lèvres intimes. Je veux me dégager mais il m’en empêche. C’est une véritable torture de discuter avec mon mari alors que je n’ai qu’une seule envie, celle de gémir.
-Maman viendra passer un petit moment avec vous.
-Hum, d’accord !
-Vraiment ? S’exclame-t-il. Je suis heureux que tu acceptes, chérie. Je compte sur toi pour bien prendre soin d’elle.
-Hum…
-Tout va bien, chérie ?
-Oui, j’ai juste mal au ventre.
-Oh, qu’as-tu mangé ?
-De l’haricot, ce matin.
-Ok, prends un produit, ça va aller.
-Oui !
-L’heure de ma pause vient de prendre fin. Je retourne bosser. A ce soir.
-D’accord…grrrr
-ça va aller ?
-Oui chéri.
-Je t’aime.
-Oh je t’aime aussi, chéri. Réponds-je en caressant la tête de Fabrice.
Je m’assure d’avoir bien raccroché avant de jeter le téléphone sur le lit.
-Oh oui Fabrice…
*
*
Alexa KEAS