Crêpage de chignons

Ecrit par Farida IB


Armel….


Moi la voix ensommeillée : allô ?


Correspondant en pleurs : comment t’as pu me faire ça Armel ? Je t’ai donné ma confiance et tu m’as trahi. Toutes ces années passées ensemble ne signifiaient donc rien pour toi ? Ce n’est même pas que tu me trompais avec une fille comme ça, tu me trompais constamment en fait. Je suis anéantie, ça fait des jours que je ne fais que pleurer. Je n’arrive plus à manger, je n’arrive à faire quoi que ce soit.


Moi : euh euh.


Je ne suis pas fou de m’enquérir de son identité pour aggraver la situation du coup, je dis ce qui me vient en tête à ce moment-là.


Moi : je suis désolé.


Je le dis et décolle l’appareil de mon oreille, je me frotte les yeux pour bien lire sur l’écran. Damn que je suis con ! 


Ruth : tu es désolé ?


Moi : oui


Ruth : c’est tout ce que tu trouves à dire ?


Moi : weh je suis désolé, sincèrement Ruth.


Ruth énervée : c’est fou ce que tu finisses de briser mon cœur en morceaux et tout ce que tu trouves à dire, c’est « je suis désolé ».


Moi : je suis désolé d’avoir dit ça.


Ruth : weh j’ai compris la première fois.


Je me passe la main sur le visage et pousse un soupir débité.


Moi : je t’en prie pardonne-moi, je… Je ne sais pas quoi dire en fait. 


Ruth : tu ne sais pas quoi dire ?


Moi : weh, en réalité je viens de me réveiller d’un profond sommeil et t’entendre pleurer m’a déstabilisé quelque peu (ce qui est vrai) j’ai encore l’esprit embrouillé. (cherchant une excuse) Tu sais quoi ? Je te propose qu’on se donne rendez-vous pour en discuter calmement. 


Elle ne répond pas tout de suite, j’ai le temps de m’adosser contre la tête du lit et de ramener un coussin pour soutenir ma tête.


Ruth : quand ?


Moi : je te laisse choisir le tempo, seulement que ça ne soit pas en journée. Je suis un peu pris en ce moment dans la journée.


Ruth : ça me va.


Moi : je t’en remercie. Une dernière chose avant que tu ne raccroches, arrête de pleurer s’il te plaît je…


Clic !


Weh sympa, elle m’a raccroché au nez. Je reste un moment à fixer l’écran avant de me décider à activer le haut débit de Togocel. En espérant qu’ils ne m’aient pas chipé mes mégas entre temps, c’est leur fort dans ce pays. 


Je me connecte et par réflexe, je vais sur Snapchat. J’ai regardé les stories non lues et j’ai ajouté quelques-unes à ma collection. 


Là, je suis sur Youtube  où un chaud du vidéaste Wil Aime me captive pendant quarante-huit minutes. Je me recouche à la fin, impossible de me rendormir. J’essaye toutes les méthodes : garder les yeux fermés malgré la forte envie de les réouvrir, le décompte à l’envers en partant du chiffre 100, le récapitulatif de ma journée toujours à l’envers. Toutes les positions y sont passées, mais rien à faire. J’ai même essayé de ne penser à rien, mdr est-ce que le cerveau peut arrêter de penser ? 


Je prends mon téléphone pour en apprendre un peu plus à ce sujet, je migre donc sur Google quelques minutes. Conclusion, le seul moment où le cerveau ne pense pas, c’est quand il est mort. Seigneur !!???????? Je dépose le téléphone d’un geste brusque et m’enfouis sous les draps la tête en premier. 


Oui, j’ai peur de la mort, et puis quoi ?? 


C’est une chaleur torride et la crainte de suffoquer qui m’oblige à enlever la couverture sur le visage. Je prends un grand bol d’air et met le split en marche avant de retourner là-dessous en récupérant mon téléphone au passage. Je me rends sur Whatsapp à la recherche de quelqu’un avec qui discuter.

Par chance, je tombe sur Debbie connectée N°1. 


Moi écrivant : ️ ????️coucou, t’as aussi l’insomnie comme moi ?


Debbie :…


Moi : t’es là ? 


Debbie :…


Moi : mlle Diapena???? ayez la bienséance de répondre quand on vous écrit. Ça ne diminuera pas votre beauté pour autant.


Debbie :…


Moi : ça ne te coûte rien de répondre, tu sais ? Même pas 1 ko.


Toujours pas de réponse. Là, je m’énerve pour de bons et au lieu d’écrire, je fais un  message vocal. J’enlève donc la couverture pour être plus à l’aise.


Moi : Deborah arrête ce que tu fais là, arrête de faire l’enfant. C’est vraiment inutile de compliquer les choses, le problème est déjà assez complexe. Soit on s’assoit comme deux adultes pour arranger les choses, soit tu me dis clairement si tu ne veux plus de cette relation pour que j’arrête de me tracasser dans le vide. Ok j’ai fait une erreur, je n’aurais pas dû crier après toi. Ok ! J’étais énervé et j’ai eu une réaction excessive. Je te l’accorde !! Mais ça fait dix jours que je tente de me racheter, DIX jours que tu fais la morte. DIS-MOI CE QUE TU VEUX A LA FIN.


Elle l’écoute et me répond aussitôt par écrit.


Debbie :  ????heeppepp ! Tes crises de nerfs à deux francs six sous, pas avec moi en plein 2 h du mat. Si tu cherches quelqu’un à engueuler va voir SACHA !


Moi écrivant : c’est puéril ce que tu fais.


Debbie : Elli, je ne te cause pas.


Moi en rogne : ne m’écris pas pour me dire que tu ne me causes pas, c’est bien ce que tu es en train de faire !


Debbie : bonne nuit Elli.


Moi : ok si tu ne veux pas discuter, tu vas quand même lire ce que j’ai à te dire.


Je lance le message et actionne d’écrire un autre, j’écris un long texte saignant avant de m’apercevoir qu’elle n’a pas lu le dernier. Je réalise juste après qu’elle s’est déconnectée. Je jette le téléphone quelque part sur le lit avec rage. Elle est chiante celle-là à faire sa tête dure grrrr !!!


Je rumine un long moment et finis par m’endormir sur le tas. Je dors vraiment mal, ce qui empiète sur ma journée de travail. J’ai prévenu qu’on ne me dérange pas et je me suis enfermé dans mon bureau pour éviter de mettre mes humeurs sur les collègues, mais surtout de croiser mon père. Je passe ainsi une journée solitaire. Je n’ai pas participé au jeu de charme auquel se livre la secrétaire particulière tous les matins à mon arrivée. Je ne suis pas partie me refaire un look pour l’après-midi et j’ai trouvé un prétexte pour ne pas assister au meeting du  déjeuner avec la réceptionniste et ses copines de l’agence d’événementiel au troisième. C’est pourtant un moment plaisant que j’aime passer à écouter les histoires de bonnes femmes et donner des conseils avisés. Je ne vous l’ai pas dit, mais je suis déjà populaire ici. Je suis un peu le chouchou des nanas façon là (rires). Je tiens déjà à préciser que je n’ai pas de plans de dragues, ce sont pratiquement des trentenaires. Je m’entends bien avec elles, c’est tout. Ce qui n’est pas du tout le cas avec la gente masculine qui ne cache pas son antipathie envers moi. Mais qu’est-ce qu’on s’en fiche !!!


Je ne suis sortie que deux fois pour prendre mes commandes de nourritures. Ma tension a monté d’un cran lorsque j’ai aperçu le message de prise de contact de Cannelle. Elle ne manque pas d’air celle-là. Ça ne lui suffit pas d’avoir le père, elle veut se taper en prime le fils. Une pétasse dans la peau d’une déesse. Je trouve ça quand même dommage parce que je la trouvais différente pour ne pas dire unique. Je ne sais pas pourquoi, mais j’en avais  réellement l’impression. Mais bof ! 


Le seul truc positif de la journée a été l’appel de Ruth. Elle m’a donné rendez-vous ce soir dans un restaurant 4 étoiles. Je me suis démerdé pour que Gorbatchev n’ait rien à redire sur mon travail. J’ai enfilé un de ses vêtements de rechange pour m’y rendre directement après le boulot. Elle était déjà là lorsque je suis arrivée, très pointue sur l’heure cette fille. Je ne savais pas comment me comporter donc, je me suis approché doucement et j’ai attendu son ok pour m’installer. Après les salutations, elle hèle une serveuse pour me commander une boisson et j’attends qu’elle ramène la commande pour parler.


Moi : ça va ?


Ruth plissant les yeux : tu viens vraiment de me demander si je vais bien ?


Moi : excuse-moi, une question d’habitude.


Ruth : si tu veux savoir, non (ajoutant) ça ne va pas.


Moi : ça va de soi.


Je réfléchis deux minutes pour trouver le bon stratagème. Dans le même temps, je me demande s’il y a vraiment lieu de lui servir mon baratin. On m’a déjà cramé, mieux vaux jouer franc-jeu. Ça casse ou ça passe life goes on ou bien ?


Moi commençant : je ne vais pas nier que je suis sortie avec cette fille, tu m’as déjà démasqué de toute façon. Cependant, tu as été témoin qu’elle a mis fin avec moi et pour moi ça tombe à pic dans la mesure où je l’avais invité ce soir là pour rompre avec elle. Sincèrement je ne veux plus rien à voir avec cette fille, elle ne représentait rien pour moi à vrai dire. C’est elle qui me harcèle tout le temps (une demi-vérité) je n’aurais jamais dû rentrer dans sa combine. Je l’avais fait dans le seul but de rendre service.


Ruth : ah ouais, quel genre de service ?


Je me racle la gorge et bois un coup le temps de trouver une parade.


Moi biaisant : je n’ai pas très envie de parler d’elle, en ce moment précisément. Je veux qu’on parle de toi et moi.


Elle me fixe dans les yeux en arquant un sourcil interrogateur.


 Moi : oui, je tiens d’abord à ce que tu me pardonnes si je t’ai fait de la peine. Et le plus important que tu me situes par rapport à nous deux. 


Elle me fixe toujours sans rétorquer, je lui prends la main que je caresse doucement.


Moi : tu me donnes une nouvelle chance ? 


Elle retire sa main et se la frotte avant de la replier sous son menton.


Moi : je veux que tu saches que quelle que soit la décision que tu as prise, je la respecterai. Même si je suis conscient que ça me briserait de ne plus être avec toi.  Tu comptes beaucoup pour moi Ruth. (soupir triste) Mais bon ce que j’ai fait est impardonnable. Je ne mérite plus ta confiance.


Elle reste silencieuse un moment au bout duquel je conclus que mon baratin ne marchera pas cette fois. C’est là qu’elle me prend au dépourvu.   


Ruth : je ne vais pas rompre avec toi.


Je lève brusquement les yeux pour la regarder droit dans les yeux.


Moi : c’est vrai ?


Ruth hochant la tête : je ne vais pas te mentir ça été un coup dur pour moi de savoir que tu me trompais avec cette fille aux  formes généreuses. Manifestement, c’est ce qui t’a attiré chez elle étant donné que je suis plate comme un bois.


Moi : ne dis pas ça voyons ! Certes elle est jolie, mais sans valeur. Elle ne t’arrive même pas à la cheville. Tu es un or sertie diamant à côté d’elle.


Ruth : tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute tu sais ?


Moi : je le pense sincèrement.


Flottement.


Moi lui reprenant la main : merci de me redonner cette chance.


Ruth (sur le ton de l’avertissement) : oui mais ce sera la dernière, il n’y aura pas de prochaine fois.


Moi : je ferai tout pour que ça n’arrive pas.


Ruth : j’ai quand même des réserves ! Bon, on commande à manger là ? J’ai l’estomac dans les talons.


Moi : commande tout ce que tu veux ma belle.


Elle appelle un serveur et commande pour nous deux. On mange ensuite dans une ambiance bonne enfant animée plus par elle. Elle me raconte sa dépression d’une journée qu’elle tourne en dérision et on en rit. À un moment elle devient taciturne et fixe un point vers l’entrée du restaurant, je suis son regard pour tomber sur l’entrée remarquable de Sacha et un artiste du pays. Les gars se tiennent à bras-le-corps et se font des bisous à chaque pas donc ça jacasse dans le restaurant jusqu’à ce qu’ils s’installent au fond de la salle.


Moi : tu vois quand je te dis qu’elle n’en vaut pas la peine ?


Ruth me souriant : je vois oui.


Le reste de la soirée se passe relativement bien malgré les jeux de regard de Sacha et sa comédie amoureuse quand elle sent de l’attention sur elle. Je propose à Ruth qu’on termine la soirée dans l’une des garçonnières de mon père et elle accepte. On se lève donc pour partir. On se dirige vers le parking aménagé du restaurant lorsqu’on entend le bruit des claquements de talons aiguille sur le carreau fraîchement mouillé par la pluie. Puis…


Voix de Sacha : hey vous deux là !!


On se tourne tous les deux en même temps pour la voir arriver au pas de course. Je parie sur la vie de ma mère qu’elle va tomber d’un instant à l’autre. Je m’attends donc à sa chute imminente quand elle a commencé à s’échauffer à mi-chemin de là où nous nous trouvons.


Sacha indexant Ruth : toi qu’est-ce que tu fais à traîner avec ce gougnafier ?


Ruth : pardon ?


Sacha : pardon de quoi !!? Je pensais qu’on avait un accord tous les deux, on s’était entendu pour le quitter. 


Ruth : mais je t’ai jamais dit que j’allais le quitter.


Sacha (s’arrêtant à sa hauteur) : ah bon, c’est ce que tu me dis aujourd’hui ? Où est-ce que tu as mis tes bonnes résolutions du genre (imitant sa voix) ce mec est un trompeur, un manipulateur et carrément malhonnête, il ne nous mérite pas. (avec les grimaces que les femmes font avec leurs doigts là, vous savez) Armel, je ne veux plus rien savoir sur lui.  


Ruth : eh bien, j’ai changé d’avis ! J’ai le droit non ? C’est ma vie après tout.


Sacha vénère : genre, tu es en train de dire que tu m’as amené à me ridiculiser devant 20 % du gratin national pour venir t’accaparer du mec. 


Ruth : tu as choisi toi-même de te ridiculiser ma chère. La violence ne résout pas toujours tout.


Moi : là Ruth marque un point.


Elles me regardent toutes les deux, Sacha avec mépris. Je leur retourne un regard du genre (quoi ??) en haussant l’épaule et en faisant les mains interrogatrices. Sacha me toise et reprend sa tirade.


Sacha : j’ai été bien conne d’avoir cru aux principes de femmes dignes et matures venant d’une décolorée amorphe comme toi.


Ruth (s’approchant dangereusement d’elle) : je ne te permets pas de m’insulter.


Sacha : je vais t’insulter pian !! Tu n’es qu’une sale menteuse, une hypocrite, une profiteuse.


Ruth : et toi une sale garce ! 


J’interviens rapidement en voyant l’allure que prennent les choses.


Moi : les filles vous êtes en train de vous mettre en spectacle là.


En effet, tous les regards sont convergés vers nous actuellement.


Moi : Sacha ce n'est ni le moment ni l'endroit, ne perd pas de vue que tu es venue accessoirisée.


J’ai à peine parlé que le type sort du restaurant en appelant son nom. Elle se retourne à demi.


Le type : Sacha ?? 


Il arrive à notre hauteur avant d’ajouter autre chose. 


Le type : tu m’avais dit que tu partais te soulager la vessie.


Il la regarde, regarde Ruth et me regarde avec les sourcils froncés.


Le type : qu’est-ce qui se passe ? Qui sont ces gens ?


Sacha passant devant lui : personne, allons-y.


Le type la suivant : comment ça personne alors que je t’ai aperçu par la baie vitrée t’agiter devant la fille ?


Elle ne répond pas et accélère les pas en balançant ses fesses. Sans qu’on ne s’y attende, elle perd l’équilibre et glisse sur le carreau malgré la vigilance et la rapidité de son type. Clou du spectacle, elle n’avait rien sous sa robe. Bon de toute évidence, elle s’est épilée le maillot. C’est déjà bien. 


Je me tourne vers Ruth et place ma main dans la sienne.


Moi : on y va ma belle ?


Ruth tout sourire : on y va oui.


On termine les quelques pas qui nous séparaient de sa voiture, je la sors du créneau et attends qu’elle monte pour faire de même. La fluidité de la circulation aidant, nous arrivons devant la villa de Casablanca en moins de vingt minutes. Je coupe le moteur et m’apprête à descendre quand le gardien vient s’abaisser à la vitre de l’autre côté.


Bertrand : petit patron bonsoir.


Moi amusé : bonsoir Bertrand,


Bertrand : petit patron vous venir pour rester ?


Moi : quelques heures seulement.


Bertrand : ah, grand patron est là jusqu’à demain.


Moi : je vois, merci Bertrand.


Je mets la main dans la poche et sors un billet que je lui donne.


Moi : prends ça pour le petit-déjeuner demain.


Bertrand : merci petit patron, Dieu te bénisse.


Moi : amen !


Il s’en va et je descends pour rejoindre Ruth. 


Ruth : il y a un problème ?


Moi : malheureusement, notre nid d’amour est pris ce soir.


Ruth : c’est dommage, on remet ça ?


Moi : sans faute, je te ferai signe.


Ruth : top ! Je vais donc y aller.


Moi : et mon bisou ?


Elle me sourit et elle enroule sa main autour de mon cou pour me rapprocher. On s’embrasse tendrement, langoureusement, doucereusement, tout ce que vous voulez. C’est moi qui mets fin au baiser et on se fait un autre pour se dire au revoir avant qu’elle démarre. Je ne tarde pas à la suivre.


Ce soir là je me couche requinquer, le moral gonflé à bloc. Je m’endors avec la ferme résolution de mettre fin à la brouille avec Debbie dès demain. Le jeu a assez duré comme ça, il est temps que je reprenne les rênes. 



Debbie….


Pipiiiiiii ! Piiii piiii piiiiiiii !!!!


Moi à un inconnu : bouges toi de là enfin, tu te crois dans le salon de ton père peut-être !? 


Le type : n’importe quoi impolie.


Moi : n’importe quoi toi-même tsuiipp !


Je redémarre en vitesse, je n’ai pas le temps de vérifier s’il me course ou pas. Alors il se passe que je suis en circulation quelque part vers la caisse, en route pour la maison après une journée terriblement frustrante. Je klaxonne à tout bout de champ et distribue des injures ou des insultes aux mauvais conducteurs. C’est comme ça depuis le début de la semaine, je suis juste comme une boule de nerfs. Et pour cause, j’ai l’impression en ce moment que le sort s’acharne contre moi. Il y a un nouveau gérant à la cave depuis peu qui ne jure que par mon nom. Le type ne me lâche pas d’une semelle, il a même bloqué ma paie pour m’obliger à accepter un rendez-vous avec lui. Pauvre moi ! Bien évidemment, je n’ai pas cédé donc le type se la coule douce avec mes longues heures de labeur, après tout ce que je subis déjà comme harcèlement sexuel. Bien sûr qu'est ce que vous voyiez ? Le travail à la cave n’est pas un long fleuve tranquille. Je pense que vous savez comment ça se passe dans ce genre de milieu alors je vous épargne d’une longue dissertation sur les piètres conditions de travail auxquelles sont confrontées les serveuses.  


Aujourd’hui, j’ai accepté un job d’assistante d’accueil, abusivement appelé hôtesse d’événement. C’est un job que j’avais auparavant classé compte tenu de mon emploi du temps chargé, mais là il faille que je me fasse de la tune. Quelle bonne tune même, si je savais pff !!! On n’en finira jamais avec ces vautours à la tête des organisations. Pour un événement public réunissant trente chefs d’Etat et le gouvernement au complet, on nous paie 3 000 F CFA. Oui oui trois mille. Quand je pense que je me suis arrêtée sur des talons de 15 cm pendant près de dix heures à sourire bêtement malgré la climatisation à fond pour la somme minable de 3 000. J’ai reporté la visite de Junior à l’hôpital, raté un entretien pour le stage académique, mes jobs officiels, tout ça pour ça pufff !!! Je préfère arrêter d’y penser, j’aurai mal au cœur cadeau.


J’arrive au quartier dans le même état de colère. À quelques pâtés de la maison j’aperçois Noémie qui s’amourache dans la pénombre. Je braque les phares pour identifier l’amoureux en question, nul autre que son nouvel « ami ». Mon sang ne fit qu’un tour. Je gaze pour atteindre leur niveau et parle en descendant précipitamment de la moto.


Moi : Noémie, c’est quoi ça ? 


Ils se détachent brusquement l’un de l’autre, l’ami baisse sa tête et Noémie me lance un regard penaud.


Moi : c’est ça que tu fais les soirs quand je ne suis pas là ? (oscillant mon regard entre eux) C’est à ça que se résume votre amitié ?


Noémie : euh, en réalité ce n’est pas mon ami, c’est…


Moi sèche : tu ferais mieux de ne pas compléter ta phrase (me tournant vers le jeune homme) toi rentres chez toi et que je ne te revois plus dans le collimateur.


Noémie : mais tu n’as pas le droit, tu…


Moi furieuse : NOEMIE tu te tais et tu rentres à la maison tout de suite !! Je veux te trouver dans ma chambre quand je serai là. (au jeune homme) Tu attends tes aïeux pour t’escorter, c’est cela ?


Le jeune homme : non (s’adressant à Noémie) euh mé love on s’écrit plus tard.


Moi le rabrouant : elle ne t’écrira rien du tout ! Que je revois les brindilles qui te servent de pieds devant ma cour, j’enverrai les bandits du quartier s’occuper de toi tchhrrr.


Il s’en va sans demander son reste. 


Noémie (les mains croisées sous sa poitrine) : c’est pas juste ce que tu fais.


Moi durement : Noémie dégages d’ici avant que je ne perde vraiment patience.  


Elle veut parler, mais je lui lance un regard qui lui intime de se taire. Elle tire sa bouche et marche vers la maison comme une furie. Je la retrouve quelques minutes plus tard, qui tourne en rond dans ma chambre. 


Noémie (dès qu’elle me voit) : Deborah c'était quoi ça ? Tu veux me faire honte dans le quartier, c’est ça ?


Moi : lol fais moi bien rire, c’est moi qui te fais honte ? C’est moi qu’on tripotait peut-être toute à l’heure aux yeux du monde. Tu veux nous faire passer pour quoi hein Noémie ? 


Dada depuis la cour : qu’est-ce que vous avez encore toutes les deux ?


Moi (criant pour me faire entendre) : rien dada.


Dada : yooo loo ! (oook)


Noémie vénère : tu n’as pas le droit de chasser mon petit ami comme ça, comme un malpropre !


Moi : eh beh je suis désolée mademoiselle de t’informer que j’en ai plus que le droit. Ici, c’est moi qui fais la pluie et le beau temps.


Noémie (criant son indignation) : ça ne te donne aucunement le droit de te mêler de ma vie ! 


Moi : hey tu me parles sur un autre ton, je suis ton aînée compris ?


Noémie criant de plus belle : mais pas ma mère ! Encore moins mon père ! Tu n’as aucun pouvoir ici et tu n’as pas à faire ça, tu n’as pas à vouloir régenter nos vies. Tu veux toujours dire aux autres quoi faire, toujours à nous interdire des choses. Tu crois peut-être détenir le droit de vie sur nous parce que tout repose sur toi dans la maison ?


Moi choquée : à aucun moment j’ai fait ce que tu dis, Noémie je veux juste ton bien.


Noémie : qu’est-ce que tu en sais ? Tu es vraiment la moins placée pour m’interdire une relation. Toi, tu as bien commencé alors que tu n’avais même pas  les seins, mais  personne ne t’a interdit quoi que ce soit. Pourquoi à mon tour ça ne peut pas être le cas ? Ma foi j’ai 17 ans, j’ai l’âge d’avoir un amoureux bon sang !!


Je plisse les yeux et la regarde un moment. Sur le coup, je décide de calmer le jeu. 


Moi (d’un ton docte) : et tu ne penses pas que je veux peut-être t’éviter que tu commettes les mêmes erreurs que moi ?


Noémie moue boudeuse : non, je veux que tu me laisses faire mes propres erreurs. 


Je lève le sourcil.


Moi soupirant : tu sais quoi ? On en parlera lorsque tu seras plus apte à le faire.


Noémie (croisant les mains sous la poitrine) : je ne veux plus te parler, je te déteste plus que tout au monde. Je regrette sincèrement que tu sois ma grande sœur. 


Seigneur Jésus Marie Joseph et tous les saints !!


Elle l'a dit avec un regard hautement méprisant avant de tourner les talons en me laissant complètement sonnée. Je m’assois sur un canapé et me prends la tête entre les mains  tremblantes. Pendant dix minutes, ses phrases tournent en boucle dans ma tête. Noémie et moi avons l’habitude de nous chicaner, mais là c’est une autre dimension. D’une certaine façon, j’essayais seulement de jouer mon rôle de grande sœur, mon rôle de protectrice. N'est-ce pas  ??

D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais voulu avoir de l’emprise sur eux, je ne voulais que leur bien. Je me suis donnée pour mission d’être « tout » pour mes cadets, mais plus, une amie pour mes sœurs et j’ai toujours agi dans ce sens. (soupir)


Dire que ses paroles m’ont touché serait un euphémisme. J’en suis toute retournée, ça me fait même monter des larmes de frustrations. Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé d’avoir le sentiment de perdre vos repères sur lesquels vous vous êtes construits, l’impression que tout est négatif dans votre vie et autour de vous. C’est ce que je ressens là en ce moment et ça fait terriblement, horriblement, insupportablement mal. 


Je vais m’asseoir sur le pot du WC et me mets à jouer Subway Surfer sur mon téléphone. Ne riez pas, c’est comme ça que je parviens à me remonter le moral quand je ne vais pas bien. Je joue pendant une demi-heure sans y arriver pour autant. Je décide de prendre une longue douche dans l’espoir que le pouvoir guérisseur de l’eau agisse sur moi. Je retourne dans la chambre pour déposer le téléphone et me déshabiller. J’enlève mon haut et enchaîne d’enlever le soutif quand je perçois comme la voix fluette de Junior dans le salon, puis dans la chambre.


Moi le réprimandant : Junior je t’ai dit de frapper avant d’entrer ma chambre.


Junior : Junior : daga bobo popo (Traduction : dagan j’ai mal à l’anus).


C’est le ton larmoyant de sa voix qui me fait tourner dans sa direction les yeux plissés et les seins camouflés dans le creux des mains.  


Moi : tu as mal au popo ?


Junior pleurant : bobo popo, ça fait maye.


Je prends un pagne sur la traverse que je noue rapidement avant de m’approcher pour le prendre et me mets à le bercer.


Moi : ça va passer, arrête de pleurer. On va appeler Sophie pour qu’elle t’applique un baume là-bas, tu n’auras plus mal d’accord ?


Il acquiesce de la tête pendant que je hèle Sophie à qui je donne les consignes. Je vais ensuite chercher mon arsenal de bain et me dirige vers la douche. Mon téléphone se met à sonner, c’est Armel. Je soupire bruyamment. Il ne manquait plus que lui pour bien boucler cette journée frustrante. Je décroche tout de même.


Moi brusque : allô !


Armel direct : je suis dehors, je t’attends.


Moi : je n’ai pas particulièrement envie de te voir,


Je veux ajouter autre chose lorsque je réalise qu’il a coupé l’appel. Il raccroche au nez de qui celui-là ? Je vais porter des claquettes et sors de la chambre très furax pour le rejoindre, ma serviette toujours calée sur mon épaule. Dehors, je le vois adossé nonchalamment à une portière les mains fourrées dans les poches. Je n’attends pas d’arriver à sa hauteur pour l’agresser.


Moi : toi c’est la dernière fois, je dis bien la dernière fois que tu me raccroches au téléphone. Tu viens, tu appelles les gens ko je suis dehors, ko je t’attends. Tu te prends même pour qui à la fin ? Pour Faure, peut-être ?


Armel (passant la main sur son visage) : si tu as fini de t’exciter comme une puce, dis-moi pour que je puisse te dire ce pour quoi je t’ai fait venir.


Moi : tsuuiipp parle vite qu’on quitte ici !


Il lève le sourcil et me regarde, regard que je soutiens tout autant. On se jauge ainsi quelques secondes. C’est lui qui cligne des yeux en premier puis se redresse en soupirant de dépit. Je me redresse aussi et croise les mains sous la poitrine.


Moi : alors ?


Armel : tu as besoin de combien de temps pour t’habiller pour sortir ?


J’arque les sourcils d’incompréhension.


Armel : va t’apprêter, on doit être quelque part à 21 h (regardant sa montre) il est 20 h 05, je pense que ça suffira.


Moi mitigée : tu m’emmènes où ?


Armel : heu j’avais presqu’oublié un détail important, fais-toi coquette. Exactement comme l’avant-dernier mardi avec la coiffure, le maquillage et tout.


Moi (de plus en plus intriguée) : mais dis-moi où on va !?


Armel : je t’attends ici, dépêche-toi.


Je fixe un regard insistant sur son regard neutre un moment et finis par soupirer excédée. Je m’exécute néanmoins.   






Le maître du jeu