Dos au mur
Ecrit par Farida IB
Chapitre 12 : dos au mur.
Cassidy….
Une semaine s’est écoulée depuis les événements passés, une semaine d’hibernation. Au lendemain de cette visite affreuse, j’ai eu beaucoup de mal à sortir du lit tellement j’étais dévastée. J’ai même fait une légère déprime avec le cerveau qui tournait à cent à l’heure et ce pendant deux jours. C’était comme si l’on m’avait annoncé ma mort imminente. Même s’il faut que je vous dise que je suis morte dans mon propre film. Je suis tout bonnement partie me livrer à Georges comme une proie et tel un lion dont le sommeil a été troublé, il me traque sans arrêt depuis. Ce n’est pas une métaphore je vous assure. Le bougre a mis en place un long trafic d’influence sans parler de ses messages et appels intempestifs. Durant trois jours consécutifs, il a fait défiler plusieurs délégations ici : les membres influents de sa famille, son curé et ses ouailles, ses amis, nos témoins de mariage, et même sa mère ! Bon elle, je suis sûre qu’il lui a graissé la patte au même titre que mon père qui a fait de notre réconciliation son affaire.
Inutile de préciser que je suis restée de marbre face à tout ce beau monde. Enfin, pour faire genre j’ai promis à quelques-uns de prendre le temps de réfléchir à la possibilité. D’autres par contre je les ai rabroués sans autre forme de procès, les gens tels que sa mère et la bande d’hypocrites que forment ses tantes. Du coup aujourd’hui, il joue sa dernière carte. Il m’a envoyé sa copine du blaze qui n’est autre que Saliha. C’est chez elle que je suis en ce moment d’ailleurs. Aux dernières nouvelles, elle a interdiction de mettre les pieds dehors. Vous devinerez l’institution qui a décrété cette décision.
Alors elle ? Hmm, elle a été mon pire cauchemar durant cette semaine de merde. Vous savez ce qu’elle a fait après que je lui ai raconté la rencontre dans les détails en plus ? Je ne vous donne pas deux secondes pour l’imaginer. Cette folle a rit, encore et encore. Elle s’est même roulée par terre puis s’est mise à esquisser une danse de chez elle en chantonnant un proverbe en Ewé et l’équivalent en Kotokoli (sa langue) qui veut dire à peu près qu’un enfant entêté trouve toujours le malheur en chemin. Hmm, je ne vous dis pas la rage de ça ! Mais ce n’est rien à côté de ses rires moqueurs chaque fois qu’elle voit ma tête, un franc rire hein. L’ironie, c’est que je ne peux m’empêcher de courir chez elle à chaque fois qu’il y a du nouveau. Saliha, c’est ce qu’on appelle un mal nécessaire.
En ce moment même je la regarde mal pendant qu’elle rit aux larmes.
Moi maugréant : Saliha, la situation n’est pas drôle du tout.
Saliha : krkrkr si si ses messages sont trop marrants, en plus le gars a le verbe kiakiakiakia.
Elle parle de la vague de messages, pardon des paroles de chanson et ces modèles de messages romantiques qui feraient rougir qu’une adolescente énamourée qu’il m’a encore envoyé ce matin et ce n’est qu’un début. Je place une main sous le menton en râlant, ce qui amuse encore plus Saliha qui se lâche complètement en tenant son ventre.
Moi : ehhh !!! (je tape une main sur le montant du lit) J’ai un vrai problème arrête de rigoler, ce n’est pas drôle.
Saliha : vois le bon côté des choses ma chère amie.
Moi la fustigeant du regard : quel bon côté tu vois là là ?
Saliha : ce n’est pas toi-même qui me casses les oreilles ici que tu n’as personne qui t’écrit les matins ? Maintenant que tu es servie, tu râles encore. Décidément, l’homme africain est une énigme.
Je soupire de frustration et pour réprimer ma colère naissante, je me lève d’un bon et me dirige vers la porte. Elle me suit lorsqu’elle comprend.
Saliha se calmant : mais tu vas où ? Tu ne vas quand même pas te fâcher pour si peu nan ?
Je tourne un regard ardent vers elle.
Moi : ah parce que tu trouves que c’est peu ce que je subis, c’est ça ?
Saliha : rohh je n’ai pas dit ça (attrapant mon bras) vient, retournons nous asseoir.
Moi : non !
J’enlève furtivement le bras en m’abaissant pour porter mes ballerines. Ce que je fais avec des gestes précipités.
Moi : je préfère partir pour ne pas déverser ma colère sur toi. J’étais venue dans le but que tu m’aides à trouver une solution définitive. Mais là, il est clair que tu n’en as rien à foutre de mon problème puisque ça fait une heure que tu ne fais que rire n’importe comment.
Saliha : rohh Cassie ne fais pas ta gamine.
Je ne dis rien et elle soupire. Lorsque je finis de me chausser, je me relève et sans lui accorder un regard, je me saisis de la clenche pour ouvrir la porte quand je l’entends dire d’un ton dur...
Saliha : tu veux partir ? Ok, vas-y je ne te retiens pas ! Mais j’espère que tu ne remettras plus les pieds chez moi, que tu ne viendras pas pleurnicher au moindre message, à la moindre visite de je ne sais quel parent ou diable envoyé par Georges comme la gamine que tu es au fond de toi. Ne viens pas me faire porter le chapeau d’un problème que tu as pris tes deux pieds gauches pour aller chercher. Je t’ai bien averti ici (faisant un geste d’ensemble) dans cette même chambre. Je t’ai dit que ce n’était pas une bonne idée d’aller provoquer ce détraqué mental, mais est-ce que tu m’as écouté ? Maintenant que tu as fini de gâter tu veux que ce soit (se pointant du doigt) moi l’enfant de Tchassona qui trouve la solution à TON problème. Parce que tu penses que je n’en ai pas assez moi ? Je te signale que ça fait un peu plus d’une semaine que je suis enfermée dans les quatre murs de cette chambre sous la contrainte d’un mariage ! (souffle) Tu ferais mieux d’aller t’asseoir et réfléchir à ta vie parce que figure-toi qu’on a tous nos démons qui nous rongent. N’est-ce pas ta phrase préférée ?
Sur ce, elle va reprendre sa place sur le lit en regardant droit devant elle. Tout à coup soudain brusquement, mes jambes s’alourdissent et ça me prend des minutes pour me rasseoir. Je suis profondément gênée, je ne me suis pas rendue compte qu’il y en avait que pour moi ces derniers jours alors qu’elle traverse bien pire. Moi et mon égocentrisme légendaire, il faut vraiment que je me débarrasse de ce défaut.
Je soupire intérieurement et risque un regard vers son profil détendu. Elle n’a même pas l’air touchée après tout ce qu’elle vient de dire. Elle traîne sur son téléphone en riant par moments. Franchement, cette fille m’étonnera toujours.
Moi discrète : chou…
Elle me lance un coup d’œil.
Moi : je suis désolée biquette. J’ai été égoïste, égocentrique, indifférente, un mufle sans cœur, il n’y a même pas de mot pour décrire mon comportement.
Saliha : tu n’es qu’une gamine qui se prend pour le nombril du monde.
Moi soupirant : tu as raison.
Saliha (me faisant les gros yeux) : c’est vrai, tu le reconnais ? Eh beh tu dois être à la masse pour reconnaître ton plus grand défaut.
Moi : je ne te le fais pas dire, je ne mène pas le large en ce moment.
Saliha arquant le sourcil : ce qui veut dire ?
Je m’écroule sur le lit.
Moi : je me sens au bord du gouffre, Georges ne s’arrêtera pas tant qu’il n’atteindra pas ses objectifs. (soupir) En même temps, je l’ai bien cherché.
Saliha : bingo !
Je souffle. Elle pianote un moment sur son téléphone et le range avant de se tourner vers moi.
Saliha : tu sais quoi ? Te morfondre à longueur de journée, ce n’est pas ça qui va arranger la situation. L'eau est déjà versée ! Tu as fini de gaspiller, alors soit tu choisis de faire face ou tu prends par la grande porte.
Moi supputant : la deuxième option m’arrange mieux, je n’ai pas les armes adéquates pour confronter ce véreux.
Saliha : c’est maintenant que tu le sais ?
Moi : rhoo Sali j’essaie de faire mon mea-culpa là ?
Saliha claquant la langue : en tout cas (s’allongeant) tu sais ce qui te reste à faire.
Moi : oui, mais je n’ai toujours pas les sous.
Saliha : beh il est grand temps que tu appelles ton pépé.
Je soupire seulement en intégrant ce paramètre dans mon cerveau.
Moi : je vais le faire, enfin je n’ai pas d’autres choix. (la fixant) Mais avant, je veux que tu me dises comment tu vas.
Saliha simplement : je gère.
Moi : mais encore ?
Saliha : tu me connais Cassie, tu sais que je fais partie de ceux qui croient que les problèmes viennent avec leur solution. Je me suis accommodée à la situation, au moment venu, j’agirai. Sinon du moment où ils te laissent venir me voir, moi ça me va.
Moi : ça me touche beaucoup ce que tu dis, mais ça fait neuf jours que ça dure. Sincèrement je commence à m’inquiéter, ta mère n’a jamais été aussi loin et là elle a le soutien de ton père.
Saliha : je ne suis pas prête à céder et eux non plus donc le bras de fer continue.
Moi : mais ça prend une tournure inquiétante, cette histoire devient anxiogène.
Elle plisse les yeux et me regarde pendant que je hoche lentement la tête.
Saliha : d’abord, je n’ai pas compris ton français ensuite le plus urgent à l’instant T, c’est de te trouver une solution en espérant que tu me lâches les baskets après ça.
Moi : rêve toujours ! Toi et moi c’est pour la vie.
Saliha (ton implorant) : eh Allah qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Je rigole en sortant mon téléphone pour écrire à pépé, mais je me retrouve à l’appeler sur recommandation de Saliha. Elle trouve que ce serait plus convenant. Je me mets à chercher mes mots en attendant que ça sonne. Je crois l’avoir dit ici, je ne suis pas à l’aise lorsqu’il s’agit de quémander et le fait qu’il ait décroché à la première sonnerie m’a un tantinet désarçonné. Ce qui fait que je réponds avec une drôle de voix.
Moi : hello bonjour pépé.
J’active le haut-parleur en suivant les mimiques de Saliha.
Pépé : ma petite fille adorée.
Je souris et Saliha roule des yeux.
Pépé : comment tu vas pour moi ?
Moi : bien…
Saliha me fait les gros yeux, ce qui m’amène à changer de langage après m’être éclaircie la voix.
Moi : enfin pas si bien que ça.
Pépé ton inquiet : qu’est-ce que tu as ? Tu es souffrante ?
Moi : non ça va la forme, en fait c’est Georges.
Pépé : je vois, je voulais justement t’appeler pour qu’on en parle.
Moi dans un soupir : ne me dis pas qu’il t’a contacté toi aussi ?
Pépé : en effet, il m’en a touché deux mots. Mais rassure-toi, je me suis abstenu d’émettre un avis parce que je voulais d’abord connaître ta position. Qu’est-ce que tu en penses ?
Moi : je ne pense rien du tout pépé, je ne me remettrai plus avec Georges même s’il était le dernier homme sur terre.
Pépé : hmmm, c’est ton dernier mot ?
Moi avec conviction : oui tout ce que je veux, c’est qu’il me rende ma liberté et mon argent pendant qu’on y est.
Saliha me jette un coup d’œil désapprobateur.
Pépé : il te doit de l’argent ?
Moi : oui, beaucoup d’argent. De fait la maison qu’il habite actuellement, c’est sûr le terrain que votre feu père m’a légué qu’il l’a construite. Vu que nous sommes séparés, je veux reprendre mon dû. Enfin l’équivalent en numéraire.
Pépé : ce qui est normal, mais ça sera un peu compliqué puisque vous êtes encore légalement mariés. Si tu veux mon avis, ce terrain tu dois l’oublier dans le cas où tu ne veux plus rien à voir avec lui. Il va constamment l’utiliser pour t’atteindre.
Saliha me lance un regard entendu pendant que je soupire.
Moi (la voix morne) : mais j’ai besoin d’argent pépé, c’est le bazar dans ma vie depuis que je l’ai quitté. J’ai envie d’entreprendre quelque chose, je veux être indépendante financièrement pour rester libre.
Pépé : ah bon ? Et tu as besoin de combien pour ça ?
Moi parlant vite : 500.000 f
Pépé : ok, je vais te donner les 500.000.
Moi : comme ça ? Euh je veux dire, tu ne veux même pas savoir ce que je compte faire avec tout cet argent ?
Pépé : c’est pour entreprendre que tu as dit n’est-ce pas ?
Moi la petite voix : oui oui
Pépé : je ne peux qu’encourager ce genre d’initiative. La jeunesse d’aujourd’hui s’attend forcément à l’embauche alors que l’Etat n’a plus les moyens d’embaucher tout le monde et le secteur privé est saturé. Et toi, tu es ma petite fille adorée (le sourire de ça) si j’ai les moyens de contribuer à ton ascension sociale, je le ferai sans hésiter.
Moi touchée : merci pépé, je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu fais pour moi.
Pépé : tu me remercieras lorsque tu auras réussi ton affaire.
Moi tout sourire : d’accord, je ne manquerai pas.
Pépé : passe chez mon ami Fulbert pour prendre les sous dont tu as besoin, j’ai une commission avec lui. Au fait tu ne m’as pas fait le compte-rendu de votre meeting, il a accepté de t’embaucher ?
C’est vrai que je ne lui en ai pas parlé. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas eu envie de gâcher leur amitié. Quand bien même l’autre n’en vaut pas la peine.
Moi mentant : il a dit qu’il me reviendra.
Pépé : ok bien, je vais l’informer que tu passeras.
Moi : d’accord, merci pépé.
Pépé : je t’en prie.
Je change de sujet pour prendre ses nouvelles et celles de sa compagne avec qui il vit récemment. Un sujet sur lequel je le charrie toujours parce que la fille n’est pas plus âgée que sa benjamine dont je suis l’aînée de cinq ans. En plus, elle sent l’intrigue à des kilomètres. On finit quand même sur une bonne note et je raccroche pour me tourner vers Saliha à qui sa sœur a rapporté de la bouillie de sorgho et des galettes pour le petit-déjeuner.
Moi contente : un de réglé !
Saliha : regardez-moi sa mine joyeuse, tu l’avais fait quand je te l’avais suggéré qu’on n'en serait pas là.
Moi hochant la tête : en vrai ! J’aurais vraiment dû t’écouter ce jour-là.
Saliha : mais non, c’est trop te demander. Toi quand tu as une idée derrière la tête tant que tu ne prends pas le mur et tu le prends toujours d’ailleurs, tu ne t’en démords pas.
Moi sourire contrit : c’est tout moi (me recouchant) il reste à affronter ce pervers de Fulbert Elli. Seignneuurrr qu’est-ce que j’ai fait pour mériter de croiser ce type de personnes sur mon chemin.
Saliha (levant les yeux au ciel) : arrête de te plaindre pour une fois, tu l’as maintenant tes sous !
Moi : weh tu as raison.
Saliha m'imitant : ouais, j’ai toujours raison ! Maintenant tais-toi et laisse-moi finir mon petit-déjeuner de prisonnier.
Moi secouant la tête amusée : il n’y a que toi Saliha pour plaisanter sur ce sujet.
Saliha : tu veux que je me suicide peut-être ? Toujours garder la tête haute, toujours !
Moi : tu as raison, encore une fois.
Saliha : je ne mens jamais, j’édulcore la vérité.
Moi : lol.
……..
C’est le lendemain en début de soirée que j’ai pu trouver la force de m’apprêter pour me rendre dans le cabinet du maître Fulpervers. J’ai choisi d’y aller dans le même timing qu’il m’a donné l’autre fois. Malgré les encouragements de Saliha, j’appréhende cette rencontre. J’ai juste peur de la botte qu’il risque de me sortir ou qu’il essaie de retourner la situation en sa faveur. (soupir)
Je termine mon brushing et mets une fine couche de gloss assorti à ma tenue. Je me suis habillée simplement et je n’ai pas trop insisté sur le maquillage. En gros, j’ai camouflé tous mes attirails. Pour finir, j’ai remis mes ballerines et j’ai pris mon porte-monnaie tout terrain avant de sortir de la chambre. Pendant que je ferme ma porte, il y a mon père qui m’informe que nous avons une assise ce soir. J’ai acquiescé sans discuter et je suis partie informer ma mère de ma sortie. Dehors, j’attends qu’un Zed man passe lorsque le Koffi de la communauté sportive vient garer sa moto à ma hauteur. Il me regarde de bas en haut la bouche entrouverte.
Koffi : waouh tu es mieux sans la tenue de sport qui transpire la sueur.
Vous n’avez pas entendu comme une mouche à tout hasard ?
Koffi : toutes mes excuses, te voir en beauté ce soir m’a fait perdre mes bonnes manières. Bonsoir, tu veux que je te dépose quelque part ?
C’est plutôt un moustique non ?
Koffi : je veux bien te déposer au bout du monde, mais là j’ai une urgence à régler.
C’est toi qui joues le tam-tam, c’est toi qui danses frère.
Koffi dans son délire : au sujet de mon incartade au sport, j’aimerais que tu me donnes l’occasion de m’excuser en bonne et due forme. Tu dis quoi d’une sortie en tête-à-tête le week-end ? Je t’amène chez bèrè par exemple.
C’est-à-dire la vendeuse d’ayimolou du quartier, nul autre que la mère de Saliha. Il se moque de moi là ? Mais vraiment, il se fiche de ma gueule ou pas ? Hmmm vraiment quand la pluie chicote la pintade, même ceux qui ont 25 F demande le prix.
Koffi : hein beauté, qu’est-ce que tu en dis ?
J’ai attendu de repérer un Zed man pour lui lancer un long juron et quitter devant lui. Il s’est mis à proférer des injures que je n’entends plus parce qu’on est déjà loin. J’arrive au cabinet hyper détendue, le Zed man s’est avéré être un humoriste en herbe. Le Fulpervers accepte de me recevoir dès que je me suis annoncée à la réception. Je m’y rends en faisant des exercices de respiration pour me donner une contenance. Je le trouve qui trône sur son siège noir derrière son bureau.
Me Elli : la belle Cassidy, je commençais à désespérer de te revoir.
Moi du bout des lèvres : bonsoir,
Me Elli : bonsoir, comment tu vas ? (désignant un siège) Je t’en prie assois-toi.
Moi : non merci, je préfère restée debout. Je ne suis pas venue pour durer.
Me Elli : ne sois pas sur la défensive voyons ! Prend place, nous avons beaucoup à nous dire.
Moi : je ne pense pas que nous ayons quelque chose à nous dire vous et moi.
Me Elli : peut-être bien, mais j’ai un aveu à te faire.
Je plisse les yeux en le fixant.
Me Elli : vas-y assois-toi, je ne te prendrai pas beaucoup de temps.
Je le fais et croise les mains sous ma poitrine.
Moi : je vous écoute !
Me Elli se redressant : je te dois des excuses pour commencer, j’ai été odieux la première fois qu’on s’est rencontré. (il se passe la main sur le visage) Je dois t’avouer que j’ai été influencé par mon compère Da-Silva. Je ne connais pas la nature de ta relation avec lui et le pourquoi il en a autant après toi, mais je ne veux plus m'impliquer là dedans. (me fixant dans les yeux) Je veux qu’on reparte sur de nouvelles bases toi et moi parce que vois-tu, tu m’intéresses vraiment. Tu m’as tapé dans l’œil comme vous le dites vous les jeunes.
Je ricane désabusée.
Moi crue : non merci, vous et moi ça ne collera jamais. Vous ne méritez même pas mon amitié encore moins celle de mon grand-oncle. Vous ne valez pas moins que ce gourgandin de Georges.
Me Elli relax : dans un autre registre, je ne voudrais pas que tu penses que j'abuse de ma position et de mes privilèges pour t'approcher. Cassidy, j’aurais vraiment voulu que tu me laisses une petite chance pour redorer mon image auprès de toi.
Moi : je ne suis pas là pour ça Me Elli, remettez-moi ma commission pour que je parte de ce lieu.
Me Elli (soupirant) : je le ferai.
Il fouille dans un tiroir et en sort une enveloppe qu’il me tend, je le prends et ouvre pour vérifier le contenu.
Me Elli : j’ai mis la somme que m’a instruite ton grand-oncle.
Moi après vérification : il y a plus qu’il n’en faut, enfin il y a le triple de ce que j’ai demandé.
Me Elli : effectivement, considère cela comme un cadeau de ma part. Je veux vraiment me racheter pour la dernière fois. À propos, tu peux venir prendre le poste que je t’ai promis quand tu veux. J’en toucherai un mot à ma secrétaire particulière.
Moi (le fixant avec dédain) : gardez votre poste et votre argent, je n’en ai pas besoin. Retenez bien qu’on ne m’achète pas avec de l’argent encore moins du pouvoir, je ne fais pas partie du ministère de la main tendue.
Me Elli : ne le prend pas sur ce ton s'il te plaît, je n'essaie pas de te soudoyer.
Moi ton sarcastique : je vous crois sur parole.
Me Elli : ok, si tu ne veux pas du poste prend au moins l’argent ça va te servir à quelque chose.
Je veux donner la réplique qu’il mérite, mais il me coupe net.
Me Elli : j’ai l’aval de ton grand-oncle.
Je fronce les sourcils et il hoche la tête.
Moi : je vais prendre la peine de vérifier(me levant) sur ce, je vous laisse.
Me Elli (sourire en coin) : passe une excellente journée ma belle.
Je réponds du bout des lèvres et lance le numéro de pépé à peine sortie du bureau. Je parle en traversant le hall. Toute concentrée, je bouscule quelqu’un qui renverse une pile de documents dans sa chute.
Lui vociférant : non mais oh faites attention où vous marchez ! Ici, ce n’est pas un marché.
Moi me confondant en excuse : oh pardon !
Armel…
C’est avec les nerfs à vif que je sors de mon bureau pour celui de mon père avec la pile de documents sur le droit qu’il vient de me faire parvenir sous la main. Ça fait une semaine qu’il me fait lire sans relâche et pourtant, il n’est pas sans savoir que ce n’est pas ma tasse de thé. Au tout début, j’ai dû me faire à l’idée que c’est une routine de base pour pouvoir supporter le supplice. Mais là, il vient de m’envoyer une cinquantaine de documents pour la semaine courante, carrément ! Non mais il se fout de moi là, c’est sans le moindre doute qu’il veut me pousser à bout. Depuis le début de ce satané stage je fais tout pour garder mon sang-froid malgré ses provocations, ses critiques, ses cris sans retenue et ses invectives. Là s’en est trop, nous allons régler ça tout de suite et à l’ancienne.
Je suis tellement en colère et prêt à en découdre avec mon père que je ne vois même pas qu’une ombre s’approche de moi avant que quelqu’un me bouscule violemment. Je me retrouve par terre et les documents se sont fait la belle dans ma chute.
Moi hurlant : non mais oh faites attention où vous marchez !! Ici, ce n’est pas un marché.
Voix de femme : oh pardon !
Elle me tend la main pour m’aider à me relever et c’est à ce moment que je lève la tête pour voir son visage. La pression redescend d’un cran.
La miss au téléphone : pépé, je peux te rappeler s’il te plaît ?
Elle raccroche et range son téléphone avant de me faire un sourire enjôleur auquel je réponds.
Moi : ma choco canelle !
La miss : je suis désolée de t’avoir fait tomber. J’étais concentrée sur l’appel, je n’ai pas vu que tu venais.
Moi : ce n’est pas grave, mais on devrait arrêter de se heurter tout le temps.
La miss avec le sourire : je suis d’accord.
Elle s’abaisse pour ramasser les documents au moment où j’entreprends de le faire. Je me relève une fois que tout est en ordre.
La miss : bonsoir,
Moi : bonsoir, ça va ?
La miss : posey, c’est ici que tu travailles ?
Moi : non, je suis en stage.
La miss : c’est pratiquement la même chose. Au fait, c’est quoi ton blase ? Je veux pouvoir mettre un prénom sur ce beau visage que je n’arrête pas de rencontrer ces derniers temps.
Moi sourire en coin : merci, tu peux m’appeler Armel.
La miss : très enchantée Armel, appelle-moi Cannelle. Ça rime bien, tu ne trouves pas ?
Moi acquiesçant de la tête : weh pas mal l’allitération.
Elle rit et fait apparaître sa belle dentition.
Moi : t’as de belles dents, tu sais ?
Cannelle : oui et ce n’est qu’un atout parmi tant d’autres.
Je souris lentement en m’apercevant du double sens de sa phrase. Je l’aime bien cette fille, elle a un côté free que j’apprécie beaucoup. Elle prend en plus le temps de me détailler de bas en haut avec désinvolture en m’envoyant des myriades de frissons dans tout le corps rien qu’avec ce regard brûlant. J’ai un rictus ravageur au coin des lèvres pendant tout le temps que ça dure et attend que nos regards se croisent à nouveau pour parler. C’est ce moment que Gorbatchev a choisi pour débarquer, on entend que sa voix grave dans tout le hall. Je me passe la main sur la nuque en soupirant.
Moi : ce n’est pas tout, mais il faut que je retourne travailler.
Cannelle : je comprends, je dois y aller moi aussi. On pourrait se voir un de ces jours dans un autre cadre histoire de faire plus d’amples connaissances.
Moi hochant la tête : pas de souci, tu as mon numéro n’est-ce pas ? Appelle-moi.
Cannelle : sans faute.
Elle agite ses doigts repliés en l’air pour dire au revoir.
Cannelle voix sexy : à très vite beau gosse.
Moi : hâte de te revoir ma cannelle.
Je suis ses mouvements comme envoûté par son corps de déesse jusqu’à ce que je sente un bras qu’on pose sur mon épaule.
Voix de mon père : ne t’excite pas petit impertinent, j’ai déjà posé mes yeux sur elle. C’est chasse gardée.
Moi (me tournant pour le fixer) : chasse gardée ? Je ne pense pas que ce soit le genre de filles qu’on puisse apprivoiser.
Papa : j’ai mes méthodes infaillibles, reste à l’écart compris ?
Je me contente de soutenir son regard de défi. Dans tous les cas, il vient de me faire perdre mes illusions concernant cette fille. Je n’avais pas fait le rapprochement, mais j’aurais dû me douter en la croisant deux fois par ici qu’elle faisait partie de son harem. Je ne veux même pas en rajouter une couche avec tous les problèmes que j’ai en ce moment.
Moi reprenant : je venais te voir, je veux discuter de quelque chose avec toi.
Papa : de quoi veux-tu me parler ?
Moi simplement : en privé !
Il acquiesce et ouvre la marche vers l’ascenseur. On arrive dans son bureau qu’il contourne pour s’asseoir dans son siège avant de me désigner un siège visiteur. Je me pose dessus et me débarrasse des documents sur la table puis entame aussitôt la discussion.
Moi : je voudrais savoir si je vais passer tout le stage à lire des documents parce qu’il ne reste plus que quelques jours avant la fin.
Papa : j’ai décidé de proroger le délai sur deux semaines.
Moi haussant le sourcil : et tu comptais me le dire quand ?
Papa : n'est-ce pas ce que je suis en train de faire ? Tu boucleras tes stages juste à temps pour la rentrée universitaire, comme ça tu auras moins de temps pour papillonner dans la ville.
Je fais pression sur le pli de mon poignet droit pour garder mon sang froid.
Moi posément : c’est toi qui vois.
Il plisse les yeux de surprise, je crois qu’il ne s’attendait pas du tout à cette réponse.
Moi toujours posée : mais à quel moment on parle de ma rémunération ?
Papa : laquelle ? À ce que je sache tu n’es pas ici en tant qu’un employé, mais un simple stagiaire.
Moi : c’est du pareil au même (comptant du doigt) je me débrouille pour suivre tes ordres, ou devais-je dire tes injonctions. Je me dévoue à la tâche, je me suis coltiné une dizaine de documents la semaine passée et je m’apprête à lire cinquante. Il manque plus que la contrepartie financière.
Papa : je vois que tu as au moins retenu quelque chose de ton immersion juridique. Pour ça, je vais te verser quelque chose à la fin de ton stage, je t’en donne ma parole. Par contre, je veux que tu rédiges un rapport sur ce que tu aurais retenu du droit de la famille que tu me présenteras ce soir.
Si ça ce n’est pas de m’invite à la dispute. À tous les coups, je quitte ici à 20 h. Je soupire et me passe la main sur le visage.
Moi : bien, ce sera tout ?
Papa : oui, tu peux disposer.
Je suis sur le point de m’exécuter lorsqu’il m’interrompt.
Papa : dis-moi, tu fais quoi de tout cet argent que tu me prends depuis ta plus tendre enfance ? Banalement, tu fais de mes frasques tes choux gras et plus tu en reçois, plus tu en redemandes.
Moi avec un sourire en coin : je prépare la vie de mes futurs gosses.
Papa : c’est à juste titre et c’est l’idée la plus sensée que tu aies pu avoir. Car à tous les coups les enfants, tu les auras dans les quatre coins du monde.
J’ignore sa provocation, je récupère juste les documents et fonce dans mon bureau. Pendant la demi-heure qui suit, je feuillette le document sur le droit de la famille sans vraiment lire. Je ne peux pas nier que je rencontre parfois des choses intéressantes qui peuvent me servir dans la vie, mais ce n’est vraiment pas mon truc. La lecture, la rédaction, c’est le domaine de prédilection de Debbie. En parlant d’elle, je lui ai décroché un rendez-vous qui va changer sa vie. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la Directrice de la maison des jeunes dénommée maison TV5 monde et également Directrice de Publication de deux Magazines. C’est une vieille connaissance à mon père du temps où il était dans le gouvernement. L’un des rares avantages de travailler ici, c’est que je peux côtoyer la haute sphère et la plupart ici même dans les locaux du cabinet. En revanche, tata Mimi (c’est comme ça qu’elle m’a demandé de l’appeler) nous l’avons rencontré lors d’un dîner officiel que j’ai passé à faire l’intéressant avec à toutes les dames présentes juste pour emmerder mon père. (rires) Elle m’a parlé de ses attributions pendant que je lui faisais la conversation et j’en ai profité pour glisser le CV de Debbie qu’elle accepte de rencontrer dans un bref délai. J’attends que sa colère se temporise un peu pour lui annoncer la nouvelle.
Je stationne devant une boutique érotique après ma folle journée au cabinet. J’ai gribouillé quelque chose que j’ai laissé à la secrétaire particulière avant de filer en douce pour rejoindre Bradley. Je sors du véhicule lorsque celui-ci avance vers moi en me réprimandant.
Bradley : il faut toujours que tu te pointes en retard, ça fait pratiquement une heure que je poirote ici.
Moi : il faut t’en prendre à ton père, c’est lui qui me fait travailler comme un forcené pour un simple stage.
Bradley relâchant la pression : comment ça se passe la collaboration avec lui ?
Moi soupirant fortement : je suis à ça de craquer.
Bradley : tu m’étonnes que tu ne l’aies pas déjà fait.
On se retrouve dans le store où je l’aide à choisir des accessoires pour pimenter sa reconquête tout en discutant avec Djifa au téléphone. Magnime m'a révélé toute à l'heure qu'elle noie ses soucis dans l'alcool et la chicha. Ça m'a mis dans une colère sourde.
Djifa en réponse : c’est Magnime qui t’en a parlé ?
Moi : peu importe l’origine de l’info, je veux juste savoir si c’est vrai.
Djifa : c’est vrai que je suis sortie deux ou trois fois pour me vider l’esprit.
Moi : et par vider l’esprit, tu entends chicher et boire comme un trou ? Est-ce que tu te rends compte que tu es en train de donner raison à tes détrqueurs ? Attends une seconde, je te reviens (à Bradley) prend le gel douche aussi.
Bradley : lequel ?
Je m’interromps pour lui prendre le gel et un anneau vibrant que je repère à côté avant de lui montrer un coffret massage sur l’étagère au-dessus. Il le prend et bouge vers un autre rayon.
Moi poursuivant au téléphone : avec ce que tu fais, tu n’es pas mieux que ton père qui pourrit en prison.
Djifa : pourtant, je suis sûre que sa vie doit être plus intéressante que la mienne là où il se trouve. Il m’a brisé Armel, il a gâché ma vie à jamais.
Moi : non, tu t’autodétruis en restant bloquée dans ton passé. Djifa écoute, je ne peux pas te demander d’oublier ce pan de ta vie, mais ça ne doit pas t’empêcher de continuer à vivre. Tu dois surpasser tout ça, tu dois en faire une force et non une raison de lâcher prise. Fais le deuil une bonne fois ma belle, ne laisse pas cette histoire te définir.
Je l’entends soupirer, au même moment Bradley vient exposer des bougies multicolores en cire sous mon nez. Je lui montre le gros pouce et il l’ajoute dans son panier.
Moi téléphone : on en parlera lorsque je viendrai te voir.
Djifa : tu me l’as déjà fait celle-là.
Moi : je le sais et je suis désolé d’avoir manqué à mes nombreuses promesses. Je suis vraiment débordé avec mon stage et j’ai aussi le moral à plat en ce moment.
Djifa avec un rire de gorge : toi Armel ? Lol.
Moi : bien sûr, j’ai des problèmes de couple.
Elle éclate de rire franchement et c’est elle qui raccroche en prétextant s’occuper de son fils. Je me concentre sur les achats de Bradley et me prends aussi quelques trucs avant qu’on ne mette le cap sur un bar à côté pour ficeler le plan.
Moi : tu sais comment te servir de tout ça n’est-ce pas ?
Bradley : mais bien sûr ! Je suis à la mode, qu’est-ce que tu penses ?
Moi : c’est bon à savoir, tu as déjà le cadeau ?
Bradley : ça arrive demain.
Moi : c’est parfait, il ne reste plus que les pilules bleues. Je ne veux pas parier sur tes performances krkrkr.
Bradley : Armel fuck you !
Je rigole en prenant mon téléphone qui vient de signaler un message. Je l’ouvre pour lire le « Oui, je vais bien merci » de Debbie et fais une grimace. Au moins elle a pris la peine de répondre, on est sur la bonne voie.
Bradley : tu ferais mieux de t’occuper de tes problèmes de couple, c’est avec Debbie que tu as des problèmes de couple n’est-ce pas ?
Surpris, je lève les yeux de l’écran et l’aperçois qui lorgne le téléphone.
Moi : tu m’espionnes maintenant ?
Bradley : pas du tout, il y a longtemps que je sais pour vous deux.
Moi perplexe : comment tu sais ça ? Non laisse moi devinez, Tina.
Il fait un sourire en coin.
Moi : en tout cas si vous en êtes à potiner sur ma vie, c’est que la réconciliation est en fin de processus.
Bradley tout sourire : ouais, on peut dire ça.
Moi : je suis ravie pour vous.
On prend un pot et une heure plus tard, lorsqu’on se sépare, je me retrouve coincer dans les bouchons de Casablanca avec l’étrange sensation que des yeux sont fixés sur moi. Je relève la tête à un moment pour surprendre le regard perçant et froid de Ruth, le même type de regard que Debbie m’accorde chaque fois que l’occasion se présente dernièrement. Ruth détourne son visage dès que je me suis retournée pour se recentrer sur la route ensuite, je la perds de vue dans la circulation.
Ce soir-là, je rentre à la maison épuisé tant physiquement qu'émotionnellement. Après le dîner, je pique du nez et dors comme une souche pour me réveiller dans la nuit profonde par la sonnerie de mon téléphone. Je le prends sur le montant et décroche sans vérifier.
Moi : allô ?
Correspondant en pleurs : comment t’as pu me faire ça Armel ? Je t’ai donné ma confiance et tu m’as trahi. Toutes ces années passées ensemble ne signifiaient donc rien pour toi ? Ce n’est même pas que tu me trompais avec une fille comme ça, tu me trompais constamment en fait. Je suis anéantie, ça fait des jours que je ne fais que pleurer. Je n’arrive plus à manger, je n’arrive à faire quoi que ce soit.
Moi : euh euh.
Bon, on répond quoi là là ? Le pire, c’est que je ne sais même pas à qui j’ai affaire.