Demoiselle d'honneur ou pas.

Ecrit par Louise Pascale

« Vous ne faites vraiment pas dans la dentelle vous les Kary ! » venait de s’exclamer Farida. Nous sortions à peine de la voiture qu’elle était déjà comme envoûtée par le lieu de la réception.

C’était une impressionnante demeure, au cœur du Faubourg Saint-Germain, abritée dans 2 hôtels particuliers : l’Hôtel de Varengeville et l’Hôtel Amelot de Gournay. Sa terrasse ombragée était sans doute une des plus belles de la capitale. Le cadre y était raffiné et plein de fraicheur. Il était en plus doté d’un merveilleux jardin à la française. Jardin où dans quelques instants ma sœur Sade dirait « oui » à David. La Maison de l’Amérique Latine avait été choisie par elle pour cette journée. Je serai de mauvaise foi si je ne reconnaissais la beauté de ce lieu

Nous étions en avance bien entendu. Il fallait « être là » pour la future mariée. Farida n’arrêtait pas de s’extasier devant la splendeur de cette demeure et moi je la tirais. Fallait qu’on aille retrouver les autres.

Sur notre passage, nous admirions les œuvres exposées dans les couloirs. Les peintures et les sculptures. Quelques fois, nous nous amusions à deviner ce que l’artiste avait voulu exprimer à travers son œuvre.

Farida : Des fruits dans un panier… hum peut-être qu’il avait faim.

Moi : Je pense qu’il était végétarien.

Farida : Et dire que ça a dû couter la peau des fesses.

Nous avancions trainant la housse protégeant nos robes. Des voix commençaient à nous parvenir. Nous hâtions le pas. Quand on passa la porte de cette imposante chambre, tous les regards se tournèrent vers nous.

Une Mellie resplendissante dans une robe asymétrique, une main à la hanche se tenait au centre de la pièce.

Mellie : Vous êtes en retard les filles !

Moi : C’est pas moi qui me marie Mel répondis-je en lui collant une bise.

Après les « salamalec » de rigueur, j’installais Farida dans un coin tranquille. Et je me dirigeais vers l’énorme dressing où Sade était en train de se faire apprêter à l’abri des regards.

Dès mon entrée, je croisais son regard. J’y lus une grosse vague d’émotions. Ses yeux étaient embués. Mais pourquoi les mariées font-elles ça ? Ma mère était présente.

Moi refermant la porte derrière moi : Salut mam. Salut Sade. Giov…

Il venait de se jeter sur moi et me serrait déjà dans ses bras peu musclés. Je me dégageais poliment de son étreinte avant de m’asseoir dans un fauteuil. Giovanni depuis des lustres était le coiffeur attitré de mes sœurs et de ma maman. Il était super gay et ne s’en cachait pas ou plus, je ne sais pas. Je l’avais vu s’afficher avec des photographes, des maquilleurs, des stylistes… A croire que dans le milieu de la mode, tous les hommes étaient gays.

Maman m’avait-elle entendu ? Je m’en fichais un peu qu’elles n’aient pas répondu à mes salutations. C’était surement le prix à payer pour être arriver en retard.

Giovanni était déjà retourné à son travail.

Maman : Sade, c’est le plus beau jour de ta vie. Tu n’as aucune raison de pleurer mon bébé. Tu sais que David t’adore. Tu vas être sa femme. Rien de mieux ne pouvait t’arriver.

Je m’efforçais de ne pas écouter ce que ma mère racontait parce que je savais qu’elle devait être en train de faire des hyperboles.

Maman, la main sur l’épaule de Sade : Tu es belle, tu mérites tout mon cœur.

Je ne pus réprimer cet éclat de rire dont je fus prise.

Maman : Tu as un problème Aza ?

Moi le nez dans mon téléphone : Non mam ! Je trouve juste que tu abuses un peu dans ta tirade.

Maman, l’air vexé: Au lieu de faire ton intelligente, tu devrais passer que Giovanni fasse quelque chose de ta tignasse. Et je te signale que tu es en retard.

Sade : Maman ! Laisse.

Je me dirigeais sans me faire prier vers la chaise à côté de celle de Sade et je m’y enfonçais. Maman sentait bon Olympea.

Giovanni en passant ses doigts fins dans ma « tignasse » : Alors, on fait quoi à la zolie dimoiselle     ?

Maman : Un brushing pour commencer et tu finis par quelque chose d’adapté.

Moi la lorgnant à travers la glace : Quoi ? NON, je vous l’ai déjà dit, je ne me ferai pas lisser les cheveux.

Maman haussa le ton : Merde Aza, arrête tes gamineries. C’est le mariage de ta sœur. Tu ne veux pas être présentable pour une fois dans ta vie ?!

Sade : Mes demoiselles d’honneur ont toutes les cheveux raides. Tu ne vas pas venir faire tache. On a essayé de te le faire comprendre hier mais comme d’habitude, il faut que tu fasses ta décalée.

Moi : je veux bien que ce soit ton mariage mais ce sont encore mes cheveux.

La porte s’ouvrit et Mellie fit son entrée suivie de près par Kate.

Mellie : T’es une sacrée tête de mule toi !

Je suis sûre qu’elle ne savait pas encore de quoi il était question que déjà pour elle j’étais celle qui avait tort.

Giovanni: Ti es soure que ti veux pas jousto un pitit brushing chérie ?

Son léger accent italien commençait à me casser les pieds.

Moi : Non ! Vous êtes sûres que vous ne voulez pas me fiche un peu la paix ?!

J’avais dit cette phrase en accrochant mes écouteurs aux oreilles. J’imaginais bien le sang de ma mère en train de bouillir dans ses veines.

Soudain, je sentis mes écouteurs et mon téléphone quitter mes mains. Ils s’écrasèrent sur le sol en marbre dans un bruit sourd.

Sade : T’as le choix, soit t’acceptes ce putain de brushing, soit tu n’es plus parmi mes demoiselles d’honneur !

Ils avaient tous les yeux grands ouverts. Je crois que Giovanni allait tomber dans les pommes. Lui qui d’habitude était aussi agité qu’un ver de terre se tenait là tranquille.

Lentement, je me levais. Je ramassais mon téléphone et le plongeais dans mon sac que j’accrochais à mon épaule et je me tournais dans la direction de la porte bien décidée à sortir de cette chambre.

Sade les bras croisés : T’as pas choisi ma chère.

Moi, sans lui jeter le moindre regard: T’as qu’à garder ta robe Sade.

J’avançais calmement vers la porte. Mon cœur battait fort. J’avais mal de me sentir si incomprise par les miens. J’étais déjà hors du dressing où à l’attitude des demoiselles d’honneur et de Farida je devinais qu’elles n’avaient rien manqué de cette belle conversation familiale. Une main me tint fermement le bras et quand je me retournais pour voir à qui elle appartenait, je sentis une flamme s’abattre contre ma joue.

Ma mère venait de me donner une gifle devant tout ce beau monde. Mais pourquoi ?

Je me précipitais hors de la chambre. Je courais dans le couloir. J’en avais oublié les fous rires que je venais d’avoir avec ma meilleure amie. Une musique douce me parvenait aux oreilles alors que je continuais d’avancer. De grosses perles d’eau salée couraient sur mes joues tel un torrent. Quand j’arrivais au niveau de l’escalier, je m’arrêtais. Je fis un petit pas en arrière.

Une grande partie des invités étaient déjà là. Je devais descendre sans me faire remarquer.

J’essuyais mes larmes. J’agrippais mon sac et je me mis à avancer à petits pas. Je traversais en saluant brièvement les personnes que je connaissais tout en gratifiant les autres d’un sourire forcé. La souffrance dans l’âme, je parvins à la porte de derrière et me dirigeais vers un coin calme du jardin. Bien à l’abri des regards, je m’écroulais sur l’herbe avant d’exploser en larmes.

J’avais le menton posé sur mes genoux. Les papillons volaient devant moi. Ils n’avaient pas de problèmes eux. Les rayons de soleil qui traversaient le manteau que formaient les feuilles des arbres venaient s’écraser sur l’herbe encore verdoyante. L’air que jouait l’orchestre me semblait particulièrement agréable à écouter. Du haut de mes vingt-quatre ans  j’étais encore bonne à recevoir des gifles. Dans l’ultime espoir de me sentir mieux, je poussais un hurlement. Il fallait que j’extériorise. Mais quoi donc ? Ma peine ? Ma colère ?

Alors que j’appréciais le calme et les petits bruits que faisaient les oiseaux, j’entendis des pas. Je restais calme. David apparu derrière un bosquet. Quand il fut juste à côté de moi, il s’assit et nous restâmes silencieux durant une bonne dizaine de minutes.

David : Je t’ai vu descendre l’escalier avec une mauvaise mine. Tu veux me dire ce qui se passe ?

Moi, essuyant la larme qui venait de glisser sur ma joue : Y a juste que je ne suis plus la demoiselle d’honneur de Sade. Je crois même qu’elle ne me veut plus à son mariage.

Il passa son bras autour de mes frêles épaules et je posais ma tête sur lui.

Moi : Je ferai mieux d’appeler un taxi.

David : Et avec qui est-ce que je danserais ?

Moi : J’en sais rien David. J’ai juste plus envie de les voir toutes les trois.

David : Tu pourrais rester pour moi. C’est aussi mon mariage non ?

Il était parvenu à me faire sourire.

David : Sèche tes larmes. Si tu n’es plus demoiselle d’honneur, tu seras mon invitée d’honneur.

Moi : Non, je ne pense pas. Tu sais, je n’ai rien à me mettre.

David : Tu es une jeune femme magnifique Aza. T’as besoin d’aucune robe.

Il se tenait debout devant moi et me donnait la main. Je la saisis après quelques secondes d’hésitation. Quand je fis debout, il sortit un mouchoir de sa poche et me le mit dans la main. J’essuyais mon visage pendant que main dans la main, nous retournions à la demeure.

           

            J’y trouvais une Farida toute excitée.

David : Je te la confie, lui dit-il avant de me faire une bise et de s’en aller entre les convives encore plus nombreux que tout à l’heure.

Farida avait l’air perdu. Je lui pris le bras et ensemble, nous descendions vers le jardin aménagé exprès pour la cérémonie. Sans aucun mal, nous trouvions des places et nous y installions. A peine j’avais posé mes fesses que Farida m’assomma d’une multitude de questions en me prenant dans ses bras.

Farida : Ah mon bébé, ça va ? T’es sûre que tu veux qu’on reste ? Moi je pense qu’on devrait s’en aller ! Allez pleure pas ! T’inquiètes pas hein, si tu dis que tu veux pas rester, on y va…

Je ne pleurais pas. Oh ma Farida, qu’est-ce qu’elle pouvait vite s’emballer ! Elle ne me laissait pas en placer une. Après une autre série de questions, elle me repoussa d’un geste franc.

Farida : On y va !

Moi : Mais Farida, calme-toi un peu ! Je vais rester.

Farida en haussant un sourcil en signe d’appréhension : T’es sûre ? Tu sais si c’est pour moi t’as pas à t’inquiéter.

Moi : Bien sûr ! Je ne voudrais pas que t’ai à ranger tes chaussures plus vite que prévu. Je lui fis un clin d’œil.

Farida, toute souriante : Oh t’as vu comme elles me font des jambes de star hein.

 

La cérémonie n’avait plus tardé à commencer.

Toutes les dames présentes étaient sous leur meilleur jour. Leurs tenues toutes aussi belles les unes que les autres donnaient à la place des allures de rêve. Sade avait fait sensation en s’avançant vers l’hôtel alors que l’orchestre jouait à la perfection Turning Page de Sleeping At. J’avais même vu ma mère sortir un mouchoir orné de fil doré de son clunch incrusté de petits cristaux.

C’était un David enchanté qui l’attendait pour faire d’elle sa femme. Autour d’eux, des demoiselles d’honneur aux cheveux lissés de façon impeccable.

L’échange des vœux me donna des frissons.

 

« David,

Te souviens-tu de ce jour où nous nous sommes croisés à la bibliothèque ? Ce mercredi, j’ai su que tu serais l’homme de ma vie. Quand nos regards se sont croisés en cette matinée hivernale, mon cœur s’est mis à battre un peu trop fort, et j’ai compris. Depuis ce jour, mon bonheur est parfait.

Je me réveille chaque matin, comblée d’avoir trouvé ma moitié. En te rencontrant, c’est comme si j’avais réparé tout ce qui était bancal chez moi, c’est comme si ton cœur avait fusionné avec le mien pour battre à l’unisson, comme si tu étais la pièce manquante du puzzle de mon âme. »

« Sade,

La première fois que j’ai posé mes yeux sur toi, j’ai su que nous étions faits l’un pour l’autre. D’amis d’enfance, nous sommes passés à amants et d’amants, aujourd’hui nous passons à époux. Quand je raconterai l’histoire de ma vie, je voudrai que tu sois celle que toujours j’appellerais ma partenaire. Sade Kary, tu es ma plus belle histoire d’amour. »

 

            Durant toute la soirée, j’étais restée en retrait.

J’étais le témoin du bonheur de ma famille… Je n’apparaitrais sur aucune photographie. Quelques fois, Farida venait vers moi et je cachais ma tristesse. Je ne voulais pas qu’elle passe un mauvais moment à cause de moi.

Je me contentais de sourire à quelques invités. Mon malaise devait être perceptible même par un enfant de cinq ans.

Dans ma petite robe couleur sable et mes chaussures noires, je ne me sentais pas du tout à ma place. J’avais l’impression d’être le petit grain de sable dans la soupe.

Je pris discrètement la direction de la demeure. Je commençais à marcher dans le grand salon sans savoir jusqu’où me mèneraient mes pas. Je m’arrêtais devant une glace dans un cadre baroque et j’observais mon reflet comme dans l’espoir de lire ce qui se cachait au plus profond de moi.

Deux minutes presque et je baissais la tête, fit un quart de tour et continuais mon chemin.

Je me retrouvai dans une petite pièce avec une large baie. Je m’approchais et sortis sur le balcon qu’elle dévoilait. Je pouvais voir les lumières dans le jardin scintiller, De là, je distinguais sans aucun mal André et Mellie valsant au rythme d’une mélodie enchantée. Quelques éclats de rire et tintement de flûte s’entrechoquant me parvenaient aux oreilles. Je fermais mes yeux et je profitais de ce petit moment de solitude. M’abandonnant aux notes douces de cette mélodie.

« M’accorderez-vous cette danse jolie demoiselle ? »

C’était David. Il m’invitait à valser avec lui. C’est une main hésitante que je lui offrais. Et nous nous perdîmes dans le temps et dans l’espace. Combien de minutes s’étaient écoulées autour de nous ? Je n’en n’avais aucune idée. Quand l’orchestre passa à un autre air, comme d’un accord mutuel, nous nous éloignions de quelques centimètres et j’éclatais de rire.

David : Tu vois, ce n’était pas si difficile.

Moi, lui faisant la révérence : Oui !

David : J’ai une idée…

Je le regardais d’un air interrogateur.

David : Passe-moi ton téléphone.

Je lui tendis l’appareil qui n’avait pas quitté ma main depuis un instant. Il s’approcha de moi et le braqua face à nous.

David : Ça te dit un selfie ?!

Moi : T’es génial.

Il prit une photo, puis une deuxième. Me fit voir ce que ça donnait et il se les envoyait avant de le téléphone.

« Tu devrais appeler un taxi. Il se fait tard. »

Il s’était éloigné et avait disparu.

Je venais de passe une horrible et longue journée. Une pareille à tant d’autres de celles que j’avais déjà vécues. Et en un instant, une personne avait su la transformer en un moment extraordinaire.

Moi, me parlant à moi-même alors que j’activais le rétro-éclairage du téléphone : Il a raison, nous devrions y aller.

Les autres jours de...