Une affaire de cheveux.

Ecrit par Louise Pascale

J’étais là, assise sur la banquette en cuir du petit salon. Le nez plongé dans une édition spéciale du magazine Vogue. Je faisais mine d’être concentrée. Quelques fois, je jetais un regard vers Sade qui était en train de se faire aider afin d’enfiler sa robe. Dès notre arrivée, elle s’était abandonnée aux « mains expertes » de Kate et de ses assistantes.

Leurs éclats de rire et leurs minauderies me donnaient des hauts le cœur. Je n’avais qu’une seule envie. Celle de disparaitre. D’être n’importe où mais pas dans ce salon. Pas ici, pas au 58 avenue Théophile Gautier.

Généralement à cette période de l’année, je bouclais mes valises et je partais seule loin de tout. Cette année j’avais prévu d’aller surfer sur les vagues australiennes. J’y serai allée si et seulement si.

L’Australie… le soleil, la mer, le vent, les vagues, le sable chaud…

« Eh, Azalea ! Je te parle »

Moi : oui Mellie !

Mellie : Ma parole, tu rêves ou quoi ?

Toutes avaient les yeux rivés sur moi.

Moi : Non ! J’étais en Australie et tu viens juste de me ramener à Paris.

Sade : Pff, laisse tomber Mel. Elle prit un macaron et le porta avec délicatesse à sa bouche.

Elle venait de se tourner vers moi. Elle était magnifique !

Le bustier cousu main et orné de cristaux de celle-ci faisait ressortir sa taille fine.

Kate n’arrêtait pas de gesticuler tout autour d’elle. Sa jupe crayon lui faisait de superbes fesses. Du haut de ses cinquante-sept ans, elle n’avait rien à envier aux femmes de mon âge. Il faut dire que chaque année, elle passait un mois aux Etats-Unis à se faire tirer la peau à coups de bistouri et de botox.

Kate : Tu veux bien passer essayer ta robe Azalea ?

Je n’avais pas le choix. Je saisis la robe qui m’était tendue et je filais en cabine. Sans aucun chichi, je l’enfilais. La robe couleur corail faisait ressortir le hale naturel de ma peau. Je me regardais dans l’énorme glace. Ma touffe me fit pouffer de rire. On aurait dit un énorme point surplombant un bout de fil de fer. J’haussais les épaules avant de sortir pour l’inspection.

Kate : Tu es magnifique ma petite. J’espère que tu attraperas le bouquet demain. Mes sœurs se sont regardées juste à cet instant là avant de sourire.

Sade : C’est vrai que tu es belle. Il y a juste un petit hic !

Je la regardais droit dans les yeux. C’était trop beau pour être vrai. Dans une expiration profonde, je laissais nonchalamment tomber mes épaules.

Mellie : Je suis du même avis que toi. Elle se levait et s’approchait de moi.  Elle se planta devant moi, la main sur la perle qui ornait son cou. Sa bague de mariage scintillait toujours autant. Elle pencha sa tête d’un côté. Avant de dire « tes cheveux… »

Moi : Quoi mes cheveux ?

Mellie : Ils ont l’air trop… trop sauvage. Je pense que tu devrais te les faire lisser.

Sade qui s’était mise sur ses jambes ne trouva pas mieux que de me proposer un lissage brésilien.

Moi : Non ! C’est tout simplement absurde !

Melie : De toutes les façons, qui portent encore les cheveux crépus ? Ca fait négliger.

Elle venait de dire cela avec cette expression de supériorité qu’elle sait si bien arborer.

Sade : Ce n’est pas approprié pour un mariage.

Les deux assistantes présentes se retirèrent sans que cela le leur soit demandé. La discrétion est de rigueur dans ce genre de boutique.

Kate : Mesdames, s’il vous plait ! Voyons nous sommes là pour un moment heureux. Cessez donc ces chamailleries.

Moi : Mel, tu peux la fermer un moment au lieu de dire des stupidités à longueur de journée ? Tu sais quoi, pour t’éviter des rides, je me tire.

J’avais prononcé ces paroles en me dirigeant vers la cabine. J’entendais mes sœurs tenter de convaincre Kate de se ranger de leur côté. J’enfilais mon jean et mon bustier en satin. Et sans attendre quoique ce soit, je sortis mon sac à l’épaule.

 

 

 

 

            Il faisait un temps de rêve à Paris ces derniers jours. Je décidai de profiter du reste de ma journée en compagnie de ma meilleure amie. J’allais la rejoindre aux Galeries Lafayette Gourmet. J’avançais lentement savourant chaque seconde de tranquillité dans ces rues pleines de monde.

Je la trouvais devant le magasin en train de manger une glace saveur pistache. Sa préférée. On se fit la bise avant d’entrer.

Farida : Alors ta robe, elle donne quoi ?

Je sortis mon téléphone et je lui montrais une photo que j’avais prise dans la cabine quelques heures avant.

Farida : Damn, t’es trop une bombe.

Moi, le sourire aux lèvres : Merci… comment ça se fait que t’ai pas trouvé de chaussures depuis. Tu sais, suis pas sûre que Sade te pardonne un jour si tu te pointes en tongs.

Elle éclata de rire. Je la pinçais histoire de lui dire de se calmer un peu.

On entrait dans la boutique Zara.

Je regardais partout. Il n’y avait pas vraiment de quoi s’extasier. Les articles proposés étaient des « génériques » de ce que quelques de mes enseignes favorites proposaient souvent.  

Farida en était à essayer la quatrième paire depuis notre entrée. Moi, je m’amusais à essayer des lunettes de soleil quand je la vis arriver.

Farida : J’ai trouvé « the » paire idéale.

Elle s’avançait en me balançant une paire de talons au nez. Elles n’étaient pas mal du tout et elles iraient bien avec sa tenue.

Farida : C’est pas des pompes de marque mais bon, personne viendra me demander de faire voir ma semelle.

Alors que nous passions en caisse en riant je la regardais d’un air grave. Je n’avais jamais vraiment fait attention à ce que je considérais comme un détail. Farida avait les cheveux lissés et ce n’est que maintenant que j’en prenais conscience.

Moi : Pourquoi as-tu lissé tes cheveux Farida ?

Elle me fit des yeux ronds. Ma question la surprenait. Le caissier avait levé son nez et nous regardait.

Farida : Hé mon p’tit père la facture !

Il sourit et lui tendit la facture avant de glisser la boite de chaussures dans un sac en papier.

Farida : Toi ma pauvre, le soleil doit t’avoir bien chauffé le cerveau. Je paye et on va prendre un rafraichissement.

Moi : Ok ! Dis-je en me passant la main dans les cheveux.

Sorties du magasin, on se dirigeait direct vers un petit restaurant dans lequel nous avions nos habitudes.

Pendant que je sirotais mon mojito, elle me regardait en s’interrogeant.

Moi : arrête avec ce regard !

Farida : Mais dis-moi, ça va pas de poser des questions pareilles sur les cheveux d’une black ? Et sans aucune discrétion ! Bien, parce que je suis ta meilleure amie et que je suis sans complexes, je vais te répondre.

Elle avala une gorgée de son jus de raisin. Se racla la gorge.

« Mon petit caramel, toi, tu as les cheveux bouclés. Ils sont doux. Ils sont soyeux et ils sont longs. Tandis que les miens, ils sont crépus, secs. Du coup toi tu peux porter les tiens comme tu le souhaites alors que moi les portes alors que moi, je dois les cacher sous ce que j’ai sur la tête là. » Elle venait de pointer du bout de son index droit ses extensions.

« Tu sais, une métisse avec des cheveux crépus c’est beau d’ailleurs on dira qu’elle a les cheveux bouclés. Par contre une noire avec les cheveux crépus eh bah… ça choque tout simplement ! Moi je rentre dans la gamme. »

Je me tordais de rire. Elle venait de m’expliquer un phénomène tout simplement en le banalisant au maximum. Je me rappelais alors que les seules fois où j’avais vu ses cheveux, c’était dans ce salon de coiffure de Saint-Denis alors qu’on venait de lui ôter son tissage.

Et on rentra dans toutes les subtilités de la problématique capillaire chez les noirs. Elle en parla en me racontant des anecdotes qu’elle avait vécues pendant que nous enchainions les boissons rafraichissantes.

Quand nous sortîmes de là, le jour cédait la place à la nuit. Quelques bonnes heures s’étaient écoulées. Il faisait chaud. Nous croisions des jeunes en train de manger des glaces. J’hélais un taxi qui nous déposa à mon immeuble.

 

 

Les autres jours de...