DES SONS ET DES IMAGES
Ecrit par Marc Aurèle
-Bonjour,
comment tu vas ? j’ai besoin d’avoir des nouvelles de Sèssè et de sa mère.
Pourras-tu faire un tour chez eux rapidement ?
-Ce
ne sera pas nécessaire, patron. Madame Abiba même est venue ici. Elle attend au
secrétariat avec sa fille.
-Merci
! Elles devront attendre leur tour comme tout le monde alors. Au fait, je me
demande bien de qui peut-être cette fille d’Abiba, car cela me parait
surprenant et incongru que je sois son donneur. La moelle vous vient soit du
père soit de la mère, soit d’un parent direct. Ce qui veut dire que j’en suis
un. Hier, en les ramenant à la maison, j’avais essayé de découvrir la vérité,
mais Abiba s’était mise à pleurer. Alors, j’ai abandonné, d’ailleurs tu étais
là.
-Oui,
même moi, je me pose des questions depuis que Abiba m’a dit que sa fille a 28
ans.
L’interphone
sonna.
-Oui
! Fine
-Monsieur,
il y a une dame et une jeune fille qui vous attendent. Puis-je les introduire
en présence de votre chauffeur ?
-Fine
! tu sais très bien qu’il participe en ce moment même au Conseil
d’administration ; ce ne sera donc pas pour deux visiteurs que je le sortirais.
A moins que le motif soit…
-Non
rien de tel, je les introduis, Monsieur.
La
jeune secrétaire avait pouffé de rire et mon cher patron-ami et moi échangions
un regard.
On tapa
deux coups sur la porte qui s’ouvrit aussitôt. La jeune secrétaire s’excusa et
se retira. Je me tenais toujours debout face au grand bureau derrière lequel se
trouvait un grand homme, fort d’allure avec un léger sourire. Il contourna le
meuble et invita les dames à s’asseoir dans le salon privé qui s’attelait à son
bureau. Je n’avais qu’à faire un pas pour me rapprocher du groupe et rester
disponible pour mon employeur.
-Alors
Sèssè, tu te sens comment ? Et les calmants, ils font leur effet ? J’ai fait faire
des recherches en vue de l’intervention qui pourra se faire ici dans trois
semaines, mais si tout va bien Docteur SOHOUN m’informera sur la possibilité de
te faire voyager très vite pour faire ton intervention. Je n’hésiterai plus
pour que tu guérisses.
-….
Monsieur
Héritier parla si vite que le silence de la jeune fille donna un sens à son
expression. Cette empathie légendaire qui caractérise l’homme l’a rendu
tellement émotif et sensible qu’il pensait presque pour les autres. Il voulait
toujours être au-devant de tout ; il savait être avant-gardiste à sa manière et
parfois passait pour un devin.
- Alors, que puis-je pour vous ?
- Assieds-toi, s’il te plait….
C’était
Abiba qui venait de parler ; elle s’adressait à Monsieur Héritier qui, les
mains dans ses poches, s’apprêtait à étaler ses inquiétudes.
- Pourquoi, je te donne le tournis ?
Aurais-tu quelque chose à me dire ? Sinon moi j’ai des interrogations qui
devront avoir des réponses avant que tu ne sortes d’ici.
Tout
en parlant, il s’était assis et avait croisé ses jambes. Du haut de son 1m92,
il y avait en sa hauteur de quoi donner du tournis à moins grand que lui,
surtout quand il est debout. Abiba coulissa du meuble et s’agenouilla. Elle
fondit en larmes et moi je compris aussitôt ce qui se passait. Elle s’était
tournée vers sa fille et dit alors en dialecte quelques mots puis se retourna
vers Monsieur Héritier.
-Pardon,
Pardon. Je suis partie loin de toi sans le vouloir. J’ai emporté ce jour-là ta
grossesse sans le savoir et voilà je te ramène une fille. Je n’en ai pas douté
une seule fois. Regarde ses pieds et ses mains, ils sont comme les tiens, ils
sont de toi AZIMAN GAA, HOUEGBONOU VIO…
Elle
battit visage à terre tout en récitant ce langoureux panégyrique de la famille CELESTIN.
Il y
eut une bonne dizaine de minutes et l’on entendait seulement les pleurs et les
propos en dialecte de Abiba. Héritier, n’avait pas parlé. Il s’était juste
levé, puis s’était retourné vers son bureau où il prit place. Il redevint
machinalement le Patron et de son desk-chair, se mit à distribuer les rôles.
-S’il
te plait, reconduit Abiba, chez elle. Sèyihami, nous avons du temps à
rattraper. Tu voudras bien rester si cela ne te dérange pas.
- …
-Au
fait, Abiba, merci. J’aurai besoin de la clé de la PRADO. Je dois me rendre à
la banque et ensuite à la Fondation.
Ce
fut tout ce qu’Héritier adressa comme mots à l’intention de la malheureuse
mère. Je compris qu’il s’adressait à moi pour le reste et je répondis.
-D’accord
Monsieur. Si vous me le permettez, je ferai reconduire Madame Abiba par le
chauffeur du bus du personnel. Je reste à votre disposition, car vous ne me
semblez pas en bon état pour rouler.
Il
suait à grosses gouttes malgré la climatisation et venait de s’éponger à
plusieurs reprises. La jeune dame connaissait si bien l’homme qu’elle n’avait
plus insisté. S’étant levée, elle embrassa sa fille qui s’était allongée dans
le canapé, puis sans rien dire, se dirigea vers le secrétariat.
-Je
suis désolé Abiba, mais tu me connaissais trop bien pour ne m’avoir pas donné
cette chance de rendre ma fille heureuse. Je ne t’en veux pas pour autre chose
et maintenant que je l’ai dit, je tiens à ce que tu saches que ma fille, notre
fille restera désormais à mes côtés.
On
ne pouvait être plus clair. Abiba l’avait écouté sur le pas de la porte et
quand il ne disait plus rien, elle l’ouvrit pour se retirer. Je dus la suivre
sans plus rien dire.
Monsieur
Héritier s’était ensuite retourné vers le canapé et s’était agenouillé devant
sa fille.
-Pardonne-moi
ma fille. Je ne savais pas que tu existais. Ta mère et moi n’avions pas choisi
de nous séparer mais quand cela arriva, j’ai fait tout ce que je pouvais mais
jamais je n’ai retrouvé sa trace. Plus je cherchais, plus elle s’éloignait et
j’avais fini par abandonner tout espoir de la retrouver. Aujourd’hui, j’ai
refait ma vie et tu as deux petites sœurs. Tu auras la chance de les rencontrer
et de les aimer car c’est ce qu’il y a de plus beau sur terre. J’ai toujours
juré ne pas tromper une femme et c’est pourquoi je souffre de savoir que ta
mère ne pourra jamais compter. Tu devras accepter la mère de tes sœurs comme
mère bien que ta mère soit là. Il faudra que tu me promettes d’être heureuse,
car je lui ferai promettre de te rendre heureuse. Je…
Son
téléphone sonna et il se leva pour décrocher.
- Oui docteur !
- …
-Merci
docteur. Je viendrai avec elle pour le prélèvement avant l’embarquement.
J’espère que cela ne me maintiendra pas trop longtemps au lit ?
- …..
-Le
temps que l’anesthésie passe ! C’est bon pour moi. Il n’y aura pas de problème
de conservation ?
-….
-Vous
me voyez rassuré. Elle voyagera avec sa mère. J’affrèterai le SAMU de l’hôpital
pour cela.
-….
-Je
vous confirme tout ceci dès que je reçois votre fax.
Il
avait un léger sourire.
-Une
bonne nouvelle. Ton opération aura lieu demain à 4heures de l’après-midi, ma
fille. Allons pour les formalités. Je vais faire en sorte qu’avant ton retour
tout soit mis en ordre.
Il
aida Sèyihami à se lever puis la serra très fort dans ses bras. Lui tenant la
main, ils sortirent du bureau et n’y revinrent plus.
Il
était 7H30 quand la porte du bureau s’ouvrit à nouveau. J’entrai dans le bureau
en compagnie de Monsieur Héritier et du Docteur SOHOUN.
-Voilà,
mon cher ami, le chèque correspondant au devis que vous m’avez faxé. Mon cher
collaborateur de tous le temps a déjà envoyé le mandat au SAMU de l’Hôpital qui
a confirmé que l’appareil sera sur le tarmac de l’aéroport Bernardin Cardinal
GANTIN à 9H. Je vous fais entièrement confiance et je souhaite pouvoir vous
revoir avant le départ.
-Je
le souhaite aussi. Merci Monsieur Héritier pour la confiance. Votre fille vous
reviendra en pleine forme.
Le
médecin serra la main à mon patron pour la dernière fois et se retira.
Héritier
CELESTIN s’occupa de ses tâches habituelles, passa quelques coups de fil et
sortit du bureau un quart d’heure après 9H. Il y revint trente minutes plus
tard. Je le suivais.
-Ce
n’est pas facile du tout, ce qui m’arrive. Comment pourrais-je informer les
filles de ce qui se passe. Et leur mère
? Me croira-t-elle ?
-Monsieur
Héritier, laissez mère providence faire son œuvre. Pour nous qui vous
connaissons comme Madame, Adivihon et Dèhoueffa, nous saurons comprendre et
nous accepterons. Moi je les aiderais à comprendre et à accepter leur sœur. Ne
hâtez rien avant son retour. Ensemble, nous trouverons le meilleur moyen de
passer l’information.
-Tu
ne me rassures pas vraiment, mais la nuit porte conseils. Je dois prendre des
dispositions pour que Sèssè ne manque de rien. Il faut te rendre chez le
gestionnaire immobilier et me faire valider l’achat de la résidence de KETONOU
en son nom. Je crois qu’il faudra voir le propriétaire de l’appartement
qu’occupe Abiba pour lui proposer le rachat de l’immeuble. Propose lui le
double de la valeur et fais lui un virement à partir du compte de la BSIC.
Fais-moi venir le comptable et ensuite, j’ai besoin qu’avec lui tu me fasses
tous les rapprochements bancaires. Je dois rentrer déjeuner avec Adivihon qui
vient pour le rapport de la semaine dernière.
Je
compris que la discussion avec mon patron venait de s’achever et je pris congé
de lui. Il resta au bureau, reçut plusieurs visites, passa beaucoup de coups de
fil dont celui-ci.
-Bonjour
curé !
-…
-Je
vais bien, mais très mal car j’ai un problème de conscience.
-…
-Je
ne sais pas si j’aurai le temps d’aller te voir, mais j’ai besoin de tes
conseils. Te rappelles-tu, la domestique que mes parents avaient renvoyée à
l’époque où j’entrais en fonction à la mairie ?
-….
-Je
l’ai retrouvée et elle a une fille de moi. Une autre sœur pour tes nièces
adorées et là se trouve ma peine.
-….
Une
dizaine de minutes s’était écoulées ; on pouvait voir l’homme en robe entrer et
s’asseoir devant mon patron.
-Mon
frère, c’est quoi cette histoire ? Qui est au courant ?
-Mon
chauffeur et le docteur SOHOUN. Je n’ai pas encore eu le courage d’informer ni
madame ni les filles. Je ne sais pas…
Le
curé prit une grande inspiration et se leva.
-Tu
connais les valeurs qui sont justes et je sais que notre Seigneur JESUS CHRIST
saura te donner les moyens pour y arriver. Quant à moi je te fais entière
confiance pour la gestion de cette situation.
C’était
pour la dernière fois qu’il le voyait vivant en ces lieux. Il se dirigea vers
la sortie avant d’ajouter :
-Je
serai à diner avec vous ce soir. Les filles m’ont invité et mon cœur serait en
joie si tu invitais leur demi-sœur.
-Elle
ne sera pas là. Elle voyage cet après-midi pour une intervention chirurgicale,
c’est en faisant mon social d’habitude et en aidant Abiba que j’ai découvert la
vérité.
- ….
L’homme
de Dieu retenait très difficilement sa surprise.
-J’ai
découvert la compatibilité entre nous et alors j’ai fait le don de ma moelle. Je dois prendre d’ailleurs, après mon
déjeuner avec Adivihon, des nouvelles de l’hôpital.
-…
Dieu la garde et nous la ramène saine et sauve. Je prierai pour elle. A ce
soir.
Monsieur
Héritier, traina le long du bureau. Il arpenta longuement les parois de son
large domaine de maître et finit par prendre ses clés de voiture et sortit du
bureau.
J’étais
revenu avec lui le lendemain comme toujours. Il me fit appeler docteur SOHOUN
et les nouvelles qu’il reçut le rassurèrent. Il me demanda de bien vouloir le
laisser seul et exigea que l’on ne le dérange point.
-Reviens
au déjeuner. Je dois rejoindre les filles et leur mère pour leur avouer ce que
tu sais.
Je
me retirai, laissant place à Fine, l’assistante de M. Héritier qui lui annonça
les différentes visites. Très vite la matinée s’acheva. Le dernier visiteur fut
le Père BRICE.
-Comment
tu vas ?
-Je
ne peux rien te dire, angoissé et surtout inquiet de la réaction des filles et
de leur mère. Je dois les avoir au déjeuner.
-Tu
aurais pu profiter de ma présence hier…
-Non,
je préfère le leur dire autrement…
-Comme
tu voudras, je voulais savoir comment tu vas et s’il le faut sache que je peux
passer le soir pour mieux les convaincre de ne pas mal te prendre.
-Merci
déjà. Je ferai le grand saut tout à l’heure et après je te tiendrai au courant.
-A
ce soir…
Oui
à ce soir, car ce fut le dernier vivant qui put le voir en vie. L’homme de Dieu
s’était retiré. Monsieur Héritier s’était affalé sur le canapé-lit de son bureau.
Le père Brice s’en était allé comme s’il venait de donner l’absolution à un
homme qui égrenait le chapelet de la dernière heure. Vivement, car Monsieur
Héritier fit vraiment le grand saut. Sur les images, l’homme semblait endormi sur le siège. Sur son visage
se lisait un soulagement, un apaisement car il semblait faire un somme
réparateur. Se serait-il libéré d’un poids en tirant sa révérence ? Était-ce
vraiment son heure qui a sonné ? On ne le saura jamais. Ce fut la dernière
image ; comme si la bande qui avait cessé d’enregistrer, se mit à tourner en
boucle, jusqu’à 13heures.
La
secrétaire fit son entrée et comme d’habitude, resta à distance pour s’enquérir
des besoins de son chef qui ne réagissait plus. Elle s’approcha et réalisa
qu’il n’y avait plus de souffle. Elle me fit appel et quelle ne fut ma
désolation.
Vous
connaissez la suite, un homme qui durant toute sa vie a donné du mieux de lui
pour les autres, avait commis l’impair sans avoir jamais songé à le faire.
*
* *
Les
filles ne dirent plus mots, se prirent par la main et toutes les trois se
dirigèrent vers la sortie du bureau. Elles aimaient beaucoup trop cet homme
pour s’opposer à son destin ou pour lui en vouloir. De toutes les façons, il
avait tout arrangé avant de s’en aller et jamais elles ne devraient
s’embrouiller.
De
leurs peines découlent mes pleurs,
De
leurs chagrins, je me plains en vain.
D’aucuns
diront à chacun son destin
Pour
s’en laver la main
Mais
si moi je l’avais essayé ce sera sans lendemain
Mon
destin au leur est accroché
Ma
vie à celle de ce petit monde est attachée
Comme
une attache à un papier
A
leur quotidien, j’étais ajouté
Comme
l’a voulu la destinée.
Sur
les chemins de sa vie,
Monsieur
héritier avait ses manies
Je
vous donne volontiers mon avis
Ce
n’était nullement de mauvaises manies
Mais
rassurez-vous, une très belle façon de voir la vie.
Aimer,
juste aimer
Donner,
tout donner
Partager
était son mot clé
Et
ça, il l’a fait sans s’arrêter.
Aimez
donner et partager, sans jamais s’arrêter.
C’est
la clé de tout succès.