Un retour dans le temps

Ecrit par Marc Aurèle

J’observai une fois encore le groupe, je pris une grosse inspiration et me lançai.

 

Nous étions au mois de Mars, il y a vingt-huit ans de cela déjà. Héritier venait d’entrer en fonction au titre de comptable matière à la Mairie de Ville. J’étais également son chauffeur, vu que le seul véhicule de la maison CELESTIN servait tant à son déplacement personnel qu’à celui des autres membres de la famille. C’était dans la logique de satisfaire au besoin de déplacement des siens que l’homme avait engagé le chauffeur que je suis et que je suis resté jusqu’à sa mort.

Ce matin-là, mon jeune patron s’était assis sans me saluer. Il n’avait même pas répondu à mes multiples salutations. Je compris que quelque chose n’allait pas et je ne voulus point l’importuner davantage.

Plusieurs jours après, il me mit dans la confidence de cette sacrée nuit du 8 Mars. ‘’Elle m’a dit qu’elle m’aimait depuis toujours. Maintenant, à cause de moi, on va la renvoyer‘’.

 

C’était sa dernière phrase quand il avait fini de raconter sa nuit au confident que j’étais pour lui. Abiba, la domestique avait des sentiments pour lui. Cette nuit-là, elle était allée le voir pour les lui présenter. Elle n’avait pas manqué de doigté et lui, en jeune adolescent n’a pas su être indifférent aux charmes qu’avait étalés la jeune fille.

 

Il avait cédé aux avances de la femme et les deux amoureux se rendaient bien leurs amours quand ils furent surpris par les parents CELESTIN. La chevauchée était langoureuse, douce et enivrante. Le couple avait plusieurs fois atteint l’orgasme, semant ainsi des grains de vie. Ils n’hésitèrent pas pour la décision qu’ils pensèrent alors bonne et juste.

 

En fait cette nuit-là, le grain avait été semé et Sèyihami avait été conçue. Après le départ brutal de la domestique de la maison, le jeune Héritier utilisa toutes ses connaissances pour retrouver la jeune fille en vain. Les informations glanées çà et là ne faisaient qu’agrandir la distance qui séparait le sentiment des deux jeunes qui ne purent plus jamais se retrouver.

 

Il y a de cela trois mois, alors que nous avions lancé notre dernier produit, Monsieur CELESTIN et moi revenions de la présentation quand au carrefour des trois banques, il me pria de ralentir.

-       Cette dame-là ! Ne serait-ce pas Abiba ?

Il était comme toujours assis sur le siège à l’avant et du doigt me désigna le passager d’un taxi moto. L’intéressé que Monsieur Héritier désignait se profilait dans mon rétroviseur intérieur. Je n’eus pas besoin de décélérer puisque le feu venait de passer au vert et que le conducteur de la moto nous dépassa.

-       Oui ! je crois bien.

-       Alors, ne la perds pas de vue. Il y a si longtemps…

Tout en parlant, il souriait et très nostalgique, il me rappela ce jour là où il m’avait ‘’grillé‘’ du fait de sa mauvaise humeur, de nos multiples randonnées à vouloir retrouver cette jeune fille d’avant et qui était une femme à présent. Nous avions alors suivi le zemidjan1 jusqu’à la destination de la cliente. A la grande surprise de Célestin, Abiba s’était arrêtée devant l’Hôpital Municipal. Elle se hâta de payer le zémidjan1 puis entra dans l’hôpital. Je cherchais un lieu où stationner, mais il était déjà trop tard, Monsieur Héritier ouvrit sa portière pour descendre. Je ne vous rappelle pas l’agilité de l’homme ou encore moins sa grande forme sportive. En quatre enjambées, il avait rejoint la jeune dame et la tenait par la main. Je pouvais voir de loin Abiba tomber dans ses bras et quand plus tard je dus à plusieurs reprises revenir en ces lieux, seul ou accompagné de Monsieur Héritier, c’était pour voir Sèyihami, l’unique fille de Abiba et dont le père n’était plus, aux dires de sa mère.

 

« S’étant toujours senti redevable des autres, mon patron avait obtenu des responsables de l’Hôpital que les meilleurs soins soient prodigués à la fille de celle-ci envers qui il se sentait du coup redevable. C’est dans cette lancée qu’on lui annonça un soir qu’il fallait pour Sèyihami un greffe de la moelle.

Célestin n’avait pas trouvé les mots justes pour informer Abiba. Ce jour-là, il s’était plutôt occupé des analyses que devait faire la jeune fille en matière de compatibilité et fut très heureux quand les résultats lui furent présentés par le Docteur SOHOUN. Nous revenions du laboratoire principal de la ville.

Monsieur Héritier me pria de me rendre chez son médecin traitant parce qu’il sentait une certaine fatigue. Son objectif était de faire un check up et de prendre des prescriptions auprès du spécialiste avant de se rendre au chevet de la malade qui occupait depuis une bonne semaine, ses jours et ses nuits. Je sais, maman Adivihon que vous vous demandez quand pouvait-il le faire si il n’a jamais répondu absent à la maison ou à ses rendez-vous. Il ne vous a jamais menti, mais moi j’ai dû le suppléer à plusieurs reprises auprès de ses protégées à l’hôpital. Je ne me suis jamais fait prier pour faire la volonté de l’homme qui se rendit ainsi donc à la clinique du médecin de famille qui s’occupa de lui très rapidement. Sa prescription obtenue et les résultats de ses analyses à la main, il m’avait rejoint et nous avions repris le chemin du domicile. A un moment, son visage s’était assombri. Monsieur CELESTIN avait en main deux documents identiques de par leur entête. Il m’expliqua plus tard qu’il avait les mêmes caractéristiques que Sèyihami et qu’il allait pour ainsi dire se proposer donneur de moelle. »

 

« Mais le nuage restait à l’horizon puisque, mon cher patron s’était mis à se poser des questions à haute voix. »

-       Au fait, dis-moi, Sèyihami a quel âge ?

-       …

-       Mais quand est-ce que Abiba s’est-elle mariée jusqu’à être veuve ?

-       …

-Et pourquoi le nom du père de sa fille ne figure nulle part ? Elle y a inscrit tout le temps son nom. N’est-ce pas ALIDOU son nom de famille ?

-       Oui Monsieur, si j’ai bonne mémoire.

 

« Ce fut la seule réponse que je pus donner. Tout alla si vite que je pus vous dire, que Monsieur CELESTIN était finalement le bon donneur. Sèyihami fut évacuée à l’hôpital St Val de Paris où elle subit son intervention en compagnie de sa mère. Je fus chargé durant cette période de rétablir la vérité dans les livres administratifs puisque un de ces fameux matins, Abiba avait fini par avouer la vérité. Votre sœur à son retour de voyage portait son vrai nom. Ce fut dans ces conditions que mon feu patron, retrouvait sa fille et l’admit au sein de sa famille. Il avait tellement de remords qu’il eut cette crise-là. Ce fameux arrêt cardiovasculaire qui nous l’a arraché. Je ne vous dis pas que c’est Sèyihami ici présente qui a emporté son père, mais je vous jurerais qu’il est mort de chagrin car il l’avait souvent si bien juré  ‘’je ne pourrai jamais donner une demi-sœur à mes filles ‘’.

Et voilà toute l’histoire de votre sœur...

 

« Je me suis permis de garder certains détails que je vous fais l’honneur de découvrir ici. Je venais d’ouvrir mon sac pour en sortir des CD. Il s’agit essentiellement de trois journées sublimement exceptionnelles. Trois jours qui, par leur beauté et leur cruauté, n’ont fait que faire grandir l’homme qui s’en est allé sans crier gare, ce triste jour du mois d’octobre que nous n’oublierons jamais.

« Nous sommes aujourd’hui au mois de décembre et dans trois jours ce sera Noël. Je me dois d’offrir à vous toutes, filles et épouse de Monsieur Héritier CELESTIN ce cadeau qu’il a laissé en image et en son, sans le savoir.

« Je me suis permis de faire des copies de certains instants de la vie de votre feu père. Vous écouterez par vous-même sa joie, sa mélancolie, sa fierté et que sais – je encore. Les trois jours que vous visualiserez, ont été enregistrés alors que je voulais juste essayer le système vidéo de l’entreprise. Je faisais ceci, en prélude au conseil d’administration dont j’avais la responsabilité sécuritaire. Je n’avais alors pas informé mon cher patron. Ce ne fut qu’après que je découvris les joyaux que Mère Providence m’avait permis d’avoir, et c’est pourquoi, je tiens à vous offrir ce cadeau. »

LA FILLE DU DESTIN