Didina
Ecrit par Gioia
Madina Bara
Mon téléphone sonne pour me signaler l’entrée d’un SMS,
ce qui me vaut un regard de travers de mon collègue au labo. Pour cause ce n’est
pas mon habitude de rester sur mon Cell durant le travail. Mais ça, c’était le
passé. Je déverrouille l’appareil et sur l’écran s’affichait la photo de mon
nouveau petit cœur. Revenons à dix jours plus tôt, pour comprendre comment j’en
suis arrivée ici.
Alors, le retour à Montréal s’est bien déroulé et la conversation
s’est naturellement installée entre Michael et moi. Tout a commencé par moi lui
écrivant à mon arrivée pour encore une fois le remercier de son hospitalité.
Ensuite j’avais trouvé par hasard de l’agouti dans une boutique africaine dans
le coin d’Ogilvy non loin de l’école de santé publique de l’Université de
Montréal. Je lui écrivis donc pour demander comment je devais le cuisiner et il
m’appela directement.
— Donc les bonnes choses te manquent déjà, se
moque-t-il.
— Mieux je raccroche si tu as appelé pour m’embêter,
fis-je.
– Lol sorry. Tu cuisines comme n’importe quelle
viande, avec une base d’oignon, gingembre et un peu d’ail, mais n’exagère pas
sur l’assaisonnement hein. Il faut respecter le goût authentique de la viande.
— OK chef, je dis après un rire.
Nous sommes passés aux échanges de photos par la suite.
Chacun voulait montrer son talent culinaire à l’autre. Puis un jour il me
demanda mon aide par message. Je l’appelai dès que j’eus une minute.
— Allô Mico, on dit quoi ?
— On est là et toi ? Tu gères le froid ?
— Totalement, j’ironise, Dieu sait comment le vent
m’a giflé ce matin quand je suis sortie de mon appart. Alors comment puis-je t’aider ?
— Je dois acheter un chien. Le coin où je vis au plateau
Dokui commence à devenir insécure. Les voleurs ont tout pris à mon voisin hier
pourtant le type a un gardien. On suspecte qu’il était dans le coup.
– Oh non. Et toi tu fais comment ?
— Justement, comme je ne suis pas encore prêt à
prendre un gardien j’ai pensé à un bon chien sauvage donc j’ai pris rdv chez un
dresseur dans une heure, mais je ne sais pas trop quoi choisir tu vois un peu.
– Oui. Envoie des photos si tu en as, je regarde.
Ce qu’il fit aussitôt dit et je choisis un boer bull. Nous
reprîmes la conversation téléphonique jusqu’à son arrivée chez le dresseur. Il passa
sur Messenger vidéo pour me montrer le boer bull, mais je craquai sur un petit
bulldog français qui jappait à côté.
— Awnnnn à côté le chiot, Michael. Il est tellement
chou. Tu peux t’approcher ?
— Eh les femmes. Est-ce que c’est une poupée ? Il dit avec
humour tout en s’exécutant.
— Regarde leuhh, avec tes beaux yeux bleus. Oui que
tu es mignon, han, tu es trop adorable.
– Un peu de tenue là lol. On me regarde ici avec ton
langage de bébé.
— Désolée, dis-je amusée et me reprend, tu ne le
trouves pas mignon ?
— Mignon ? Avec sa tête de trapèze ? Pardon je suis là pour un chien pas une souris.
— Arrête de l’insulter.
— Lol c’est pas toi oh. On se reparle plus tard.
Il mit fin à la vidéo et je repris ma journée dans la bonne
humeur. Une semaine après il me rappela en vidéo durant le week-end.
— Madi on dit quoi ?
– On est là. Ça va ?
– Yafoye. Hey le chien là viens ici. Tu n’as pas dit
tu n’écoutes pas, dit-il avant de se pencher et me présenter le même french
bulldog de la dernière fois.
— Oh le chouchou. Mais attend monsieur tu ne devais
pas prendre le boer bull toi ?
— Après tout le scandale que toi et lui m’aviez fait ? J’ai ramené le
boer bull, mais il n’arrêtait pas de pisser et chier partout, donc je l’ai
rendu et pris celui-ci comme vous avez comploté pour monter l’autre contre moi,
il dit et j’éclate de rire.
— Pourquoi tu es de si mauvaise foi ? Avoue simplement
que tu es tombé sous son charme. Oui, n’est-ce pas que tu es mignon, fis-je à l’endroit
du chiot.
— Voilà ça commence déjà. Qui est tombé sous le
charme d’une petite souris pareille.
— Euh justement, comment tu vas te protéger ? Parce qu’il
semble que ça sera plutôt toi le protecteur du chiot.
— Ma mère m’a trouvé un gardien digne de confiance.
— Oh là là les choses du coup de foudre, tu as barré
tes règles direct pour ton Mico prime, tu peux avouer je le garderai pour moi, l’embêtai-je
en lui tirant la langue et il se marre.
— Mi combien ? Respecte-moi et laisse mon joli surnom hein. C’est Didina
son nom.
— Didina ? je répète sous le choc, tu es malade.
— Ce n’est pas toi qui criais oui il est mignon et
tout. II a reconnu sa mère donc il va porter ton nom.
— Lol tu es trop bête. C’est une femelle au moins ?
– Non oh. Qui va ramener une femelle pour qu’elle
finisse mes plans avec sa jalousie ? Non merci.
– En plus. Tu veux qu’il te fasse une crise
existentielle en lui donnant un nom féminin ?
— C’est Didina ou rien, digne petit de sa mère. Papa
a parlé.
— N’écoute pas papa, mon Didi tu es mignon comme
tout, dis-je avec humour me prenant au jeu.
C’est ainsi que je devins maman et Michael papa. Chaque
matin il m’envoyait une photo de la dernière bêtise de Didina et quelquefois
j’en recevais des deux, sur lesquelles il ne se gênait pas pour emmerder le
chiot. Soit il tirait son oreille, soit il jouait avec son nez. J’ai parlé en
vain, mon Didi souffre seulement et son père jure qu’il aime ça. Et bien sûr
j’attendais avec impatience ses photos. Elles étaient un peu devenues les
meilleurs moments de mes semaines.
Sans le savoir, Mico arrivait à me distraire de ma
douleur qui ne cessait de s’intensifier. Depuis un moment je sentais les
disques de mes hanches artificielles chauffer et quelques mouvements devenaient
pénibles. Mon bras droit également était un peu endolori. Je n’arrivais pas à
le soulever correctement et travailler devenait compliqué.
Donc nous voilà à dix jours plus tard. Laure et Yannick
étaient également rentrés de lune de miel et ma copine m’appelait sans cesse me
demandant quand elle pouvait me visiter, mais comme elle vit avec Yannick
désormais, je déclinais en douce par des prétextes afin que les deux profitent
au max l’un de l’autre pour ces débuts. Laure a tendance à vivre dans sa tête
et penser que comme on était un trio avant on doit continuer à l’être et se
voir tout le temps. Pourtant chaque couple a besoin d’un peu d’intimité au
début, bon pas que je sais quelque chose sur le sujet, mais je suppose. Je me
suis toujours assurée de ne pas trop les envahir lorsqu’ils se sont mis en
couple, afin d’éviter qu’ils se fatiguent de moi, donc je pense continuer sur
cette lancée.
J’étais couchée dans mon lit le vendredi n’ayant pas pu
me rendre au travail, et j’essayais de me convaincre que 24 h sans se
laver n’était pas un délit quand on toqua à la porte. Pensant que c’était ma
commande pour mon petit-déj, j’ouvris sans regarder par le Judas et se tenait
devant moi une Laure au visage renfrogné. Elle entra et me fit volteface.
— Tu peux m’expliquer pourquoi tu aimes jouer aux
martyrs.
— De quoi tu parles ?
— Depuis mon retour, je t’invite tous les jours chez
nous et tu me sors constamment des excuses. Quand ce n’est pas le travail, c’est
la météo. Quand je veux venir, c’est pareil. C’est le travail que tu es en
train de faire à la maison ça ?
— Je voulais juste me reposer un peu aujourd’hui. Je
te donne quelque chose à boire ?
— Laisse le à boire là. Si toi Madidi tu décides de
te reposer un jour de travail c’est que l’affaire est grave. En plus à voir ton
visage on sent que tu n’es pas en forme. Mais au lieu d’en parler, tu préfères rester
enfermée ici. Ou bien tu veux me mettre ta mort sur ma conscience ?
— Laure arrête d’être dramatique. Je vais bien.
— Dans ce cas, saute et penche-toi que je vois, elle
m’ordonne, ce qui lui vaut un regard de travers, mais elle continue. Voilà ! Quand vas-tu
arrêter de vivre la vie de solitude et accepter de te reposer sur les gens ?
— Tu sais que je n’aime pas déranger Laulau. En plus
tu es nouvellement mariée. Tu as besoin d’intimité.
— C’est moi et Yannick hein, pas quelqu’un d’autre.
On a la bouche. Laisse-moi dire que tu déranges avant de prendre tes positions
drastiques. Il est même où ton sac ? On va chez nous.
– Non s’il te plaît. Ne fais pas ça. Je ne me suis
pas lavée en plus, dis-je gênée.
— Alors viens je te lave, et on y va.
— Laure........
— Appuie-toi sur moi au lieu de parler. Est-ce que c’est
la première fois que je vais te donner ton bain ? Et sache que Yannick était de garde hier c’est pour ça
que je n’ai pas de renfort, mais il a bien précisé de te tirer par le nez s’il
le faut, mais qu’il veut nous voir toutes les deux à la maison quand il se
réveillera.
— D’accord, dis-je d’une voix enrouée par l’émotion.
Après la douche elle ramassa mes effets et nous partîmes
chez eux à Lasalle. Nous passâmes la journée à revivre leur mariage grâce aux vidéos.
Yannick le pauvre ne s’est réveillé que dans l’après-midi. Il est à sa deuxième
année de postdoc en médecine d’urgence et le rythme le chicote méchamment.
Pourtant la fatigue ne l’a pas empêché de me gronder quand la grande gueule de Laure
m’a vendu que je ne voulais pas rentrer dans leur intimité maintenant qu’ils étaient
mariés. On a menacé mon front de coups si j’ose retourner à la Madina d’antan. Du
coup, nous avons passé le week-end ensemble, entre causeries et goinfreries.
Étrangement je n’eus aucun message de Michael et il ne
répondit pas non plus aux miens. J’ai conclu qu’il était peut-être en famille
ou avec une fille. Maintenant que j’y pense, je ne sais pas grand-chose de lui.
Je veux dire directement de sa bouche, sinon oui j’ai entendu des choses par la
maman de Laure quand j’étais au pays. Mais ce que Mico m’a lui-même dit, c’est
qu’il est fiscaliste chez PWC, vit au plateau Dokui, est le fils d’un ancien
directeur d’école primaire et pasteur, sa mère professeur de français au collège
Saint Viateur, a deux sœurs aînées, des jumelles et que s’il était né aux États-Unis,
il aurait probablement pu devenir le Michael.K.Jordan de notre génération, même
si son joueur favori c’est Magic Johnson. Beau, jeune et extraverti tel que je
le connais, c’est évident qu’il doit avoir quelqu’un dans sa vie et à qui il
dédie une bonne partie de ses week-ends.
Le dimanche matin Laure et moi préparions le petit-déj quand
Yannick est sorti à la course pour aller chercher du pain. Monsieur voulait des
baguettes et non du pain de mie. Une heure plus tard, il revint avec ses
baguettes, mais aussi tout un humain. Michael se tenait devant nous, sourire
aux lèvres, Didina dans les bras et j’étais dans un pyjama deux fois plus grand
que ma taille habituelle.
— Micooo, s’écrie Laure en lui sautant dans les bras
et manque d’écraser mon Didi. Yannick pourquoi tu ne m’as pas dit qu’il venait ?
— Il voulait te faire la surprise, répond l’autre
derrière en souriant.
— Ça va notre femme ? Je vois que le cousin prend bien soin de toi. Tes joues
brillent, il la taquine et se prend un petit coup de Laure sur le bras.
— Tu doutes, c’est quand même moi, dit Yannick avec
humour.
— Je ne m’attendais pas à réussir mes deux surprises
d’un coup, ça va toi ? fit-il à
mon endroit alors que mon cerveau avait de la difficulté à enregistrer le fait
qu’il était réellement ici.
J’entends Yannick le questionner sur Didi pendant que Laure
essaie de le prendre, mais il saute des bras de Michael et fonce sur moi. Je m’abaisse
aussitôt et le prends contre moi, mon cœur se gonflant de sensations
chaleureuses.
— Pas mal le cabot, tu as reconnu maman, il dit
fièrement. Même si elle a oublié mon existence.
— Bonjour Michael, je lui dis enfin tout en
continuant à câliner mon Didina aux poils tout doux.
— Quoi c’est tout ? Après tout le mal que cette boule de poil m’a filé pour
rester dans son transporteur, on ne me donne même pas un câlin ? J’aurais dû le
laisser à Babi. Viens même ici fils ingrat tu pars déjà chez ta mère alors que
c’est à moi que tu as filé la honte dans le vol, il rigole.
— Merde ! Dis vrai que tu ne l’as pas envoyé en
soute, dit Yannick choqué.
— Les french bulldogs ne sont pas adaptés pour
supporter la soute.
— Lol on ne peut pas dire que tu ne t’y connais pas,
j’espère ne jamais avoir un chiot comme voisin dans un avion, après quatre
heures je vais aller le jeter dans les toilettes.
— Tu es trop mauvais Yannick, lui dit Laure pendant
qu’on riait tous.
— Crois-moi qu’il n’allait même pas venir ici si PWC
ne m’avait pas fait venir en classe affaire, on était à l’aise pour faire nos
sauvageries là-bas.
— Merde le petit là a pris classe affaire avant moi ? Mico tu zaille, lui
dit Yannick.
— Tu ne le vois pas jouer et aboyer avec sa mère, il
vit sa meilleure vie, Michael rigole.
Je me dirige tranquillement vers le salon avec le chiot
contre moi tandis qu’ils continuaient à se chahuter.
— Bienvenue dans le verglas Mico et merci d’avoir donné
le traitement VIP à notre bébé.
— Vous n’avez pas honte de jouer à papa maman ? nous embête Yannick.
— En tout cas je n’ai pas vu un si grand sourire sur son visage depuis le vendredi, ajoute Laure pendant que je m’extasiais sur mon petit.