DROLES DE PRATIQUES FUNERAIRES

Ecrit par Marc Aurèle

 

Sam

M'adressant à Ray

       -  Je ne peux pas rester à l’écart du groupe. Essai de reprendre tes esprits et rejoint Solange s’il le faut.

       -         

Mon épouse acquiesça d’un signe de la tête et me laissa rejoindre les parents de Jules qui venaient d’arriver. Son père et sa mère n’étaient pas dans le lot. Je pouvais facilement reconnaitre ses trois sœurs, quelques un de ses cousins. Mais ils étaient accompagnés d’un vieil homme que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Ève. Je pourrais jurer que je le voyais pour la première fois. Très mal habillé, il semblait tenir le linceul dans la main. J’accélérai mes pas et parvins à rejoindre le groupe juste devant l’entrée du funérarium. Les agents funéraires, nous fîmes entrer, un par un.

 

Nous étions alignés autours du cercueil blanc. J’y voyais un visage déformé par le formol. On avait porté au corps de mon ami, un costume noir avec une cravate de la même couleur. Son corps était couché là dans cet assemblage de bois, sans vie, rigide. Je vis le vieil homme, s’accroupir à son chevet comme pour lui parler. Il murmura en un dialecte que lui seul connaissait. Il se redressa et se mit à secouer une queue de cheval qu’il sortit je ne sais d’où. L’homme commença un rituel, dont le contenu devenait de plus en plus bizarre à mes yeux. Je compris que je n’étais pas le seul étonné, les yeux hagards des uns et des autres en étaient l’expression même. Le vieil homme se mit à prononcer des incantations tout en faisant le tour du cercueil. Il se mit à marcher de plus en plus vite, comme pourchassant quelques choses où même que c’était lui qui était plutôt poursuivi. Son empressement, fit faire de la place. Plusieurs des parents s’étaient alors retirés. Je me retrouvais là en la présence du vieil homme, du frère de Solange et de l’une des sœurs de Jules. Dans un geste brusque, le marabout s’arrêta. J’en étais venu à cette conclusion car il ne pouvait en être autrement.

L’homme se baissa à nouveau et de la lame d’un couteau détacha une touffe de cheveux du corps inanimé. Il déposa le linceul ainsi que le couteau dans le cercueil et se retira à reculons tout en prononçant ses incantations. Un des agents mortuaires l’ayant vu partir se rapprocha.

       -          En tout cas ces conneries ne ramèneront pas votre frère. Donnez vos vies à Jésus, c’est Lui la solution.

… n’ayant que le silence comme réponse, l’homme d’un certain âge, se tourna vers moi avant d’ajouter. 

       -          Est-ce que je peux fermer le cercueil ? ou bien reste-t-il autres choses ?

De la tête je lui fis non, et lui sans plus hésiter pausa le couvercle. Il riva les vis de maintien, un par un et se redressa. Il fit signe ensuite à ses collègues qui se joignirent pour porter le cercueil vers le corbillard. Le cortège funèbre s’ébranlait vers la sortie du funérarium, quand je vis l’inspecteur AHO et son collègue avec une troisième personne entrer. L’individu se rapprocha du véhicule et y posa son front.

       -          Bonjour Inspecteur !

       -          Ah Monsieur Sam, comment allez vous ? Tout le courage à vous. J’espère que vous tenez ?

       -          Je fais aller. C’est qui ?

      -          C’est le comptable. Il s’est présenté à nous hier matin pour déclarer son innocence. Selon lui, c’est son épouse qui a profité de son absence pour vider la maison et rejoindre sa famille. Nos éléments sont entrain de faire les investigations, en attendant il a préféré être gardé dans nos locaux.

      -          hmmm !

Je soupirai profondément… voilà qui relance le débat de qui est à la base du fameux braquage. Je regardai, l’homme se détacher du véhicule et repartir sur ses pas.

 

Dans la lourdeur de cette atmosphère, je rejoignis mon épouse qui n’avait pas bougé du tout. De loin, je pouvais comprendre qu’elle n’était pas seule dans la voiture.

*

*  *

RAY

 

Le corbillard sorti du funérarium et se gara de coté, afin que le cortège se constitue. La sirène sifflait forte et assourdissante. Je vis Sam, plonger ses deux mains dans ses poches et avancer vers la voiture. Il esquiva de justesse un conducteur de motocyclette qui se frayait certainement le passage avant le départ du cortège.

Solange était assise sur la banquette arrière avec  une de ses cousines. Elle m’avait rejoint entre temps. Malgré l’interdiction formelle qui lui était faite de voir le corps et le lieu d’inhumation de son défunt mari, la jeune femme ne voulait pas être du reste. Elle m’avait raconté ses déboires avec ses beaux parents, ainsi que le charme et la gentillesse de la grand-mère de mon époux.

        -          Grand’ma est tellement gentille avec moi. Je ne sais comment te remercier ton époux et toi. Avait-elle conclu avant de fondre en larmes.

Elle était inconsolable. Je m’imaginais à sa place et rien qu’à y penser, mon cœur déjà contrit se serra d’avantage. J’essuyai la larme qui tombait sur ma joue. Je fis un léger sourire à mon homme qui venait d’ouvrir la portière.

      -          On va y aller. Fit-il en s’installant derrière le volant. Il se tourna vers les passagers à l’arrière et fit un bonjour mécanique. Je compris qu’il n’avait pas le courage de croiser le regard de Solange.


L’air conditionné de la voiture était en marche et avec le lourd silence qui régnait dans l’habitacle, on pouvait distinguer facilement le bruissement léger du vent qui sortait par les alcôves d’aération.

 

Deux heures de route plus tard, nous étions enfin à destination. Je pouvais voir des femmes se jeter à terre et hurler leur douleur. La poussière rougeâtre du sol, se collait à leurs vêtements, mais ne les arrêtait point. Elle se roulait au sol et affichait une amertume supérieure à la nôtre. Le spectacle malgré toute sa tristesse me désolait. Je descendis de la voiture à la suite de mon époux, qui avait souhaité que Solange reste sur place et qu’il reviendrait la chercher. Il marchait vite, du haut de mes escarpin noir, j’eus assez du mal à suivre son rythme et quand je parvins à l’agripper, il entrait dans la chambre funéraire, alors que des jeunes essayaient tant bien que mal de mieux positionner le cercueil sur les bancs. Visiblement, le problème était lié à la position exacte à donner au cadavre. Ils finirent par s’entendre, je ne saurai vous dire comment. Avec Sam on s’inclina devant le cercueil avant de se retirer. Il chercha des yeux un oncle de Jules qu’il remarqua à quelques mètres de nous. D’un pas vif, il se détacha de moi et se dirigea vers l’homme qui était en pourparler avec un vieillard peu hors du commun. Je ne m’aventurai pas plus loin, mais de ma position, je pouvais entendre leur discussion.

       -          Bonjour oncle, nos condoléances, vraiment désolé pour tout.

       -          Ah Sam, comment vas-tu ?

       -          Je vais bien oncle, on essai de tenir face à la situation.

       -          C’est dur, très dur même. Je ne peux pas te dire le contenu de notre dernière discussion, et voilà je me retrouve à devoir veiller à son inhumation.

       -         Ça ira. Au fait, j’aimerais vous demander une faveur pour son épouse. Avant la mise en biais, permettez qu’elle se recueille sur la dépouille ne serait ce que, pour un dernier hommage.

       -         

       -          Je comprends les principes de la tradition, mais s’il vous plait, j’implore votre clémence.

Je vis mon homme se mettre à genoux. La grâce et la finesse s’étant alliées dissipa le geste, de cet homme dont l’humilité m’avait toujours sidéré. Malgré, toutes ses responsabilités professionnelles, ses relations avec les plus grandes personnalités du pays, Sam gardait cette simplicité que je ne m’expliquais pas. Je vis le vieil homme lui donner la main pour se relever. Il se leva avec la même grâce et planta la main tendue de l’homme qui se ressaisit aussitôt.

       -          Je veux bien mon fils, mais je n’ai pas le dernier mot. Il se tourna vers le vieil homme et parla en dialecte avant de se retourner vers Sam.

      

       -          Il est d’accord, mais faudra que ce soit en sa présence. Fit l’oncle en désignant le vieil homme sur sa droite.

Je vis mon homme remercier en s’inclinant devant les adultes et revenir vers moi. Il prit ma main qu’il serra fort dans sa paume.

 

*

*  *

Solange

Je vis Sam et Ray, qui venaient vers la voiture, le visage de l’homme n’était pas très agréable, mais je pouvais lire un léger soulagement sur celui de son épouse. Je ne voulu pas crier victoire. Y a cinq jours, que j’embrassais mon homme en lui souhaitant un bon voyage, sans savoir que c’était son tout dernier. Je me souviens qu’il avait tenu mon visage entre ses deux mains et m’avait embrassé, comme jamais il ne l’avait fait.

      -          Je t’aime Solange, je sais que je n’ai pas pu te combler à la mesure de tes mérites, mais sache que je te couvrirai de bonheur. Tout mon or sera pour toi et les garçons, où que j’aille et quoi qu’il advienne.

      -          Je t’aime aussi lui avais je répondu en lui faisant la bise.

      -          Bon faut que j’y aille. N’oublie pas de passer voir les parents de temps à autres et quoique ma mère te dise, ma chérie par égard pour moi, ne lui répond pas. Quant à mes sœurs, laisse-les dans leur ignorance, Dieu se chargera d’elles.

Il m’avait effleuré la joue de ses doigts, avant de tirer son trolley, pour sortir de notre appartement. J’avais regardé l’heure, il sonnait exactement quatre heures en ce matin du Dimanche. Je m’étais occupé du ménage, avant de prendre a douche pour me rendre à l’église.

Depuis trois mois, j’étais en admiration devant mon homme, qui avait totalement changé. Il avait un meilleur emploi et nous avait donné notre chez nous. J’avais à présent du répit, il n’avait plus de sotte d’humeur, il était beaucoup plus présent pour nous. Et moi, de mon côté désormais, je vivais avec cette paix que pouvait me procurer ma maison sans ma belle mère. Je n’avais plus droit aux éclats de rires à des heures tardives ou tôt le matin devant ma porte, ou encore aux insultes insidieuses que pouvaient m’adresser ma belle mère et ses filles.


Hélas tout ceci était sans compter l’acharnement du sort sur ma vie. Je revins à la réalité. Le couple, était près de la voiture, me regardant dans mon évasion. Sam s’était éclairci la voix pour me ramener sur terre.

      -          Tu pourras aller lui faire tes hommages, fit-il ?

      -          Merci beaucoup, que le Seigneur te bénisse ? Ray, je ne sais comment vous remercier pour tout, avais-je dis avant de fondre en sanglots.

Ma gorge était nouée. Les mots ne voulaient point en sortir, ou encore mieux, se voulaient amers dès que j’essayais de les sortir de moi. Ma cousine, me pris le bras pour me réconforter.

      -          On peut y aller ? Je ne vais pas te laisser seule y aller, car le vieux marabout est censé aussi être présent quand tu iras dans la chambre mortuaire. Je ne sais pas de quoi cet homme est capable, mais je préfère me méfier.

      -          Ok je vois, avais je répondu tout en descendant de la voiture.

Je regardai Sam partir. Il nous avait tourné dos, dès qu’il avait fini d’aligner ses inquiétudes. Ray et ma cousine Rokhia, m’aidèrent à arranger la longue tunique noire que je portais. C’était d’ailleurs, une idée de  cette dernière, quant à porter ce costume de scène.

Oui je l’appelle un costume de scène, car m’habiller en tunique noire avec un voile complet  noir, n’avait rien de normal. Et même si je suis en deuil, je suis chrétienne catholique et donc les pratiques intégristes musulmanes, n’auraient rien d’ordinaires dans ma vie. Il s’agissait juste d’une mise en scène, pour que je ne sois pas reconnu de mes beaux parents. D’ailleurs, s’il ne tenait qu’à moi, je me serais mis en valeur, dans une de ses belles robes noires de soirée, que mon chéri aimait tant. Quand j’y pense, cela aurait eu le mérite de lui faire avoir une de ses érections.

      -          Hummm affaires !

Quel triste sort que le mien. J’avançais à présent encadrer par Ray et Rokhia. Elles ne pouvaient pas voir  les larmes qui coulent sur mes joues. Le voile intégral de mon hidjab, ne laissait rien voir de moi. Quand j’étais assise dans la voiture de Sam j’avais enlevé le voile, mais maintenant que je suis en scène, je l’avais remis en place.

Sam nous rejoignit juste devant la chambre mortuaire. Je pouvais voir les regards inquisiteurs des personnes autours de nous. Je compris que le fait que le vieil homme nous accompagne, ne levait pas le mystère que je constituais pour les spectateurs qui étaient là. Je distinguais, à travers le tissu noir, le cercueil qui contenait la dépouille de mon homme. Mes pas s’alourdir de plus en plus. Dans un effroyable effort, je fis deux pas en plus pour pouvoir jeter un dernier regard à mon Jules. Oui mon jules, car même si nous n’avions pas été mariés devant le maire ou le père à l’église, je l’aime.

Mon regard croisé ce visage que je ne pourrai jamais plus oublier. Je me laissai aller sur les genoux. Mes amis essayèrent de me retenir, mais trop tard, j’étais déjà au sol. De mes deux mains, je pouvais m’agripper au cercueil et je n’hésitai point. L’ouverture vitrée du cercueil me permettait de détailler les moindres traits de ce visage, qui y a quelques cent trente cinq heures, était en face du mien.



Je pleurai un bon coup, je hurlai ma peine et mon désarroi. Je ne sais plus en quels termes, mais je le fis. Etais-je soulagée ? Non, mais je devais, dire à ce corps inerte, le mal qu’il m’avait fait en devenant raide ainsi. Je me redressai enfin, cédant aux supplications de ma cousine et de Ray.

Je vis le vieil homme qui  avait accompagné, me regarder bizarrement. Il mit la main dans un seau qui était posé dans un angle de a chambre et se mit à nous asperger du liquide, qu’il contenait. Il se mit alors à dire les panégyriques de Jules en langue Aizo, et invoquer son âme. Je ne pouvais pas déchiffrer la totalité de ses propos, mais il était évident, qu’il invitait l’âme de mon mari à une revanche sur la personne qui était auteure de son décès. Je fis quelques pas en arrière, car à présent le damné faussaire s’était mit à jacasser. Il sautait dans tous les sens et jetait davantage de la décoction sur nous. Il accentua ses simagrées avec des incantations, qui devenaient de plus en plus inaudible.

       -          On y va, avait dit d’un ton autoritaire Sam.

       -         

       -          Oui c’est vrai, Soli, sortons d’ici. Avait enchainé Rokhia.


Je sortais de cette chambre, comme sortant d’un univers pour un autre. Je franchi le pas de la porte, et même si le poids de la tristesse était sur moi, je me disais à mon fort intérieur, que je devais reprendre le contrôle de ma vie. Je ne sais comment, mais je résolu, après ce court instant passé à réaliser combien, j’étais définitivement seule avec mes enfants, qu’il fallait passer à une vitesse supérieure dans ma vie.

Tous mes rêves de jadis se mirent à défiler sous mes yeux. Je sens le sol disparaitre sous mes pieds. Je plane. Je m’envole.

Rayons de soleil