DT - 12

Ecrit par Nobody





Elle tentait de se souvenir de son appartement avant tout ça, avant le kidnapping

Elle voulait craquer, abandonner l’idée de tout réprimer, mais une voix se fit entendre, brisant momentanément le flot de ses pensées. 

Et elle vient de dire quoi, elle ?

– Salut.

Elle aurait voulu l’ignorer, mais une colère sourde monta en elle. Elle se sentit prise d’un besoin viscéral de répondre à cette provocation. Elle se lança sur Ericka, se saisissant violemment de ses cheveux, les serrant dans ses poings comme pour évacuer la rage accumulée au fil des mois.

– "T'es malade ou tu le fais exprès ? Non t'es barge ou c'est comment là ?" 

L'adrénaline battait à ses tempes, elle entendait à peine la tentative d’Ericka de se défendre. Elle sentit la résistance de la jeune femme, mais dans une sorte de furie presque aveugle, elle relâcha son emprise sur sa tête et se recula.

– "J'ai envie de te cracher au visage. Mais tu sais quoi ? Tu vas rentrer dans cette chambre et ramasser tout ce qui t'appartient. Et puis après tu sais ce que tu vas faire ? Tu vas foutre le camp de chez moi. T'as vu tout le bordel que t'as foutu ? Et puis toi, ma sœur, tu espères que je meure. Mais je t'ai fait quoi, bon sang ?"

Les mots claquaient comme des gifles. Elle tremblait de rage, de frustration, d’impuissance. Elle ressentait ce besoin d’évacuer une colère qu’elle ne savait plus gérer.

– "Je te déteste Sarah, je te déteste de toutes mes forces. T'es qu'une salope et j'espère vivement que tu creveras dans ton sommeil." 

Ces paroles étaient sorties avec une telle violence qu’elle se demanda un instant si elle les pensait vraiment. Puis, la porte se referma derrière Ericka, mais pas avant qu’elle ne lui lance un dernier regard empli de mépris.

Elle la suivit, le regard brûlant de dégoût.

– "Si tu viens pas chercher tes affaires maintenant, je les donne toutes aux sans-abris."

– "Fais chier, dégage."

Un dernier coup d'épaule, Ericka s’engouffra à nouveau dans l’appartement. Elle, elle s'arrêta un instant, captée par l'entrebâillement de la porte voisine. Ses voisins, ce couple de quinquagénaires toujours si discrets et adorables, ne manquaient jamais une occasion d’être spectateurs de ses déboires. Leur curiosité était presque une malédiction.

Elle pénétra à son tour dans l’appartement et leva les yeux vers l'homme qui accompagnait sa sœur. Il n'était pas particulièrement beau, mais il dégageait quelque chose d’énigmatique, une sorte de charisme subtil, loin d'être aussi saisissant qu’Ahmed.

– "C’est chaud entre vous, dis-moi."

– "Si seulement tu savais." sa réponse comme un mur de froideur.

Quelques instants plus tard, Ericka réapparut, portant une valise et un sac qu’elle maintenait à bout de bras, l’air tendu.

– "Allons-y."

– "Hop hop, allons où ?"

– "Bah on va chez toi," répondit Ericka, comme si tout était déjà décidé.

Le regard de l'homme s'alluma d'un éclat moqueur, et il leva sa main gauche, dévoilant son annulaire orné d'une bague.

– "Tu as oublié, peut-être ? T'es vraiment drôle, toi."

Un frisson de dégoût la parcourut. Il était marié. Elle ne savait pas pourquoi, mais cette révélation fit naître en elle un sentiment de répulsion encore plus intense à leur égard. Tous les deux l'écœurèrent sur le champ.

– "Foutez le camp de chez moi, foutez le camp. Et toi Ericka, tu as bien une villa, non ? Retournes-y. Et t'as un père, n'est-ce pas ? Cours le voir, t’en as l'habitude."

– "Va en enfer, Sarah."

Et elle partit, sans un regard en arrière.

– "Ce fut un plaisir de t'avoir rencontrée."

– "Dehors," fut la seule réponse qu'elle lui offrit.

Ericka et l'homme sortirent, et elle referma la porte avec un claquement sec, comme pour sceller définitivement ce moment dans son passé.

Elle se dirigea vers sa chambre, le cœur toujours battant, la rage ne s’était pas encore dissipée. Une fois sur son lit, elle s’écroula, incapable de maintenir plus longtemps son calme. Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes. Le sommeil, lourd et insaisissable, la saisit immédiatement.

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- J'ai déjà mangé 

 Elle s'assit sur une banquette en cuir rouge. La reproduction d'un tableau de Matisse surplombait la scène, un détail qui, sans qu’elle ne sache pourquoi, l’agréait. Elle n’était jamais entrée dans ce restaurant, bien qu’elle passât fréquemment devant.

– "Il est dix heures passées, tu n’as vraiment pas faim ?" insista Ahmed, son interlocuteur de ce soir-là.

Elle le regarda, tentant de masquer le tourbillon d'émotions qui encore la secouait.

– "Un peu, c'est vrai." 

Elle se sentait un peu plus sereine, comme si cet instant, cette conversation, représentait une pause dans le chaos de sa vie.

Ahmed était courtois, charmant même, et cette impression se renforça au fil de la soirée. Ils étaient dans un autre monde, à des années-lumière de ses récents tourments. Il semblait si à l’aise, si naturel, dans ce cadre raffiné.

– "Si tu cherches un plat léger, laisse-moi te conseiller la soupe aux groseilles."

– "La soupe aux groseilles ?" 

Elle n'avait jamais entendu parler d'un tel plat. L'idée l’intriguait et la déroutait en même temps.

– "Essaie-la."

Elle acquiesça, curieuse. À cet instant, elle réalisa combien il était facile de se comporter de façon civilisée avec lui, comme si le monde extérieur n'existait plus.

Ahmed commanda des pâtes fraîches printanières pour lui-même. Elle espérait secrètement qu’il ne choisirait pas de viande rouge, qu’elle détestait. Une petite chose, mais qui révélait déjà la manière dont elle observait tout ce qu’il faisait. La complicité naissante entre eux la déstabilisait.

Le sommelier arriva avec une bouteille de vin blanc. L'air s’alourdit de ces non-dits qui, pour une fois, semblaient agréable à supporter.

– "Tu viens souvent ici ?"

Elle s'efforça de détourner la conversation.

– "Oui, j'aime bien la cuisine d’ici," répondit-il en coupant une tranche de baguette, ses doigts longs et fins en évidence.

Elle fixa ces mains, fascinée, et son esprit s’échappa un instant, évoquant cette fois dans l'ascenseur, ce simple contact entre eux. Son cœur se serra, mais elle balaya cette pensée rapidement. Elle secoua lentement la tête, sans même s'en rendre compte, pour chasser ce souvenir. Des sentiments aussi contradictoires l'avaient rarement habités. 

D'une part elle lui en voulait de l'avoir obligée à dîner avec lui mais était aussi secrètement heureuse de lui avoir cédé et d'être maintenant assise en face de lui. Il avait une si belle voix que c'était un pur délice de l'écouter parler. Plus tard, elle pensera à tête reposée, mais pour l'instant, elle goûtait le plaisir d'être en sa compagnie.

Les échanges continuèrent, fluides, presque évidents. Quand leurs genoux se heurtèrent sous la table, Ahmed retira sa jambe d’un mouvement lent. Trop lent, peut-être, mais elle ne parvint pas à interpréter ce geste autrement qu’intime, troublant. Son cœur se mit à battre plus fort, comme une réponse à l’inattendu de cette rencontre.

À un moment, leur conversation dériva sur les cuisines du monde. Ils découvrirent leurs goûts respectifs, le sien pour les mets épicés, pour Ahmed la cuisine provençale, grecque, espagnole.

- Les plats français sont souvent très compliqués pour moi disait t-il mais j'apprécie beaucoup la cuisine provençale. Elle est simple et savoureuse. J'aime la cuisine grecque et espagnole pour la même raison. Mais de près ou de loin la cuisine arabe demeure la meilleure. Et toi? 

 - En général je choisis des restaurants indiens, ou mexicains.. 

 - Tu es attirée par les mets épicés... Cela ne m'étonne pas,avec le caractère que tu as 

 - Je n'ai pas mauvais caractère , si? 

 - Non du tout

Tout en parlant il avait posé sa main sur la sienne. Elle baissa les yeux. En dépit de tous ses efforts, elle ne parvint pas à retirer sa main, qui semblait jointe à celle d'Ahmed par une force magnétique. Elle relèva enfin les yeux vers lui. Elle essayait de rester lucide, mais son coeur,lui,ignorait toute méfiance et palpitait de plus belle. Elle ouvrit la bouche pour répondre quand le serveur arriva avec les hors d'œuvres ce qui obligea Ahmed à lâcher sa main. Le charme venait d'être rompu. 

Elle contempla son bol empli d'un liquide rouge vif,la fameuse soupe aux groseilles. Devant Ahmed trônait un plat de pâtes recouvert d'une sauce à la crème fraiche et à l'oignon, soupoudré de poivre vert 

 - Tu aurais du me commander la même chose que toi.

Elle gouta prudemment une cuillerée de la soupe rouge. Elle était froide, ce qui la surprit, au premier abord, tout autant que le goût. Les yeux mi-clos elle essaya d'identifier les autres ingrédients de ce mystérieux consommé. Elle reconnaissait le goût d'un vin, du Madère, peut-être, et aussi celui d'un autre fruit, dont le nom lui échappait. 

 - Eh bien qu'en pensez-vous jeune dame? demanda Ahmed amusé par mes mimiques 

 - Un autre fruit... Il y a un autre fruit dans cette soupe. Mais lequel ? Il faut absolument que je le sache ! 

 - Personne ne te renseignera ici. Le chef est jaloux de ses secrets. 

- Tu vas m'aider ! Goûtes-en un peu 

Elle prit la cuillère à café devant son assiette et la remplit de soupe avant de se pencher vers Ahmed pour la lui offrir. Le liquide menaçait de déborder et elle glissa elle-même la cuillère entre les lèvres d'Ahmed, comprenant trop tard que ce geste intime risquait d'être mal interprété. Ahmed s'était emparé de son poignet, pour l'empêcher de trembler et il ne la lâcha pas une seconde des yeux.

 'Nous nous conduisons exactement comme un couple d'amants... se dit-elle. Et soudain elle eut le pressentiment qu'ils deviendraient amants, bientôt, peut-être même ce soir... 

 - Ahmed es tu en couple demanda-t-elle à brûle pourpoint

 - Pêche.. dit-il en même temps 

 - Pardon? 

 - Il y a des pêches dans cette soupe, expliqua t-il posément en souriant 

 - Ah.. J'avais déjà oublié notre enquête sur la soupe.. 

Ahmed souriait toujours, comme s'il devinait ses pensées 

 - Non je ne suis pas en couple répondit t-il enfin . Et toi ? 

 - Comment ? tu ne le sais pas? Je croyais que tu t'aurais livré à une véritable enquête sur mon compte 

 - Mes sources d'informations ne sont pas toujours à la hauteur et je n'ai eu que très peu de temps 

Elle goûta une autre cuillerée de soupe, pour se donner du temps. 

- Non je ne le suis pas 

 Ils échangeaient un long regard, lourd de sens. Elle savait qu'elle se trouvait à un carrefour. La décision qu'elle prendrait pourrait changer le cours de la soirée, de la semaine, et peut-être même de toute sa vie. Oserait-elle ? Elle s'était tout bonnement trahie en demandant à Ahmed s'il était engagé ou non. Cela revenait à dire clairement qu'elle était intéressée et envisagerait une aventure avec lui. Ahmed posa sa fourchette sur la table et but une gorgée de vin. Le silence bourdonnait à ses oreilles. 

Elle ne se reconnaissait plus. Un démon la poussait à toutes les audaces. Elle voulut prendre la parole quand la sonnette se mit à résonner. Il y avait des sonneries dans les restaurants ? 

D'un coup, elle redressa vivement. On sonnait à sa porte 

- Dieu! C'était un rêve ! 

Une dangereuse tenta...