ÉPILOGUE

Ecrit par Ornelia de SOUZA

Funkè m'observait la bouche à moitié ouverte et une goutte de larme au bord de l'oeil gauche. Elle était sûrement choquée par ce que je venais de lui raconter. La lueur qui dansait dans ses yeux quelques heures plus tôt à notre rencontre avait disparu. Elle avait perdu sa joie et je la comprenais. N'importe qui perdrait sa joie face à cette histoire. La vie ne nous avait pas épargné, ma mère et moi.


-Je... tentai-je mais ma gorge était noué


Raconter comment j'avais découvert le corps de ma mère n'avait pas été facile. Je me sentais fautive car je n'avais pas secouru ma mère. Je n'avais pas été là pour elle. Je l'avais rejeté pour un pauvre homme qui m'avait au final tout prit.


-Un instant! fit Funkè. Je t'apporte de l'eau. 


La femme forte se leva et s'engouffra dans une chambre me laissant souffler un bon coup. J'en profitai pour observer la pièce dans laquelle je me trouvais. On n'aurait dit que la pièce n'avait pas traversé le temps et était resté bloqué à quelques décennies plus tôt. Les canapés en bois sur lesquelles étaient posés de simple carrés de mousse témoignaient du mode de vie simple de Funkè. Je cherchai du regard mais je ne trouvai aucune télévision. Les cadres sur le mur contenaient de vieilles photos de groupes en blancs et noirs. Je les regardai attentivement dans le but d'identifier quelqu'un mais ni ma mère, ni Funkè n'étaient présentes sur les portraits.

Funkè réapparut les yeux rouges un bol remplie d'eau à la main. Elle avait visiblement pleuré dans la chambre. Je la comprenait. Après tout Funkè avait élevé Inès. Je venais d'annoncer à une mère la mort de son enfant. Funkè s'était sûrement retiré pour pleurer afin d'éviter de m'attrister mais j'avais aussi besoin d'exprimer et de partager mes émotions.

Je pris le bol d'eau et j'y trempai ma bouche pendant quelques secondes. Je n'avais le cœur à rien, même pas à boire de l'eau.


-Alors? Raconte moi ma fille! Que s'est-il passé ensuite ?

-Je n'avais plus rien. Je n'avais personne et j'étais désespérée mais je n'étais plus naïve. Comme on dit, les épreuves de la vie vous endurcissent. Je n'avais plus le droit à l'erreur. Rachel et sa mère ont été là pour moi. Elles m'ont hébergés pendant quelques jours et elles se sont occupées de tout en ce qui concerne l'enterrement de maman. Je n'avais pas un franc sur moi alors elles ont tout payé. J'aurais aimé ramener le corps de maman ici mais comme je l'ai dit, je n'en avais pas les moyens. 

-Ce n'est point grave ma fille! murmura Funkè. Je ferai le voyage. J'irai sur la tombe de ma fille pour lui rendre hommage. 

-Très bien...


La suite de l'histoire était très difficile pour moi. Rien qu'à y penser je ne pouvais plus tenir. J'avais besoin de m'allonger, besoin de dormir, besoin de mourir. J'étais fatiguée.


-Tu te sens bien? me demanda Funkè face à la pâleur de mon visage. Tu as faim? Tu es sûrement fatiguée !

-Oui, je suis épuisée mais il faut que je trouve la force maintenant sinon après je ne pourrai plus me confier à toi.

-Bien alors je t'écoute ma Safi

-Après... Après l'enterrement de maman, Rachel et sa mère m'ont conduit chez ma supposée belle-famille pour que je puisse récupérer les enfants. Nous avons frappé longtemps au portail et personne ne nous a ouvert. On a attendu près de deux heures parce que j'espérais que quelqu'un sorte de cette maison maudite et c'est ce qui s'est passé. Une domestique est sortit. Celle qui m'avait envoyé vers Oumar. Je lui ai posé des questions et elle m'a dit... Elle m'a dit...


Ma gorge s'était de nouveau noué. Cette fois-ci je ne pus retenir mes larmes. J'hurlai un bon coup espérant libérer cette douleur qui oppressait mon cœur. Rien n'y fit. Funkè me prit par la main en signe de solidarité. Je le voyais qu'elle aussi avait du mal à tenir mais qu'elle se constituait une figure forte pour m'aider à tenir. De la main droite, je nettoyai les larmes qui s'étaient déposés sur mes joues. Je reniflai un coup et je me redressai dans mon siège.


-Cette domestique; continuai-je; m'a dit que Dine etait parti en voyage et qu'il n'y était pas allé seul. Il était parti avec Candie et avec mes enfants. Elle m'a aussi dit que de ce qu'elle en avait entendu, ils allaient s'installer là bas. Bien entendue, je ne l'ai pas cru. Elle m'avait déjà leurré une fois et je n'allais pas lui permettre de le faire une seconde fois. Nous l'avons menacé et nous l'avons obligé à nous faire rentrer dans la maison. Maman Dine était là. Elle nous a rit au nez. Au départ elle ne voulait pas nous répondre mais finalement elle a confirmé ce que nous avait dit la domestique. Je ne pouvais les croire aussi aisément alors j'ai fouillé et refouillé chaque pièce de cette satané maison. Ni Dine, ni les enfants n'étaient présents. Ni eux, ni leurs affaires... J'ai cru devenir folle mais ils étaient effectivement partis. Dine m'a prit mes enfants.

-Ce n'est pas normal; s'insurgea Funkè. Il y a forcément un recours. Quelque chose à faire pour récupérer tes enfants. Ils ne peuvent pas abuser de toi de cette manière.

-Nous sommes directement allé voir la police mais ce fut une grosse déception. Ils ne pouvaient rien pour moi. Ils m'ont conseillé d'instruire l'affaire en justice. Ils m'ont dit que si je voulais récupérer mes enfants, il me fallait du temps et beaucoup de moyens. Deux choses que je n'avais pas.


Funkè m'observait les yeux ronds de rage. Elle était une mère et je ne doutais pas du fait qu'elle percevait ma détresse à travers mes récits. 


-Funkè, je n'avais plus rien. Je n'avais personne. Rachel et ses parents ne pouvaient m'entretenir longtemps. Alors je me suis rappelé de ma famille, de la famille de ma mère. Je n'avais d'autres choix que de revenir ici parce qu'en ville, je n'avais plus rien. 

-Tu as bien fait parce qu'ici tu auras toujours du soutien. Je n'arrive pas à croire tout ce par quoi ma fille et ma petite-fille sont passé. J'en suis choquée. Vous auriez dû rentrer plus tôt Inès et toi. Peut-être serait-elle encore en vie...


Son ton était amère et plein de regrets. La Safi d'autrefois aurait choisi un coupable à cette situation. La Safi d'autrefois aurait accusé Funkè d'avoir envoyé sa mère en ville mais je n'étais plus la Safi d'avant. Dorénavant je savais que chacun est responsable de sa destinée. Je savais que si j'avais fait d'autres choix, tout se serait passé autrement. Si j'avais fait d'autres choix, ma mère ne serait pas morte et mes enfants seraient toujours avec moi.


-J'ai aussi beaucoup de regrets ; fis-je. Maintenant j'ai du mal à dormir parce que je me sens coupable de beaucoup de choses. Oumar qui a été emprisonné par ma faute. Maman, qui est morte... J'ai entraîné d'autres personnes dans ma bêtise. Ils ont payé pour moi.

-Non,surtout pas! dit Funkè


Cette femme était magnifique. Elle était à la fois aussi forte qu'un rocher et aussi douce qu'une plume. Je devais en prendre de la graine. Moi j'étais si jeune mais j'avais déjà tout raté. 

Je me sentais de plus en plus mal. Mon ventre était vide mais je n'étais pas d'humeur à manger. J'avais aussi besoin de sommeil. Je confiai cela à Funkè qui me conseilla d'aller dormir car le sommeil me mettrait dans de meilleures dispositions. Elle me prépara son lit sur lequel je m'allongeai avec soulagement. J'avais besoin de repos et à mon réveil, la vie reprendrait son cours.


Cris de femmes