Episode 23
Ecrit par Annabelle Sara
Dans le taxi qui me déposait devant l’immeuble où vivait Gérôme, je repensais encore à ma petite sœur, je n’aimais pas trop penser à Diane comme cela, mais elle reste la seule fille de mon père avec qui les choses étaient différentes.
Je me demandais pourquoi elle acceptait de vivre ce qu’elle vivait après tout ce que nous avons traversé dans l’enfance. Mais en réalité ce n’est pas mon problème je n’ai pas encore finis de gérer mon lot de problème je ne vais pas rajouter ceux des autres.
Gérôme n’avait pas déménagé, il occupait encore cet appart que je connaissais bien et dans lequel nous avions partagé beaucoup de chose, des bonnes et des mauvaises.
J’ai frappé à la porte et après un certain moment il est venu ouvrir. J’ai pris peur en le voyant, il était méconnaissable, on aurait dit un zombie.
Gérôme ne tenait pas debout, il s’accrochait à la porte pour ne pas chanceler contre le sol, il était pâle et en même temps il était trempé de sueur.
Je ne comprenais pas ce qui lui arrivait mais depuis un certain temps je l’avais trouvé mal en forme.
Moi : Gérôme qu’est-ce…
Gérôme : Salut ma belle !
Avec rapidité je l’ai rattrapé avant qu’il ne s’écroule contre le sol, il était bien plus léger que dans mon souvenir, c’est vrai il a considérablement maigri ces derniers temps.
Gérôme : Il faut juste que je m’allonge ça va aller…
Moi : Qu’est-ce que tu as ?
Il ne répondit pas mais me poussa à le guider vers sa chambre où il se laissa tomber dans son lit. Sa chambre était dans un état pitoyable, un désordre monstre, lui qui était toujours carré.
Parfois on se prenait la tête à cause de son côté maniaque lorsqu’il s’agit de la propreté et du rangement. Il y avait des chaussettes, des sous-vêtements qui trainaient un peu partout dans la pièce, je n’en revenais pas. Que ce passe-t-il avec ce gars ?
Moi : Gérôme qu’est-ce qui t'arrive ? C’est quoi ce bordel ?
Gérôme : Je n’ai pas de femme de ménage encore moins de femme pour s’occuper de ça…
Moi : Tu n’as jamais eu besoin d’une femme pour ranger et laver tes affaires !
J’ai fait un tour du regard et un tas de boite de médicament attira mon attention, alors je suis allée vers la table de sa chambre pour voir de quoi il s’agissait. En prenant une boite, les noms des médicaments ne me disaient rien mais ce qui attira mon attention, c’est que c’était beaucoup plus des antalgique et des antidépresseurs.
Qu’est-ce que ce gars avait qui nécessitait autant de produits pharmaceutiques contre la douleur et la dépression ? Je me suis alors vivement retourné vers lui, il s’était recouvert du drap qui trainait sur son lit.
Moi : Gérôme c’est quoi ces produits ?
Gérôme : Je te rassure ce ne sont pas des antirétroviraux !
Il rigole en plus !
Moi : Je suis sérieuse… dis-moi ce qui se passe ! Tu tiens à peine debout et tu avales une tonne d’antalgique, pourquoi ?
Il m’observait mais ses paupières étaient bien trop lourdes pour qu’il les garde ouvertes.
Moi : Gérôme !
Gérôme : Je… J’ai bes… soin de dormir… Un peu ! Ça ne te dérange pas si je te réponds quand je me réveille ?
Il est sérieux là ? Oui il était sérieux et visiblement trop fatigué pour me répondre. Il a sombré dans un sommeil profond en moins de deux secondes. J’étais perdue, il m’a fait venir pour me parler, mais il n’avait pas assez de force pour qu’on puisse discuter alors j’ai décidé de faire quelque chose par rapport à cet appartement dans ce piteux état.
Alors je me suis lancée dans le ménage. En commençant par sa chambre en séparant le sale du propre, j’ai légèrement poussé les vitres coulissantes pour que de l’air frais rentre dans la pièce, une fois la chambre présentable, direction la cuisine où il fallait faire la vaisselle, le récurage, le nettoyage de la pièce et du frigo.
Je ne comprenais pas comment Gérôme pouvait supporter cette puanteur dans sa maison. J’ai attrapé un balai et un bout de tissu pour faire le ménage et la poussière, et je me suis mise à ranger la paperasse dans son salon. Je ne fouillais pas mais quelque chose attira mon regard. Vu la quantité de papier d’examen dans ce carnet cela devait être son carnet de visite, je n’ai pas hésité, j’ai ouvert.
Ce carnet était vieux, il datait d’il y a deux ans, et au départ en le lisant je n’ai rien compris à ce qui était écrit, mais en tournant les pages, en lisant les résultats de ses examens et le nom du spécialiste qui le suivait, l’horrible réalité se fraya un chemin dans mon esprit. Mais jambes m’ont lâché et je me suis retrouvée à genou sur le sol, les larmes sont montées à mes yeux en deux secondes.
Je ne pouvais pas continuer à lire ce que je voyais ! Je pleurais à chaude larme, et j’ai pensé : Non pas encore ! Je ne pouvais plus passer par ce sentiment de perte.
Ce sentiment de désespoir et d’impuissance face à la réalité qui vous compresse comme une orange pourrie. Je ne m’en suis pas rendue compte mais je pleurais à chaude larme et à haute voix, quand j’entendis sa voix.
Gérôme : Kiki ?
Sa voix était faible mais je l’ai tout de même entendu.
Seigneur ! Je ne peux pas aller pleurer devant lui, comment vais-je faire pour ne pas pleurer devant lui ?
Gérôme : Kiki… Tu es là ?
Moi : Oui !
J’ai masqué un sanglot, rapidement je me suis nettoyée les yeux et le visage. Mon maquillage allait trahir ce qui venait de se passer, il fallait que je l’enlève.
Moi : Oui je fais un tour aux toilettes j’arrive !
Gérôme : Hum Ok !
Dans sa salle de bain, je me suis regardée dans la glace. Vraiment je suis pathétique ! Je m’étonne de n’avoir rien vu alors que depuis le début c’est clair comme l’eau de roche ? Mais à cause de mon égoïsme et ma tendance à me prendre pour le centre du monde je n’avais pas vu que seul gars qui m’ait traité dans ma vie comme une reine était mourant !
Gérôme est mourant !
Cette seule idée me fit une fois de plus éclater en sanglot.
Moi : Comment j’ai fait pour ne pas voir ça il y a deux ans ?
Gérôme : Kiki tu pleures ?
Moi : Non, j’ai juste besoin de me rafraichir le visage… Je déteste porter du maquillage, ça me démange…
Gérôme : Tu peux venir ?
Moi : Oui, oui j’arrive !
J’ai vite nettoyé mon visage avec une lingette que j’ai trouvée dans le placard de la salle de bain. Et je suis sortie pour le rejoindre. Il avait réussi à se redresser sur le lit et s’était adossé contre la tête de lit.
Moi : Hey tu t’es relevé ?
Gérôme : Oui ça va mieux, j’avais juste besoin d’un petit somme !
Il me fit un sourire pendant que je m’asseyais près de lui dans le lit.
Moi : Effectivement tu es moins pâle !
Gérôme : Tu peux me passer la bouteille d’eau dans ton dos ? Je me suis exécutée et je l’ai regardé vider une bouteille de Supermont en quelques gorgées.
Gérôme : J’avais très soif !
Moi : Je vois ça !
Gérôme : Moi je vois que tu as pleuré !
J’ai détourné le regard, ce qui me traversait l’esprit en ce moment n’était pas très joyeux.
Moi : Tu ne m’as rien dit !
Il me sourit !
Gérôme : C’est pour ça que tu pleures ?
Moi : Entre autre !
Gérôme : Chérie je ne pouvais pas te parler de ma maladie, je ne voulais pas que tu te sentes obligée de rester à mes côtés à cause de ça !
Moi : Et pourtant tu avais besoin de quelqu’un pour te soutenir… J’aurais aimé être là quel que soit ce que cela devait comporter…
Gérôme : Tu étais amoureuse, tu méritais d’être heureuse… Je n’allais pas te priver de cela pour moi !
Moi : Tu le méritais !
Il secoua la tête, les larmes ne cessaient de se bousculer sur mes yeux. Je comprenais qu’il n’ait pas voulu s’imposer dans ma vie, mais s’il avait eu une autre femme dans sa vie pour prendre soin de lui oui. Orphelin, sans femme ni enfant et il serait mort seul si je n’étais pas tombé sur lui il y a quelques mois ?
Moi : Dis-moi ce que tu aurais dû me dire il y a deux ans !
Gérôme : J’ai un cancer de la prostate…
J’ai sombré dans les pleurs !
Gérôme : Mon cas est très précoce donc les médecins avaient eux même été surpris ! Il y a deux ans lorsqu’on me diagnostiquait la maladie, j’ai voulu t’en parler mais… Fabrice était de retour dans ta vie ! Et tu m’avais sincèrement fait comprendre que tu l’aimais et que c’est avec lui que tu voulais être… Je ne pouvais pas mettre ton bonheur sur la balance avec ma maladie…
Il ne m’avait pas parlé parce qu’il savait que j’aurais choisi de rester à ses côtés même s’il n’y avait plus rien entre nous.
Gérôme : J’avais à la fois cette douleur au cœur mais aussi ce monstre qui me rongeait de l’intérieur alors je me suis battu de toutes mes forces ! Tu me connais, je n’abandonne pas avant de m’être battu…
Il parlait de la fois où il avait accepté de me garder sachant que je lui avais été infidèle.
Moi : Je sais !
Gérôme : Je me suis battu ma belle ! Il y a un an les médecins ont dit que j’étais en rémission. J’allais mieux, du moins c’est ce que je me suis dit mais en fait, la maladie est passée en mode silencieux… Le jour où Nyango a fait sa crise publique, je ne sais pas j’avais ressenti une faiblesse caractéristique… Alors je suis allé voir mon doc… Deux jours plus tard le verdict est tombé, la maladie est de retour et cette fois-ci avec des métastases…
Moi : Seigneur ! Pourquoi mon Dieu !
Je ne supportais pas cela, je me suis levée du lit pour ne plus lui faire face. Je me souviens que je l’avais croisé à l’hôpital Jamot, il avait d’ailleurs pris ma défense devant Fabrice ce jour-là Je me rappelle m’être demandé ce qu’il faisait là !
Gérôme : Je n’en peux plus ma belle, cette fois mon corps tombe en morceau ! Les séances de chimio me tuent même encore plus vite que la maladie… Je n’en peux plus ! Je suis à bout de force…
Je pleurais en l’écoutant.
Moi : Il n’y a vraiment aucune chance ? Rien de nouveau à faire ? Il se mit à rire.
Gérôme : Nous sommes au Cameroun pas en Suisse où il y a des traitements expérimentaux…
Moi : Tu as les moyens de voyager pour te faire soigner non ?
Gérôme : Pourquoi ? Devenir le cobaye d’une firme pharmaceutique ou d’un chercheur ? Non merci ! J’ai accepté mon sort !
Moi : Moi je n’y arrive pas… Je n’y arriverais pas mon Dieu ! Taata Bell koo tchay bisi ! (Seigneur ne nous abandonnes pas !)
Gérôme : J’ai pourtant besoin que tu sois forte ! Que tu gardes la tête haute… Et surtout que tu m’accordes une doléance !
Je ne sais pas ce qu’il voulait me demander mais j’étais prête à faire n’importe quoi pour lui !
Gérôme : L’autre jour quand je t’ai vu avec Loïc dans tes bras c’est devenu une évidence pour moi… Je n’ai personne ! Pas de femme, pas d’enfant, pas de proche famille…
Je ne voyais pas trop où il voulait en venir.
Gérôme : Pourtant j’ai des biens !
Ça je ne savais pas !
Gérôme : J’ai acheté un morceau de terre et même construit… Du moins ma maison est en cours de finition ! Quand je vais m’en aller il n’y aura personne pour y vivre, pour profiter de tout cela…
Moi : Ne dis pas ça…
Gérôme : Non c’est vrai j’aurais fait tout cela pour rien… Et ma pension ! Kiki ça fait 19 ans que je sers mon pays, j’ai trimé dure et j’ai attendu mon tour longtemps, il est hors de question que le système engouffre ma pension de cette façon !
Moi : Mais qu’est-ce que tu veux y faire ?
Ça me faisait mal d’accepter le fait qu’il n’en avait plus pour longtemps de cette façon.
Gérôme : Je veux reconnaitre Loïc comme mon fils…
Subitement, mon cœur fit un raté provoquant plus de larmes, j’avais besoin de m’asseoir.
Gérôme : Ne pleures pas ! S’il te plait ne pleure pas ! C’est un vœu que je te demande… Ce serait le plus beau cadeau que tu pourrais m’offrir si tu acceptais ! Un fils qui même s’il ne porte pas mon nom, portera mon héritage, il sera la preuve que j’ai fait quelque chose avant de partir…
Moi : Non, ne dis pas ça… Tu ne te rends pas compte que c’est toi qui lui fais le plus beau des cadeaux ? Il aura un père… Grâce à toi… À travers toi… Il aura un père !
Je ne pouvais plus supporter autant d’émotion, il venait de faire plus qu’un don de bien à mon fils, une image paternelle à laquelle se rattacher. Dieu sait à quel point ça me touchait qu’il me propose cela pour Loïc. Cet enfant était définitivement en sécurité.
Moi : Il portera ton nom, je sais que la Doc n’a pas encore déposé les documents à la mairie je vais lui dire de rajouter ton nom à celui de Loïc…
Gérôme : Viens là ! Ne pleure pas je suis encore là ! Je tiens de moins en moins debout mais je suis encore là…
Moi : Seigneur ! Tout est grâce en ton nom…