Épisode 3

Ecrit par Mona Lys

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JAYDEN OULAÏ


– Nous avons terminé, Jay. Tout s’est bien passé.


Je me masse le visage en poussant un soupir de soulagement.


– Merci tonton. Je peux la voir ?

– Oui, viens.


Je le suis jusque dans la chambre de la jeune fille. Elle est encore endormie. Je me rapproche de son lit sans quitter son petit visage innocent des yeux. Tout comme à son départ pour la salle d’opération, je lui caresse la main.


– Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Demandé-je à mon oncle.

– Nous allons attendre qu'elle se rétablisse pour refaire d’autres examens. Avant de procéder à l’opération de ses yeux, nous allons la suivre quelques temps parce qu’il n’y a pas que ses yeux qui soient touchés. La réussite de son opération dépendra en quelque sorte de ce suivi. Si tout se passe bien l’opération n’aura aucun souci. Dans le cas contraire, je crains qu’on ne puisse rien.


Je la regarde, un pincement au cœur. Et dire que je croyais que tout serait simple.


– Fais donc ce qui est en ton pouvoir.

– Aussi il faudrait l’en tenir informée.

– Tu t’en chargeras à son réveil.

– Ok fiston. Je vais maintenant la réveiller.

– Je pars donc.


Je prends la direction de la sortie lorsque je rencontre tante Mimi qui revient de l’appartement avec de la nourriture pour elle.


– Elle est déjà sortie ? S’inquiète-t-elle.

– Oui. Tonton était sur le point de la réveiller lorsque je sortais de sa chambre.

– Ok.


Je sors de la clinique et à bord de ma voiture, prends le chemin du centre de Tennis. Je dois être présent à chaque étape de cette mission que je me suis donné il y a deux ans. Je n’arrive plus à penser à quoi que ce soit d'autre si ce n'est ça. Je veux en finir pour retrouver une vie normale. Elle n’a pas mérité une telle vie. Si jeune et être empêché de profiter pleinement de sa vie à cause d'un malheureux accident qui n'aurait jamais dû avoir lieu.


J'arrive au centre de Tennis privé où mon cousin a déjà entamé une compétition. Je prends place autour de notre table habituelle en fixant bien mes lunettes de soleil sur mes yeux. Une serveuse m'apporte un verre de jus. Patrick ne met pas du temps à me rejoindre.


– Alors tu ne joues pas aujourd’hui ?

– Non, répondé-je en manipulant mon portable.

– Tu vas me dire maintenant ce qui te préoccupe ces jours-ci ?


Je pose mon portable sur la table et regarde mon cousin derrière mes lunettes de soleils.


– Je l'ai retrouvé.

‒ Qui ?

– La fille.

– Quelle fille ?

– De l’accident.

– Mais ça fait plus d'un an que tu l'as retrouvé.

– Je veux dire que je l'ai prise avec moi. Je l’ai ramenée à mon appartement privé et tante Mimi s’occupe d'elle. Tonton l'a opérée ce matin.

– Woh stop. Le plan ce n’était pas qu'elle vive près de nous. Tu devais donner l'argent nécessaire à sa famille pour la faire opérer et disparaître.


Je reprends mon portable que je recommence à manipuler.


– Le plan n'a pas changé. Enfin juste une infime partie.


Je lâche un soupir.


– Le jour où je devais me rendre chez sa tante, j'ai entendu des gens dire que la famille l’avait abandonnée pour se prendre une autre maison. J'ai donc pris une partie de l'argent pour lui acheter un appartement, qui subit des modifications en ce moment, pour au moins la mettre à l’abri plus tard et quand je suis retourné la voir, j'ai surpris un jeune qui essayait de la violer. Je lui ai pété la gueule et je l'ai récupérée elle. J'ai pas trouvé meilleure personne pour s’occuper d'elle que tante Mimi. En plus c’était précipité. Pas le temps de chercher une domestique.

– Et c'est quoi la suite ?

– On lui opère les yeux et je disparais.

‒ Pamela le sait ?

‒ Je ne lui ai encore rien dit. Bref, tu es là pour combien de temps ?

– Je repars dans deux jours. As-tu jeté un coup d'œil aux dossiers que je t'ai apporté ?


Je lance subtilement un gros mot.


– Écoute Jay, je comprends que tu veuilles bien faire les choses mais tu ne peux négliger notre boite. Elle est nouvelle et il nous faut de la concentration pour la faire grandir. De nous deux c'est toi le cerveau. Moi je ne suis bon qu’à gérer l’argent.

– Désolé. Je m'y mets dès que je rentre.


Il prend une gorgée de son jus.


– Ton père m’a appelé.

– Ne reviens pas sur le sujet, dis-je d'un ton ferme et sans appel.


Il termine sa boisson sans insister. Je reste juste une trentaine de minutes avec lui à parler boulot. Je me rends à mon entreprise personnelle répondre à mes rendez-vous. Je dois aussi me concentrer sur notre nouvelle boite à moi et mon cousin qui est en ce moment en stand-bye. J'ai tout plaqué en France pour revenir m'installer momentanément ici en Côte d'Ivoire. Je vis en France depuis mes 15 ans, puis une fois mes diplômes amassés, je suis revenu au pays ouvrir ma boite. Je me suis fait une renommée et mes affaires ont bien grandi. Seulement, après le décès de ma mère, je suis retourné m’installer en France parce qu’il m’était difficile de rester ici sans elle. Elle était ma raison de vivre. Je revenais cependant de temps en temps voir mon père. C’est ainsi qu’un jour, tout a basculé.


A 19h, je rentre chez moi. J’entends depuis le pas de la porte Pamela discuter au téléphone avec ses copines. Quand elle m’aperçoit, elle vient m’embrasser en raccrochant.


– Coucou toi.

– Salut, dis-je en me massant les tempes.

– Tu as l'air épuisé.

– Un peu oui.


Je monte dans notre chambre prendre une douche avant de redescendre. Je m’enferme dans mon bureau à travailler. C’est tout ce que j’arrive à faire naturellement chez moi. Le reste, je fais juste des efforts. Je suis marié depuis deux ans mais entre ma femme et moi il n’y a pas vraiment de complicité. Elle fait de son mieux pour nous rapprocher, je fais aussi des efforts, mais les choses ne se font pas naturellement. Disons que nous n’avons pas grand-chose en commun. Chacun son truc.


Le diner prêt, je la rejoins à table. Elle passe le temps à me raconter sa journée. Je réponds de temps en temps par des monosyllabes pour lui donner l’impression d’être intéressé. Mon esprit est pourtant préoccupé par cette jeune fille. Je n’avais pas prévu l’intégrer dans ma vie, dans mon intimité. Ce qui était prévu était que je donne de l’argent, assez d’argent à sa famille pour son opération et ce qui resterait pour lui permettre de refaire sa vie. Mais voici qu’elle vit dans mon appartement où ma propre femme n’a jamais eu accès. Elle sait qu’il existe mais n’y a jamais mis les pieds parce qu’elle sait pertinemment que c’est mon antre quand j’ai besoin de recul. Il faut que prennent fin au plus vite ses soins pour que je retourne en France avec ma femme qui ne connait pas les réelles raisons de notre réinstallation périodique ici.


‒ Chéri tu m’écoute ?

‒ Oui !

‒ Que t’arrive-t-il bébé ? Tu me semble préoccupé ces dernières semaines.

‒ C’est le boulot. Rien de bien grave, ne t’inquiète pas.


Je pose mes couverts.


‒ Merci pour le diner. Il était parfait comme d’habitude.

‒ Je l’ai fait avec amour.


Je lui pose un baiser sur les lèvres puis monte en chambre. Elle ne sait pas que je sais qu’elle ne sait pas cuisiner. Les plats sont soit commandés des restaurants, soit cuisinés par notre domestique qui normalement est là pour le ménage uniquement. Mais je ne vais pas me plaindre. Tant que ça lui fait plaisir de le croire, ça me va.


Commençant à somnoler, je sens des caresses sur mon corps. Pas besoin d’ouvrir les yeux. Je la laisse simplement faire. Les minutes qui suivent je rempli mon devoir conjugal. Nous tombons tous deux repus sur le lit.


– Je t'aime tellement Jay.

– Je sais.


Je porte sa main à ma bouche et y pose un baiser. Elle sourit. Je fais ce qu’il faut pour être un bon mari. Même si je suis beaucoup absent dernièrement.


Je tourne la tête vers mon portable qui s'est mis à sonner sur ma table de nuit.


– Bonsoir tata.

– « Jay il y a eu un problème. »

– Lequel ? Je demande en me levant brusquement.

– « Il y a des gens qui se sont introduits dans l’appartement avec la complicité du concierge. »

– Donne-moi un instant. Ne raccroche pas.


Je pose le portable sur le lit et avec empressement enfile un tee-shirt et un pantalon.


– Où vas-tu ?

– J'ai une urgence. Je te tiens informé.


Je reprends mon portable en courant vers la sortie. Je récupère mes clés sur une table près de la porte principale et je cours dehors.


– Comment allez-vous ? Et la fille ? Je pose la question à tante Mimi au téléphone.

– « Les bruits l’avaient réveillée mais elle s’est rendormie à cause des médicaments. »

– Je suis déjà en route. Je serais là dans moins de 30 minutes.


Une vingtaine de minutes plus tard je gare devant l’immeuble où sont garées des voitures de police. Je monte dans l’ascenseur direction le dernier étage. Je tombe nez à nez avec tante Mimi qui m'attendais devant la porte.


– Qu’est-ce qui s'est passé ?

– Le concierge a comploté avec trois jeunes pour dévaliser certains appartements, ici y compris. Je les ai surpris et ils ont essayé de me brutaliser mais la sirène d’urgence a retenti et ils ont pris la fuite en brisant un vase au passage, ce qui a réveillé la fille. 

– Tu n’as rien rassure-moi ?

– Non ça va.


Je prends la direction de sa chambre située en bas. J’ai préféré l’installer en dessous parce qu’avec les escaliers ce n’est pas évident qu’elle s’en sorte. J’exerce une légère pression sur le poignet de la porte qui s’ouvre silencieusement. Elle est paisiblement endormie dans son lit. Je n’ai pas voulu qu’elle reste à la clinique après son opération à la tête. Ici elle se sentira beaucoup mieux. D’une démarche sourde, je me rapproche et arrange le drap sur elle. Elle bouge. Ses cheveux tombent légèrement sur son visage. Je range la mèche derrière son oreille. Quand elle bouge les yeux essayant de les ouvrir, je sors à la hâte. Je retourne près de ma tante dans le salon.


– Je vais y aller.

‒ Elle ne cesse de te demander. Elle veut savoir qui est son bienfaiteur.

‒ Mieux vaut qu’elle ne le sache jamais.

‒ Tu ne vas donc jamais lui parler ?

‒ C’est ce qui est prévu.

‒ Tu sais, elle ne peut te voir.

‒ Je sais. Le mieux c’est que je reste dans l’ombre.

‒ Ok. Je passe le bonsoir à Pamela. Enfin, si elle sait pour tout ceci.

‒ Elle n’en sait rien. Tu sais déjà ce qu’elle en pense. C’est juste un truc d’un mois, deux maxi donc je peux gérer sans que cela ne vire au drame. Passe une bonne nuit. Je vais exiger plus de sécurité pour vous.

‒ C’est compris.


J’arrive chez moi épuisé et les paupières lourdes. J’ai besoin de sommeil. Pensant trouver ma femme endormie, je la retrouve plutôt assise sur le lit le portable vicé à l’oreille. Elle raccroche en pouffant de soulagement.


‒ Mon Dieu Jay où étais-tu ? Tu as filé sans rien me dire. J’ai même cru que c’était ton père qui avait fait un malaise mais il m’a rassuré qu’il ne t’avait pas appelé.

‒ Tu as appelé mon père ? Demandé-je en me déshabillant.

‒ Oui, pour…

‒ Combien de fois devrons-nous en parler Pamela ?

‒ Mais je…

‒ Même si cet homme mourrait aujourd’hui je n’assisterais pas à ses obsèques.

‒ Il s’agit de ton père.


Je serre les dents pour me donner contenances. Je préfère clore cette discussion. Je glisse sous les draps en éteignant ma veilleuse.


‒ Bébé il faut que vous arrangiez les choses. Ton père se fait vieux. Il a aussi une santé fragile.


Je me lève du lit en soulevant mon coussin.


‒ Ok ça va je ne dis plus rien.


Je me recouche, elle aussi. Elle éteint sa veilleuse et enfin je peux dormir. Cette femme m’exaspère à vouloir à tout prix me réconcilier avec mon père. Cet homme est mort pour moi. Mort et enterré. 


Plus qu'un regard