Face au drame

Ecrit par Rre Byzza

Ce cauchemar, je devrais en sortir, il faut que je me réveille! Mactar? Sur ma sœur? Non, le monde ne peut pas me tomber sur la tête ainsi, non ! Comment cela a-t-il pu être possible? Ai-je manqué de vigilance? Mais que dis je? Je parle de mon Mactar à moi, il ne ferait de mal à une mouche et surtout pas à ma soeur.

Dans le taxi qui la ramenait chez elle, Astou fiévreusement se démenait dans son monologue intérieur, les yeux hagards, elle se sentait comme sur des sables mouvants qui l'assaillait et tentaient de l'absorber. Étrangère à tout ce monde qui bouillonnait  autour d'elle. Ces routes sinueux que le taximan prenait, ces enfants qui couraient à travers la route insouciants du danger permanent, ces adultes absorbés par le vécu quotidien qui s'en souciaient guère non plus. Surtout, Astou ne voyait pas le regard inquisiteur du taximan qui ne la quittait pas des yeux sur le rétroviseur, sans doute inquiété par les gestuelles anachroniques de la dame qu'il convoyait, son regard insensé et absent, mais aussi son ventre aussi rond qu'une planète. 

Devant l'absurdité du destin quand elle nous assaille, les hommes s'en remettent toujours à Dieu, Astou serra les doigts entrecroisés de ses deux mains si fort, l'esprit tourné vers l'immensité des limbes, seul endroit susceptible de contenir toute la foi du monde. Elle pria, elle pria intensément pour être réveillé de ce cauchemar, qu'en ouvrant les yeux, elle se retrouve sur son lit avec son mari la regardant comme il a l'habitude de le faire quand elle dort ou qu'elle le prétend. Ce doux regard qu'il lui imposait à tout moment comme pour lui dire que tout va bien, cet antalgique naturelle qui la mettait dans un cocon de sécurité. 

Elle se remémora les remarques de ses collègues de bureau, acerbes, presque jalouse de son bonheur. "Tous les hommes sont pareils", "le pire se produit toujours quand la femme tombe enceinte, ils chercheront toujours un jouet à côté pour satisfaire leur libido". Elle savait, elle sentait au fond d'elle même que son homme était différent des autres, lui si prévenant, lui si attentionné, lui si amoureux mais surtout lui si pieux! Elle eut peur soudain quand elle se rendit compte qu'elle parlait de son mari, son Mactar à la troisièmes personne, cette réaction de défense naturelle qui voulait la préparer à l'inimaginable. Terrible et consternant.

La colère prit le dessus sur la tristesse qu'elle ressentait. Comment cela a-t-il pu arriver ? Son Mactar à lui ? Lui si pondéré, si calme, si sage ! Décidément un homme reste toujours un homme, il n’ya point de religion entre le nombril et les jambes. Je lui ai tout donné, ma jeunesse, ma virginité, ma vie, ma confiance, cela ne suffisait pas, il lui fallait le sang de ma sœur aussi !

Le taxi tournait enfin la ruelle qui faisait face à sa demeure, Astou, le coeur serré manqua de se laisser choir sur la banquette, toute cette foule devant chez elle, ces yeux qui n'attendait qu'elle pour voir comment elle réagirait. Le taxi se gara, elle en sortit sans payer, s'avança vers la foule. Le taximan eut un pincement de coeur, il ne savait pas ce qui arrivait à la dame, mais vu toute cette foule, cela ne devrait être qu'un drame. Il se retint d'ouvrir sa potière pour lui rappeler de payer, on retrouve toujours devant la détresse humaine notre humanité presque intacte. Il fit machine arrière et reprit sa journée.

Astou, stoïque se fraya un chemin vers sa maison, entourée par les badauds. Le silence s’imposa net, comme dans une classe qui attendait sa « maîtresse », le quartier entier retint son souffle. Comment va-t-elle réagir ? Tiendra-t-elle le coup ?

Les gens vous côtoient tout le temps, ils rentrent dans votre maison, uniquement pour voir ce que vous avez ou ce que vous n’avez pas, et quand le malheur frappe à votre porte ils sont aux premières loges pour se délecter de la peine qui vous frappe ! Devant les airs attristés, se cachent la jouissance de voir l’arbre qui leur cachait la vue abattu. 

Un cordon de sécurité de la police tenait les curieux à bonne distance.  

Je n’aurais jamais imaginé Mactar m’être infidèle, je lui vouais une confiance aveugle, mon amour incommensurable pour lui m’a aveuglé, je n’ai pas su voir « l’homme » qui sommeillait en lui. Un fauve reste toujours un fauve, même si on lui a appris à être un mouton depuis sa naissance !

Elle s’enfermait dans ses pensées sans faire attention à l’agent qui se tenait devant lui et lui barrait la route.

-        Madame, s’il vous plait, n’avancez plus !

L'agent aurait voulu la rabrouer comme les autres et faciliter ainsi son travail, mais cette dame avec son ventre bedonnant, il ne saurait la brusquer au risque de la voir accoucher devant lui ! Presque en caresse, il retint son corps entre ses deux bras.

Elle releva la tête, scruta son visage avec étonnement, se secoua pour se dégager. Elle aurait voulu passer sa colère sur cet obstacle qui lui barrait la route, sans comprendre, bon sang elle est chez elle.

L’agent se retint, il ne saurait prendre de risque, elle pourrait se blesser !

-        Madame, répéta-t-il, veuillez reculer !

Astou aurait voulu parler, lui crier qu’elle était la maîtresse de céans, mais sa gorge se nouait et aucun son ne semblait vouloir en sortir. Dans un effort surhumain elle tenta de se dégager de l’étreinte qui l’empêchait de bouger. L’agent valsa, perdit l’équilibre et se retint sur une jambe. Sa main gauche rattrapa in extremis la main de la femme et il parvint à retrouver son équilibre sur ses deux jambes.

Déjà ses autres camarades accouraient à la rescousse, l’air menaçant !

La clameur populaire s’éleva alors !

-        C’est la maîtresse de maison, laissez la c’est sa maison !!! Elle est aussi la sœur de la fille violée !

Devant les visages graves des populations, les agents se retinrent. Une voie autoritaire souffla au loin, dans la maison

-        Laissez la passer !

Astou entra et se laissa choir dans le vestibule! Ses traits reflétaient une grande fatigue, ce qui cachait tant bien que mal sa grande tristesse. Au-delà  de toute imagination, elle souffrait, elle souffrait atrocement. Cet homme qu’il a appelé par toutes les douceurs de la terre l’avait trahie, il l’avait déçu, jamais elle n’aurait pu imaginer pareille malheur.

-        Madame Diallo, je me présente Inspecteur Dramé, tonna une voix.

Elle releva la tête, devant elle se tenait un homme aux cheveux grisonnants, trapu tenant un carnet ou quelque chose qui lui ressemblait. Le visage sérieux, il la dévisageait.

-        Où est ma sœur, lâcha-t-elle d’une voix lasse. On aurait dit que tout le poids du monde était sur son dos.

-        Elle est actuellement entre les mains de l’assistante sociale et des secouristes! On prend soin d’elle. On devrait l’acheminer vers l’hôpital d’ici quelques minutes pour des soins et examens.

-        Pourrais-je la voir ?

-        Bien sûr ! Il nous fallait prendre une première déposition d’abord, suivez moi !

Elle prit la main que lui tendait l’inspecteur, s’y appuya pour se lever puis ils se dirigèrent vers la chambre à coucher.

Assise, les jambes recroquevillées, Penda, les  yeux hagards, semblait absente de son monde. Elle s’agrippait au drap de lit qui la couvrait comme une bouée.  A la vue de sa sœur, elle sursauta, et éclata en sanglots. Astou, telle un automate, s’avança vers elle, les yeux embués. Doucement elle la prit dans ses bras et elles pleurèrent en chœur.

En douze ans d’assistance sociale dans la police pour les cas de viol, Mame Adji Samb en avait vu, de toutes les couleurs. Cela n’avait point affecté sa sensibilité. Devant ses collègues elle se devait de se montrer professionnelle, en ne laissant pas filtrer ses émotions. Mais qu’il est dur de croiser les yeux d’une pauvre femme violentée. A chaque fois, son monde s’affaissait, et cela expliquait largement son long célibat. Belle comme une liane, elle n’aurait pas manqué de prétendants sérieux dans sa vie, mais elle demeurait toujours seule.

Ses collègues s’amusaient d’ailleurs à lui dire qu’elle détestait les hommes. En fait elle avait un dégoût pour tout ce qui portait barbe. Tant de fois, on l’avait mis devant des scènes de barbaries perpétrées par des hommes, tant de fois elle a vu nue la faiblesse de la femme, sa condition quasi perpétuelle de victime.

On raconte même qu’un jour, elle avait failli déboîter la mâchoire d’un soupirant qui avait eu le tort de vouloir …. l’embrasser !!!

-        Madame, clama-t-elle, nous sommes prêts, nous devons y aller.

Astou se leva, sortit de l’armoire imposante qui trônait sur tout un pan du mur de la chambre, une robe et un voile en tissu de soie. Elle habilla sa sœur et mis le voile sur sa tête recouvrant son visage en larmes. Elle se voulait forte pour sa sœur, elle se devait de surmonter sa peine et jouer pleinement son rôle de sœur, de protectrice.

-        Je l’accompagne ! Tonna-t-elle comme un défi à l’endroit de l’assistante sociale.

(.......A suivre!)

Le viol