Faire ses valises
Ecrit par leilaji
****Leila****
La
gifle d’Elle s’abat violemment sur ma joue. Elle est très en colère contre moi
et je crois que je la comprends. Ce que je viens de faire est absolument
monstrueux.
— On n’a pas idée d’être aussi
bête quoi. Tu vas le rappeler tout de suite et lui dire que tu as menti et lui
présenter des excuses.
— Si tu es venue pour ça,
retourne chez toi. Je t’ai demandé de venir m’aider à prendre mes affaires pas
pour une leçon.
— Mais je ne te comprends pas. Tu
es sure que tu vas trouver un autre homme qui t’aime comme celui là ?
— Ecoute je n’ai pas très envie
d’en parler. Aide-moi seulement pour mes affaires.
Elle
me tire par la main et me fait asseoir au salon. Comme j’ai les pieds nus, j’ai
pris le soin d’éviter les tessons de la bouteille de whisky.
— Leila. La communication n’est
pas ton fort mais ton orgueil là dépasse tout. C’est toi qui as inventé le mot
ORGUEIL pour t’en servir à tout bout de champs comme ça ? Parle, explique-moi à
quoi ton cerveau tordu là a pensé. Explique-moi ou moi-même je lui dirai tout.
Parce que franchement là, tu me déçois. Tu me déçois à un point tel que …
Je
la regarde et tripote nerveusement ma main.
— Le jour où on est parti chez
l’ambassadrice, le conseiller nous a dit que nous étions Xander et Leila et que
nous devions agir comme tel. Mais il a ajouté que Xander et Leila sont les
enfants d’une famille. Qu’on ne coupe pas aussi brusquement les liens du sang
comme nous tentons de le faire pour notre bonheur. Il a dit : « Leila, toi ta
mère n’est plus et ça ne pose aucun problème parce qu’elle n’a laissé aucune
volonté te concernant. Mais toi Khan. Je suis désolé mais pour moi, tu devrais
rentrer avec ta mère et Leila au pays. Demander pardon à ton père et ta mère.
Tu dois aller t’occuper de la cérémonie qui permettra à ton père d’être en paix
avec lui-même malgré ce qu’il t’a fait. Le rôle d’un fils n’est pas de juger
son père mais de l’honorer. Chaque fille et fils de cette terre doit respect à
son père et sa mère. Je n’ai pas parlé d’obéissance mais de respect. Ce que
vous faite ne respecte pas tes parents. Il ne suffit pas de dire j’aime Leila,
je vais l’épouser. As-tu fait en sorte que ta mère change d’avis sur elle ?
T’es tu rapproché d’elle pour lui parler de celle que tu as choisi, tu vas me
dire, elle va faire la sourde oreille, elle va me tourner le dos? Mais as-tu au
moins essayé, parce que même si elle te tourne le dos, les mots que tu
prononceras entreront tout de même dans son cœur et elle pourra les laisser y
murir? Et qui sait si un jour tes paroles ne feront pas murir les fruits de
l’acceptation. J’essaye de vous comprendre. Vous êtes deux déracinés qui ont
grandi sans votre famille et en fin de compte vous avez trouvé mieux de vous
enraciner l’un dans l’autre. Mais la famille est une chose sacrée que ce soit
chez toi Khan comme chez toi Leila. ET LA PAROLE DES AINES EST SOURCE DE
BENEDICTION COMME DE MALEDICTION SELON LA MANIERE DONT VOUS VOUS COMPORTEZ.
C’est votre culture qui le veut. Même les chrétiens le disent « tu respecteras
ton père et ta mère ». IL N’EST PAS DIT, TU OBEIRAS A TON PERE ET TA MERE MAIS
TU LES RESPECTERAS. Rentre en Inde avec Leila et ta mère. Va honorer ton père
et toi Leila, chaque jour tu iras à genou supplier sa mère pour que ton cœur
s’attendrisse à ton égard. C’est comme ça que vous devez faire.
Je
me suis tu un moment pour reprendre mon souffle pour laisser les souvenir
remonter à la surface.
— Ce qu’il a dit m’a tellement
touché. Tu penses que quand j’ai fait venir ses parents je ne savais pas qu’il
pourrait y avoir un problème ? J’espérais pouvoir les convaincre de mon amour
pour lui et avoir une chance de me faire aimer mais je n’en ai même pas eu
l’occasion. Je ne connais pas les rites et coutumes de mon côté gabonais mais
j’ai assisté à beaucoup de mariages coutumiers ici avec toi. Pourquoi penses-tu
que ce soit si important que les deux familles se rencontrent. Que le père
donne sa fille à son gendre ? Que la famille après le mariage aille déposer la
belle-fille dans son nouveau foyer ? N’est-ce pas toi qui me parles tous les
jours de ces mariages qui ont périclités parce que le consentement n’était pas
au rendez-vous. Pas le consentement des mariés, mais celui de la famille. Parce
qu’à partir du moment où la mère de Xander lui a dit ce qu’ils attendaient de
lui et que dans son cœur il en a décidé autrement. Tout s’est précipité pour
nous. Je ne suis pas superstitieuse et
ça tu le sais. Mais …
— Mais quoi ?
— J’ai parlé à Xander. Je lui ai
dit que le conseiller avait raison et qu’il fallait qu’on aille en Inde. Il a
dit non. Pas, « je vais y réfléchir ou attends on verra », mais un NON ferme et
sans appel. Il m’a dit qu’il comprenait ma peur mais que tout ça c’était des
foutaises. Qu’on n’avait pas besoin de ça. Qu’on allait rester ici et faire
comme on le voulait. Tu trouves ça normal qu’un fils dise à sa mère qu’il n’est
plus son fils. Moi qui ai été élevée par ma mère, qui ai vu son sacrifice
journalier pour mon bien être, je dois applaudir ça des deux mains, tu crois ?
Toi qui élève Ekang et qui sacrifie tout pour son bonheur, serait-ce normal que
le jour où tu lui rappelles son devoir de fils, il te renie ? Je me disais je
vais bientôt être mère. Et ce n’est pas une attitude qui sied à un fils. Si ma mère n’avait pas aimé Xander, jamais au
grand jamais je ne lui aurais dit « tant pis, je ne suis plus ta fille ». Non
j’aurai dit à Xander de patienter, je lui aurai dit comment faire pour se
rapprocher d’elle, petit à petit. Et il l’aurait finalement convaincu. J’en
suis persuadée. Elle aurait pu voir, toucher du doigt l’amour qu’il me porte.
Alors ce qui est valable pour moi, ne l’est pas pour lui ?
Elle
me regarde, elle ne dit plus rien.
— Quand Denis a débarqué ici,
tout feu tout flamme, toi et moi, que n’avons-nous pas dit sur lui. On l’a
traité de tous les noms. Mais Xander me disait toujours, moi je le connais,
vous finirez par vous entendre. Il avait confiance. Je ne dis pas qu’à l’heure
actuelle on s’entend parfaitement. Mais hier il a acheté une voiture pour me
féliciter, comme cadeau de mariage ! Pourquoi ? Parce qu’il nous a côtoyé et
qu’il s’est rendu compte qu’il ne pouvait rien faire contre nous. Et pourquoi
n’irions nous pas en Inde et ne ferions nous pas la même chose là-bas ? Moi
j’ai confiance. Mais lui non. Il a peur. Donc lui et moi, on doit
s’auto-suffire ? Mon enfant n’aurait pas eu droit à une autre famille que nous
deux ? Moi j’ai été élevé comme ça et regarde le résultat ! Je ne veux pas de
ça pour …
— Mais lui dire les choses comme
ça… C’est inhumain ! Tu es égoïste, tu prends la décision pour lui.
— Lui dire autrement c’est ne
rien lui dire de tout. Parce que toi et moi, on le connait. Si je lui dis : «
Xander à l’heure actuelle, pour moi ça relèvera de la mission impossible de
faire un enfant ». Qu’est-ce qu’il me répondra ? Qu’est-ce qu’il me répondra ?
— Que … malgré tout il reste.
— C’est avec moi qu’il les veut.
S’il ne peut pas en avoir avec moi. Il fera sans. Et quand le temps passera,
que le miracle n’aura pas eu lieu, qu’il verra les enfants des autres grandir.
Tu crois que tout cet amour restera ? Et même si l’amour est toujours là, je
porterai aussi cette culpabilité là. Tu l’as vu avec des enfants, comment il
est incroyablement patient avec eux. Je ne sais pas combien de fois il m’a
demandé qu’on aille chez toi pour voir comment allait Ekang ? Mais tu sais
lequel de tes enfants, il préfère ? Oxia. Il l’appelle la petite princesse. Il
a discuté avec elle lors de l’anniversaire d’Ekang. Il lui a dit que toutes les
petites filles sont des princesses et qu’il allait lui faire livrer un château
de princesse si elle passait en classe supérieure. Si tu voyais comment, il
était heureux de lui parler. C’est maintenant qu’il lui faut des enfants, pas
dans cent ou mille ans, pas après la poursuite d’un miracle. Il y a un juste
temps pour toute chose. C’est maintenant qu’il lui faut des enfants, il a
trente sept ans. Don d’ovocyte, fécondation in vitro… C’est long et c’est un
vrai parcours du combattant. Certaines ont eu de la chance, au bout du premier
essai, bingo ! D’autres, ça fait cinq, dix ans qu’elles essaient par tous les
moyens mais ça ne marche pas. Ca use un couple Elle. Avant quand une femme se
rendait compte qu’elle ne pouvait enfanter que faisait-elle ? C’est elle-même
qui se sacrifiait, cherchait une de ses sœurs pour venir donner des enfants à
son mari. Est-ce qu’elle disait si je ne peux en faire, ce n’est pas grave
restons rien qu’à deux ? Non, elle s’engageait pour le bonheur de son mari.
— Il va te … haïr.
— Moi, oui. Mais je le connais.
S’il ne m’a plus dans son esprit, il va rentrer chez lui et faire ce qu’il a à
faire pour son père, sa famille. Et peut-être que les cieux seront plus
cléments avec chacun de nous. Peut-être que tout le malheur qui ne fait que
nous tomber dessus sera alors balayé par la main de Dieu qui dira : « ils sont
dignes d’être parents à leur tour, ils ont respecté les leur comme je l’ai
commandé ». M’être cru mère m’a aidé à remettre les choses en place, les voir
autrement, me mettre à la place de la sienne. M’être cru mère de son enfant m’a
aidé à vouloir encore plus pour lui. Tout ce qu’il fait, il le fait pour moi,
il renie sa famille pour me protéger, il restera avec moi même s’il n’y a pas
d’enfant. Donc quand lui le fait, c’est normal. Qu’il se sacrifie, c’est
normal. Je dois me dire : « ahhhh de toute manière, il m’aime non ? Je dois en
profiter à fond tant pis pour les conséquences sur sa vie ! Je m’y suis mal
prise, c’est vrai. Ca va lui faire du mal, c’est vrai, je sais à quel point ça
va le dégouter de moi. Xander est fort, ça ne peut pas le détruire, ça le
rendra juste encore plus fort. Mais ça passera, la douleur passera.
Tout
sur cette terre passe.
****Alexander****
— Et tu l’as cru ?
Mais
comment peut-il me poser une telle question ? Il n’a rien compris de tout ce
que je viens de lui raconter ou quoi ? Peut-être que je suis trop bourré, que
mes idées ne sont pas clairement exprimées.
— Mais enfin, Alexander… Tu cries
sur tous les toits que tu l’aimes et tu m’en as même convaincu. J’ai réellement
cru quand j’ai vu tes parents que tu allais rentrer chez toi. Que tu allais
l’abandonner. Mais tu as tenu bon.
L’africain en moi, celui qui sait à quel point les us et coutumes
attachent les destins n’en a pas cru ses yeux ! C’était l’occasion pour toi de
rentrer dans ta famille, enfin ! Mais tu as tout refusé pour elle. Donc, après
tout ça, elle rentre, annule le mariage et te raconte cette connerie et toi tu
la crois ?
— Tu sais à quel point elle a
travaillé pour ce poste de merde là avant que je la connaisse ? Tu sais à quel
point elle a tout sacrifié pour ça ?
— Tu as bien dit avant que tu la
connaisses. C’était avant. Ecoute, je ne sais pas ce qui se passe entre vous …
Mais grandissez un peu.
Denis
me regarde. Je pensais sincèrement trouver auprès de lui, une épaule
compatissante. Mais apparemment ce ne sera pas le cas.
— Tu sais à quel point j’ai aimé
ma femme. Tu étais là et tu le sais. Même quand le médecin m’a dit preuve à
l’appui que Sean n’était pas mon fils, je lui ai demandé de refaire le test
parce que pour moi, il y avait surement une erreur. Et je l’ai planté là. J’ai
appelé ma femme pour lui dire à quel point je trouvais les médecins de cet
hôpital incompétents. Je voulais lui dire que je pensais préférable qu’on aille
aux Etats-Unis. J’ai appelé en vain, elle n’a pas décroché. Je suis rentré chez
nous, et comme dans tous les mauvais romans j’ai trouvé des vêtements par
terre. J’ai suivi leur trace jusque dans notre chambre. Et je l’y ai trouvé
gémissante dans les bras de son supposé frère. Son supposé frère que j’hébergeais
depuis le début de notre mariage. Il a fallu que je la voie de mes propres yeux
pour percuter.
— Je connais cette histoire
Denis…
— Donc je répète ma question.
Leila, la Leila que moi je commence à connaitre, celle qui a fait venir tes parents
pour qu’ils puissent te voir après tant d’années, te dit qu’elle a … tué ton
enfant pour sa carrière et tu la crois ?
Je
me tais un instant parce que je ne sais plus vraiment quoi penser où dire.
— Tu crois que si quelqu’un vient
me dire tout de suite, Monsieur Khan a détourné 100 000 000 de francs des
comptes de la Holding OLAM, je vais le croire et crier au scandale. Te
condamner et dire, emmenez le en prison sans chercher à savoir si c’est vrai,
comment ça a pu se produire. Khan, je ne le croirais jamais parce que je te
connais. Je te répète une dernière fois la question : la femme que tu
t’apprêtais à épouser, celle pour laquelle tu as définitivement abandonné
l’idée de revoir ta mère, ta propre mère, quelle idée as-tu d’elle ?
— La voiture … et l’annulation du
mariage…
— La voiture c’est moi qui l’ai
offerte.
Je
me tais de nouveau.
— UNE GRANDE PASSION NE SIED PAS
AUX AMES JEUNES. Je ne comprends pas. Malgré toutes les difficultés que vous
avez rencontrées, tout vous a toujours réussi. Mais quand il s’agit de faire
confiance à l’autre… vous devenez des enfants.
Denis
: Lève-toi. Je vais te raccompagner, tu es trop saoul pour conduire. ET VOUS
ALLEZ PARLER.
A
quoi bon maintenant. Vrai ou pas, je ne peux lui pardonner une telle vérité ou
un tel mensonge.
****Elle****
Je
la regarde et malgré tout, j’essaie de respecter son choix. Pour ma part c’est
un mauvais choix… Mais bon, ce n’est que mon avis. Je pense que sa mère a mal
fait de l’éloigner des siens et de l’élever seule. Leila a toujours dû compter
sur elle-même, elle ne sait pas faire autrement. Compter sur elle-même, porter
seule sa souffrance. Quand on grandit entouré d’une famille, très tôt on
apprend à demander de l’aide quand on ne s’en sort plus, à demander conseil
quand on ne sait plus quoi faire. Tout ce que je comprends en la regardant
c’est qu’elle ne sait pas le faire. Elle
croit toujours pouvoir s’en sortir par elle-même. La vie ce n’est pas comme ça.
Elle
a parlé, beaucoup parlé et je l’ai écouté patiemment.
Je
crois que devant la difficulté, pour la première fois de sa vie, elle a reculé
même si elle ne s’en rend pas compte. Elle a du estimer qu’elle avait trop à
perdre. Amour, mariage, maternité. Leila, avoue que tu as paniqué devant tout
ce bonheur, toi qui es habitué à te battre pour obtenir toute chose. Non, elle
a dû estimer qu’il avait trop à perdre. Trop. Que ce n’était pas juste pour
lui. Je crois que c’est comme ça qu’elle a vu les choses. Elle veut qu’il
rentre pour honorer son père quitte à ne pas épouser l’autre là, mais au moins
qu’il rentre honorer son père et sa mère. C’est dans l’ordre des choses pour un
fils. Elle veut qu’il retombe amoureux et ait des enfants. Il le mérite.
Que
de bonheur gâché par orgueil !
****Leila
****
— Hum, je ne pourrais même plus
te dire que Alexander et toi vous aimez tourner des films. Votre histoire était
si spéciale.
— C’est pour ça que tu m’as prise
pour un personnage de film, de roman. Je dois toujours être parfaite, tout
faire parfaitement.
— Je suis ta grande sœur arrête
de me parler comme ça. Je voulais juste que ça se termine bien entre vous deux
aka !… Ce n’est pas interdit.
— Je ne sais pas où c’est écrit
que parce qu’on s’aime on doit toujours finir ensemble. Ca doit être les
réminiscences des contes de fée qu’on nous lisait étant enfant, ils se
marièrent et eurent beaucoup d’enfants, bla bla bla.
— Laisse moi les histoires des
blancs là. Moi je ne connais pas les contes de fée… On tout cas une femme doit
se marier hein…
— Tu aimais ton homme, tu l’as
épousé. Aujourd’hui où en es tu ? Il n’est jamais là et tu as un amant. Moi, je
… j’ai eu Xander, toute à moi. C’est un homme merveilleux, je veux qu’il soit
heureux. Ce qu’il m’a donné, je… je suis reconnaissante pour ça.
Elle
me regarde choquée par mes paroles.
— Tu as de la chance parce que tu
me fais pitié en ce moment sinon je t’aurai donné une autre bonne gifle pour ce
que tu viens de me dire.
Je
rigole et la bouscule de l’épaule en lui demandant pardon. Moi qui parlais de
respect des ainés ! On est devant l’ascenseur, chacune une valise en main.
Quelqu’un est en train de monter.
Le
numéro 07 apparait. C’est notre étage. Il n’y a que l’appartement d’Alexander
ici. J’espère que ce n’est pas lui qui revient. Si je le vois, malgré toutes
mes résolutions, je risquerai de craquer…
J’espère
que ce n’est pas lui.
A suivre