le billet
Ecrit par leilaji
****Leila****
Rez-de-chaussée
Elle
me regarde, elle pense surement à la même chose que moi et je me rends compte
que je l’ai mise dans une situation inconfortable. Que va se dire Alexander
quand il la verra porter avec moi ces valises ? Qu’elle est d’accord avec ce
que je fais. Alors que je sais que ce n’est pas le cas.
— Leila, je t’en prie dis lui la
vérité, tu peux encore arranger les choses je te l’assure. Avoir peur de
l’échec crée l’échec. Tente ta chance jusqu’au bout avec lui, ne décide pas
pour lui.
J’ai
le cœur qui bat la chamade. Franchement, je voulais tout gâcher entre nous pour
qu’il puisse être heureux ailleurs et maintenant que c’est fait, je … je ne
sais pas…
1er
étage
— Tu l’aimes, mais tu le lui
prouves très mal Leila. La vie ce n’est pas comme auditer une entreprise. Se
dire cette personne n’est pas rentable, virez là. C’est ce que tu as fait toute
ta vie, je te l’accorde. Mais écoute-moi bon sang. Dénicher le problème et le
mettre à néant c’est bon pour les entreprises, pas pour des personnes. Tu te
dis tu ne peux pas faire d’enfant donc tu n’es pas rentable pour lui. C’est
toi-même que tu es en train de considérer comme un problème pour lui et que tu
mets à néant. Mais il ne va pas le supporter tu comprends. Il ne va pas le
supporter.
2e
étage
J’ai
comme une boule dans la gorge. J’ai du mal à avaler ma salive. Un énorme poids m’enserre la poitrine.
— Si tu es aussi forte que tu le
penses, reste près de lui et trouvez une solution ensemble. Leila tu m’écoutes.
Parle-lui, il te pardonnera.
3e
étage, 4e étage
J’exhale
un soupir tremblant. Et je détourne mon visage d’elle parce que mes yeux se
sont remplis de larmes.
Parce
que j’ai cru bien faire et que j’ai fait n’importe quoi.
Déjà
la vue de l’ascenseur se trouble devant moi. La première larme coule suivie
d’une autre et encore une autre.
5e
étage, 6e étage
Je
te demande pardon Alexander. Je suis tellement désolée…
7e
étage.
Quand
l’ascenseur s’ouvre, la mère d’Alexander apparait. C’est encore pire que si
c’était lui-même. Elle est étonnée de me voir devant l’ascenseur, en larmes,
avec des bagages. Elle comprend aisément ce qui se passe. Ca se passe
d’explications.
De
toute manière c’est moi qui l’ai appelé.
Mais
la voir là en face de moi est pire que voir Xander lui-même. La voir désemparée
devant moi, elle qui avait eu des paroles si dures envers nous me trouble
profondément. Elle sort de l’ascenseur et moi je recule d’un pas suivie par
Elle. Elle est en colère contre la mère de Xander, elle estime que tout ceci
arrive parce qu’elle a fermé son cœur sur nous. Parce que je suis noire. Elle
est en colère contre la mère de Xander et je sens qu’elle s’apprête à parler.
Je la retiens.
Je
laisse la valise et m’approche de la mère de Xander. Le visage de Xander se
reflète dans le sien. J’y vois mon homme, celui qui aurait tellement voulu que
sa mère le prenne dans ses bras et lui accorde sa bénédiction. Il lui ressemble
tellement. J’y vois le visage d’Alexander qui s’est détourné d’elle. A cause de
moi.
Je
me baisse à ses pieds et tente de les toucher. Mais elle recule et m’empêche de
faire. Mais je suis bien décidée. Je ne peux pas tout perdre à ce point là. Je
dois le faire. Toujours agenouillée devant elle, je m’avance légèrement et
tente une nouvelle fois de toucher son pied.
Elle
recule encore et m’empêche de faire. Mais je le ferai. Pour Alexander.
Parce
qu’il m’a dit un jour que :
«
Les pieds sont considérés comme la
partie du corps la plus sale, la plus impure car sans cesse en contact
avec le sol. Tu sais en Inde beaucoup de
gens marche pieds nus. Le fait de se rabaisser à toucher les pieds de quelqu’un
est un signe d’humilité profond. C’est un honneur et un grand respect. Nous les
indiens nous sommes des personnes sensorielles et intuitives. Les marques de
respect s’expriment plus par les gestes et l’attitude que par les mots. C’est
peut-être pour ça que je passe mon temps à te toucher. C’est ma manière de te
dire à quel point je t’aime. Quand cette marque de respect est réalisée, la
personne à qui tu fais cet honneur te touchera en retour la tête, la partie la
plus pure de ton corps pour te donner sa bénédiction. Cette bénédiction a une
place primordiale dans notre culture parce qu’elle vient des ainés. Si on ne te
touche pas la tête en retour c’est un peut comme une malédiction.»
****Leela****
Qui
lui a appris ça ? Ca ne peut être que mon fils.
Qui
lui a appris ça ? Après ce que j’ai dit ?
Et
pourquoi m’a-t-elle appelé ? Devdas ne veut plus me voir de toute manière et je
m’apprête à rentrer à Mumbai. Pourquoi m’appelle –t-elle ? Pour se moquer d’une
mère délaissée et me prouver qu’elle accapare complètement mon fils ?
Qui
lui a appris ce geste d’humilité ? Pourquoi veut-elle ma bénédiction ?
Je
suis tellement obnubilée par toutes ces questions que finalement je la laisse
toucher mes pieds.
Elle
ramène ses mains vers son cœur.
C’est
le geste parfait. C’est l’ashriwat.
Je
n’ai jamais vu autant de larmes dans les yeux d’une femme. Autant de détresse
sur un seul visage. Mais que se passe t-il donc, où est mon fils ?
Je
pose la question.
— Mera name Leila hai. (Mon nom
est Leila). Je suis … je suis celle qui partageait la vie de votre fils. Il
n’est pas là pour le moment. Mais il va revenir.
On
porte quasiment le même nom. Elle sort une clef de la poche de son pantalon et
me la tend.
— Je vous rends votre fils. Il va
bientôt revenir. Je .. J’ai fait une chose qu’à présent je regrette amèrement
mais la question n’est pas là. Si je ne suis pas là, vous pourrez facilement le
convaincre de rentrer honorer son père. C’est le devoir de tout fils. Prenez la
clef, je vous en prie, je vous rends votre fils et en son nom si vous me le
permettez, je demande pardon pour ce qu’il vous a dit sous le coup de la colère
quand j’étais à l’hôpital. Un fils ne devrait jamais parler ainsi à sa mère. Je
demande pardon pour lui. C’est de ma faute tout ça.
Plus
elle parle et plus son visage est inondé de larmes. Mais pourquoi souffre
–t-elle autant ?
— Je lui … ai fait du mal. Vous
connaissez ses colères. Il ne pourra me le pardonner. Mais au moins si vous
êtes là à son retour, vous pourrez le consoler. Parce que quand il a cherché du
secours auprès de vous la première fois. Vous l’avez rejeté. Mais cette fois
ci, je ne serai pas là pour … lui. Je sais ce que ça fait de perdre un parent.
J’ai perdu ma mère et j’ai cru mourir avec elle. Xan… Devdas n’a pas conscience
de l’épreuve qui l’attend quand il ira rendre hommage à son père. J’aurai aimé…
être là pour lui. Mais… il n’aurait jamais permis que l’on aille en Inde. Il
avait trop peur pour moi. Maintenant, il acceptera. Il acceptera.
Sa
main est tendue vers moi. Je regarde la clef de chez mon fils. Il n’a donc
jamais voulu que je mette les pieds chez lui parce qu’elle partageait déjà sa
vie !
— Qu’as-tu fait ?
— J’ai menti.
— Sur quoi ?
— On a cru … on a cru que j’étais
enceinte. Mais je ne l’étais pas. C’était la deuxième fois qu’à cause de moi il
se croyait père et … qu’en réalité ce n’était pas le cas. La première fois
déjà, il était tellement bouleversé.
— Je ne comprends pas, tu lui as
menti…
Celle
qui l’accompagne se mêle de la conversation.
Quand
l’ascenseur s’est ouvert, j’ai bien cru que celle là allait me sauter à la
gorge. Mais maintenant, elle regarde Leila, toute son attention est tournée
vers elle. Et elle ressent sa peine.
— Elle ne peut plus faire
d’enfant, révèle celle qui l’accompagne..
Mes
yeux s’écarquillent malgré moi. Mon fils, avec une femme infertile ?! J’ai mal
pour lui. Pour elle.
Pour
elle ? Pourquoi aurai-je mal ?
Je
la regarde.
Pour
la première fois.
Cette
fille en deux rencontres m’a témoigné plus de respect que Neina. Elle nous a fait
venir. Et là elle s’est agenouillée devant moi et a demandé pardon au nom de
Devdas. Elle a beaucoup parlé mais son attitude me dit également la même chose.
Elle demande pardon, pour les fautes de mon fils. Elle s’humilie pour lui. Hum.
Je la regarde encore mieux. Elle est belle. Elle de grands yeux en amande, un
bouche ravissante. Et une masse de cheveux comparable à la mienne. Je la
regarde encore et toujours. Elle demande pardon mais son port de tête est fier.
Ma
cousine me l’avait dit. Elle m’a longuement parlé et pour la première fois de
ma vie, j’ai écouté cette vieille folle qui dit lire les destins dans les
paumes de la main. Qu’a-t-elle dit déjà ? Elle est plus noble que ton fils en
tout cas… Je lui ai lancé en retour un regard dédaigneux. Plus noble que mon
fils ça veut dire quoi ? Qu’avait-elle répondu ? Elle est aussi orgueilleuse
que toi, ca promet dans la maison familiale.
La
colère pour mon fils et l’orgueil pour cette jeune fille.
Mais
moi, ça fait des lustres que j’ai jeté mon orgueil aux orties. Moi qui étais
tellement fière d’avoir épousé Khan alors que déjà ma cousine me disait qu’il
allait me rendre malheureuse. J’ai jeté mon orgueil aux orties pour sauver les
lambeaux de notre famille en ruine. Je me laisse piétiner par cette Neina
Oberoi. Cette petite qui pense me cacher son jeu sournois alors que je la vois
clairement. Mon mari a choisi et il a mal choisi mais je me suis simplement dit
que si je pouvais l’utiliser pour ramener mon fils et le garder près de moi. Je
le ferai sans hésiter. Et c’est ce que je fais. Mais où cela m’a-t-il mené ?
Je
la regarde. A son âge, j’avais le monde à mes pieds et jamais au grand jamais
je ne me serai humiliée ainsi face à une femme qui a causé mon malheur. Jamais.
J’ai
pris la clef. Je l’ai remercié d’un léger sourire.
ET
JE LUI AI TOUCHE LA TETE. POUR MON FILS.
Elle
a paru surprise par mon geste.
On
en était toutes là aussi surprise les unes que les autres par ce qui était en
train de se passer quand une personne a déboulé pour venir tirer Leila par les
cheveux.
L’autre
jeune femme et moi, nous sommes écartés par surprise avant de nous rendre
compte qu’il s’agissait d’Alexander.
Je
connais mon fils et je sais qu’il est en colère.
Un
homme parle derrière nous.
****Denis.****
Je
ne pensais pas qu’en faisant monter Alexander par les escaliers pour le faire
dessouler on allait tomber sur une telle conversation.
Si
je comprends bien, Leila ne peut plus avoir d’enfant, elle veut qu’Alexander
rentre honorer sa famille et a jugé bon de mentir à ce dernier.
Mes
ces deux là sont de grands malades ! Ca dépasse tout. Alors j’ai ce gros nœud
qui la croit quand elle lui débite des conneries et elle, la maladroite qui
raconte n’importe quoi pour l’éloigner.
La
scène est presque drôle avec la mère horrifiée, la copine épouvantée.
— Mais Denis fais quelque chose !
Alexander
tient fermement Leila par les cheveux et il tire tellement fort qu’elle a la
tête penchée en arrière et est obligée de fermer les yeux tout en attrapant sa
main pour atténuer la douleur.
— Devdas mon fils, arrête. On ne
porte pas la main sur une femme…
— Je ne vais pas la frapper juste
la tuer. Ce n’est pas pareil.
— Denis ! crie Elle
Moi
je soulève tout simplement les deux valises et les pose près de la porte. Puis
je tire Elle et la mère d’Alexander dans l’ascenseur. Elle se débat et me
traite de tous les noms. Je sais qu’Alexander est saoul. Je sais que Leila est
désespérée. Pour avoir dit de telles conneries à l’homme qu’elle aime, elle
devait l’être. J’appuie sur le bouton du sous sol où j’ai garé ma voiture mais
Elle bloque l’ascenseur.
— Ecoute, il a déjà entendu toute
la vérité. Alors c’est ce soir ou jamais pour les deux. Ce n’est pas plus mal
qu’ils apprennent à grandir ensemble.
— Mais il va la tuer.
— Il n’est pas saoul à ce point
là.
— Quoi il est saoul !
Je
jette un coup d’œil à la mère d’Alexander. Elle ne parle pas, ses yeux sont
fermés.
Tu
voulais une femme pour ton fils n’est-ce pas ? En voici une à ta hauteur !
*
**
****Leila****
Il
ne me lâche pas les cheveux. Je vois dans ses yeux qu’il est fatigué mais la
colère l’empêche de dormir. Il n’a pas desserré les dents jusqu’à présent.
On
est toujours devant sa porte et il me regarde de ses yeux devenus si sombres.
Ses traits sont crispés. Ses yeux rouges injectés de sang. Ca fait une heure
qu’on est debout devant sa porte et qu’il ne dit rien. Dès que j’essaie de
bouger, il tire plus fort.
— Alexander…
— Que ce nom ne sorte plus jamais
de ta bouche !
— Alexander. Tu es fatigué. On ne
va pas rester là toute la nuit…
— Pourquoi ? Tu as d’autres
mensonges à me débiter ? Pourquoi ne pas m’accuser de t’avoir trompé pour mieux
me quitter. C’est tout ce que tu sais faire, me quitter…
— Ne dis pas ça.
Putain
il me fait mal, il va finir par les arracher.
— Pourquoi ?
— Tu me fais mal Alexander.
— Ce n’est rien comparé au mal
que tu m’as fait. Je ne sais pas comment tu as pu imaginer une seule seconde,
une seule seconde que je ne supporterai pas de ne pas avoir d’enfants.
— Je ne voulais pas que tu restes
justement.
— Ah oui parce que dans ta tête,
quand on aime on ne reste pas. C’est ça ? Toujours ton satané esprit de
compétition poussé à l’extrême… Il faut que tu nous prouves à tous que c’est
toi qui sait aimer le plus fort c’est ca ?
Si
personne ne comprends rien à ce que j’ai fait, c’est comme si je l’avais fait
pour rien. Personne ne comprend. Tout le monde me condamne. Il ferme les yeux,
il est fatigué. Des cernes violettes marquent de légères poches sous ses yeux
et lui donnent un air hagard. Il est plus d’une heure du matin.
Ma
main droite se pose sur la sienne et tente de desserrer son emprise. Mais rien
n’y fait.
— Ça n’a jamais été une question
de compétition. Je ne cherche plus à m’enfuir. Tu pourras me faire ce que tu
voudras. Mais tu es fatigué. Laisse nous rentrer dans l’appartement.
Il
ne bouge pas d’un iota. Je mets mes mains dans ses poches et en ressort la
clef. Je m’approche de lui ce qui le fait reculer. Cela me permet d’être assez
proche de la porte pour l’ouvrir.
***
Il
sentait l’alcool et la cigarette. Je sais qu’il n’aime pas dormir avec l’odeur
de la cigarette sur lui mais si je le lui rappelle il risquerait de me noyer
dans la baignoire.
Je
l’ai mené jusque dans la chambre puis je l’y ai couché. Il n’avait plus la
force de lutter, la journée a dû être trop épuisante pour lui.
Mais
il n’a toujours pas lâché mes cheveux.
Je m’en suis rendue compte quand j’ai voulu me lever et que je n’ai pas
pu le faire.
— Ma mère t’a touché la tête.
— Oui.
Il
a fermé une nouvelle fois ses yeux.
— Je te demande pardon, je
murmure.
Tout
d’abord, il ne me répond rien.
— Ça t’a couté hein !
— Quoi ?
— De me demander pardon.
— Non. Je t’ai fait du mal quand
je pensais faire ce qu’il fallait.
— Tu t’es trompé.
— J’ai eu peur. Je me suis
retrouvée dans un puis sans fond et je… j’ai cru que te tendre la main pour que
tu me tires de là serait te faire rentrer dans le trou avec moi. Je n’ai pas
pensé au fait que tu pouvais m’en tirer. Je n’y ai vraiment pas pensé.
— Et moi j’ai juste envie de te
laisser dans ce trou puisque tu voulais tellement y rester toute seule.
Je
ne réponds plus rien. Il ferme de nouveau les yeux. Je caresse ses cheveux. Il
me laisse faire. Je suis soulagée qu’il ne se détourne pas de moi.
— Je ne représente donc rien pour
toi.
— Au contraire… tu représentes
tout. Mon premier amour. Tout. (Avec un sourire que je ne peux réprimer dans la
voix) Mon premier orgasme. Mes premiers délires. Ma plus grosse connerie aussi
malheureusement. Je veux que tu sois heureux. Il faut que tu rentres chez toi.
Que tu honores tes parents. Tu es si parfait pour moi. Je … souhaiterais que tu
le sois aussi envers ta mère. La distance que tu as créée entre vous doit
surement beaucoup la faire souffrir.
— Comment peux-tu le savoir ?
— J’ai cru que je portais ton
enfant. Je me suis sentie mère. Ca m’a beaucoup fait réfléchir, c’est tout.
Il
reprend la parole après un instant de silence.
— Ma mère t’a touché la tête.
— Oui.