Fin de la mission

Ecrit par belleetrebelle

Les congés qu'Armand avait accumulés pour sa "mission séduction" touchaient à leur fin. L'air de Yaoundé, chargé des parfums de l'épreuve et du désir renaissant, lui devenait familier. Une question cruciale se posait à lui alors qu'il observait Chloé, plus détendue, un éclat nouveau dans le regard malgré les séquelles de leur histoire.


Devait-il, avant de partir, laisser une empreinte indélébile, sceller cette reconquête en la prenant avec une passion qui graverait dans sa chair le souvenir de son amour retrouvé ? Devait-il jouer sa dernière carte dans l'intimité de ce qui avait été leur chambre, au risque de tout briser si elle n'était pas tout à fait prête ? Ou devait-il, plus stratégique, l'inviter à le rejoindre à Douala avec leur fille, proposant ainsi un nouveau chapitre sur une terre neutre, avant de la "refaire sienne" dans l'espace même où tout s'était brisé ?


Tentation contre raison. Le désir, aiguisé par des semaines de flirt sensuel, lui soufflait de la serrer dans ses bras, de faire trembler la maison de leurs retrouvailles, de lui rappeler physiquement la puissance de ce qui les unissait. Mais l'amour, un amour plus mûr et plus patient, lui dictait de ne pas précipiter les choses. Il avait réussi à ébranler sa carapace ; un assaut trop direct pourrait la faire se rétracter pour de bon.


La veille de son départ, alors qu'ils dînaient dans un silence inhabituellement lourd, il prit sa décision.

«Je rentre à Douala demain, » annonça-t-il, posant sa fourchette.

Chloé leva les yeux,une lueur d'appréhension fugitive dans son regard. Elle avait senti la tension monter ces derniers jours, s'attendant presque à ce qu'il tente quelque chose.

«Je ne reviendrai pas tout de suite, poursuivit-il. Pas le weekend prochain. »


Elle le fixa, interdite. « Pourquoi demain il ya encore samedi et dimanche ? »

«Parce que j'ai besoin que tu aies l'espace de me manquer, Chloé. Et j'ai besoin de sentir si ton désir de me revoir est plus fort que ta peur de revenir en arrière. »


Il ne lui proposa pas de les emmener. Pas encore. C'était un risque calculé, un ultime test.


Le lendemain, il partit. Le baiser qu'il déposa sur son front fut tendre, mais distant. Celui qu'il donna à Léna, déchirant. Puis il disparut.


Le premier weekend fut étrange. Chloé respira, soulagée de ne pas avoir à gérer cette présence masculine obsédante et troublante. La maison lui appartenait à nouveau. Mais le silence lui parut vite assourdissant. Le deuxième weekend, l'absence commença à peser. Elle surprit son regard à errer vers la porte, espérant presque le voir débarquer avec son sourire en coin.


Le troisième weekend, le manque devint une douleur physique. Son corps, réveillé par ses attentions, lui réclamait ces effleureurs, ces murmures, cette présence qui le faisait se sentir vivante et désirable. Elle repensait à ses phrases, à ses promesses, et un frisson la parcourait. Elle ouvrit le flacon d'huile de massage, et l'odeur lui rappela immédiatement son souffle chaud contre son cou. C'était un supplice.


De son côté, à Douala, Armand vivait un calvaire similaire. La maison était un mausolée de leur vie passée. Chaque pièce lui rappelait Chloé. Son lit était un désert. Il passait ses soirées à regarder les photos de Mireille qu'elle ne lui envoyait plus, et son esprit revenait inlassablement vers la mère. Il avait soif d'elle. Soif de sa peau, de son rire, de cette complicité qu'ils étaient en train de retisser. Son plan lui semblait soudain d'une cruauté insensée.


Ce mois de séparation forcée fut un creuset. Pour Chloé, ce fut le temps de réaliser que sa peur de retomber était désormais égale, sinon inférieure, à son désir de retrouver l'équilibre et la passion qu'il incarnait. Pour Armand, ce fut la confirmation que sa vie sans elles n'était qu'une existence en demi-teinte.


Ils ne communiquèrent presque pas. Quelques messages brefs et pratiques concernant Léna. Un silence lourd, chargé de tout ce qui n'était pas dit, de tout ce qui se reconstruisait dans l'ombre, à distance. Un mois durant lequel le dernier mur de glace entre eux fondit, non sous l'effet de la chaleur d'un corps, mais sous le poids d'une absence devenue insupportable. La prochaine fois qu'ils se verraient, plus rien ne pourrait les arrêter. Ils le savaient tous les deux, au plus profond d'eux-mêmes.




La fin du mois de séparation sonna. Un soir, alors que la solitude commençait à peser comme un suaire, Armand décida de passer un appel vidéo. Son cœur battait la chamade lorsqu’il composa le numéro, une nervosité qu’il n’avait plus connue depuis leurs premiers rendez-vous.


L’écran s’alluma, et le visage de Léna, joufflu et rieur, apparut. « Papa ! » s’écria-t-elle, un mot qu’elle maîtrisait de mieux en mieux et qui lui transperça le cœur chaque fois.

«Ma princesse ! » répondit-il, la voix soudain étranglée d’émotion. Ils échangèrent quelques babillages, Armand faisant des grimaces qui la faisaient pouffer de rire. C’était un baume sur sa brûlure.


Quand Chloé prit le relais pour tenir le téléphone, son visage apparut à l’écran. Elle avait les traits plus tirés, mais ses yeux… ses yeux n’avaient plus cette froideur de pierre qui l’avait tant blessé.

«Et toi, ça va ? » demanda-t-il, la voix plus basse, chargée d’une sollicitude réelle.

«On survit, » répondit-elle avec un petit sourire fatigué. « Et toi ? Tu as l’air… préoccupé. »


Il soupira, passant une main dans ses cheveux. « La fin d’année approche. Les rapports à finaliser, la pression monte au bureau. Je vais être indisponible ces prochaines semaines, impossible de bouger de Douala. » Il vit une lueur de déception, vite réprimée, traverser son regard. C’était bon signe.


Les semaines suivantes, la vie continua, chacun de son côté, dans un brouillard de routine et de travail. La sixième semaine, sentant que le moment était critique, il osa la proposition qu’il mûrissait.

«Chloé, écoute. Je suis cloué ici. Mais vous, vous pouvez bouger. Pourquoi ne viendriez-vous pas à Douala ? Juste pour un temps. Pour que je puisse voir Léna… et toi. »


Un silence lourd s’installa à l’autre bout de la ligne. Il l’entendit presque réfléchir, se débattre avec ses démons.

«J’ai… j’ai peur, Armand, » finit-elle par avouer, dans un murmure. « Tout ça me fait peur. Je vais réfléchir et je te dirais. »


La semaine s’écoula sans réponse. Armand sentit l’anxiété le gagner. Avait-il été trop pressant ? Avait-il mal évalué la situation ? Il la relança, non par pression, mais avec une douce inquiétude.

«Chloé, as-tu eu le temps d’y penser ? J'ai attendu que tu me reviennes en vain.»


Cette fois, les mots sortirent dans un flot hésitant. Elle lui parla de ses craintes : la peur de revivre dans la maison qui avait été le théâtre de leur déchirement, la peur des regards des voisins et de la famille, la peur que la magie opérée à Yaoundé ne se dissolve à Douala, sur le terrain de leurs anciennes blessures. Elle craignait de se sentir à nouveau piégée, jugée.


Armand l’écouta sans l’interrompre. Il comprit alors qu’il n’avait pas encore gagné la bataille. La guerre contre sa peur était loin d’être terminée. Il puisa en lui, cherchant les arguments non pas du séducteur, mais du mari, du partenaire.


« Je comprends, dit-il doucement. Écoute, on ne fera rien qui te mette mal à l’aise. Vous n’aurez pas à habiter dans la maison tout de suite si tu ne le veux pas. On peut trouver un petit appartement le temps que tu t’habitues. Il ne s’agit pas de revenir en arrière, Chloé. Il s’agit d’avancer, mais ensemble, cette fois. Ici, à Douala, c’est notre vie, notre ville. Léna a le droit de connaître la maison de son père. Et moi… » Sa voix se brisa légèrement. « Moi, j’ai le droit de me battre pour ma famille sur mon propre terrain. Laisse-moi te montrer que je peux construire un nouvel abri pour nous, ici même, là où l’ancien s’est effondré. »


Il y eut un nouveau silence, plus long, plus profond. Il l’entendit qui respirait doucement. Puis, un mot, simple, qui fit bondir son cœur dans sa poitrine.

«Okay. »


C’était faible, mais c’était clair.

«Okay ? » répéta-t-il, voulant en être sûr.

«Oui. Okay. Je… je vais planifier. »


Il ne poussa pas un cri de victoire. Il sentit seulement un immense poids se soulever de ses épaules.

«Prends tout le temps qu’il te faut, » dit-il, l’émotion rendant sa voix rauque. « Je serai là. J’attendrai. »


Quand il raccrocha, Armand savait que le plus grand défi les attendait à Douala. Mais pour la première fois depuis bien longtemps, Chloé avait accepté de marcher vers lui. Et cela, c’était une victoire bien plus grande que n’importe quelle conquête charnelle. C’était le début de la véritable reconstruction.

Le choix de renaitre