ivre de rage
Ecrit par leilaji
****Alexander*****
Mon
téléphone sonne et je me précipite pour décrocher l’appel. Je n’ai pas envie
qu’elle se réveille. Son visage est si serein quand elle dort à mes côtés.
— Allo ?
— Il y a mamie qui te cherche partout dans la
maison comme une folle. Tu ferais mieux de débarquer avant qu’elle n’appelle la
police.
Franchement
est-ce que j’ai l’âge d’être recherché par ma mère
— Ok j’arrive.
— Euh, tu pourrais m’emmener un
truc à manger ? Genre pour me remercier pour l’info d’hier.
Cette
gamine n’est pas croyable ! J’ai l’impression quand je parle avec elle d’avoir
affaire aux petites pestes adorables des films américains. Mais je ne m’en
offusque pas. Je dois y aller. Pourtant je me vois mal partir sans dire au
revoir à Leila même si j’ai envie qu’elle continue de se reposer.
— Lei ? Il faut que j’y aille, je
dis en la secouant doucement.
— Hum.
Elle
ouvre ses yeux avec regrets et s’assoit sur le lit en se frottant les yeux.
— Il faut que j’y aille.
— Pourquoi ? C’est le week-end,
reste avec moi.
— Ma … mère me cherche.
Ce
n’est pas du tout évident de dire une phrase pareille à mon âge. Je m’attends
même à la voir se moquer de moi. Et c’est ce qu’elle fait. Elle éclate d’un
rire franc. Elle rit tellement qu’elle commence même à s’étouffer. Je la calme
d’un regard.
— Excuse-moi. Mais … Avoue que c’est drôle. Bon,
on ne va pas faire attendre ta … maman mon petit. Cours la rejoindre.
— Arrête Leila. C’est assez
irritant comme situation. J’y vais juste pour qu’elle ne s’inquiète pas.
— Appelle-la, c’est plus simple.
Et … je te promets … que tu ne vas pas le regretter.
Je
la regarde un moment. Puis je me dis qu’il vaut mieux que je lui dise la
vérité.
— J’ai pris un autre job.
— Pardon !
— Je vais vendre le concept des
zones économiques indiennes à d’autres pays d’Afrique centrale. Les hommes
d’affaires et représentant des gouvernement de ces pays viennent visiter ce
qu’on fait ici et je leur vend le concept. Je suis bien placé pour le faire
puisque j’en ai moins même une assez bonne expérience.
— Tu te fous de moi là. Je te dis qu’on n’a pas
assez de temps pour nous deux et tu prends un autre job.
— Je suis en train de refaire les
travaux de la maison et de réinvestir tout ce que j’ai dans la boite, ça me
coute une fortune Leila, je ne vais pas te mentir. Je travaille mais je n’ai
aucune paie. Il faut que j’aie des rentrées d’argent. Par ailleurs ça me permettra
de me faire des relations.
Elle
se lève et vient se mettre en face de moi. Elle est en colère et je la
comprends. Mais tout ceci c’est pour un temps. Juste pour un temps. Je prends
son visage entre mes mains et je l’embrasse tout doucement. Elle se colle à
moi.
— C’est juste pour un temps Lei.
— Et moi je fais quoi pendant que
tu joues les grands sauveurs.
— Tu me fortifies.
Elle
me regarde et je sais ce qu’elle pense, ses sentiments transparaissent sur son
visage. Je sais qu’elle se dit : « si je ne t’aimais pas, ça fait longtemps que
j’aurai fait mes valises ». Mais elle est encore là, près de moi. J’ai besoin
d’elle. Tant qu’elle sera là, je pourrai tout affronter. Absolument tout.
— Qui t’a dit pour ta mère ?
— Karisma.
— Cette gamine c’est un vrai cas
social.
— Justement. Elle m’a reproché de
ne pas avoir de temps pour elle, alors si tu pouvais…
— Wo, arrête tout de suite. Je
n’ai pas momentanément quitté une brillante carrière de juriste pour devenir
baby-sitter. C’est ta nièce, tu t’en occupes.
— Nous sommes en Inde Leila. Je
suis un homme, les relations avec les enfants, les ados c’est plus du domaine
des femmes.
— Je te découvre sexiste !
— Arrête c’est…
— Oui je sais, c’est juste pour
un temps.
****Leila****
Moins
de pression sur ton homme Leila, moins de pression.
— Ok. Affaire conclue. Je
m’occupe d’elle et pour me remercier … tu t’occupes de moi ?
— Quoi ? Je te manque ?
— A ton avis ?
— Euh laisse-moi réfléchir si ça
en vaut la peine… dit-il d’un ton taquin.
Je
lui donne une tape sur la tête puis dépose un baiser à l’endroit où le coup est
tombé.
— Vas-y.
Puis
il s’en va. Il ne s’est pas douché, ni lavé, il est tout froissé. Il rentre
surement chez les Khan pour se changer. Le Alexander d’ici est très loin du Alexander
de Libreville toujours tiré à quatre épingles même habillé « casual ». Hé mon
bébé, qu’est-ce que l’Inde est en train de faire de toi ? Qu’est-ce que ta
famille est en train de faire de toi ?
Je
reste assise sur mon lit et je constate que si j’ai accepté aussi facilement
son second job c’est parce que je viens de passer la nuit dans ses bras. On
avait plus dormi ensemble depuis notre départ de Libreville.
Libreville,
c’est comme une vie antérieure maintenant. Je repense à tout ce qu’on y a vécu
et je me rends compte que je ne pouvais tomber amoureuse que d’un homme tel que
lui.
Un
homme doux mais avec du caractère.
Un
homme sans arrogance mais fort.
Il
m’était destiné.
*
**
****Deux
mois plus tard****
****Karisma*****
Je
la cherche du regard. Elle avait pourtant promis de venir. Leila tient toujours
ses promesses. Je sais qu’elle va venir. Le gymnase est plein d’élèves de
toutes les classes. Aujourd’hui, ce sont les sélections pour le concours de
danse traditionnelle du lycée. C’est la première fois que j’y participe et je suis
morte de trouille.
Enfin
je la vois arriver et je commence à respirer plus librement. Pourvu que je ne
la déçoive pas. Leila aime tellement … gagner ! Elle a une rage de vaincre qui
m’impressionne, moi qui baisse facilement les bras.
Si
je suis inscrite aujourd’hui et que je tente ma chance, c’est surtout à cause
d’elle. Il y a deux mois, elle m’a demandé pourquoi mes notes étaient aussi
nulles. Je lui ai répondu franchement : manque de motivation. Puis elle m’a
demandé ce qui me motiverait. Sans réfléchir, je lui ai répondu des cours de
danse. Elle m’a dit ok. Et à partir de là, pour chaque note supérieure ou égale à 15/20, j’ai droit à un
cours particulier avec un professeur formé dans la meilleure école de Kathak de
toute l’Inde : Kathak Kendra. Je ne sais même pas comment elle s’est
débrouillée pour le trouver mais je sais que ses cours ne sont pas donnés alors
j’y mets tout mon cœur. Pour moi, elle a fait transformer le salon de son
studio en salle de danse avec des miroirs sur les quatre murs. Je ne pensais
pas qu’elle ferait ça pour moi. Pendant que je m’entraine avec mon professeur,
elle s’assoit et se met à lire des dizaines et des dizaines de pages de je ne
sais quoi.
Elle
est très concentrée sur ce qu’elle fait.
Moi
aussi.
Au
début elle ne savait pas du tout en quoi consistait le Kathak, alors je le lui
ai expliqué.
Le
kathak est une danse pure et narrative, traditionnelle du nord de l’Inde avec
une double influence hindoue et musulmane. Tout d’abord, c’était une danse
religieuse qui a évolué durant la période islamique vers une forme plus
divertissante. Le mot kathak est dérivé du mot sanscrit katha qui signifie
histoire, ou de katthaka qui signifie celui/celle qui raconte une histoire. Les
conteurs racontaient les textes sacrés à un public illettré. Les passages de
danse pure et narrative aidaient à la transmission des textes. Autrefois dansé
dans les temples comme bien d’autres styles de danse indienne pour retracer les
histoires des dieux du panthéon hindou, c’est vers le XVème-XVIème siècle qu’il
prend toute l’élégance et la virtuosité qui le caractérise aujourd’hui. Ce
moment correspond avec l’invasion du nord de l’Inde par les empereurs Moghols.
Le Kathak est alors dansé à la cour des empereurs par des femmes, et devient un
style tout à fait profane. Un nouveau répertoire se crée, mêlant chants d’amour
(ghazal) et virtuosité technique, car son but est de divertir.
La
danse commence progressivement et le rythme s'accélère. Le danseur doit
posséder de grandes qualités physiques tout en gardant une certaine grâce
malgré la vitesse d'exécution de sa danse parce que le kathak s'appuie tout
autant sur les mouvements des pieds que ceux des mains ainsi que de nombreuses
pirouettes et différentes postures dites "statuesques".
Puis
je me suis levée pour lui en faire une petite démonstration et elle a dit que
cette danse ressemblait beaucoup au flamenco. Ca m’a fait rire. Je lui ai avoué
que si j’aimais tellement le kathak et pas une autre danse, c’était surtout
aussi parce qu’il m’offrait une grande liberté d’interprétation des rythmes
scandés.
Et
je suis la reine de l’interprétation et de l’improvisation.
Mais
je ne sais pas à quoi va me servir ce talent si la fille que je vois en face de
moi participe aux sélections. Toutes les filles sauf Anjali. Et merde, elle
remplit la fiche de participation.
Anjali,
c’est le genre de fille que tous les garçons de nationalité indienne du lycée
veulent épouser quand ils travailleront. Elle est intelligente, gentille,
belle, riche et surtout très claire de peau, ce qui, il faut bien l’avouer est
une qualité indispensable à un bon mariage ici.
Et
je la déteste.
Je
sais que c’est mal de ma part parce qu’elle ne m’a jamais rien fait de mal.
Mais je lui en veux d’être bénie par les dieux alors que moi je dois batailler
pour tout avoir. Elle est douée, presque autant que moi mais elle au moins
apprend cette danse depuis qu’elle a cinq ans auprès d’un guru (maitre) très
renommé de la place. Sa tenue est tellement belle qu’elle ressemble à une star
de Bollywood et moi je porte encore ce vieux machin aux couleurs ternes. Ce
n’est pas juste.
Leila
s’approche de moi et me sourit. Les autres concurrentes sont entourées de leur
maitre et de leur famille et moi, je n’ai que Leila. Pourtant, elle avait
promis en parler à oncle Alexander. Visiblement, il s’en fout complètement. Ce
n’est pas grave pour moi. La présence de Leila suffit amplement.
— Panique à bord.
— Non mais n’importe quoi, j’ai peur de personne
moi.
— Alors pourquoi tu regardes cette concurrente
comme si elle venait de mettre à terre toutes tes chances de remporter la
victoire ?
— Elle va gagner. Comme chaque année. Je pensais
que cette année, elle ne concourrait pas.
— Tu sais quand on estime être la
meilleure comme toi tu le clames tous les jours, il ne faut pas avoir peur de
se frotter aux meilleures. Ca te permet de connaitre ton niveau et d’avancer.
Tu comprends ? Que tu gagnes ou pas, c’est ta première compèt’, franchement je
m’en fous. Je veux juste que tu donnes le meilleur de toi-même. Ok ?
Je
suis un peu rassérénée mais avec une toute petite voix.
****Leila****
Les
concurrentes passent et l’ambiance dans la salle devient de plus en plus
chaude.
Je
découvre quelque chose aujourd’hui. Le kathak est vraiment une danse hors pair
et Karisma a un très haut niveau. Qu’elle ait pu l’atteindre avec les cours
dispensés au lycée est assez étonnant puisque les autres filles ont dû faire
appel à des gurus pour évoluer dans leur technique. Même son prof dont les
cours me coutent la peau des fesses m’a demandé de faire l’effort de lui
obtenir une bourse d’étude après le lycée.
Anjali,
la beauté orientale tant crainte par Karisma passe à son tour. Son sourire et
sa grâce naturelle font d’elle la favorite du concours.
A
la fin de son passage, la foule crie et applaudit à tout rompre. Je dois bien
avouer qu’elle a été époustouflante. Je commence à m’inquiéter pour la place de
Karisma. Seule cinq filles seront sélectionnées pour la finale et je veux que
Karisma puisse y participer.
C’est
enfin à elle. Elle s’avance tout doucement d’un pas incertain. Je comprends
tout de suite qu’elle est l’outsider. Personne ne la regarde, personne ne
l’encourage, même pas ses quelques amis dans sa classe. Pffff.
Je
me lève et commence à scander telle une pom pom girl en furie: « Go, Go
Karisma, Go Go Karisma ». Tout le monde se met à me regarder puis ils se
rendent enfin compte qu’il y a une dernière concurrente sur la piste.
Allez
Karisma. Montre-leur !
A
la fin de sa prestation, un silence de mort règne sur la salle.
Je
connais par cœur les paroles de la chanson qu’elle a interprétée. Elle l’a
tellement de fois répétée encore et encore. Les gestes de sa chorégraphie me
sont dès lors devenus familier. Son interprétation était parfaite. Absolument
parfaite.
Karisma
a choisi d’interpréter « Jhute Ilzaam : fausses accusations ». Chanson d’une
courtisane qui parle à son amant, riche héritier qui doit en épouser une autre
:
Qui
se comprend ici ?
Je
t’ai cru infidèle, tu m’as cru infidèle,
Ne
m’accuse pas faussement mon amour,
Le
cœur est délicat, ne le blesse pas de cette manière,
Fausses
accusations,
Si
tu n’aimes pas les larmes dans mes yeux,
Ne
me blesse pas, ne me taquine pas
Tu
appartiens au destin d’une autre, pas au mien
Si
c’est la vérité, ne me le révèle pas
Le
cœur est délicat, ne le blesse pas de cette manière,
Fausses
accusations,
Tu
viens à peine d’arriver et déjà tu pars,
Ne
viens pas juste pour tenir ta promesse
Le
cœur est délicat, ne le blesse pas de cette manière,
Fausses
accusations,
Ne
m’accuse pas faussement mon amour.
****Karisma****
Je
suis à bout de souffle après toutes ces pirouettes et je commence à désespérer.
Pourquoi la salle est-elle si silencieuse ? Pourtant, je suis presque sure
d’avoir donné le meilleur de moi-même. Pour interpréter ma danse, je me suis
mise dans la peau de … Leila pour qui le destin d’oncle Alexander appartiendra
à une autre même si elle ne le sait pas encore. Je me suis mise dans sa peau.
Je l’ai imaginée parlant à uncleji.
Et
j’ai dansé.
Pourquoi
la salle est-elle si calme ? Je regarde Leila. Elle est …
Emue,
jusqu’aux larmes et elle commence à m’applaudir très fort. Je sais qu’elle sait
que c’est à elle que j’ai pensé en dansant. Elle connait maintenant cette
chanson par cœur.
La
salle, les élèves, le jury se met à applaudir aussi.
Quelques
minutes plus tard, les résultats tombent. J’ai obtenu la cinquième place. Je
vais concourir pour la finale ! C’est à peine croyable. Pour une première
participation, c’est une réussite.
****AleAlexander****
Dès
que les résultats sont tombés, j’ai quitté la salle polyvalente. Trop de gens
autour, je n’aime pas les bains de foules.
Je
suis allé tranquillement m’installer à la cafétéria en face du lycée pour
attendre que les filles sortent. Je crois bien que Karisma va être très contente
que je me sois déplacé pour assister à sa compétition. Leila a tellement
insisté que j’ai bien compris qu’elle m’en voudrait à mort en cas d’absence.
J’ai
fini de siroter mon thé et le monde qui se trouvait dans la salle polyvalente a
quitté les lieux par petits groupes. Mais les filles sont toujours à
l’intérieur. Un moment après, je les vois sortir avec … le fameux prof de
Karisma qui me sort par les yeux.
Calmement,
j’observe la scène. Karisma monte dans la petite Tata (marque de voiture indienne)
que Leila a achetée tout récemment et Leila reste pour parler avec lui.
Je
l’observe. Aussi tranquillement que je peux.
Il
prend ses aises. Elle essaie de mettre de la distance entre eux mais il semble
ne pas comprendre.
Je
soupire. Je l’avais pourtant oublié ce mec. Pourquoi chaque fois que je veux
rester calme dans mon coin, faut toujours qu’un … vienne m’emmerder ! Pourquoi
?
Après
quelques instants, Leila se détourne de lui mais il la retient pas le bras.
Elle le lui retire poliment puis s’en va
avec Karisma. Je sors de la cafète et m’approche du parking où il est encore.
Il
a sorti du coffre arrière de sa voiture un chiffon et la nettoie
méticuleusement. Hum, c’est une belle voiture sportive. Elle est rutilante. Je
suppose qu’elle lui sert à attraper les filles !
Comble
du bonheur, il est garé pas très loin de ma voiture.
On
va bien rigoler là. Je me sens bien, la colère est montée d’un cran.
Je
tire sur mon pull rouge et mets les mains dans mes poches. Il me voit et me
sourit. Ce fils de p… me sourit.
— Qu’est ce que tu ne comprends
pas dans la phrase elle est prise ? je lui demande tout doucement avec le
sourire.
— Ecoute une bague de fiançailles
ce n’est pas des vœux éternels, répond-il en me rendant mon sourire. Et puis
d’ailleurs, je sais que tu ne l’épouseras pas. Vous leur faites croire à
toutes, le même mensonge et dès que vous débarquez ici, vous prenez une
indienne. (Il s’approche de moi avec un air de conquérant) Dès que tu la
laisseras tomber, je serai là pour la consoler.
Seul
le muscle de ma mâchoire tressaute sur mon visage. Tout le reste de mon corps
est parfaitement sous contrôle.
— Tu vas la consoler . Tu veux que je te laisse
la consoler…
— Frengin, le prends pas mal, je
vais la baiser ta Leila. Et elle va en redemander.
Je
Suis
Ivre
De
Rage.
— T’es quoi déjà, quelle nationalité ?
— Je suis américain. P