Le show de karisma
Ecrit par leilaji
****Alexander****
La voix de Leila claque tel un fouet dans ma tête. A
croire que je suis devenu fou. Je sais que je ne peux pas l’entendre. Elle est
partie avec Karisma. Je n’arrive vraiment plus à me contrôler, je suis comme
hors de mon corps et je me vois agir ainsi, avec rage.
—
Alexander !
Cette fois-ci je m’arrête vraiment. Je ne rêve pas, je
l’ai bel et bien entendu. Mais je ne quitte pas des yeux une seule seconde
l’homme en face de moi.
****Leila****
Seigneur ! Quand je pense qu’on est revenu sur
nos pas par pur hasard. Karisma voulait récupérer son certificat de
participation auprès de son professeur Sadrac. Je me demandais tout en
conduisant pourquoi c’était lui, professeur d’informatique qui avait son
certificat. A bien y réfléchir, je suppose que c’était pour avoir encore une
fois l’occasion de me revoir. Fatiguée comme je l’étais, je ne voulais pas
vraiment revenir au gymnase, mais elle a tellement insisté que je n’ai pas pu
le lui refuser.
Puis quand on cherchait une place de parking où garer
la tata, je l’ai entendu murmurer avec effroi : « la colère des
Khan » en regardant dans une direction. Quand j’ai suivi son regard, j’ai
freiné comme une folle.
J’ai vu Alexander qui s’apprêtait à frapper Sadrac
avec … une batte de base-ball ? Et s’il était allé au bout de son geste,
il l’aurait tué. La violence du geste aurait tué Sadrac. J’ai fait la seule
chose que mon corps m’a laissé faire. J’ai crié son nom, je l’ai hurlé de tous
mes poumons.
Et il s’est arrêté, sans quitter Sadrac des yeux. J’ai
couru vers lui et je me suis interposée entre lui et Sadrac. Je lui ai parlé
tout doucement mais il ne m’écoutait pas. De là où j’étais, la couleur de ses
yeux avait viré au noir complet.
—
Alexander,
bébé. Calme-toi s’il te plait.
Puis j’ai dû décoller un à un ses doigts de la batte
de base-ball. Je la lui ai prise des mains et je l’ai jeté au loin. Je pris sa
tête entre mes mains et j’ai dû le forcer à me regarder.
—
Alexander, calme-toi, répète-t-elle d’une voix plus autoritaire :
Il a mis du temps à reprendre ses esprits puis il m’a
répondu tout doucement : « Je suis calme Lei. Je suis calme ».
J’ai respiré à fond pour me calmer et cacher mes mains
tremblantes. Je me demande ce qui s’est passé, ce qu’il fait ici d’ailleurs.
Dans la voiture de Alexander, moi au volant, lui sur
le siège passager avant et Karisma à l’arrière.
—
Tu peux
m’expliquer là ? Tu crois qu’on n’a pas assez de problèmes comme ça. Il
faut que tu ajoutes de la prison à ton palmarès.
Il regarde par la vitre et ne me répond rien. A quoi pense-t-il ? Je ne saurai le
dire. Je jette un coup d’œil dans le rétroviseur. Karisma est cachée dans un
coin et pour la première fois depuis que je la connais, sa petite bouche de
pipelette est bien fermée. Je crois qu’elle a eu peur, autant que moi.
Trente minutes plus tard, on se gare devant le portail
de leur imposante demeure. Depuis que j’en suis partie, je ne reviens que les
dimanche matin pour déposer des petits trucs que j’ai achetés ça et là.
Monsieur Shankar m’a avouée que Leela n’y prête guère attention mais je
continue de le faire. C’est bien ce que le conseiller culturel a dit non ?
Karisma déboucle sa ceinture et nous dit au revoir.
—
Félicitations
pour la sélection.
Elle écarquille ses yeux de stupeur et lui sourit.
—
Tu es venu
alors !
—
Tu danses bien.
—
Je
suis contente que tu sois venu. T’as vu, je n’ai pas la grande gueule pour
rien.
—
Arrête
de fanfaronner où je lui révèle combien de fois t’as eu la trouille avant ton
passage.
Elle
a vite fait de descendre et de rentrer chez eux. Je me tourne vers Alexander.
Il farfouille dans ses cheveux mal à l’aise.
— Si tu pouvais avoir cette
fougue avec ta mère, ça m’arrangerait.
Il
me regarde longuement puis détourne la tête.
— Que s’est-il passé ?
— Rien.
— Tu as défoncé sa voiture, tu as
failli le tuer et il ne s’est rien passé ?
— Ecoute, je n’ai pas envie d’en
parler… Il se fait tard, rentre chez toi.
Puis
il descend de la voiture et suit les pas de sa nièce. Je sors à mon tour et lui
crie :
— Tu n’as pas besoin de tuer un homme pour moi.
Tout ce que je veux c’est que…
— Oui je le sais ! Tu crois que je ne le
sais pas ?
Il
revient sur ses pas et se met à crier aussi.
— Tu crois que j’aime me mettre en colère ainsi.
Ne plus rien contrôler ? Savoir que tout ce qui est lié à toi me met dans
cet état. Tu crois que j’aime ça ? Je fais des efforts continuellement
pour garder le cap et faire ce que je t’ai promis de faire. J’ai perdu mon
père, mon oncle, ma position sociale, le respect de ma famille. Je vais
peut-être perdre l’héritage de plusieurs générations de Khan. Et ce mec, il
vient me chercher…
— Mais tu ne me perdras pas moi.
Il
se calme immédiatement et me caresse la joue.
— Et c’est tout ce qui compte Leila. Je ne peux
pas accepter de te perdre toi. C’est au dessus de mes forces.
Et
moi de lui dire pour détendre l’atmosphère.
— Mais la prochaine fois qu’un mec me drague un
peu. Garde ton calme. Ok ?
Il
sort une cigarette du paquet enfoui dans sa poche.
— On verra
Il
l’allume et en tire une longue bouffée puis s’adosse au portail. Je le regarde,
lui fais une bise et je m’en vais. Le pull rouge lui va bien. Avec la fin
d’après-midi de dingue qu’on a passé, je n’ai même pas remarqué combien de fois
il était sexy habillé comme ça. Je suis heureuse qu’il ait fait l’effort de
venir assister à la représentation de Karisma. Ca prouve au moins qu’il n’y pas
que moi qui m’intéresse à elle.
La
journée a été très longue. S’il se met à fumer c’est qu’il a encore besoin de
se calmer.
****Karisma****
Je
trouve ma grand-mère assise sur la balancelle de la terrasse à l’affut de
l’arrivée d’uncleji. Une brise légère souffle et fait danser ses longs cheveux
couleur ébène. Cette vieille chouette va se crever les yeux à force d’essayer
de les voir à travers les branchages des arbres du jardin.
Dans
une famille normale, j’aurai pu m’asseoir à côté d’elle et lui raconter mon
incroyable journée. Après tout, l’amour pour le Kathak c’est de son côté que ça
me vient puisqu’elle est originaire du nord de l’Inde et que c’est vient de
là-bas. Mais nous ne sommes pas une famille normale. Et elle n’est pas une
grand-mère aimante. Alors je n’ai pas aussi à être une adorable petite-fille.
C’est comme ça que je vois les choses.
— Où est Devdas ?
— Il est avec Leila jaan.
Elle
me regarde sévèrement mais je ne baisse pas pour autant les yeux. Je la connais
bien la vieille, elle grogne plus qu’elle ne mord. Je sais que le terme que je
viens d’utiliser l’énerve profondément.
Leila la bien aimée. Ca a été une inspiration soudaine pour la
tourmenter encore plus. On les entend discuter au portail. Ca doit la mettre
dans tous ses états, de voir son fils tellement attaché à « cette
femme noire» comme elle l’appelle.
Après
ce que j’ai vu aujourd’hui, j’ai juste réalisé que la colère des Khan n’est pas
une légende que l’on me racontait pour que je n’embête pas nânâ (grand père
maternel). Il doit vraiment être amoureux d’elle pour réagir ainsi à cause de
Monsieur Nzé. Ca m’a fait très peur, j’ai cru qu’il allait le tuer. Je ne sais
pas si mamie se rend compte de ce qu’elle fait.
Insister pour qu’il épouse Neina ou une autre est une grave erreur.
Comment ça se fait que je puisse m’en rendre compte moi et pas elle. Les
adultes et leur cerveau à l’envers !
Je
suis maintenant convaincue que dès qu’il en finira avec l’entreprise, il
repartira avec elle.
Et
je ne les reverrai plus jamais. Ils ne reviendront plus.
*
**
****Deux
semaines plus tard. Veille de la finale de danse classique du lycée.****
Leila
est une véritable tortionnaire. Je n’en peux plus, les autres non plus, on est
tous à bout de souffle. Comment peut-on être aussi perfectionniste ?
—
Leilaji, je suis fatiguée !
* l'usage du
petit vocable « jî » est particulièrement intéressant. Employé pour
exprimer de manière polie et respectueuse la négation ou l'affirmation, jî
nahîn ("non"), jî hân ("oui"), jî est également placé à la
fin des noms pour signifier le respect ou l'affection : pitâ ("père")
donne pitâjî, le prénom Gopal devient Gopaljî, etc
—
Tu veux gagner ou pas ?
— Oui je veux gagner mais là, ça
fait quatre heures que je répète cette chorégraphie. C’est bon, je la connais.
— Bon, ok on va faire une pause.
Toutes
les personnes autour de moi, lui lancent des regards craintifs. Je suis sure
que personne ne songerait à se plaindre à haute voix si elle exigeait qu’on
continue. Même mon guru s’est fait tout petit face à elle.
J’aimerai
bien avoir sa poigne plus tard.
— Demain, vous avez intérêt à
tous être là à l’heure dit-elle en les menaçant de ses doigts fins. Sinon, vous
allez entendre de mes nouvelles.
Ca
y est, on est délivré ! Comme institué par elle, toutes les personnes
présentes s’applaudissent pour se féliciter de cette journée de travail et on
se donne tous ensemble rendez-vous pour demain.
Pour
ceux qui ont de la chance d’en avoir, leurs parents étaient au rendez-vous à la
fin de l’entrainement. Ils ont discuté un peu avec Leila, prenant des
renseignements pour le lendemain. J’ai comme l’impression qu’elle est heureuse
de pouvoir se consacrer de temps à autre, à autre chose qu’à mon oncle.
Organiser, c’est son truc, elle est vachement efficace en tout cas.
Puis
son téléphone a sonné et elle s’est mise à l’écart pour répondre. Je sais
qu’elle parle à uncleji. Le sourire sur son visage en témoigne.
****Leila****
— Alors, tu viens demain, ça va être le grand
jour pour Karisma.
— Non demain, je ne pourrais pas, je dois
prendre un vol pour New Dheli. Je serai absent pendant une semaine tout au
plus.
— Ok, je soupire, déçue.
Et
je raccroche avant qu’il ne puisse ajouter autre chose. Une dame se rapproche
de moi. Je suppose que c’est la mère d’un des condisciples de Karisma.
— Bonjour, je suis Madame Suzi
Ebana, vous êtes la mère de Karisma ?
Je
reconnais tout de suite l’accent du Cameroun.
— Euh non, sa tante.
— Ah d’accord. Alors, vous êtes
prêtes ou pas pour demain ?
— Je crois que ça peut aller.
Elle a travaillé dur. Ca paiera.
— Entre nous, j’aimerai bien
qu’elle gagne.
On
papote encore un peu et elle me raconte comment elle a suivi son mari,
diplomate dans un pays aussi éloigné du sien. Rien qu’à l’entendre parler de
lui, on sent une amoureuse de l’amour. Moi, je préfère dire que je suis là pour
affaire. Après tout, ce n’est pas complètement faux. Elle raconte les débuts
difficile pour son garçon et l’obligation pour elle, de l’inscrire dans cette
école internationale qui accueille toutes les nationalités.
— Allez Koty, on y va !
Le
garçon prend son sac à dos et ils s’en vont bras dessus bras dessous.
****Le
lendemain. ****
****Karisma****
J’ai
le cœur qui bat la chamade. Je crois que je vais vomir tellement je suis
stressée. Pourtant vu que c’est la deuxième fois que je dois danser devant tout
le lycée, ça ne devrait plus me faire autant peur. C’est juste que cette
fois-ci, je ne suis pas seule dans le bateau.
Leila
a dit que quand on veut gagner, il faut s’en donner les moyens et savoir
surprendre le public. C’est vrai que pour le premier tour c’est le jury qui
décide mais le jour de la finale ce sont les élèves qui choisissent. Et je suis
loin d’être la favorite. Anjali est très populaire au lycée et le vote du
public lui est quasiment acquis d’avance.
Leila
est stressée aussi. Peut-être même plus que moi ? Elle a eu beaucoup de
mal à m’attacher mes Ghungroos. Ce sont des bracelets de chevilles garnis de
nombreux grelots, utilisés dans les danses classiques & traditionnelles
indiennes et pakistanaises. Cousus le long d'une cordelette, sur un support en
tissu souvent très coloré ou sur une pièce de cuir, les grelots servent à
accentuer l'aspect rythmique de la danse en marquant le temps, et permettent en
outre au public de mieux suivre les mouvements complexes des pieds des danseurs
en soulignant chaque geste. Ce sont de véritables instruments de musique à la
technique très évoluée, les Ghungroos permettent d’exécuter tous les rythmes
indiens et résonnent à chaque pas des danseurs, les faisant ainsi entrer dans
une joute rythmique avec les percussionnistes qui les accompagnent. Personne
n’a encore dansé avec des Ghungroos aux pieds dans mon école, même pas
Anjali. La première fois qu’elle les a
vus, elle a pouffé de rire en disant que ça lui rappelle ce que portent
certains danseurs traditionnels au Togo. Hum, on pense que nos cultures sont
différentes mais au final, aucune n’est unique.
Ma
tenue est parfaite, dorée au dessus et rouge en dessous. Je suis parfaite
malgré mes rondeurs. C’est Leila qui me l’a dit. Elle c’est une vraie tige mais
bon, si elle dit que je le suis c’est que je le suis.
Leila
s’est tellement donné du mal pour que tout soit parfait et là encore, tel un
chef d’orchestre, elle s’apprête à tout synchroniser.
Pour
que mon passage soit exceptionnelle, elle m’a demandé de contacter le club de
musique afin qu’il joue en live pour donner plus d’authenticité à la danse. De
vraies percutions rythmeront les mouvements de mes pieds. Le club de théâtre
aussi participe. Ses membres vont faire office de figurants.
On
m’appelle. C’est à mon tour de passer. On recrée l’atmosphère des cours d’antan
où les courtisanes dansaient pour obtenir les faveurs des empereurs. En une minute chrono, il faut installer le
décor. Ca y est c’est fait. La salle murmure. Personne ne comprend se qui se
passe. Les musiciens s’installent et les figurants habillés de vêtements dignes
d’une cour du XVe siècle, entrent en scène. On s’y croirait presque.
Moi
j’avance sur scène. Habillée d’or. Pour la première fois de ma vie, des
personnes sont venues me soutenir, les
parents, amis et connaissances de tous mes amis qui participent à mon SHOW et
je peux dire que ça en fait du nombre !
Je suis trop heureuse, comblée… J’ai la rage de vaincre.
****Leila****
Je
ne me sens pas bien. Je suis trop stressée. C’est la première fois que je
m’investis autant dans quelque chose de… futile. Mais au moins, je stresse en
compagnie des autres parents d’élève. Ca me fait tout drôle. Pourtant ce n’est
qu’une compétition d’adolescentes. Mais j’en ai fait un truc de malade. Ca m’a
pris du temps et de l’argent mais ça en vaut la peine, si la petite pipelette
est contente. Elle aime bien être le centre de l’attention. Bah là y’a au moins
cinq cent paires d’yeux tournées vers elle.
Les
percussions commencent…
Et
elle se met à danser…
C’EST
MAGIQUE. Son corps pirouette, ses mains vibrionnent avec leur série de
bracelets, ses pieds virevoltent, les grelots tintinnabulent. C’est magique.
Jusqu’au
final de sa chorégraphie, elle a su rester concentrée. Je lui fais un petit
signe quand elle s’arrête sous les acclamations du public. Je suis très fière
d’elle.
Trente
minutes plus tard, après le vote du public, les candidates sont au centre de la
salle et les résultats tombent.
Nabila
Ashraf, cinquième. Nisha Roy quatrième. Neha sharma troisième.
Puis
Karisma et Anjali ont été mises côtes à côtes pour la décision finale.
La
gagnante est…
*
*
*
Moi (dans
mon cœur en train de prier) : Pourvu qu’on cite son nom, pourvu qu’on cite
son nom.
*
*
*
ANJALI
PADUKONE.
Ce
n’est pas croyable ! On a remit à Anjali son prix tandis que Karisma est
restée droite comme un piquet. Elle a de la peine, je le sens…
La
salle a commencé par murmurer en signe de protestation puis des cris et des
sifflets se sont fait entendre ça et là. Non mais ils ont raison quoi !
Karisma a parfaitement surclassée Anjali et sa chorégraphie était
sensationnelle. L’idée était peut-être un peu trop innovante pour des
conservateurs comme eux. Pffff ! Je l’ai regardée et elle s’est mise à
pleurer. Wo… C’est la partie du film que je craignais. L’amer gout de la
défaite.
Elle
a couru vers moi et je l’ai prise dans mes bras. Je lui ai débité les sornettes
habituelles : le principal c’est de participer pas de gagner à tout prix
et patati patata. Elle n’avait pas l’air très convaincu. Je crois qu’elle est
aussi mauvaise perdante que moi mais qu’elle fait contre mauvaise fortune bon
cœur. Ses nouveaux amis, les membres du club de musique et de théâtre se sont
regroupés autour de nous pour la consoler.
Elle pleure déjà moins.
Puis
contre toute attente Anjali et sa mère se sont rapprochées aussi de nous, le
trophée en main. Les autres se sont écartés pour les laisser nous parler. J’ai
pris Karisma par les épaules, prête à la défendre en cas d’attaques mal venues.
Anjali tend le trophée à Karisma.
— Tu as été merveilleuse. C’est à
toi qu’il aurait dû revenir.
Ah
ça, je ne m’attendais pas à ce qu’elle le reconnaisse. J’ai regardé Karisma qui
a séché vite fait ses larmes.
— Garde-le. Je te l’arracherai
l’année prochaine, dit-elle en souriant et avec une gentillesse que je ne lui
connaissais pas.
— Maintenant que je connais ton
niveau, je serai encore meilleure.