J-6 (1/2)

Ecrit par Owali

J-6

Natacha, l'amour de ma vie.

Jamais je n'aurai imaginé parler d'une femme en ces termes. Moi qui jadis jouait avec les sentiments des filles que je changeais comme de vulgaires chaussettes, je m'étais fait avoir comme un bleu. Même mes amis d'enfance, avec qui j'avais tout partagé, n'en revenaient pas. Moi, la tête pensante, l'instigateur de toutes les conneries possibles et inimaginables, j'allais me caser. Dans un sens, je n’allais pas à l’encontre de ma réputation car si on suivait leur logique, Natacha n'étant pas de notre monde, ce mariage représentait une bêtise de plus à leurs yeux.

J'étais ce qu'on appelle communément un «enfant de tété», un gosse de riche. Ma mère était une ancienne miss Haut-Ogooué s’étant reconvertie dans les affaires. Elle possédait plusieurs restaurant et motel à travers le pays. Mon père quant à lui était un homme du « système », grand politicien et haut cadre de la fonction publique. Je n’ai manqué de rien depuis ma tendre enfance. Maison dans les beaux quartiers de la capitale, scolarité dans les meilleures établissements, voyages aux quatre coins du globe à chaque vacance, j’ai eu droit à tous les privilèges due à la position sociale de mes parents. Tout le contraire de Natacha qui elle, avait vécu à Port-Gentil ou plutôt à Ntchéngué, un village situé à environ 10 km de route en latérite de la capitale économique. Le moins qu’on puisse dire c’est que sa vie n’avait pas été de tout repos. Née d’une aventure entre sa mère alors simple lycéenne et un pétrolier américain disparu du jour au lendemain, elle avait dû se battre depuis le plus jeune âge pour réussir dans la vie. Sa mère, qui avait été mise à la porte par ses parents lorsqu’ils découvrirent sa grossesse, s’était débrouillé pour trouver un studio et faire des petits métiers pour subvenir aux besoins de ses enfants. Elle a connu beaucoup de moment difficiles, dont elle a encore du mal à me parler aujourd’hui, mais ce sont toutes les épreuves qu’elle a traversé qui font d’elle la femme forte et admirable qu’elle est aujourd’hui et dont je suis tombé amoureux.
— Qu'est-ce qu'elle te voulait ? Me ramena à lui John, mon cousin et meilleur ami avec qui j’avais l’habitude de faire ma pause le midi.
— J’en sais rien, je ne l’ai pas rappelé. J’avais été pourtant très claire avec elle, une fois que ma femme accouchait, il fallait qu’elle oublie mon numéro.
— Ah mais les femmes tu sais ce que c’est hein. Dès que tu leur donne un peu à goûter, elles ont déjà en tête un plan pour tout manger quand, les plus ambitieuses n’envisagent pas de carrément prendre la place de la cuisinière !

Je ricanai à sa blague en portant une part de pizza à la bouche.

John était comme mon jumeau. Nous avions le même âge et le fait d’avoir grandis ensemble nous donnait des traits de ressemblance. Alors que physiquement nous étions différents - j’étais plutôt grand et claire quand il était de taille moyenne et très noir-, l'intonation de nos voix était si proche qu’on nous confondait régulièrement au téléphone. On se connaissait tellement bien qu’il était difficile de se cacher des choses sans que l’autre ne les devine.

—  Pourquoi tu tires autant la tronche alors si tu l’as envoyé baladé ?
Mon téléphone se mis à trembler à nouveau dans la poche intérieure de ma veste. Je ne pris même pas la peine de le prendre.
— Elle insiste. Depuis ce matin, elle n'arrête pas d’essayer de me joindre.

— Mais décroche toi aussi, ça te coûte quoi ? Si elle insiste c’est que ça peut être grave.

— Ou qu’il s’agit d’une énième plaisanterie. Avoue que le moment où elle m’a envoyé ce message est plutôt intriguant.

Il fronça les sourcils.
— Comment ça ?
Je le tapai la main sur le front. Toute cette histoire me chamboulait tellement que j’avais oublié de lui parler de cette histoire.
— Depuis hier, un petit plaisantin s’amuse à me faire parvenir des lettres de menace. Ce matin, je découvrais la deuxième lettre au moment où elle m’envoyait son message parlant lui aussi, comme par hasard, de mort…
Il eut le regard fuyant et s’agita sur sa chaise, comme mal à l’aise suite à mes propos. Il se racla la gorge et vida son verre d’eau à grandes gorgées avant de répliquer :
— Une lettre de menace dis-tu ? De quel genre ?
— Du genre d’une invitation à un retrait de deuil. Enveloppe noir et promesse d’une mort certaine dans les sept jours à venir.
Cette fois-ci il s’étouffa dans une quinte de toux. Je me levai et lui donnai quelques coups dans le dos avant de lui resservir un verre d’eau.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive type ? Tu as chopé la tuberculose où quoi ? Plaisantai-je.
En guise de réponse j'eu droit à une grimace. Sa toux ne se calmant pas, il prit la direction des toilettes.

Je profitai de son départ pour échanger quelques messages avec Natacha et prendre des nouvelles de ma fille. L’arrivée de cette enfant m’avait complètement changé. Je me sentais comme investie d’une nouvelle mission. Celle de transmettre mon héritage intellectuel, culturel et matériel à ma descendance. J’avais désormais une progéniture. Une nouvelle raison d’être. Je ne vivais plus que pour ma seule personne, mais pour un être qui deviendrait mon prolongement, qui perpétuerait mon œuvre sur terre. Ce nouveau bonheur valait toutes les richesses du monde et je m'étais fait la promesse de le défendre corps et âmes. C’est pour cette raison que j’avais pris la décision d’épouser Natacha, et ce, même contre l'avis de ma mère. Elle en avait tellement bavée à mes côtés que me devais l’honorer. C’était une femme si douce et patiente, elle méritait plus que quiconque que je l’élève au rang d’épouse.


Treize heure. Le restaurant était encore bien remplie. Il ne me restait plus qu'une demi-heure avant une réunion de point avec le DG et bien que le Dolce Vita où nous étions descendu n’était pas très  loin de mon bureau sis à l’immeuble du Bord de mer, je devais m’en aller au plus vite si je ne voulais pas être en retard. J’appelai la serveuse pour régler la note et fis un tour au toilette pour prévenir John de mon départ.
En poussant la porte, je le vis de dos au téléphone et pu capter des brides de conversation avant qu’il se rende compte de ma présence :
« ...ça doit être son œuvre ça, c'est sûr que c'est lui qui est derrière ce coup...»
La porte se referma dans mon dos. Il sursauta et fis un mouvement de recul lorsqu’il me vit.
— Oh! Tu es là ? Fit-il embarrassé en interrompant sa communication.
Son comportement était suspect. J’avançai lentement vers lui en le pointant du doigt.
— Toi, tu me caches quelque chose. Tu parlais avec qui?

Il rangea son téléphone dans la poche de son pantalon et gratta sa tête nerveusement.
 — Te cacher quelque chose comment ? Rick m'a appelé au moment où j’allais te rejoindre, rien de plus.
— Rick ? Et vous vous parlez maintenant en cachette quoi ?
— Qu'est-ce qui t'arrive? Tu m'as pris pour Natacha ou quoi? Je n'ai pas de compte à te rendre tu comprends.
Il me pointa du doigt pour me menacer puis entrepris me dépasser. Je le retins par l'avant-bras. Plus petit et moins massif que moi, j'avais un ascendant physique indéniable sur lui. Il dévisagea ma main puis me défia du regard.
— De quoi vous parliez Rick et toi dans mon dos ? Articulai-je soigneusement chaque syllabe. Je te parlais d'une menace de mort à laquelle j'étais sujette et comme par hasard tu disparais pour faire des messe basses. Tu sais quelque chose ?
— Mais tu deviens parano ma parole. OK très bien, puisque tu le prends ainsi je vais te dire de quoi nous parlions.
Il se dégagea de mon emprise et réajusta sa veste. Je jetai un œil à ma Longines au poignet, il ne me restait plus qu'un quart d'heure avant ma réunion.
— Bon crache le morceau, je n'ai pas que ça à faire! M'impatientai-je .
— Au cas où tu l'aurais oublié, ce week-end c'est ton enterrement de vie de célibataire. De fait nous nous appelons régulièrement ces derniers temps pour l'organisation. Ça te va ou tu veux plus de détail ?
J'haussai les sourcils de surprise et m'excusai confus. Il ne m'en tint pas rigueur et nous nous séparâmes sur le parking.

 Cette histoire me rendait  complètement parano. J'inspectai inconsciemment le pare-brise de ma voiture en la regagnant et me surpris à être soulagé de ne rien y trouver. L’intrusion à mon domicile était l’acte de trop. J’avais la désagréable sensation d’être épié en permanence et je n’aimai pas ça. Ce jeu ridicule devait prendre fin au plus vite et pour ce faire, j'allais devoir joindre le coursier du ministère des transports très rapidement. Je tournai la clé de contact avec la ferme intention de tirer cette histoire au claire.

Je sortis du port mole, bifurquai à droite pour rejoindre le boulevard du bord de mer en direction de l’Agence Air France où je profitai du carrefour pour aller en sens inverse et rejoindre les bureaux de l’ANGT. En me garant sur le parking, j'aperçu à travers mon rétroviseur Norbert, un collègue, sortir précipitamment du bâtiment et se diriger vers sa voiture garée à deux pas de la mienne.

— Monsieur Ratanga ! Vous avez l’air pressé, tout va bien ? L’interpellai-je en baissant ma vitre.

— Oui, j’ai une urgence là ! Répondit-il sans m’adresser le moindre regard. La cinquantaine, cheveux grisonnants et boitant légèrement, il était tellement pressé qu’il failli trébucher en regagnant sa vieille berline. La scène me fit sourire.

Je sortis et me dirigeai vers l’entrée de l’immeuble quand il démarra. Un coup de klaxon retentissant dans mon dos me coupa dans mon élan. Je me retournai et le vis faire de grand geste en direction du chauffeur d’une voiture obstruant son passage. Le véhicule se déplaça et alors qu’il se remit en route, je cru distinguer une silhouette féminine à ses côtés.

Une urgence, disait-il ?

Je regagnai mon étage le sourire aux lèvres. Il me restait cinq minutes avant le début de la réunion. Je m’arrêtai devant le bureau de  Sandrine pour qu’elle me remette le document de synthèse devant servir de base à mon entrevue.

— Je suis désolée monsieur mais vous ne m’avez rien envoyé.

— Mais comment ça ? Je t’ai bien dit de m’imprimer ça en allant à ma pause non ?

— Oui monsieur mais je n’ai pas reçu le mail que vous dites m’avoir envoyé. Je vous jure, regardez vous-même.

Elle tourna l’écran de son ordinateur dans ma direction pour prouver sa bonne foi. Le mail que je pensais lui avoir envoyé n’apparaissait effectivement pas.

— Bon ok, je vais l’imprimer moi-même dans ce cas ! Lançai-je irrité en regagnant la sortie.

— Au fait monsieur, il y a une jeune dame qui vous a manqué peu après votre départ. Comme je partais aussi je lui ai dit de repasser plus tard.

— Une jeune dame ? Elle a donné son nom ?

— Non monsieur, mais…

— Bon on verra ça plus tard, la coupai-je. Je n’ai pas le temps, je suis déjà en retard.

Je fonçai à mon bureau et m’installai devant mon ordinateur fixe. L’écran était en veille. Je bougeai la souris, tapai sur quelques touches et appuyai plusieurs fois sur le bouton power mais  seul le seul message qui apparut sur fond noir fut « No Signal ».

C’est quoi encore le problème ?

Je me penchai pour vérifier le câblage. Tout était bon à l’exception de l’unité centrale qui ne semblait pas en marche bien que branchée au secteur. J’actionnai plusieurs fois le bouton d’allumage, rien à faire. Sentant la colère monter en moi, j’hurlai quasiment pour que mon assistante rapplique au plus vite. Elle apparu sur le seuil de la porte apeurée.

— Monsieur ? Il y a un problème ?

— Qu’est-ce qu’il se passe avec mon ordinateur ?! Pourquoi il ne s’allume plus ? Quelqu’un est entré dans mon bureau ?

— Non monsieur, bégaya-t-elle. Je n’ai vu personne tout le temps que j’étais là. Mais, la porte n’était pas fermé ?

— Et pourtant si ! Merde ! C’est quoi encore ça !

Enervé, je donnai un coups de pied dans l’unité centrale.

— Vous souhaitez que j’appelle l’informaticien ?

— Inutile, je l’ai vu sortir en catastrophe tout à l’heure…

Mon regard venait de se poser sur une visse qui semblait s’être détachée du capot. J’otai ma veste et me baissai. Les autres visses n’était pas bien fixée, elles non plus. Quelqu’un s’était bien introduit dans mon bureau, il n'y avait plus de doute. J’entrepris de toutes les retirer afin de voir ce qu’il s’est passé en dessous.

— Sandrine…

— Monsieur ?

— A quoi ressemblait la femme qui est venu ?

— Heu… elle était assez jeune, dans les vingt ans comme ça. Plutôt mince et brune. Elle avait un long tissage et un piercing au nez et…

La description qu’elle me faisait correspondait à Sindy. Ce n’était pas possible ! Qui lui avait donné l’adresse de mon travail ?! Et qu’est-ce qu’elle voulait à la fin ?

— Ok je vois qui c’est. Tu l’as vu ressortir ?

— Heu… non. Elle voulait se soulager donc je lui ai montré la direction des toilettes avant de partir…

J’avais retiré toutes les visses et soulevai le capot en retenant mon souffle. Bien que n’y connaissant pas grand-chose en ordinateur, je compris tout de suite ce qui clochait. Je me redressai et levai les yeux vers mon assistante complètement tétanisée par la peur.

— Mon… monsieur, votre chemise… bredouilla-t-elle inquiète.

Mon téléphone vibra dans la poche de mon pantalon.  Inconsciemment, ma main le porta à l’oreille. Un rire sortie d’outre-tombe s’éleva à en glacer le sang.  Je le retirai vivement pour voir le nom de mon interlocuteur : Numéro inconnu.

— Monsieur, votre chemise est complètement trempée et vous êtes… Livide. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Je baissai la tête sur ma chemise, puis levai les yeux vers elle sans la voir. Des vertiges me saisirent. 

— Dites au DG que je ne pourrai pas être là s’il vous plaît… réussis-je à prononcer en me laissant tomber sur mon fauteuil.

— D’accord monsieur, mais vous pouvez me dire ce que vous avez ?

— Je ne me sens pas bien. Je ne comprends pas. Il se passe des choses bizarres…

— Bizarres monsieur ? Qu’est-ce qu’il se passe avec votre ordinateur ?

— Quelqu’un cherche à me nuire Sandrine… Et là ça devient très grave car cette personne vient de mettre la main sur des dossiers ultra confidentiel…

— Mais… comment monsieur ?

— Là est toute la question. La seule chose que je sais c’est que, mon disque dur s’est envolé comme par magie ! 


_____

A votre avis, qui a bien pu dérober le disque dur de James?

Sept jours à vivre