PROLOGUE

Ecrit par Owali

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Connais-tu la grande loi du Karma?

« Vous récoltez ce que vous semez. »


L’heure de la moisson a sonné.

Dans sept jours, vous irez rendre des comptes a votre créateur.

Repentez-vous pendant qu’il est encore temps.

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Une blague. Voilà ce que c'était. 

Une plaisanterie de mauvais goût de la part d'une personne qui n'avait rien d'autre à faire de ses journées que de troubler la quiétude d'un honnête citoyen de la république comme moi. 

D’un coup de pied, je refermai la porte de mon bureau et allai m’installer sur mon fauteuil en croûte de cuir noir.

Du véritable n'importe quoi ! Osez me menacer, moi James Ossamy ?

J’esquissai un sourire en lissant mon bouc du bout des doigts. Non. Assurément l'individu derrière ce coup avait dû se tromper de destinataire. Ca ne pouvait être moi.

L'enveloppe carrée qui accompagnait le mot était noire, légèrement satinée et sans aucune inscription. J’avais plaisanté avec mon assistante en avançant qu’il s’agissait certainement d’une invitation à un retrait de deuil, mais j’étais loin de me douter que le contenu était réellement aussi funeste.

Je retournai le petit carton doré sur lequel le message tapé à l’ordinateur était inscrit, il n’y avait rien. Mon nom n’était mentionné nulle part. Aucune signature. Je convoquai immédiatement mon assistante.

« C’est Francis, le coursier du ministère des Transports qui m’a dit de vous remettre ça en main propre. » m’assura-t-elle. 

Je connaissais bien ce coursier. Plutôt rustre et peu soigneux,  ce n’était pas le genre à envoyer des menaces par invitation et encore moins à avoir une culture bouddhiste.  Je remerciai Sandrine, fis une boule de ce chiffon et le lança dans la corbeille à papier à l'autre bout de la pièce. Affaire classée. Panier à trois points, comme au bon vieux temps. J'avais encore la main.

Ma veste habilla le dossier de mon siège et je m'installai à mon bureau pour me mettre au travail, ou du moins faire semblant. Une pile de réponses à l’appel d'offre du projet de réhabilitation de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Bitam traînait sur mon bureau. Officiellement j'avais à ma charge la vérification des dossiers juridiques de chacune des candidatures, mais je n'avais vraiment pas envie de me fatiguer. Tout était déjà conclu.  Avant même qu’il n’ait vu le jour, ce marché avait déjà été attribué à une société sino-gabonaise bien implantée dans le milieu du BTP de l’émergence. J’avais eu ma commission et tout ce qu’il me restait à faire c’était trouver des motifs pour rejeter les autres dossiers. Trouver la petite bête pour éviter à notre montage le qualificatif de « marché de gré à gré », voilà en quoi consistait mon rôle officieusement. Un travail beaucoup plus éprouvant en réalité. Je méritais amplement mes trois bâtons. 

Un message de Natacha, ma future épouse me sortit de mes pensées :

« N’oublie pas qu’on part ce soir, ne rentre pas trop tard s’il te plait Amour».

Il me fallait commencer si je voulais tenir ma promesse. Je dévisageai les dossiers avec ennui. Un long soupire m’échappa avant que, nonchalamment, je me décide à tirer la première chemise en haut de la pile.

Quand faut y aller, faut y aller ! 


***


Le cadran digital du tableau de bord de ma BMW X3 indiquait dix-neuf heure lorsque Laurianne, ma petite nièce de 16 ans vînt lorgner par dessus le portail de la maison. Je fis vrombir le moteur pour qu’elle se hâte d’ouvrir, faisant par la même occasion sursauter le chien du voisin qui dormait à deux pas du caniveau. J’habitai au bout d’une impasses à Agondgé première cité. Comme d’habitude, la rue était calme et faiblement éclairée par les lampadaires muraux des maisons voisines. 

Le portail ouvert, j’avançai sur une dizaine de mètre pour me garer sur la cour bétonnée située à l’avant de la maison. Ma villa de plain pied était composée d’une petite terrasse à l’avant par laquelle on entrait pour accéder à l’espace salon, salle à manger disposé en L. Une porte au fond à gauche desservait la partie nuit (trois chambres et deux salles de bain) tandis qu’une autre, située près du coin repas, donnait sur la cuisine et le jardin à l’arrière. Climatisation, télévision satellite et internet, je n’avais vraiment pas à me plaindre niveau confort, j’étais à l’aise. 

—  Bonsoir Tonton ! me lança ma nièce dès que je posai le pied au sol. Bonne arrivée !

— Merci Lolo, ta tante est encore là j’espère.

— Oui tonton, elle allait même t’appeler parce qu'elles sont déjà prêtes pour partir.

Sans répondre, je la dépassai et poussai la baie vitrée avec hâte. Deux grandes valises debout obstruaient le passage. Des bruits de marmite retentirent de la cuisine. Je déplaçai les valises et m'apprêtai à y aller lorsque, des gazouillis provenant du salon retinrent mon attention. Le landau posé sur le canapé se balançait légèrement au rythme de coup de pied donné par de minuscules pieds nus. Un large sourire illumina mon visage lorsque je ramenai à moi ma plus grande fierté. La prunelle de mes yeux, mon plus beau joyaux: Marie Stella Ossamy.

 — Ah te voilà enfin ! S’exclama la plus belle de toute dans mon dos.

Je me retournai et la gratifiai d’un long baiser en guise de salutation.

— Hum ! Ne crois pas t’en tirer à si bon compte en m’embrouillant avec tes douces lèvres, ça ne marche pas ! résista-t-elle en voulant se donner un air contrarié.

— Je suis désolé ma belle, j’ai fait aussi vite que j’ai pu mais tu sais ce que c’est...

— Ouai, ouai. Des réunions de dernières minutes ou ton DG qui te retient, je connais déjà la chanson. Mais profite bien hein, parce que dans quelques jours se sera terminé !

— Ah ? Comment ça ? Si je ne travaille plus comment vais-je pouvoir subvenir à vos besoins ?

— On a aussi besoin de ta présence ici. Il n’y a pas que le boulot dans la vie…

La suite de sa phrase fut interrompue par des coups de klaxon devant le portail. Laurianne qui était toujours à l’extérieur -surement au téléphone - alla ouvrir. Quelques secondes plus tard, le Prado gris anthracite du cousin de Natacha se gara derrière ma voiture.

— Ce n’est pas trop tôt ! S’enthousiasma ma femme. Allez Maman Marie, on y va.

Son cousin nous salua et récupéra les bagages alors que Natacha remettait notre fille de quatre mois dans son couffin.

— Eh bien ! Cache ton empressement de m’abandonner « femme », boudai-je à mon tour en la voyant prendre ses affaires sans l’ombre d’une hésitation.

— Rho ! Tu me fais quoi là ? Il est tard pour traîner avec un bébé dehors c’est pour cela que je fais vite.

Je marmonnai, peu convaincu par son explication.

— Et pourtant on en a déjà parlé plusieurs fois, non ? Poursuit-elle sentant mon mécontentement.

— Oui mais tu pouvais même faire un peu semblant d’être triste de me laisser. Là on dirait que tu as seulement hâte de retrouver tes gens, comme si tu n’étais pas bien ici.

Son cousin revint. Elle me laissa dire une dernière fois au revoir à ma fille avant de lui confier le couffin pour qu’il aille l’installer.

— Chéri, pour la dernière fois, nous n’allons être séparé que pendant une petite semaine. Ce n’est pas la fin du monde. Comprends que si tu me vois tous les jours, ce n’est pas bon, tu n’auras plus le gout. Il faut que quand tu me revois là, ce soit le choc direct ! Que tu te mettes même à pleurer à cause de la bénédiction dont le Seigneur t'aura recouvert en me mettant sur ton chemin.

J’éclatai de rire face à son aplomb.

— Ah ah ah ! Et moi? Je ne suis pas une bénédiction pour toi ?

— Bien sûr que si chéri. Notre histoire était écrite, nous étions faits pour être ensemble toi et moi. De vivre ce bonheur. Si tu savais comme j’ai hâte de devenir Madame Ossamy, après tout ce qu’on a vécu, tu arrêterais de bouder comme tu le fais là. Dans quelques jours nous serons unis devant Dieu et devant les hommes pour la vie…

Elle se pencha vers moi et m’embrassa tendrement. A travers ce baiser je ressentie toute son affection et la difficulté qu’elle avait à me quitter malgré l’air détaché qu'elle voulait se donner. Je l’enlaçai et l’accompagnait jusqu’à la portière de la voiture.

« Doucement sur la route hein ! »  Donnai-je comme ultime instruction à son chauffeur avant qu’il ne s’en aille vers la cité Damas où résidait une partie de la famille maternelle de Natacha, l’autre étant basé à Port-Gentil.

Je rentrai avec ma nièce et nous nous installâmes à table pour savourer le plat de feuilles de manioc au Nyemboué que Natacha nous avait laissé. Le ventre lourd, je n’eus aucun mal à trouver le sommeil cette nuit-là. 


***


La maison était tellement calme ce jeudi matin que je cru, l’instant de quelques secondes à mon réveil, qu’on était un jour de Week-end. Ma fille n’avait pas pleuré dans la nuit et ma femme ne m’avait pas dérangé dans le lit. Un bonheur en temps normal, mais là ça m’avait manqué. 

Laurianne partait tôt le matin au lycée. De fait j’avais traîné mon corps telle une âme en peine à travers la maison tout le long de mes préparatifs. Après avoir engloutis une tartine à la confiture et un café, j’étais fin prêt à huit heures pour aller au bureau. 

Le soleil pointait déjà le bout de son nez lorsque je fermai la porte de la maison à double tour. Après avoir ouvert le portail, je pris place au volant de ma voiture et m'apprêtai à démarrer lorsque mes yeux tombèrent sur une enveloppe carrée noire calée entre le pare brise et les essuies glace. 

Encore ?

Instinctivement, je balayai les environs du regard. Mis à part des oiseaux qui se disputaient, tout était calme. Le cœur battant la chamade, j’ouvris lentement ma portière et descendit. Tout en continuant à regarder autour de moi, je récupérai l’enveloppe et l’ouvrai les mains tremblantes. Sur une feuille cartonnée dorée était inscrit: 


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 J-6

Le premier pas vers la guérison, 

c’est la reconnaissance de sa maladie. 

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Mais c’était quoi ce délire ?! Qui s’amusait à m’envoyer des conneries pareilles? Et jusqu'à mon domicile en plus !

Ma température intérieure augmentait dangereusement. Mon sang commençait à bouillir. Des idées noires me traversaient l'esprit. Des noms, des visages, des suspects potentiels défilaient sous mes yeux. Ils étaient si nombreux à être jaloux de mon ascension professionnelle fulgurante et de mon bonheur grandissant. 30 ans, haut cadre à l’ANGT, bientôt marié à un mannequin à la peau couleur caramel. Qui ne m’envierai pas ?  Personne. N’importe qui pouvait être derrière ce coup. 

Par où commencer ?


Mon téléphone grelotta dans ma poche au même moment. C’était un message de Sindy, une petite que je gérai quand Natacha me repoussait à cause de sa grossesse :

« Rappelle moi en urgence. Question de vie ou de mort ! »

Sept jours à vivre