Joël et Ami 27 : L’effet boomerang (2)
Ecrit par Dja
Ami était bien
arrivée à Genève. Il y avait deux heures de décalage horaire. Aussitôt sur
place, elle appela son mari pour le rassurer, puis ses parents. Elle fut
étonnée de n’avoir pas pensé à eux immédiatement. Abou était le premier qui
comptait à désormais avant tous les autres. Elle prit une douche et alla se
coucher.
Elle avait voyagé de
nuit mais, au moment où l’avion descendait pour l’escale à Bruxelles, une dame
avait fait un malaise et il avait fallu la descendre pour la conduire dans un
hôpital. le transfert avait pris beaucoup de temps et, au lieu des huit heures
de vol prévues, tout l’équipage était resté sur place quinze heures de plus.
Ils avaient attendu qu’un avion leur soit apprêté pour arriver finalement à
vingt et une heures à Genève. Ami était éreintée. Presqu’un jour de voyage et,
ils n’avaient pas reçu l’autorisation de sortir de la zone douanière à
Bruxelles.
Parvenue à son
appartement, situé dans un quartier cossu, elle ne défit pas ses bagages
directement et s’affala dans son lit après avoir discuté avec le pays. Elle se
sentait si lasse et si seule qu’en se levant le lendemain, elle s’aperçut que
son oreiller était humide: elle avait pleuré.
Après son premier
petit déjeuner genevois, elle sorti faire le tour du quartier, histoire de
s’imprégner des lieux.
La météo était douce
et le soleil au rendez-vous. Elle mit un chapeau blanc avec des bords vert sur
sa tête et des lunettes de soleil. Puis, elle descendit prendre des
informations auprès du maître d’hôtel. Son père avait réglé les frais
d’hébergement pour l’année entière. Ami sortit après avoir été informée du parc
le plus proche.
Elle décida de faire
du lèche-vitrine et, quelques paquets sous les bras plus tard, se rendit à
pieds jusqu’à son école qui était à cinq minutes de marche. Il
lui restait encore une semaine avant de commencer les cours. Elle en profita
pour aller visiter l'établissement et aller se présenter à la direction. Elle
savait qu'elle serait attendue. Elle avait prévenue de son arrivée le matin
même.
L'après-midi, elle
flâna pendant des heures. Elle prenait des photos et les envoyait sous forme de
carte postale à sa famille. Sa mère s’était finalement « convertie »
à l’utilisation de Watsapp. Ses enfants avaient réussi à la convaincre. Ainsi,
il était plus facile d’avoir des nouvelles.
Quand elle reçut
l’appel visio d’Ami, assise sur un banc public, elle sauta de joie et appela
son mari qui dormait à la terrasse :
« _ Alors ma fille,
comment vas-tu ? As-tu bien dormi ? Où es-tu là ? Tu es déjà
allée te promener ? Comment c’est ? J’espère que les gens sont
chaleureux hein.
_ ‘Mata, laisse la petite tranquille ! Si tu l’abreuves de questions,
comment voudrais-tu qu’elle réponde ? Attends un peu toi aussi.
_ Hoo ! Laisse-moi tranquille Oumar ! Tu ne vois pas que je parle
à ma fille. Elle me manque déjà tellement. J’ai besoin de savoir si elle
va bien.
_ Hum, Fatoumata Traoré ! Cela ne fait même pas deux jours qu’elle est
partie. Laisse-la respirer, elle va nous donner des nouvelles.
_ Mais non, ce n’est rien Baye ! Je vais bien, et je suis sortie un
peu me dégourdir les jambes.
_ Tu vois ! Cela ne la dérange pas ! (elle fit une grimace à son mari et se tourna
vers la caméra). Ami, j’espère que tu as suffisamment de quoi manger.
_ Oui Yaye ! Ne t’en fais pas, il y a le nécessaire. Comment va ma
Fantastique ?
_ Ca va ! Elle est à l’intérieur avec Blacky. Ces deux-là continuent
de me rendre folle. Attends je vais l’appeler. »
Yaye Fatou courut
dans le salon pour appeler sa fille, laissant le téléphone avec Oumar. Ami
s’amusait de voir sa mère aussi énervée. Elle savait que si elle avait pu,
Fatoumata l’aurait rejoint sur place. Mais, elle n’était plus la jeune fille
d’il y avait quelques mois. A présent, elle était mariée. Elle devrait se
débrouiller pour évoluer et c’est vers son mari qu’elle devait désormais se
tourner pour les questions du quotidien.
La
« Fantastique » arriva toute contente de pouvoir bavarder avec son
aînée. Ami s’amusa de la voir se disputer avec le chien qui tentait de lui
arracher le téléphone des mains. Leur père finit par doucement les gronder, à
cause des aboiements. Ils discutèrent quelques instants encore et,
raccrochèrent.
Ami sentit une
pointe dans sa poitrine. Elle n’avait plus envie de sortir aujourd’hui.
Aminata était
agréablement surprise. Malgré le dépaysement, elle n’avait pas trop le mal du
pays. En tout cas, elle ne le ressentait pas. Elle était parvenue à se faire à
l'idée de sa solitude et se consolait en travaillant d'arrache-pied à l'école.
Les gens autour d'elle étaient souriants. Même le maître d’hôtel avait été
d’une extrême patience à son arrivée. Il avait pris le temps de l'aider dans
différentes recherches. Il lui avait donné de nombreux tuyaux sur les lieux à
fréquenter ou pas. Il lui recommandait les bons restaurants et les meilleures
adresses de stylistes. Il y avait d’autres étudiants comme elle dans l’hôtel.
Une compatriote en deuxième année dans son école en faisait partie. Le maître
d’hôtel lui avait proposé de parler d’elle à l’autre fille. Et Ami lui avait
accordé de donner son numéro d’appartement. Elle espérait que l’autre ne serait
pas contre le fait de la connaître. Ainsi, elle se sentirait moins seule.
Trois mois plus
tard, elle avait pris ses marques à Genève et l’autre sénégalaise avait
déménagé. Ses parents ne pouvaient plus régler les frais liés à son appartement
et elle avait dû s’installer ailleurs. Ami n’avait pas réussi à se lier
d’amitié avec elle. Les deux jeunes femmes n’étant pas du même milieu social,
l’autre avait une mauvaise opinion d’Ami. Elle considérait que les enfants dont
les parents avaient des moyens aussi élevés que ceux d'Ami, faisaient partie de
la population qui opprimaient les sénégalais moyens. Elle avait donc refusé de
fréquenter Aminata.
On était déjà
presque Noël et Abou lui fit la surprise d’arriver la veille de la remise des
diplômes. Elle venait d’être acceptée pour le passage en deuxième année, car
elle avait « cartonné » durant le deuxième semestre en rattrapant son
retard de première année et en suivant en même temps les cours pour le passage
en deuxième année. Ses professeurs étaient étonnamment satisfaits de ses
progrès. Ils s’étaient réunis et avaient choisi de l’orienter directement en
année intermédiaire, car selon eux son niveau de compréhension était
suffisamment élevé pour le niveau débutant.
Un soir, Ami rentra
dans son appartement, les joues rosies par le froid. Elle ne s’y était pas
encore habituée. Elle jeta son manteau par terre et poussa la porte du pied.
Elle fermerait à clés plus tard. Une envie pressante la taraudait depuis des
heures et, elle craignait de se souiller si elle attendait encore. Au moment où
elle mit la lumière, Ami sursauta en voyant la cuisine éclairée. Elle se
souvenait avoir tout fermé à clé et, surtout avoir éteint les lumières et fermé
les fenêtres qui étaient entrouvertes. Et puis, à qui était ce manteau
bleu accroché à l’entrée ?
Elle remit à plus
tard le tour au toilettes et ramassa la batte de baseball qu’elle avait achetée
en souvenir d’un match qu’elle était allée regarder avec des collègues de
promotion. Otant ses chaussures, elle marcha sans faire de bruit sur la
moquette rouge étoilée de blanc et poussa la porte du couloir. Au moment où
elle voulut frapper la tête qui passait par la porte de la cuisine, son
hurlement se transforma en cri de joie. Elle se jeta sur son mari qui ouvrait
les bras pour l’accueillir :
« Ho ! Mon chéri,
c’est toi ? C’est bien toi ? Tu es là ?
_ Oui, c’est moi darling. Je suis bien là !
_ Mais, comment as-tu
fait pour rentrer ?
_ Ton maître d’hôtel a réussi à se laisser convaincre. Surtout quand je lui
ai lui ai montré les photos du mariage. Il m’a carrément embrassé.
_ Il est comme cela lui. Il aime beaucoup les africains. Depuis que je suis
ici, il s’occupe de moi comme si j’étais de sa famille. Je suis si heureuse de
te voir. Je n’arrive pas à y croire. »
Les mots étaient
inutiles pour traduire la joie qu’ils avaient de se retrouver enfin après ces
longs mois passés l’un sans l’autre. Ami en oublia son envie embrassa
langoureusement son mari qui la serrait très fort dans ses bras. Comme il était
heureux.
Il se détacha
précautionneusement et la regarda longuement. Enfin, il l’avait retrouvée. Maintenant,
il se rendait compte à quel point sa femme lui avait manqué.
Le milieu de la nuit
les trouva souriant après que leurs corps aient repris connaissance. Ami se
levait alors qu’Abou s’était assoupi. Il pinça ses fesses rebondies et bloqua
une de ses jambes :
« _ Où comptes-tu aller
comme ça Madame Diop ? Nous n’en n’avons pas fini.
_ Hum ! Abou, si tu ne me laisses pas aller aux toilettes maintenant,
je ferais pipi au lit.
_ Ok ! Si c’est pour ça, tu es libérée. »
Il lui donna une
tape sur les fesses et elle s’en alla en riant. Quel bonheur qu’il soit là.
Elle était si heureuse qu’elle en sauta de joie dans la salle de bain. Elle qui
avait pensé qu’elle passerait les fêtes de fin d’année toute seule. Une semaine
plus tôt, elle avait reçu une carte postale de sa mère. Yaye Fatou ne pourrait
plus la rejoindre. Fanta était atteinte de varicelle et elle ne voulait prendre
aucun risque. Mais, à présent qu’Abou était là sa tristesse en était atténuée.
Ils sortirent manger
dans un restaurant et rentrèrent déballer leurs nombreux cadeaux. La veille,
Noël leur avait permis de se donner du plaisir encore et encore. Abou l’avait
gâtée. Il y avait des pulls en cachemire, des chaussures et, surtout cette
paire de bottes en cuir vert avec des semelles antidérapantes qui
maintiendraient ses pieds au chaud et l'empêcherait de se retrouver les quatre
fers en l'air.. Elle le remercia tendrement pour ce geste. Le matin même, elle
avait essayé de l’acheter, mais elle avait perdu sa carte de crédit et devrait
patienter une semaine avant d’en recevoir une nouvelle. Elle en avait été
tellement désolée. Et si l’occasion lui échappait! La chaussure pourrait bien
être en rupture de stock.
Abou avait sûrement
profité du moment où elle était descendue prendre son courrier pour commander
son cadeau. Elle le regarda avec dans les yeux des étoiles de
reconnaissance. Elle également lui avait offert de quoi remplir ses deux
grosses valises. Elle en avait profité pour acheter des présents à la famille
restée au pays dont une mallette d’ustensiles de cuisine en argent pour Khady.
Elle savait que la restauratrice en serait enchantée.
Durant son séjour,
Ami fit visiter à son mari plusieurs lieux touristiques : l’île Rousseau,
la Basilique Notre Dame de Genève et, bien d’autres endroits attractifs qui
leur permit de passer ensemble des moments agréables.
Abou passa deux
semaines avec elle. La veille de son retour, il la trouva en larmes. Son cœur
se serra lorsqu’il s’approcha d’elle :
« _ Qu’y a-t-il ma
belle ?
_ Rien mon chéri, rien !
_ Comment ça rien ? Je rentre et te retrouve en pleurs alors que je
suis seulement descendu acheter du pain.
_ Ce n’est rien je te promets. Ne t’inquiète pas !
_ Ami, écoute (il l’avait
soulevée du tapis pour l’installer sur le canapé) Je ne sais pas
si tu as conscience que le fait que je sois ton époux m’oblige à m’inquiéter
pour toi. Alors, si tu ne me dis pas ce qui te fait pleurer, je ne saurais pas
comment t’aider.
_ Ce n’est rien de grave, je t’assure ! J’ai juste ressenti de la tristesse
à cause de ton départ demain. C’est tout !
_ En es-tu sûre darling ?
_ Oui !
_ Alors, pourquoi fuis-tu mon regard ? Dis-moi la vérité honey. Que se
passe t-il ? »
Elle se mit à
pleurer de plus belle. Elle se sentait si misérable. Une amie venait de lui
envoyer une photo d’elle et son nouveau-né. Cette naissance avait ravivé une
douleur qu’elle avait enfouie depuis longtemps. Ne trouvant pas la force de
parler, elle montra à Abou la photo. Aussitôt, il comprit et s’agenouilla aux
pieds de sa femme :
« _ Aminata Traoré,
regarde-moi ! (elle
s’exécuta et il prit son visage entre ses mains) Je suis le
médecin qui s’est occupé de toi après ton accident. Aussi, j’étais bien placé
pour savoir que tu ne pourrais peut-être pas avoir d’enfants. Je t’ai ensuite
épousée en connaissance de cause et, aujourd’hui, je ne regrette
rien.
_ Oh, Abou ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? Es-tu
seulement sûr que dans trois, quatre, dix ans, tu ne m’en voudras pas ? Je
suis stérile, tu comprends ? Je suis désolée de te le dire ainsi, mais
c’est la vérité, je le suis.
_ Et alors ma chérie ? Cela ne change rien à mon amour pour toi.
_ Tu le dis là maintenant. Mais plus tard, quand d’autres seront parents
autour de nous, ton discours changera sûrement.
_ Non ma belle ! Je te promets que non ! Je t’aime et je t’ai
choisie comme tu es. Alors, arrête de t’inquiéter inutilement.
_ Tu m’aimes ainsi, le ventre vide ? Je veux bien te croire. Mais et
si… (elle avait hurlé)
_ Maintenant Ami, ça suffit ! Je te le répète, je savais qu’il y avait
un risque avant de revenir vers toi. Alors, cesse de dire n’importe quoi !
Et puis, la médecine pourra peut-être t’aider, qui sait ?
_ La médecine m’aider…? Non, mais tu t’entends seulement ? Quelques
temps avant mon voyage j’ai passé des examens. Et quand je suis arrivée ici,
j’ai également consulté des spécialistes qui m’ont confirmé cet état de fait.
Je ne pourrais jamais te rendre père Abou, jamais !
_ Et Alors ? Je te dis que cela ne change rien ! Et puis, si cela
te tiens tellement à cœur, nous pourrons adopter.
_ Jamais, tu m’entends ! Jamais ! Il n’est pas question qu’on
adopte. Je ne sais pas si je pourrais aimer l’enfant de quelqu’un d’autre. »
Elle s’était levée
et regardait à travers la vitre. Elle avait réfléchi à plusieurs options et
même à adopter. Mais, à chaque fois qu’elle y pensait, elle en revenait au même
point. Elle ne se sentait pas le courage d’accepter l’enfant d’une autre. Elle
se tourna vers son mari qui la regardait, le visage fermé :
« _ Abou, ne dis pas des choses que tu ne maîtrises pas. As-tu pensé à
ta famille ? Qu’en dira t-elle ? Tu y penses ?
_ Ecoute, je commence à en avoir assez de cette discussion. Je ne sais pas
pourquoi tu veux absolument qu’on se dispute alors que je m’en vais dans
quelques heures. Pour moi, le sujet est clos. »
Il la planta là et
préféra aller se calmer dans la chambre. Il comprenait bien tout ce qu’elle
ressentait. Mais, pourquoi s’obstinait-elle autant ? Ne pouvait-elle pas
tout simplement comprendre qu’il avait conscience de ce qu’il faisait. Il se
demandait si elle saisissait son amour pour elle. Il n’avait pas besoin qu’ils
aient des enfants pour vivre heureux ensemble. Et de toutes les façons, cela ne
voulait rien dire pour lui d’ailleurs. La femme qu’il considérait comme sa mère
n’avait jamais eu d’enfant. Pourtant, cela n’avait pas empêché qu’elle soit
heureuse avec son père et qu'elle l'aime sa sœur et lui comme ses enfants
propres.
Il s’endormit
le ventre vide, alors qu’il avait souhaité s’occuper du repas du soir et
montrer à sa femme ses talents de cuisinier. Khady lui avait appris à cuisiner
certains plats et il avait voulu éblouir sa femme. Quel gâchis !
Le lendemain, alors
que la nuit n’avait pas totalement disparu, Ami le retrouva dans le lit. Elle
avait tellement honte de s’être laissé emporter. Elle se glissa subrepticement
aux côtés d’Abou qui avait ouvert les yeux :
« _ Je suis désolée
Sama mbëggël ! Je ne comprends pas ce qui m’a pris. Pardonne-moi !
_ Ce n’est rien ma chérie ! Je pense qu’on s’est tous les deux laissé
emporter. J’aurais dû me montrer plus compréhensif. Je te demande pardon
également.
_ Non, c’est moi qui ai été indélicate. Je suis désolée !
_ Ce n’est rien ! C’est oublié.