Jour 14 : Hallucinations

Ecrit par Owali

***Noemie Siar***


Plus d’une semaine, 9 jours pour être exact, 216 heures précisément d’incertitude, de souffrance morale, de piqûres de moustiques, de repas sporadiques, de sursaut en entendant le moindre bruit.


Mais surtout 216 heures passées avec Charles depuis que Nathalie a disparu. 


Il a été un roc, un soutien comme pas possible, on ne fait plus un pas l’un sans l’autre.


Quand j’y pense je ne peux empêcher mes larmes de couler, j’aurais dû l’accompagner, j’aurais dû lutter contre la fatigue mais je l’ai laissé se débrouiller seule.


J’espère seulement qu’elle est en vie, qu’elle va bien, qu’il ne lui est rien arrivé de mal, à peine je retiens mes sanglots et Charles se tourne vers moi :


- Non Noémie, tu ne vas pas recommencer, faut que tu gardes ton énergie pour autre chose.


- Je sais mais je ne peux pas m’empêcher de penser à elle, je m’en veux tellement.


- On va s’en sortir, ne t’inquiète pas, on va y arriver, reprends toi s’il te plaît.


Flashback

********* 


Nathalie ? Nathalie ? Nathalie bon sang ou es-tu ? Ce n’est pas le moment nous devons rester groupés. Nathalie ? Nathalie ?


Ca fait une heure qu’on la cherche partout.


Elle m’avait réveillée pour pouvoir aller au petit coin et je ne la voyais pas revenir depuis. 

J’ai prévenu Charles et on l’a cherché en vain. 


Elle n’avait pas pu disparaître comme ça. Le taillis où elle devait faire ses besoins n’était pas loin de la cabane et elle aurait dû revenir immédiatement.


On était très inquiets, vu le danger qui nous guette et j’étais certaine qu’il lui était arrivé quelque chose de grave, vu qu’elle n’était pas si tête en l’air que ça pour être incapable de revenir sur ses pas et retrouver la cabane.


On a remué tous les buissons, tous les environs espérant trouver un indice pour orienter nos recherches mais rien. Apeurés et inquiets nous sommes retournés dans la cabane.


Le lendemain matin, on a repris les recherches, un peu plus loin cette fois ci mais toujours sans succès. C’est comme si elle s’était volatilisé, comme si elle n’avait jamais été parmi nous c’était déconcertant…


Si Charles n’avait pas été là j’aurais surement perdu la tête et je serai restée à attendre que Nathalie revienne à la cabane. 

Il a été le seul à prendre des décisions sensées et après deux jours de recherches, on a levé le camp aussi rapidement que possible. 


On a marché longtemps et passé 3 jours complètement perdus, au cœur de la forêt. 


Le 4e jour après la disparition de Nathalie, une pluie s’était abattue sur l’île avec une violence sans nom, des rafales de vent qui propulsaient les feuilles, le ciel était si noir qu’on se serait cru en pleine nuit.


Nous avons eu notre salut grâce à une grotte où nous nous sommes refugiés pendant une journée entière sans manger ni boire. Après avoir décidé de l’explorer, nous nous sommes aventurés vers l’intérieur et avons découvert une clairière débouchant sur un bras de mer, avec une autre grotte pas humide pour un sou.

Armés de nos bâtons comme les aventuriers, nous avons explorés les moindres coins et recoins de la clairière. 


Le point positif était qu’il y avait une seule entrée et une seule sortie.


Une fois l’euphorie passée, il a fallu construire un abri pour la nuit avec des branchages de palmier, on se serait cru dans ‘’Adam rencontre Eve’’, cette émission stupide qui passe sur AB3.

********


J’essuie rageusement mes larmes et je me remets à éplucher le manioc qu’on a déterré dans nos explorations d’hier. Je repense à ce jour où nous avons trouvé Nathalie. 


Mon esprit s’est mis à tourner à la va vite, on ne pouvait pas être seuls sur cette île.


La cabane que Charles a trouvée ne s’est pas construit toute seule. Et puis, les provisions qui ont empoisonné Nathalie qui les avaient posés la ?


Enfin, Nathalie, toujours Nathalie, n’aurait pas pu partir plus loin dans son état de santé, elle marchait à peine.


A moins que ….

Pendant que j’y pense… 

Ça aurait pu être une mise en scène pour écarter tout soupçon sur elle, comment une personne peut accumuler autant de gamelles en moins de 3 jours ?


Comment a-t-elle fait pour disparaitre ? Par où est-elle passée ? Ou bien l’a-t-on vraiment enlevée ?


La ou les personnes qui se cachent derrière cette sordide histoire doivent être internées, non plutôt brûlées vives. 


Autant de questions qui vont me rendre chèvre, vache et tous les animaux qui existent sur cette terre. Me voilà maintenant à observer Charles avec suspicion. Merde j’ai besoin de me rafraîchir un peu et de m’aérer l’esprit. j’emprunte le chemin boisé qui mène du ‘’champ’’ de manioc au bras de mer, et je m’arrête de temps à autre pour contempler ou sentir les fleurs qui bordent la route. 


J’arrive au niveau du bras de mer et je me jette sur le sable. Je regarde mon reflet dans l’eau claire et je me demande si c’est vraiment moi. 


J’ai des poches, non, plutôt des valises sous les yeux, mes clavicules sont ressorties et mon regard blafard.


J’avoue, je suis à bout, je dors à peine. Le moindre bruit me réveille et je n’arrive plus à me rendormir, à cause des corbeaux qui croassent, des hiboux qui hululent et des sortes de grognements que je suis semble-t-il la seule à entendre.


A chaque fois que je demande à Charles s’il les entend, il me répond non, c’est à en devenir fou carrément fou. Je ne veux pas devenir folle. Je veux rentrer chez moi, je veux revoir mes enfants et mon époux. Ils me manquent atrocement.


Je me rince abondamment le visage, je ferme les yeux et me met à prier qu’en les ouvrant, je découvre que tout ceci était un mauvais rêve, une illusion, un mirage, enfin un truc irréel. Je prends une profonde inspiration avant de rouvrir les yeux…


AHHhhhhhHhhhhh, je sursaute. Dans l’eau, le regard fixe et vide, se dessine un visage, le visage de Nathalie. Il est amoché, tuméfié, le sang dégouline de ses narines.


Je ne peux détourner mes yeux de cette vision d’horreur, je l’entends scander « tu m’as livrée, pourquoi moi ? »


Je mets la main dans l’eau pour l’agiter, afin de ne plus voir ça, et je me sens comme tirée vers l’eau. L’eau s’approche dangereusement de mon visage et je me mets à me débattre frénétiquement en criant : 


- Au secours, à l’aide, aidez-moi, Charles, Chaaaarles !!


Mais mes efforts sont vains et ma tête entre en contact avec l’eau qui s’engouffre dans mes narines et ma bouche ouvertes.


J’essaie de respirer, mais je ne réussis qu’à absorber encore plus d’eau. Je me débats encore plus, sans succès. Je sens mes forces m’abandonner et ma vision se troubler.

*

*

*

Deux grosses claques s’abattent sur ma joue. J’ouvre avec peine les yeux et les cligne plusieurs fois afin d’éclaircir ma vision. Je promène le regard aux alentours et mes yeux tombent dans ceux de Charles qui me regarde avec un air inquiet et préoccupé.


Je me relève et je crache de l’eau tandis qu’il me tapote le dos, je tousse à m’écorcher la gorge. Puis, quand il est un peu rassuré sur mon état, il se met en colère.


- Bon sang qu’est ce qui t’arrive ? Tu as essayé de te suicider ? Tu deviens folle ou quoi ?


- Je l’ai vue, Charles, je l’ai vue


- Qui ça ?


- Nathalie, elle m’en veut, elle me tient pour responsable de sa mort.


- Qui t’a dit qu’elle est morte ? Ou est-ce que tu vas chercher ça ? 


- Je te jure que je l’ai vue avec mes yeux


- Arrête, arrête ce que tu fais, on est déjà stressé, ne viens pas en rajouter. Je sais que ce n’est pas évident, mais calme toi. Vas te sécher et te mettre au lit, je vais me débrouiller pour manger. Dès demain on va chercher un moyen de quitter cette maudite île.


Je me redresse aidée de mon coéquipier, je suis toute trempée et je claudique pour rejoindre la grotte, je sens le froid et la lassitude m’envahir.


Je change de vêtement et je me jette sur ma paillasse en me recouvrant avec le reste de mes habits secs. 


Je n’ai pas rêvé, je le sais. Je l’ai vue même s’il ne veut pas me croire, je l’ai vue et jamais je n’oublierai son regard tourmenté. 


Il m’a glacé jusqu’au sang.


(JOUR 14)


Après une nuit tourmentée par des cauchemars plus violents les uns que les autres, je me redresse et je remarque que la place de Charles est vide.


Je me lève doucement, j’enlève le trop plein de vêtements sur moi, puis munie de mon gobelet en noix de coco et mon éponge faite de la même matière ; je sors de la grotte.


La lance de Charles n’est plus à sa place, je rafle mon bâton et je me dirige vers le bras de la mer en faisant le moins de bruit possible. 


La clairière est trop calme à mon gout, le temps est froid à la limite glacial.


L’air est lourd, trop lourd comme si quelque chose allait m’arriver, puis j’entends un craquement léger dans mon dos. Je me fige et tend l’oreille. J’entends un craquement plus fort et un sifflement.


A peine je me retourne qu’une lance atterrit devant moi, la lance de Charles. Je lève les yeux et je le vois plonger sur moi et me donner une gifle retentissante.


- Salope, tu l’as tuée, tu as tuée Nathalie


- Arrête tu me fais mal, elle a disparu je ne lui ai rien fait.


Je me débats tant bien que mal mais il est plus fort que moi. Enragé comme il est, il risque de m’étrangler. Je récupère mon bâton et je lui donne un coup sur la tempe, il s’écroule. Je ramasse sa lance, mon bâton et une machette qui traine par là.


Je le tire vers la rivière et je me mets à l’asperger d’eau, la peur dans le ventre.


Je me penche pour écouter son pouls et je soupire. Il est juste groggy. Il va m’en vouloir, c’est sûr, vu la bosse qui commençait à apparaître.


Je me lave rapidement dans le bras tout en jetant un regard de temps à autre au corps étendu pour éviter tout accident. 

Je ne peux m’empêcher de me demander ce qui l’a pris, ce qui a bien pu se passer dans sa tête. 


Je remets mes habits de la veille, récupère toutes les armes par mesure de sécurité et je vais m’assoir un peu plus loin pour l’observer.


Je n’ai pas à attendre très longtemps. Au bout de quelques minutes, je le vois bouger et je saisis sa lance et mon bâton, prête à réagir au moindre coup fourré.


Il se relève en mettant la main sur la bosse, il titube comme s’il était ivre, se penche pour laver son visage et enfin il se lève, nos regards se croisent.


- Ah tu es là ? Qu’est ce qui m’est arrivé ????? Comment je me suis fait ça (en désignant la bosse)


- Ne t’approche pas de moi (en brandissant la lance et le bâton en même temps, Oui qui est fou ?) 


- Ohé c’est moi Charles, tu as perdu la raison ? On est partenaire sur l’île à ce que je sache. L’aurais tu oublié ?


- C’est à toi qu’on doit poser la question ? Tu t’es jeté sur moi arguant que j’avais tué Nathalie. Tu as failli me transpercer avec ta lance et cette machette. D’ailleurs ou est-ce que tu l’as trouvé ?


- Je Euh je … Je ne sais pas 


- Non ne me fais pas ce coup là ! D’habitude tu ne sors pas de la grotte sans moi mais aujourd’hui tu l’as fait ; tu as tenté de me tuer. Si je ne t’avais pas assommée, je serais morte à l’heure qu’il est. En plus tu débarques avec une machette. J’attends des explications et surtout ne t’approche pas de moi avant que tout soit tiré au clair.


- Ne sois pas stupide, veux-tu ? Tu penses que si je voulais te tuer je ne l’aurais pas fait pendant que tu étais affaiblie ? De plus avant qu’on se croise sur l’île, on était déjà des amis je te rappelle. 


Je le regarde, toujours pas convaincue.


Il soupire longuement et reprend :


- Ce dont je me souviens c’est que je suis sorti déterrer du manioc dans le champ, pour cuisiner. En revenant j’ai vu une piste où on était jamais passé alors j’ai décidé de l’explorer. Les ronces étaient telles qu’il fallait tailler pour faire le chemin, je me suis fait piquer par quelque chose et ma tête s’est mise à tourner.


- Rien ne prouve que c’est vrai, allons vérifier ton alibi. Passe devant je te tiens à l’œil.


- Tu n’es pas sérieuse Noémie, c’est quand même moi.


- C’est parce que c’est toi que je ne t’ai pas fait des scarifications au visage. Allez avance.


On refait le trajet en sens inverse, pas à pas, les armes plantées derrière lui. Je m’assure de bien repérer le chemin et pour pouvoir retrouver ma route vers le camp. 


Bientôt, on arrive ou il me dit s’être fait piquer. Le manioc qu’il dit avoir déterré git par terre. J’aperçois la fameuse piste et il m’indique la fleur qui l’a piquée. 


C’était l’une de ces fleurs que j’avais senti la veille, en allant sur la plage.


Je m’approche et l'observe attentivement.


- Tu es passé près de cette fleur jaune tout à l’heure, lui demandé-je.


- Oui, je l’ai trouvé très belle et j’ai senti son parfum, pourquoi ?


- Hier, j’ai fait la même chose et c’est après ça que j’ai vu Nathalie. C’est peut être une fleur venimeuse qui crée des hallucinations. Tiens reprends ta lance mais je garde la machette puisque tu ignore la provenance.


- Si je suis ton raisonnement, cette fleur est à la base de ton état d’hier et le mien aujourd’hui ? 


Cette île va nous rendre complètement fous.

On reste un moment à regarder la fleur, puis on décide de continuer notre exploration. 


Finalement, je lui cède la machette pour qu’il puisse écarter les ronces, la lance qu’il a n’étant pas très efficace.


Cette partie est plutôt sombre. Il y a des hiboux qui hululent, des coassements de crapauds et des petites bestioles qui voltigent au-dessus de nos têtes.


Je sens la peur m’envahir mais on doit continuer si on veut trouver une issue.


On passe sous un arbre et des singes se posent sur ma tête en tirant mes cheveux.


Charles s’arrête pour les effrayer. Un rat passe à toute allure entre mes jambes et je me retiens de crier pour ne pas alerter les autres animaux.


Le chemin devient sinueux et des graviers ralentissent notre progression. Mon ventre grogne depuis un moment, et le fait de passer devant des baies rouges et appétissantes chaque 100 mètres n’arrange rien. Mais je n’ose pas y toucher, après ce qui est arrivée à Nathalie… 


L’air se rafraîchit peu à peu, comme si on se rapprochait de plus en plus de la mer ou d’un cours d’eau. 

J’entends un bruit provenant un peu et à voir le regard de Charles, il l’a entendu aussi. On ralentit nos pas et on retient nos souffles. Juste le rideau de feuillages suspendu devant nous, nous sépare de la source du bruit


On se tient devant la haie, nos armes devant nous, Charles avec sa lance et sa machette écarte une partie et moi avec le bâton j’écarte l’autre partie.


Sans parvenir à y croire, nous écarquillons les yeux, tout ce temps à chercher à quitter l’île, tout ce temps à trouver un moyen de rejoindre la civilisation et on tombe sur ça.


UN BATEAU A MOTEUR, Oui UN BATEAU A MOTEUR amarré près d’un ponton de bois, je ne sais pas si c’est un cours d’eau, un fleuve ou une rivière mais on s’en fiche. 


On va enfin pouvoir sortir d’ici!!!

LE CERCLE