Jour J
Ecrit par lpbk
Jour J-Mariage d’Olivia et Pierre.
Je me suis levée à l’aube ou presque.
J’étais excitée comme une puce ! Je trépigne d’impatience, d’anxiété, de
joie, en résumé d’une kyrielle d’émotion aussi contradictoire les unes que les
autres.
Je file sous la douche, m’habille en
quatrième vitesse et avale juste une tasse de café avant de filer chez les
Felton.
Le trajet en taxi me parait incroyablement
long et court à la fois. Je le connais par cœur, pourtant j’ai l’impression de
le redécouvrir. J’ai arpenté ses rues en vélo, à l’époque, pour rejoindre le
beau garçon qui me faisait craquer, qui m’a ensuite fait les yeux doux, que
j’ai follement aimé et qui m’a finalement brisé le cœur. Ses rues m’ont vue
dans des états d’euphorie, d’angoisse comme maintenant, mais aussi de désarroi
et de chagrin.
J’inspire profondément et expire par le
nez tout en vérifiant mon planning.
A mon arrivée, je devrais supervisez
l’agence de location des meubles ; à qui j’ai commandé des chaises
blanches, pour que le prestataire les dispose dans le jardin, à côté de la
roseraie. Nous installerons aussi l’arche qu’Anaïs sera chargée de décorer.
Heureusement, l’aménagement ne se limite que chez les Felton car Olivia m’a
prévenue qu’elle avait assez de place chez elle pour recevoir tous les convives,
pas besoin de mobilier supplémentaire. Il faudra malgré tout que je me rende
chez les futurs mariés afin de préparer la décoration et donner mes
instructions à Jacques.
Quelques heures plus tard, le lieu de la
cérémonie est fin prêt. Il ne manque que les invités et les futurs mariés. Et
en parlant de mariés, je me précipite chez eux pour superviser le travail
d’Anaïs et de mon traiteur préféré.
— Jacques ! m’exclamai-je à mon arrivée. Vous avez
fait des merveilles, dis-je en contemplant la pièce montée. J’ai envie de
croquer dedans.
— Pas touche, jeune fille, me houspille-t-il. Avez-vous
au moins pris le temps de manger un en-cas ?
— Si seulement j’en avais eu l’occasion, soupirai-je. Il
me reste encore une montag…
— Tttt ! m’interrompt Jacques, en agitant devant
moi un index furieux. Il est hors de question que vous continuez à vous démener
de la sorte en ayant l’estomac vide ! Installez-vous, je vous apporte une
assiette tout de suite.
— Jacques, c’est très gentil à vous, commençai-je, mais
je n’ai vraiment pas…
— Je pense que vous avez bien cinq minutes pour manger
un peu, me réprimande le traiteur. Je n’accepterais aucune excuse de toute
manière donc la discussion est close.
Alors que je m’installe à table, un rire
se fait entendre derrière moi. Lorsque je me retourne pour en connaitre la
source, j’aperçois Anaïs affichant un large sourire.
— Il m’a fait le même coup il y a à peine vingt minutes,
m’assure-t-elle. J’ai tenté de le raisonner mais il est très têtu.
— Je ne suis pas têtu, jeunes femmes ! Je prends juste
soin de ceux avec qui je collabore. Je n’aimerais pas vous ramasser par terre.
L’inanition ne fait pas partie de mon vocabulaire et vous devriez le rayer du
vôtre ! Je sais que les canons de la mode faméliques mais je pense que
vous êtes bien loin de ces caricatures ambulantes. Alors faites-moi le plaisir
de vous sustenter correctement à l’avenir, termine-t-il en me tendant une
assiette d’où s’échappent des odeurs pour le moins alléchantes.
J’attaque le gratin dauphinois, accompagné
d’une salade aux noix, de tomates cerise et de tranches de jambon fumé. C’est
un véritable délice et je fais honneur à mon hôte.
— Jacques, vous êtes une perle, le remerciai-je alors
qu’il reprend déjà mon assiette désormais vide. Je ne sais pas si je vais
pouvoir continuer à travailler à cause de vous.
— Filez vite, jeune fille. Les derniers préparatifs ne
vont pas se faire tout seuls !
Je lui planque une bise sur la joue avant
de m’enfuir en emportant mon indispensable smartphone qui ne cesse de vibrer
depuis ce matin. Entre Olivia qui s’inquiète, madame Felton qui s’assure que
tout est prêt, mes prestataires qui me posent des questions d’ordre pratique,
mon téléphone chauffe.
Olivia, 13h42
As-tu des nouvelles de Pierre ? D’André ? Ils ne répondent pas
à mes textos.
Mélanie, 13h44
Pas de panique. Ils doivent être en train de se préparer.
Olivia, 13h50
Tu as raison.
Olivia, 13h52
Tu arrives bientôt ? Ezra attend pour te coiffer et te maquiller.
Mélanie, 13h54
J’arrive dans 5 minutes.
Il faut effectivement que je me grouille.
Dans moins de deux heures, se tiendra la cérémonie et en tant que demoiselle
d’honneur et wedding planneuse, je ne peux pas me permettre d’être en retard.
Heureusement pour moi, je réussis à
attraper rapidement un taxi qui me dépose chez moi où je me faufile sous la
douche. L’eau chaude me fait un bien fou. Je sens mes muscles se détendre et la
tension commencer à refluer doucement. Mais pas le temps de m’attarder, Olivia
ou plutôt Ezra m’attend.
Mon chauffeur à qui j’ai demandé de
patienter devant mon immeuble m’emmène chez les Felton. Tessa m’entraine dans la
suite de la future mariée où s’activent des petites mains pour rendre ces dames
plus belles les unes que les autres.
— Enfin, te voilà, m’apostrophe Olivia, visiblement
soulagée. J’avais peur que tu ne sois en retard.
— On s’active mesdemoiselles, il ne nous reste qu’une
petite heure avant de descendre, nous admoneste Ezra en frappant dans ses mains
pour attirer notre attention.
Je m’installe sur la chaise qu’il me
désigne et ma mise en beauté commence. Les mèches de ma wig sont rapidement
coiffées en un chignon tressé d’où s’échappent quelques mèches. Des gypsophiles
sont disposées au niveau du tressage, donnant un côté chic mais bohème
rappelant la coiffure de la mariée.
Etape suivante : le ravalement de
façade… enfin, le maquillage.
— On ne veut pas ressembler à un pot de peinture,
m’explique Ezra. Je t’applique un fond de teint fluide, en accord parfait avec
ta carnation.
Je sens son pinceau me chatouiller les
oreilles, le nez et même le cou.
— Pour cacher d’éventuelles imperfections, j’utilise
toujours un anti-cernes. Juste un peu plus clair que ton teint pour créer une
« zone de lumière » mais pas trop non plus, car je ne veux pas que tu
ressembles à un panda, s’esclaffe le jeune homme.
Suit alors la poudre matifiante pour fixer
le tout. L’esthéticien continue en brossant mes sourcils sur lesquels il
applique ensuite un fard léger. Mes yeux subissent alors les assauts de ses
pinceaux et autres cosmétiques : une touche de fard à paupière beige puis
du fard marron, suivi d’un trait de liner de la même teinte, d’un trait de
crayon estompé et une légère couche de mascara pour sublimer le regard.
— Maintenant que la partie haute est terminée, passons à
l’étape suivante. Il faut que tu captes la lumière et pour cela, il te faut un
blush corail que je vais adoucir.
Ezra termine par appliquer un coup de
crayon à lèvres « bois de rose » avant d’utiliser son pinceau
magique, comme il dit. Il me met une touche de rouge à lèvres crémeux, soit
disant.
— Pour finir, un baiser à ce mouchoir, me demande-t-il.
Je m’exécute avant de voir mon reflet dans
le miroir. Je me trouve resplendissante, aussi belles que les autres
demoiselles d’honneur mais pas autant que la mariée. Je n’ai jamais été autant
en beauté. Je remercie chaleureusement Ezra, qui m’assène une légère tape sur
la main, avant de me demander de filer me changer.
Il reste à peine une demi-heure avant le
début de la cérémonie.
Je descends précipitamment au
rez-de-chaussée après avoir revêtu une robe longue en tulle dans les tons rose
pâle et une paire de sandale à talon dans le même ton. Je rejoins le jardin où
les invités sont déjà en place ainsi que les témoins du marié.
André est… à couper le souffle, comme
toujours. Son costume trois pièces gris met son teint en valeur, encore
accentué par une chemise blanche. Il porte une cravate violette que j’aurais
bien envie d’attraper pour l’attirer vers moi et l’embrasser. Stop ! Je
m’égare.
L’officiant s’approche de lui et commence
à lui parler. André se laisse prendre par la conversation et me tourne
résolument le dos.
Je slalome entre les invités, demandant à
chacun s’il ne lui manque rien, avant de partir voir les enfants d’honneur pour
leur donner leurs petits paniers garnis de pétales de roses blanches. Ils sont
tous trop mignons : les fillettes ont de jolies robes en satin rose
poudré, là encore, et dont le dos légèrement décolleté se termine par un nœud.
Le tulle sous les jupes donne de l’ampleur à la robe et fait le bonheur des
petites filles qui ne cessent de tourner sur elles-mêmes. Les petits garçons
ont revêtu un ensemble de cérémonie : boléro noir sur chemise bleue clair
accompagné d’un nœud papillon du meilleur effet et d’un petit pantalon couleur
encre. Ils sont à croquer. Etonnamment, aucun des enfants présents ne semblent
s’ennuyer, aucun ne pleure ou ne se plaint. J’ai envie de les féliciter pour
cet exploit, car ils me facilitent grandement la tâche.
— Mélanie ! s’étonne une voix dans mon dos. Quelle surprise
de vous revoir.
Lorsque je me retourner, je suis nez-à-nez
avec la mère d’André et d’Olivia.
— Pas tout à fait, répliquai-je, je suis l’organisatrice
de ce mariage.
— C’est vrai, acquiesce-t-elle, mais après ce qui s’est
passé… je veux dire André et vous… semble-t-elle hésiter même si elle sait très
bien ce qu’elle fait ou plutôt ce qu’elle dit.
— Il faut savoir laisser le passé où il est et aller de
l’avant, n’est-ce pas ? répliquai-je avec un large sourire, décidée à ne
pas me laisser marcher sur les pieds par cette vipère.
Cette femme n’a jamais vu d’un bon œil ma
relation avec son fils et je crois bien qu’elle a été la personne la plus
heureuse de la voir arriver à son terme. D’autant que je portais le chapeau de
la rupture et qu’elle pensait à tort avoir eu raison quant à mes motivations
envers André ; à savoir mettre le grappin sur lui pour profiter de la
fortune familiale.
— Vous avez parfaitement raison, consent-elle mielleuse.
— J’espère que tu félicites Mélanie pour l’incroyable
travail qu’elle a accompli en si peu de temps, intervient alors son mari.
Mélanie, continue-t-il en me regardant droit dans les yeux, je tiens à vous
adresser mes plus sincères félicitations et surtout à vous remercier pour ce
que vous avez accompli pour le bonheur de notre fille.
— C’est un plaisir, monsieur, l’assurai-je, gênée.
— Monsieur ? s’étonne-t-il. Je croyais vous avoir
dit, voilà des années maintenant, de m’appeler papa, comme tout le monde. Combien
de fois devrais-je vous le dire ?
Contrairement à sa femme, le père d’André
est un homme charmant et aussi beau que son fils. Malgré ses soixante ans bien
sonnés, peu de rides ont réussi à creuser son visage. Seuls ses cheveux blancs
montrent le passage inexorable du temps. Il m’a toujours appréciée et m’a
traitée plus comme une seconde fille que celle de l’employée de la maison.
— Comment va ta mère ? s’enquit-il alors.
— Très bien, merci.
— Nous avons été très affectés par son départ, n’est-ce
pas ma chérie ?
Madame Felton semble figée par les propos
de son mari et sourit faussement. Il continue.
— Mais nous avons parfaitement compris, bien sûr et ne l’avons
pas pris contre nous, termine-t-il. Vous lui passerez le bonjour de notre part.
— Ce sera fait, mon… papa, me repris-je alors qu’il me
lance un regard de connivence. Si vous voulez bien m’excuser, je dois aller
voir si la mariée est prête. Vous devriez prendre place, la cérémonie va
bientôt commencer, dis-je en sentant mon smartphone vibrer, signe que l’heure
fatidique approche.
Je les quitte, soulagée que la « confrontation »
tant redoutée se soit si bien passée.
Je jette un dernier regard aux invités et
capte celui d’André, posé sur moi. Une moue contrariée déforme son beau visage.
Il adresse quelques mots à ses parents, qui viennent de s’installer au premier
rang, avant de me rejoindre.
— Il ne viendra pas ! attaque-t-il lorsqu’il arrive
à ma hauteur.
— Quoi ? coassai-je. Qui ne viendra pas ? me
repris-je.
— Pierre ! lance-t-il en levant les yeux au ciel. Il
ne viendra pas !