Kendrix

Ecrit par Aura

J’ai le regard posé sur lui et sur personne d’autre. Ce soir, il est vêtu d’un costume bleu marine, d’une chemise blanche et d’une cravate rouge-bordeaux. Je peux deviner la couleur de ses sous-vêtements, parce que c’est moi qui les ai choisis. Il est rasé de très près et son teint caramélisé est vraiment mis en valeur. Les lunettes qu’il chausse lui donne véritablement un air d’intello. Depuis le lieu où je me tiens, je sais qu’il est stressé, mais il le domine en lançant des blagues. C’est une astuce que je lui ai apprise et il la respecte comme un élève suit religieusement les enseignements de son maître. Malgré le stress, il s’en sort plutôt bien et c’est tout ce que j’aime chez lui. Il sait combiner élégance et éloquence, douceur et ardeur, passion et pression. Lui seul sait souffler le feu et le froid. Et j’adore ça !!! Ne pas savoir sur quel pied danser avec lui m’a toujours excité. 

Depuis un moment, il fait un discours de remerciements pour le prix qu’on vient de lui décerner. Il est élu meilleur avocat de l’année et la joie s’empare de moi. Mon cœur se gonfle de joie parce que finalement, ses efforts ont fini par payer. J’adore ce qu’il fait. Il n’est pas comme les autres hommes véreux. Lui, il est l’incarnation de l’intégrité dans toute sa splendeur. Je le sais parce que je l’ai vu à l’œuvre. Il s’est toujours battu pour chaque affaire qu’il défendait comme si elle représentait la dernière chance de sa vie de survivre. Hier encore au lit après avoir gouté aux plaisirs de la chair, il me parlait de ses craintes et de cette envie folle de recevoir le prix, car enfin son travail sera récompensé. 

Il arrive au terme de son discours et remercie sa généreuse femme, pff, son équipe et bien d’autres personnes qui lui sont chères. Malheureusement pour moi, mon nom ne peut être évoqué.  Il nous est formellement interdit de parler de moi, de nous. C’est juste impossible, c’est la règle et je n’ai pas à m’en plaindre. 

A la fin de son mot, sa femme s’approche de lui et l’embrasse goulument comme si toute sa vie en dépendait. Oui elle ne peut qu’être fière de lui. Ce n’est pas tous les jours que son mari est sous les feux des projecteurs. Ils mettent tous deux un terme à ce baiser et se regardent comme des complices, ce qui me fait rire. Quel beau cinéma !!!! Plus tard, leurs deux petites filles se joignent à eux pour compléter le tableau du foyer modèle. Comme c’est mignon !! Je suis sûre que les tabloïds n’auront aucun mal à décrocher la photo de couverture de l’événement. Il y en a à foison, de toutes les postures à faire baver toutes les célibataires endurcies.

 Tout le monde à cette soirée peut croire à cette mascarade, peut les envier, mais pas moi. Car je sais pertinemment que rien ne marche plus entre eux et qu’elle est là juste pour sauver les apparences. Elle est là juste pour lui donner un peu de normalité, faire croire à tous que tout est parfait. Elle est juste le jouet à exposer pour redorer l’image de mon homme. Mon homme que je partage avec elle. L’homme qui ne peut s’afficher avec moi, au risque de ternir sa réputation, alors je l’accepte ainsi, car je sais que de nous deux, il me préfère à elle. Cet homme qui m’appartient plus qu’il ne la tolère.

Cependant, j’aurai aimé être elle dans ces moments rarissimes, ne plus pouvoir me cacher, assumer notre relation, notre statut, notre amour peu importe les critiques des gens. Mais je ne peux pas briser cette règle, cette alliance au risque de créer des dégâts. Alors je demeure l’homme dans l’ombre, son homme dans l’ombre, cette partie de lui qui ne peut être révélée : son homosexualité ; un tabou, une plaie, une malédiction de notre ère sur notre continent africain. Ce n’est pas grave, parce que je suis sa moitié. Comme le dit un dicton, les bonnes choses demeurent cachées, sinon elles sont gâchées et foulées au sol comme une rose fraichement cueillie un matin printanier. Je continue de l’aimer malgré tout et de maintenir notre amour à flot, quoi qu’il m’en coute. 


Entre deux