Kocker Luti : dans le bureau du principal Tiry
Ecrit par Faustin
La nuit tomba, et Kocker n’eut pas une autre occasion pour continuer
la discussion avec sa mère ou bien peut-être qu’il en avait eu mais il ne comptait
pas en un dénouement… Il s’endormit difficilement. Son sommeil était entrecoupé
d’intermittentes insomnies et chaque réveil le replongeait dans ce cauchemar de
la veille. Il essayait en vain d’aligner d’idées pouvant providentiellement lui
garantir un lendemain peu mouvementé.
Importuné par ses insomnies à répétition et se projetant
amèrement dans un demain sous l’emprise du professeur John Keller, ses
capacités de réflexions se délitaient remarquablement au fil d’une nuit déjà
trop dégradée, à force de résoudre un mystère qui lui était encore mal connu…
Il était bien décidé à mettre les choses au clair dès le lever du soleil même
s’il ignorait encore jusque-là par où commencer…
Il était 7 : 00’ au collège de Poudry. C’était un
collège équipé de dix salles d’étude ; une cantine pour chaque section […]
A cette heure précise,
tous les élèves du collège de Poudry devraient être dans leur classe respective
avec la présence ou non d’un professeur. La deuxième année section deux, la
classe de Kocker Luti ne fit pas l’exception à la règle. Ce jour-là, toute la
classe était présente mais le professeur des mathématiques qui devrait
l’occuper durant les premières heures de la matinée était absent pour un alibi
de santé selon les informations recueillies auprès du principal Tiry et transmises aux élèves par le major de la
classe.
Le groupe Goppy profitait de ce moment libre pour se réunir
dans les derniers bancs de la salle, pour parler une fois encore probablement
des événements de la veille et pourquoi pas, si possible oser planifier une
revanche. Mais pour Kocker, les Goppy étaient loin d’être le centre de ses
premiers soucis de ce mardi. Depuis ce matin, Pépéline avait son visage caché
sur sa table et Kocker ne s’était pas hasardé à la taquiner. Mais pour une fois
encore, même si Pépé faisait partie de ses vrais soucis, la journée ne lui
dictait en aucun cas la nécessité de commencer ses peines du jour par une
tentative de réconciliation avec Pépé. L’important selon lui, était de traiter
la cause de base et non pallier les symptômes. Pour ce faire, il s’était isolé
avec Pitard, Blandine et Komi dans un endroit hors des yeux et loin des
oreilles ; une allée du collège qui semblait parfaitement répondre à leur
attente.
– Méfions-nous de ce professeur ! Alarma tristement
Kocker. Ce n’est pas un humain comme nous, il est dangereusement différent de
nous.
– Ah bon, de quoi tu parles exactement ?
Se méfia Komi.
– Je parle du professeur Keller…
– Oui, nous savons tous que tu parles de lui,
rappela Pitard. Mais là, nous attendons de nouveaux mots de toi…
– Exactement, appuyèrent Komi. Blandine et
Pitard se lancèrent des regards approbateurs et inquiets.
– Je ne… je ne sais pas si je… si je peux vous
en dire plus… hésitait Kocker. Mais voyez-vous-mêmes, ce monsieur connait tout
sur nous, rebondit-il. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
– Moi, je m’en confonds à tel point que je ne
sais plus exactement si c’est ce professeur qui est dangereux ou toi… regretta
amèrement Blandine. Ce monsieur est arrivé et a jeté son dévolue sur toi… Après
c’est d’aller vivre un phénomène à la cantine qu’aucun professeur au monde ne
peut expliquer… tout ça…
– Arrête s’il te plait… réclama Kocker d’un ton
nerveux. Je ne sais rien sur ce monsieur et non plus d’ailleurs sur ce qui
était arrivé hier à la cantine…
– Mais je ne vous suis plus là, qu’est-ce qui
s’est passé à la cantine ? Demanda Pitard avec pleine curiosité.
– Oui quand tu étais parti, la recréation, les Goppy
se sont attaqués à nous mais bizarrement une force repoussa violemment Totoyard,
quand il voulut donner un coup à Kocker… relatait Blandine à Pitard.
– Je suis sûr que ce monsieur trafique une
chose, coupa Kocker… nous devons l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard…
– Qu’est-ce qu’on peut faire ? Fit Komi
d’un air attentivement réceptif.
– Nous ne connaissons rien sur lui à part son
nom et le fait qu’il est historien… Peut-être on devrait commencer par mieux le
connaître, aligna Kocker.
– Ça je suis d’avis, approuva Blandine.
– Moi aussi.
– Moi aussi. Par où commencer ? Je crois
bien que notre souci se résume là ! Affirma Komi.
– J’ai une idée, fit Blandine d’une allure
suggestive. Faisons lui une visite à la maison…
– On ne connait même pas son adresse, se
plaignit Pitard aussitôt…
– C’est plutôt évident ça, puisqu’on ne l’a pas
cherchée, lança Kocker. On va devoir chercher son adresse si l’idée de Blandine
est retenue…
– Je sais où trouver son adresse, amusa Komi.
– Et bien, voilà une bonne nouvelle… fit
Blandine toute satisfaite.
– Vous n’allez pas quand même croire ce que
Komi dit ! Reprit Kocker d’un air dubitatif.
Tous les regards sont braqués à présent sur Komi.
– Je rigolais… je n’en ai aucune idée… se
précipita Komi. Mais écoutez, si on se fabriquait une excuse pour soutirer les
informations à monsieur Tiry, peut-être ça marcherait…
– Moi je trouve que c’est… commença Pitard.
– Parfait ! Compléta Kocker… On pourrait par
exemple dire au principal qu’on voudrait faire une visite surprise à notre
nouveau professeur…
Kocker et Blandine s’introduisirent dans le bureau du
principal monsieur Tiry, en vue de recueillir une information qui à priori était loin de résoudre leur
problème. Komi et Pitard attendaient impatiemment leur retour.
– Qu’est-ce que vous voulez les enfants ?
Questionna monsieur Tiry avant que ceux-ci n’eussent même prononcé un mot.
– On veut… On veut… Tremblotait Kocker.
– Voilà monsieur ! Nous nous sommes dit
que ce serait une bonne idée de faire une visite surprise au professeur Keller
mais pour ce faire, nous avons besoin de vous…Fit Blandine d’une excellente
éloquence forcée.
– Oui, c’est exactement ça… appuya Kocker.
– Alors, vous pensez à l’intégration du
monsieur Keller… fit monsieur Tiry d’un air un peu surpris.
– Oui, c’est exactement ça… monsieur…
Monsieur Tiry rangeait certains dossiers sur son bureau et
depuis que ses élèves eurent jailli, il semblait tout suspendre…
– Alors,
c’est bien réfléchi…sauf que je ne sais pas toujours en quoi je peux vous
aider, dit monsieur Tiry en posant sur un lot peu géant de documents
minutieusement rangés un dossier qui était suspendu dans sa main droite depuis
un petit moment.
– Oh oui, on voudrait que… que vous nous
donnez son adresse…du professeur Keller…
– Son adresse…vous voulez son adresse…
A cet instant précis, Kocker se sentait très mal à
l’aise ; son intuition semblait lui dire une chose mais qu’il avait du mal
à saisir. Il poussa tout à coup un cri qu’il étouffa avec toute son énergie
pour éviter d’alerter…
– Mais qu’as-tu ? Se précipita Blandine
prise de peur.
L’ampoule du bureau de monsieur Tiry se mit à émettre
d’hallucinantes secousses puis s’éteignit ; une force mystérieuse prit le contrôle
du lieu.
– Mais qu’est-ce qui se passe… monsieur Tiry…
demandait Blandine.
– Allons-nous-en d’ici, ce n’est pas monsieur
Tiry… cria Kocker.
La fenêtre se fermait tout doucement et bientôt, il n’y aura
que les gros yeux lumineux d’une couleur rouge feu, d’un monsieur, assis sur la
chaise du bureau, totalement indifférent aux cris de peur des deux jeunes
élèves, qui seront visibles dans un noir sans égal…
– Allons-nous-en vite ! Cria de nouveau Kocker.
A la sortie, ils rencontrèrent monsieur Toy.
– Bonjour les enfants ! Vous devez être au
cours à cette heure-ci je pense…
– Ah… essayait Kocker en s’efforçant de
dissimuler son haleine qui trahissait son horreur tantôt vécue.
– Regagnez vos classes immédiatement, ordonna
le surveillant Toy visiblement pressé. Il continua ensuite son chemin se
dirigeant tout droit vers la porte du bureau du principal sans pour autant
vérifier si ses ordres sont exécutés. Monsieur Toy était tellement pressé qu’il
n’avait pas remarqué la sortie véhémente de Kocker et Blandine du bureau du
principal pourtant bien perceptible à son apparition même si les deux élèves
faisaient de leur mieux pour ne pas alerter de leur infortune.
– N’allez pas… Nous avons… C’était Blandine qui
essayait de dire à Toy qu’il était dangereux de s’introduire dans le bureau en
ce moment précis mais elle en était dissuadée par Kocker parce qu’il trouvait
l’occasion parfaite pour clarifier ses doutes.
Monsieur Toy frappa à la porte et l’ouvrit sur l’accord
d’une voix qui venait de l’intérieur « Entrez ! ». Kocker et
Blandine épiaient des yeux son entrée.
– Ce n’est pas vrai ! La lumière est là, s’étonna
Kocker qui essayait encore de savoir sur la voix qui accepta l’entrée de Toy
mais la porte fut vite fermée et ils entendaient une discussion entre Toy et
cette voix qui était sans aucun doute celle de monsieur Tiry.
– Vous avez réussi ? Fit un ton masculin
qui venait de faire une discrète apparition.
– Ah ! Sursauta Kocker. C’était Komi et
Pitard…
La panique était encore vibrante en Blandine et Kocker. Le
groupe tantôt regagné par Pitard et Komi reprirent leur cachette initiale pour
le bilan.
– Vous avez réussi… n’arrêtaient pas de demander
Komi et Pitard.
– Ce n’était…ce n’était pas monsieur Tiry dans
le bureau… tremblotait Kocker toujours sous le coup de la peur.
– Mais… mais qu’est-ce tu dis ? Le
principal n’a jamais partagé son bureau avec quelqu’un d’autre… rétorqua Komi
tandis que Pitard lança aussitôt :
– Vous nous faites friper là… dites-nous ce que
vous avez vu qui a pu vous terrifier comme ça.
– On a vu… on a vu un gros monstre… un vrai
gros monstre habillé du noir si je ne confonds à l’obscurité… aux yeux rouge
qui brûlaient de feu tandis que la lumière du bureau était déjà éteinte sous
une force invisible… on a cru ne plus vivre… racontait Blandine d’une façon
horriblement maniérée que les deux amis furent aussi pris de peur.
– Mais c’est quoi ce monstre ?... Il est
habillé comme un homme c’est ça… demandait Komi.
– On n’a aucune idée de ce que c’est… essayait
Blandine.
– C’est lui… lança Kocker d’une voix relâchée.
C’est lui…
– Qui ?...
– Tu parle de qui Kocker ? Demanda Blandine
surprise.
Toutes les attentions se focalisèrent sur Kocker.
– Je parle de Keller… le professeur Keller… au
début j’étais convaincu qu’on parlait à monsieur Tiry. J’en suis toujours
convaincu. Mais après j’ai vu un truc…
– Quel truc… se précipitèrent les trois
interlocuteurs.
– J’ai vu… j’ai vu un bracelet… j’ai voulu
crier mais j’avais peur de faire trop de bruit…
– Un bracelet… ça ne veut rien dire…
– Je sais de quoi je parle Blandine…
– Alors dis-nous les choses clairement… On ne
peut pas continuer par vouloir t’aider ou capturer un monstre si nous ne sommes
pas tous et toute à la même longueur d’onde. Tu ne dois rien nous cacher
Kocker… relatait amèrement Blandine.
– Oups ! Je n’aurais pas dû vous mêler de
tout ça. J’en suis désolé, regretta Kocker. Pour le bracelet, je l’avais vu au
bras du professeur Keller. C’est tout !
– Mais attendez, moi j’ai une question depuis
sans réponse, fit Pitard pour décliner la tension. Pourquoi c’est chez nous
seulement que Keller dispense des cours ?
– Qu’est-ce qui te fait penser ça ? Lui
lança Komi. Pour le moment, nous ne savons pas si c’est seulement chez nous ou
il enseigne dans d’autres classes.
– Mais une chose est sure, je ne l’ai pas vu ce
matin… reprit Pitard. Et j’ose dire qu’il sera là vers la fin de la recréation
puisqu’il nous donnera des cours…juste après la recréation… Si je me fie à ce
que vous m’avez reporté, il était aussi parti hier après avoir prit ses
premiers contacts avec notre classe…
Revenons dans la classe de Kocker Luti. Il était 7 :
30’ et les discussions libres animaient la classe. Une silhouette claqua la
porte soudainement et un silence craintif et curieux imposa sitôt son
véto ; et des yeux soupçonneux, suivant instantanément la porte en volée,
craignaient une apparition précoce du professeur Keller… La même carrure, la même posture, les mêmes vêtements que ceux
de la veille… dessinaient devant la classe le même Keller, le cinquantenaire de
terreur.
– Où est Goppy Totoyard ? Dit-il d’un ton lourd.
– C’est… c’est moi… monsieur, répondait une voix
masculine depuis le fond de la classe, c’était celle de Goppy Totoyard, le chef
des Goppy.
– Approchez jeune homme ! Ordonner Keller.
Le jeune Goppy, d’une silhouette
physiquement imposante, long en moyenne d’un mètre soixante cinq, possédant de gros
yeux,… se leva et avança vers le devant tout en tremblant au point où il perdit le contrôle de
ses pas après avoir heurté le pied d’une table banc, il tomba mais se releva très
rapidement.
– Vous avez peur ? Lui questionna Keller.
– Non… non monsieur, se précipita son interlocuteur.
– Suis-moi, finit Keller.
Hors de la classe, ils avancèrent jusqu’à la véranda des professeurs,
un espace rond qui accueille régulièrement ces derniers.
Le paysage se mit à vieillir aux yeux de Goppy. Tout retournait
en arrière. Il avait de cela vingt cinq ans, le collège de Poudry n’existait pas
encore. De vieilles constructions défilaient dans ses yeux, habitées par de personnes
qui probablement ne seraient point du monde des vivants. Tout devenait forêt, brousse,
lianes….
– Où sommes-nous, professeur ? Demanda enfin
Goppy qui entretemps se satisfaisait d’un étonnement muet.
Le professeur Keller hésita un moment puis dit :
– Je pense que la vraie question est celle-ci :
pourquoi tu es là !