La décision

Ecrit par Farida IB


 Khalil…
 

C’est en début de soirée qu’on se retrouve de nouveau sur la pelouse du palais. Nous marchons enlacés pendant la traversée du bunker, en parachevant notre discussion entreprise au cours du trajet retour. Par rapport à l’escapade, je dirai tout simplement qu’on s’en souviendra longtemps. Il faut dire que nous nous sommes vraiment bien amusés en plus d’avoir pris le temps de discuter des tenants et aboutissants de mon problème. Je tiens à souligner qu’aucune décision n’a encore été prise. Enfin, elle m’a pris au mot quant à ma promesse de gérer cette histoire de la meilleure manière qui soit, bien qu’elle m’ait apporté quelques pistes de solutions à explorer. Au moins j’ai maintenant les idées claires pour le faire (clin d’œil). En ce moment, elle tourne notre fâcherie en dérision et on en rit.

 

Nahia le ton rieur : en tout cas toi-même là-bas si tu gardes des choses pour toi. Ça donne l’ulcère.

 

Moi amusé : tu es sérieuse là ?

 

Nahia (hochant la tête) : et la coagulation aussi krkrkr.

 

Moi (lui donnant une fessée) : petite impertinente, nous en reparlerons tout à l’heure dans la chambre.

 

Elle se frotte les fesses en riant.

 

Moi (changeant de sujet) : dis, tu as déjà annoncé notre grande nouvelle à tes parents ?

 

Nahia : pas encore, je voulais qu’on le fasse ensemble. (ton excité) Devine qui sera aux anges.

 

Moi : Nabil ! Au fait, il faut qu’on commence à planifier son séjour. C’est bientôt les vacances.

 

Nahia : il serait préférable qu’on attende que les choses se tassent ici d’abord.

 

Moi : oui, tu as raison.

 

Nahia (du tic au tac) : tu peux m’expliquer quelque chose ?

 

Moi : quoi donc ?

 

Nahia : en fait j’ai beau retourné l’histoire de Yumna dans tous les sens, je ne comprends toujours pas comment on peut vouloir enfermer une femme qui vient de perdre son bébé. Elle ne l’a pas voulu !

 

Moi : la question n’est pas la perte du bébé ici, mais les conditions de sa conception. (elle arque le sourcil) Les relations sexuelles hors mariage sont proscrites aux Émirats ce qui induit qu’on ne peut pas tomber enceinte hors mariage. Les gynécologues ont pour ordre de dénoncer ces grossesses. Même si  le couple conçoit hors des Émirats, que le bébé naît sur l’étendue et qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas mariés beh prison d’emblée pour tous les deux partenaires.

 

Nahia (faisant les gros yeux) : eh bien, vous en avez d’autres comme ça ? Il faut déjà me dire pour que je me tienne à carreau.

 

Moi amusé : lol tu n’as rien à craindre, tu es protégée par les liens sacrés du mariage. Seul le mariage compte ici.

 

Nahia : je vois et je me rends compte que tu l’as échappé bel.

 

Moivoûtant l'épaule : c'est vrai que  j’ai le sens de la discrétion.

 

Nahia levant les yeux au ciel : en plus il est fier de lui !

 

Je la retourne brusquement face à moi, elle pousse un cri surprise.

 

Moi (faussement menaçant) : toi, un jour je vais te prendre sur mes genoux et te donner une fessée comme une petite fille.

 

Elle s’envole dans un éclat de rire et je reste à l’observer avec une fierté silencieuse. Je l’enlace les bras au-dessus de ses épaules, elle se calme sur le coup.

 

Moi : est-ce que je t’ai déjà remercié d’avoir choisi de faire ce voyage avec moi ?

 

Nahia souriant : oui, mais c’est moi qui te remercie.

 

Moi : non, c’est moi.

 

Nahia : même pas c’est moi.

 

Moi : it is me.

 

Nahia : lol on ne va pas y passer la nuit quand même.

 

Moi : lol.

 

On se regarde longuement dans les yeux ensuite, je me penche pour l’embrasser. C’est une fois qu’on se détache qu’on reprend la marche vers l’entrée principale. Pendant qu’on pénètre dans le vestibule, on tombe sur mon inébranlable père bien mis dans un dishdasha d’un blanc éclatant.

 

Nahia : machallahhhh on s’est fait beau pour sortir !?

 

Papa lui souriant : en effet, je vais vérifier si mon charme opère toujours.

 

Nahia le ton rieur : sans aucun doute que vous allez toutes les faire tomber.

 

Papa : n’est-ce pas ?

 

Je les regarde juste éberlué.

 

Nahia : j’espère seulement que oumi a donné son feu vert.

 

Maman arrivant : encore mieux, elle vient avec lui.

 

Nahia : vous avez raison, il faut savoir surveiller ses intérêts.

 

Elles rient.

 

Nahia (regard admiratif vers ma mère) : vous êtes sublime oumi, c’est chaud sur Abu-Dhabi ce soir on dirait.

 

Maman : merci (regard en biais vers moi) on fait comme vous.

 

Papa (fixant maman) : on y va si tu es prête.

 

Moi (sortant de mon mutisme) : euh papa, il faut qu’on cause.

 

Papa plissant les yeux : toute de suite ?

 

Moi : oui c’est assez urgent.

 

Il me fixe le sourcil arqué quelques secondes avant de parler.

 

Papa : ok  j’espère que ça ne va pas me prendre beaucoup de temps, je ne veux pas faire attendre ta mère.

 

Maman intervenant : il n’y a pas de problème, prenez tout le temps qu'il vous faut (suivant Nahia vers les escaliers) je reviens dès que vous aurez fini.

 

Nous acquiesçons tous les deux de la tête avant de prendre la direction de son bureau où je me lance sans transition après qu’il se soit assis.

 

Moi : papa vous ne pouvez pas sortir, du moins vous ne pouvez pas vous afficher en public pour le moment. Si tu le désires, on organisera une villégiature pour vous et je prendrai toutes les dispositions nécessaires qui s’imposent. Que penses-tu de la villa de Saadiyat (presqu’île) ?

 

Papa posément : et je peux savoir pourquoi je n’ai pas le droit de sortir de chez moi ?

 

Moi (sans tourner autour du pot) : la presse est à nos trousses à cause du scandale impliquant Yumna.

 

Il me lance un coup d’œil et prend une grande inspiration.

 

Papa : ok (quittant le canapé) je pense qu’il n’y a plus rien à ajouter.

 

Moi (saisissant la balle au bond) : je n’ai pas fini, il faut qu’on parle (articulant) du scandale.

 

Papa tranchant : je ne veux pas parler de ça Khalil.

 

Moi sans ambages : il le faut pourtant !! On a un problème papa, il faut le résoudre !

 

Il me fait un coup d’œil surpris que je soutiens simplement. Il lui faut alors deux minutes pour soupirer de reddition et se rasseoir avec une expression outrée dans le regard qui me laisse indifférent.

 

Papa : vas-y qu’on en finisse !!

 

Je prends place sur le bout du siège à côté de lui et reprends calmement.

 

Moi : papa, on aurait tous aimé ne jamais avoir à vivre cette situation qui m’afflige encore plus que toi si je puis dire. Yumna,  je me suis porté garant pour elle le plus clair de ma vie et penser que mes engagements serviront peut-être que dalle me laisse relativement un goût amer. Cependant les faits sont là donc nous sommes tenus de réagir.

 

Papa : nuance ! TU es tenu de réagir parce que moi Al-Amine, je suis à bout de vos conneries. (élevant la voix) Que toi tu m’imposes une Africaine, roturière et mère célibataire (je fais une grimace) j’ai toléré, que Ussama s’entiche de tes restes…

 

Moi excédé : abîîîî !!

 

Papa (continuant l’air de rien) : j’ai décidé de faire avec ! Mais que Yumna me ramène un bandit des banlieues américaines, malgré mon ultimatum la première fois et par-dessus tout souille son corps jusqu’à lui faire un enfant sans égard à ma personne et hors mariage en plus (secouant la tête) c’est la goutte d’eau de trop Khalil. Qu’Allah m’en soit témoin, jamais, je dis bien jamais je ne lui pardonnerai cet affront, la honte et le déshonneur qu’elle vient de jeter sur la famille.

 

Moi (autant bouleversé que choqué) : ah ?

 

Papa : si si ! (furieux) Est-ce que tu te rends comptes que j’ai passé la moitié de ma vie à donner des conseils et des directives à mes frères et sœurs en Islam. J’ai sévèrement sanctionné plus d’un sur la voie de la turpide. Pourtant avec mes propres enfants j’ai tout raté. Je ne suis pas un père digne de ce nom et ta sœur vient de briser ma certitude de l’être. (soupir rageur) Quelle faute, quel péché ai-je commis pour qu’Allah m’assigne une descendance au top de l'irrévérence ?

 

Moi calmant le jeu : je comprends tes ressentiments, mais l’Américain en question est un musulman (il me lance un coup d’œil perplexe) il venait demander sa main et ils ignoraient tous les deux qu’elle était enceinte.

 

Papa (sourire désabusé) : elle devait s'y attendre en allant lui écarter ses jambes comme une vulgaire pute.

 

Moi : papaaaa !!

 

Papa (soupir las) : elle a trahi ma confiance Khalil, j’ai transgressé mes limites pour lui offrir une chance de devenir indépendante. (soupir) Je l’avais collé dans un couvent au fin fond de la Suisse comme je l’ai fait avec toi qu’on n’en serait pas là.

 

Moi cinglant : ah oui parce que ça avait très bien marché pour moi n’est-ce pas ?? (souffle) Papa l’heure n’est pas à la polémique, mais à la recherche d’une solution. (le fixant dans les yeux) Il n’y a pas de  dépotoirs pour mauvais enfant. Comme tu l’as dit, on s’est tous salit les mains à un moment ou à un autre. Tu as fait ton devoir de père, tu nous as donné bien plus qu’un père peut donner à ses enfants. Force est de reconnaître qu’on accouche un enfant, mais pas son cœur, il t’incombe toutefois de ramener l’enfant sur le droit chemin lorsqu’il s’en détourne. Alors déshonneur ou pas déshonneur, tu dois passer par-dessus cette histoire parce qu'elle reste ta fille.

 

Je finis par soupirer, il me regarde un moment qui me semble une éternité avant de parler.

 

Papa : quelle ironie, quand je pense que j’ai passé des années à m’indigner de ton épouse jusqu’à humiliation.

 

Moi haussant l’épaule : on n’est jamais n'est à l'abri de rien.

 

Il me lance un regard entendu.

 

Moi : et bien, bon maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

 

Là j’ai droit à un regard foudroyant suivit d’un énorme soupir d’exaspération. Sinon que j’ai déjà vu pire donc je reste serein.

 

Papa : tu t’es concerté avec les vizirs ?

 

Moi : nous avons eu un conseilce matin.

 

Papa : et qu’est-ce qu’il en ressort ?

 

Je prends une grande inspiration et lui raconte en bref le conseil.

 

Moi concluant : voilà qu’il y a à peine un mois que m’est échue la charge de diriger, Allah est témoin que je voulais accomplir cette responsabilité avec un dévouement sincère (levant les yeux voilés sur lui) je voulais te rendre fier, au-delà de ça je voulais servir en veillant à ce que tous les Abu-Dhabien, où qu’ils se trouvent, jouissent équitablement et librement de conditions de vie dignes. Et je dois avouer que je ne veux pas me voir relégué de cette responsabilité et en même temps, je veux sauver ma sœur. Je me sens le cul entre deux chaises.

 

Papa (me narguant) : tu sais pour le moins ce que ça fait de voir s’écrouler sa réputation sous le poids des frasques d’un membre de sa famille.

 

Je soupire simplement.

 

Papa : le pouvoir est un bien lourd fardeau fiston (me tapotant l’épaule) quoi qu’il en soit je suis certain que tu sauras prendre la bonne décision. (se levant) Ce n’est pas tout, mais je tiens tout de même à passer la soirée avec ma femme.

 

Il s’en va et me laissant dans un trouble sans précédent.

  

Yumna….

 

Moi (décrochant mon téléphone) : hi bonsoir mama Gina.

 

 Mama Gina (d'entrée de jeu) : mon fils rentre quand ?

 

Moi balbutiant : je … heu je, mon frère tente le tout pour le tout pour l'aider à s'en sortir.

 

Mama Gina criant : tu me chantes ça depuis cinq jours, cinq jours que mon fils est en prison quasiment sans issue. Je n’ai eu de ses nouvelles qu’une fois, une seule fois et en sus pendant quelques dizaines de minutes. Ça se trouve, ils l’ont déjà exécuté.

 

Moi : mais non ! Mon frère lui rend souvent visite.

 

Mama Gina (ton sarcastique) : really ? Dis-moi, c’était quand la dernière fois ?

 

 Moi :…

 

Mama Gina vociférant : oh mygaaahhh Elias !!! Mon fils souffre tant à cause de toi. Je l’ai pourtant prévenu que tu es un vrai boulet pour lui. Je lui ai ordonné de t’effacer de sa vie lorsque tu l’as abandonné. Est-ce qu’il a daigné m’écouter ? Nonnnn ! Il en a fait qu’à sa tête. Je l’aime, je tiens à elle, il va jusqu’à se convertir à l’Islam à cause de toi et c’est pour se retrouver en prison à la première occasion. Et the best of tu commences à faire des fausses couches, pour une première grossesse. C’est à se demander si tu pourras même faire d’autres enfants parce qu’il est évident que tu en feras tout le temps !

 

Oh là ça fait moins triper, je ressens ça comme un coup de poignard en plein cœur. Je passe les secondes qui suivent à essayer de digérer ses paroles lorsqu’elle poursuit son invective furibonde.

 

Mama Gina : si je ne revois pas mon fils dans les 24 h qui suivent, je te jure sur la tête de mes enfants que je vais te le faire payer à la place de vos autorités à la noix. Je te laisse cette journée Yumna, une journée sans plus. Autrement, je te retrouverai et je n’hésiterai pas une seconde à te buter.

 

Clic !

 

Sa dernière phrase me glace le sang et me laisse sans voix. Je perds toute contenance et m’écroule dans le lit prise d’un vertige, puis d’un violent haut le cœur. Je me retrouve la tête penchée au-dessus du WC, une main appuyée contre le mur à vomir mes tripes et boyaux. C’est bien ma veine, je suis persuadé que Dieu me punit pour ma désobéissance. Je sais que vous vous dites en ce moment « c’est bien fait pour sa gueule ! ». En effet oui je mérite bien, et même plus que ce qui m’arrive. Et je peux vous assurer que vos critiques, quel qu’en soit leur nature ne sauront être plus dévastatrices que ma honte et mes remords actuels.

 

Je gerbe pendant cinq minutes au bout duquel j’entends la voix des filles dans la chambre.

 

Ton enjoué de Khadija : heeooo Yumna où es-tu ? Nous sommes venues voir notre belle sœur adorée.

 

Moi : keuuff keuuff beuurrrkkkk…

 

Elles débarquent sur le champ. Cartia se place derrière moi et se met à me masser le dos et Khadija sur le côté, me tient les cheveux. Nahia m’aide à rincer le visage et la bouche lorsque je finis.

 

Nahia : mais qu’est-ce que tu as ?

 

Je prends appui contre la vasque incapable de bouger, de prononcer le moindre mot.

 

Khadija : tu veux qu’on t’amène dans la chambre ?

 

Elles s’exécutent sans attendre ma réponse, elles m’installent dans le lit où je commence sérieusement à pleurer pendant que Khadija me berce.

 

Khadija : pleure ma belle, pleure ça te fera du bien.

 

Je ne sais pas pourquoi, mais à un moment Cartia et Nahia me rejoignent dans mes pleurs.

 

Khadija (passant son regard entre les deux) : oh mais qu’est-ce que vous avez vous ?

 

Nahia pleurant : je crois qu’elle a réveillé mes hormones de grossesse.

 

Cartia : et moi mes anciennes et futurs hormones de grossesse.

 

On éclate de rire à travers nos larmes.

 

Khadija (couvrant sa bouche l’air ému) : oh mon Dieu !!

 

Cartia (la fixant les yeux plissés) : qu’est-ce qu’il y a ?

 

Khadija : ça fait des jours qu’on désespère d’entendre ce rire.

 

Elle a une drôle d’expression sur le visage qui me fait tomber de rire. Je me lâche complètement alors qu’elles restent statiques l’air penaud.

 

Nahia (lorsque je me calme) : bon, c’est déjà bien que tu retrouves le sourire. Si tu pouvais sortir de ton silence ça serait encore plus fantastique. Parler te fera un grand bien.

 

Je fais la grimace.

 

Nahia : allez, tout va s’arranger. 

 

Moi secouant la tête : franchement, je ne vois pas comment ça peut s’arranger.

 

Nahia (me frottant le bras) : je t’ai connu plus positive.

 

Khadija l’appuyant : et moi, j’ai toujours admiré ta force de caractère.

 

Cartia ajoutant : en plus tu te tapes Elias, un mec baraqué à faire peur avec son regard pénétrant que tu ne redoutes point. Qu’est-ce qui peut encore t’effrayer après ça ?????

 

Khadija et Nahia parlent en même temps.

 

Khadija (se marrant) : vraiment !

 

Nahia : rien du tout krkrkrkr…

 

On rigole un moment avant que je ne passe aux confidences, elles m’écoutent attentivement.

 

Moi : ça me fait mal d’avoir perdu cet innocent bébé et tout le remue ménage que ça a entraîné me chamboule, mais ce qui me dévaste encore plus c’est la culpabilité d’avoir entraîné ma famille dedans. (nostalgique) Quand je pense que j’avais tout pour moi, j’avais tout ce qu’il faut pour démarrer une vie saine. J’ai eu mon diplôme et l’homme de ma vie venait demander ma main. Mon père allait bouder sa nationalité certes, mais j’étais prête à faire tout ce que je pouvais pour lui faire accepter mon choix. On allait avoir un bébé (rictus amer) en l’espace de quelque temps, tout mon monde s’est effondré. Nul doute que je dois mettre un trait sur Elias, je suis la risée de tout le pays. Le plus dur c’est de lire toute cette déception dans les yeux de mes parents. Ma mère a perdu confiance en moi, elle me regarde sans vraiment me regarder. Mon père qui fait comme si je n’existe pas, je préfère encore lorsqu’il me sanctionne sévèrement. 

 

Cartia (se voulant compatissante) : dans ces cas là, le meilleur moyen, c’est la patience. Laisse-leur le temps pour digérer la nouvelle ensuite, tu leur parleras.

 

Khadija renchérissant : je pense même que tu dois leur présenter des excuses.

 

Moi (hochant la tête) : cela serait judicieux, mais je ne pense que ça puisse changer quoi que ce soit. Mon père n’a jamais été autant déçu de moi, il ne me le pardonnera jamais. Je l’ai lu dans son regard et je dois dire que ça me tue. (soupir) C’est ça que j’ai voulu éviter en me séparant d’Elias l’autre fois et voilà que ça me rattrape.

 

Nahia : on n’échappe pas à son destin ma belle.

 

Moi : ça, tu l’as dit.

 

Khadija : il ne reste plus qu’à espérer un dénouement heureux (regard interrogateur vers Nahia) à propos, quand est-ce que la sentence arbitrale sera rendue ?

 

Nahia : demain.

 

Cartia (la fixant) : et ton type décide quoi ?

 

Nahia : je n’en sais rien.

 

Cartia : tu refuses de vendre la mèche ouais !

 

Nahia (se tournant pour la regarder) : wallah je n’en sais rien et je préfère ne pas savoir, rien que d’y penser je stresse à bloc.

 

Moi : et moi donc ! Ça m’angoisse de ne pas connaître mon sort ni celui d’Elias. D’autant plus que sa mère menace de me tuer s’il n’est pas libre dans les 24 prochaines heures.

 

Elles (les yeux écarquillés) : oh ?

 

Je leur raconte notre échange houleux de tout à l’heure.

 

Khadija (lorsque je finis) : je ne pense pas qu'elle ait dit cela pour être menaçante, tu as affaire à une mère en détresse là. Essaie de te mettre à sa place.

 

Cartia moqueuse : moi je retiens juste que ça a eu le don de débloquer tes fonctions émettrices. Je l’avais su dès le départ que j’allais dire à abî de proférer des menaces de mort à ton endroit.

 

Elles éclatent de rire devant ma mine boudeuse.

 

Nahia : cheikha Yumna a peur de la mort krkrkr.

 

Moi boudant : il y a de quoi, je préfère encore plus la prison.

 

Cartia : cheh ! Tu seras servie parce que nous, on ne veut en aucun cas perdre notre Cheikh.

 

Elle lance ainsi un grand débat qui s’étend sur tout l’après-midi.  Khadija s’oppose au point de vue de Cartia et Nahia avance qu’elle est neutre. Elles argumentent pendant que je les écoute patiemment sans intervenir. Enfin, je suis totalement d’accord avec Cartia dans le sens où Khalil n’a pas à payer pour mes erreurs que je ne crains pas d’endosser d’ailleurs. Ce que je redoute par contre, c’est de ne pas pouvoir me faire pardonner par mes parents. Je cogite toute la nuit sur la meilleure manière de leur présenter mes excuses comme l’avait suggéré Khadija et c’est aux aurores alors que la résidence était encore ensommeillée que je me présente devant leurs appartements pour le faire. Je prends un bol d’air et frappe des petits coups discrets à la porte en proie de doute et d’hésitation. Mon cœur rate un battement lorsque j’entrevois la lumière dans leur salon puis pendant le clic clac dans la serrure. Ma mère apparaît ensuite dans l’entrebâillement de la porte, elle me regarde d’abord stupéfaite puis assez hérissée. Aussitôt, je me jette à ses pieds et les embrasse en pleurant. Je reste dans cette position une bonne dizaine de minutes. Mais aucune réaction de sa part. Alors je pleure bien d’avantage.

 

Moi (dans un sanglot étouffé) : maman ne te courrouce pas contre moi, je t’en prie pardonne moi. Je m’en veux vraiment beaucoup, je me suis mal comportée. Je sais que je t’ai déçu…

 

Maman : pas qu’un peu Yumna, tu m’as brisé le cœur.

 

Le ton glacial de sa voix dévaste tout en moi. Je me confonds en excuses en pleurant un long moment encore avant de sentir sa main sur mon épaule. 

 

Maman (ton neutre) : lève-toi, viens me voir.

 

Je me relève doucement et lève le regard à peine voilé sur elle.

 

Maman : je ne t’en veux pas (soupir) je suis juste horriblement déçue.

 

Moi : je le sais (sniff) et je voudrais me racheter.

 

Maman : chut arrête de pleurer, je ne suis pas fâchée contre toi. En fait, je le suis plus contre moi-même. Je m’en veux de n’avoir pas pu te préserver.

 

Moi : c’est entièrement ma faute, tu n’en es pour rien.

 

Maman : bon ok d’accord si ça peut te soulager.

 

On se sourit.

 

Maman : tu dois par contre précipiter ton repentir auprès d’Allah, pries le afin qu’il te pardonne et moi, je prie qu’il t’affermisse dans la voix de la droiture.

 

Moi : je le ferai maman.

 

On reste un moment à se regarder ensuite elle fait une chose inattendue. Elle écarte ses bras dans lesquels je me blottis, je pousse un long et profond soupire de répit et des larmes d’émotion viennent se nicher dans le creux de mes yeux. Lorsqu’on se détache, je risque un regard vers l’intérieur, elle comprend et m’en dissuade d’un geste de la tête.

 

Maman : laisse-le s’imprégner de tout ça progressivement, il viendra à toi lorsqu’il sera prêt à te pardonner.

 

Je me mords la lèvre en hochant la tête.

 

Maman : je dois y aller, il va commencer à me chercher.

 

Je hoche lentement la tête. Elle fait mine de partir et se ravise.

 

Maman : je veux te voir à la table du petit déjeuner.

 

J’ouvre les yeux surprise, mais agréablement. Je réponds avec une grande émotion dans la voix. 

 

Maman (me donnant dos) : à toute !

 

Moi: oumiii

 

Maman : oui ma chérie.

 

Moi : merciii oumi.

 

Maman (regard rieur) : il y a de quoi ibnah (ma fille).

 

Elle décale d’un pied derrière et je la regarde refermer la porte amusée. Je rebrousse chemin vers mon appart à moitié soulagée, mais heureuse d’avoir fait ce pas. À un niveau, je croise mes frères qui s’apprêtent à se rendre à la prière. Abdallah content de me voir me fait un large sourire que je lui rends, Ussama me prend carrément dans ses bras.

 

Ussama : sœurette

 

Moi : frérot (sur le ton de la plaisanterie) toi aussi, tu m’as manqué.

 

Il me regarde dans les yeux en souriant et en hochant la tête.

 

Abdallah : tu es enfin sortie de ta tanière ou c’est une visite éclair ?

 

Moi : ni l'un ni l’autre, je suis juste sortie.

 

Khalil (arrivant à notre hauteur) : pour aller où ?

 

Moi : j’étais partie voir maman.

 

Khalil (levant le sourcil) : mmhhhm

 

Moi : tu peux lui poser la question.

 

Khalil : je le ferai.

 

Il s’avance vers un autre couloir quand Abdallah tourne vers moi une légère grimace qui me fait éclater de rire en même temps que Ussama.

 

Khalil (la voix grave) : qu’est-ce qui vous amuse comme ça ?

 

Ussama : rien votre majesté !

 

Il lui lance un regard ardent et reprend sa progression. Ussama et Abdallah le suivent. Je fonce à l’appartement puis sous la douche sous laquelle je prends un long et plaisant bain. Un peu plus tard je participe à la préparation du petit déjeuné pour la plus grande joie de mes belles sœurs.

 

Au moment de passer à table, tandis que les autres s’y installent gaiement, je traîne un peu devant les portes coulissantes de la véranda verrière au fond du jardin privé. En fait, le visage impassible et froid de mon père me laisse perplexe. Je lui coule un regard alors qu’il prononce la formule « Bismillâh Rahmani r-Rahim » pour lancer le repas. Par la suite, je les regarde s’échanger les menus, se faire des tartines, du thé ou encore du café dans une ambiance bonne enfant. À un moment, ma mère lève la tête dans ma direction et paraît étonnée de me voir planter là.

 

Maman : Yumna pourquoi tu traînes encore là-bas, tu ne manges pas !?

 

Je risque un autre regard vers papa qui mange en regardant droit devant lui et les autres à l’exception de Khalil font pareil. Maman fait un geste évasif de la main et me parle pendant qu’elle lui coule un regard en biais.

 

Maman : allez viens ! Ton thé va se refroidir.

 

Il y a un flottement pendant tout le temps que je m’installe. On s’échange des regards en attendant la réaction de papa dont le regard est toujours aussi indifférent. C’est Nahia qui brise la glace en me proposant des gaufres que j’accepte volontiers. On passe ensuite un moment agréable ponctué de fous rires et de plaisanteries quand bien même papa ne m’accorde aucun regard et Khalil qui a une grosse veine de souci sur le milieu du front semble être dans les nuages. C’est pendant que je m’installe dans mon lit pour rattraper ma nuit blanche qu’il entre après avoir frappé quelques coups contre la porte. Le sommeil se dissipe dans mes yeux tout d’un coup. Je disais même quoi hier ? Que je n’appréhende point sa décision hein ? Et bien je retire mes mots, le visage du type ci comme son père pendant le petit déjeuner. Je me redresse le cœur tambourinant et le corps palpitant. Il me lance un regarde interrogateur depuis le pas de la porte.

 

Khalil : je tombe mal peut-être.

 

Je bouscule la tête, il vient s’asseoir sur le siège en face du lit et me regarde les yeux plissés.

 

Khalil : ça va ?

 

Je secoue la tête la gorge nouée.

 

Khalil : ça ira !

 

J’acquiesce pendant qu’il croise les doigts sous son menton les coudes en appui sur les cuisses.

 

Khalil (me fixant dans les yeux) : bon je tiens à te dire que je ne suis pas particulièrement fier de ce que tu as fait. Autant ta vie amoureuse que ta vie sexuelle ne m’engage en rien, encore que ça n’a pas empiéter sur tes études. Néanmoins, c’est de la nature des choses et surtout par rapport à ton statut ici à Abu-Dhabi que tu te devais de te montrer plus discret à défaut de te préserver. Tu as fait des études de médecine même si ce n’est pas ta branche, tu as la base donc ce n’est pas moi qui devrais t’apprendre comment on s’y prend.

 

Moi : j’en suis désolée.

 

Khalil bourru : tu le dois oui !

 

Il soupire.

 

Khalil reprenant calmement : je dois reconnaître que je n’ai pas été un bon exemple pour toi sur ce plan, encore moins Ussama. Mais que tu le veuilles ou non, on te pointera plus du doigt. C’est la fonction sociale des préjugés qui le veut ainsi, on y peut rien. 

 

Je hoche lentement la tête.

 

Khalil : j’aurais dû te dire tout ça avant que l’irréparable ne soit commis. (soupir) Mais bon, c’est arrivé parce que ça devrait arriver.

 

Je lui lance un regard contrit et soupire.

 

Khalil : ceci étant, je dois me rendre au cabinet dans les minutes qui suivent pour faire part de ma décision à mes vizirs, mais je t’en parle d’abord pour que tu prennes des dispositions en conséquence.

 

Moi (la voix inaudible) : d’accord.

 

Il s’éclaircit la voix.

 

Khalil : je veux que tu sache que ce n’est pas vraiment de gaieté de cœur que j’ai pris cette décision.

 

Je lui jette un coup d’œil le cœur palpitant et frotte mes mains moites sur le drap.

 

Khalil : j’ai décidé que…

    

Au fait, c’est à vous que revient la décision finale mes gens bien. Je vous donne quand même des pistes.

 

1- Khalil démissionne.

 

2- Yumna va en prison.

 

3- Autres alternatives…

      
Le tournant décisif