La revanche
Ecrit par Gioia
Madina Bara
Les matins où je me lève en pleine forme comme
aujourd’hui sont rares alors je suis sortie de chez moi avec la pêche et
l’intention d’avance dans mon projet de recherche au travail. Sinon ça fait
deux jours avec Michael. Pas de nouvelles, on ne trouve monsieur nulle part.
Pas de WhatsApp ni Messenger. Je n’ai pas pensé à lui demander s’il s’était
déjà pris un numéro d’ici lorsqu’on s’est vus et je me suis aussi auprès de
Laure, mais elle a simplement refusé de me le donner sans me fournir de raison
spécifique. Ne comprenant pas ses raisons, j’ai laissé tomber, en me disant que
peut-être ça touchait à sa belle-famille. Du coup, je pratique juste la
patience en attendant de voir mon Didi.
Je suis plutôt satisfait de ce que j’ai fait en
journée donc pour me récompenser je passe par une épicerie africaine à la
sortie du travail afin de m’acheter du malta. Dès que je mets le pied chez moi,
on toque à ma porte. Pensant que c’était Laure vu qu’elle est la seule qui connaît
le code pour entrer dans mon immeuble, j’ouvre directement et tombe sur Michael
qui tient le chiot dans les bras.
— Didi, m’écrié-je joyeusement tandis que Michael
le posait au sol et la boule de poil se ruait sur moi.
— Bonsoir Mico, ça va ? Je suis content de te voir, il dit en imitant ce
qu’il croit être ma voix.
— Justement je ne suis pas contente de te
voir. Juste mon bébé, je le taquine.
— Le bébé a marché seul pour venir ici ou
bien.
— Tu n’as pas donné de nouvelles depuis un
bail donc je m’inquiétais pour lui, je réponds tout en m’effaçant pour le laisser
entrer. Et comment sais-tu où j’habite ?
— J’étais avec Yannick quand il t’a déposé, rappelle-toi.
— Oh oui. Et que fais-tu là ? Tu ne m’as pas prévenu de ta visite.
— Je viens prendre ma revanche, dit-il en
soulevant son sac à dos.
— Ta revanche ? je répète confuse.
— Bah ouais, répond-t-il avant de l’ouvrir et
d’en sortir une boîte de Catan.
— Non ! Mais tu es
mauvais perdant comme ça, pouffé-je de rire.
— Tu m’avais dit quand je veux pour la
revanche hein donc pas d’excuses.
— Non Mico tu exagères lol. Ça te fait quoi
si tu laisses comme ça ?
— Laisser quoi. Il en va de mon honneur. Ma
soirée entière est réservée pour toi et je compte bien te donner la correction
de ta vie.
— Arrête de parler si fort, mes voisins vont
peut-être penser que c’est un cas de violence conjugale.
— On peut penser à un genre de correction
aussi, le genre plus fun hein, ironise-t-il en faisant bouger ses sourcils.
— Une autre fois s’il te plaît, répliqué-je
gênée, imaginant un peu dans quel cadre correction et fun convergent. Je dois
cuisiner. Je n’aurais pas le temps de jouer.
— Finis ta cuisine et tu viens jouer madame.
Je vais attendre.
— Je peux prendre deux heures hein.
— No souci. Ton canapé a l’air assez
confortable.
C’est ainsi qu’il s’est tapé l’incruste sans souci
et pendant ce temps je cuisinais. À un moment il m’a rejoint pour bavarder puis
finalement il se mit à éplucher les pommes de terre pour moi après avoir rangé
dans mon frigo un sachet de viande d’agouti qu’il avait ramené.
— Comment tu as passé la douane avec la
viande ? lui demandé-je intriguée
— Laisse ça, on est maître dedans, rigole-t-il
— Wah un vrai ancêtre dans le banditisme tu
me tues.
— L’ancêtre hein avec ton mètre 40 là.
— Pfff, apprenez à respecter les gens de
taille moyenne, dis-je en tapant son bras, je fais 1m60.
— Même différence, il réplique avec humour. Bon
les pommes de terre là c’est comment tu fais ? Frire ? Sauter ?
— Euh non, en purée. Je vais faire un pâté
chinois.
— Pâté quoi ?
— Le pâté chinois. Tu ne peux pas avoir fait le
Canada et ne pas connaître.
— Je connais, mais tu blagues si penses me
faire manger pommes de terre, maïs fromage et viande. Tu as menti.
— Aïe, mais c’est bon le pâté, rigolé-je.
— Ça n’a qu’à être bon. Tu n’as pas la farine
quelque part pour que je tourne mon Placali ?
— Pourquoi vous faites les choses comme ça,
dis-je avec humour. Tu n’as pas assez mangé le Placali au pays ?
— Mon cher, le Placali que tu connais est
mieux que le pâté que tu ne connais pas. Ma maman n’est pas encore morte pour
que je vienne manger maïs et fromage chez les blancs. La farine est où ?
— Le placard de droite en haut, dis-je en secouant
la tête, sourire ironique sur les lèvres. Mais je n’ai pas de sauce à placali
hein, je lui précise.
— Laisse-moi prendre un peu de ton bœuf et je
vais m’en faire une rapide, tu as des tomates non.
— Donc tu es sérieux quoi.
— En même temps est mieux, dit-il en prenant
vraiment la farine.
Quelques heures plus tard, il finissait mon pâté
après avoir descendu son Placali. « Je ne veux pas
que tu te mettes à pleurer sous prétexte que j’ai refusé ta nourriture », c’est l’explication que j’ai eue quand j’ai
demandé le pourquoi sa fourchette se promenait dans le plat de four contenant
mon pâté. Après ça, nous avons commencé enfin le jeu et j’ai remporté la première
partie.
— Mico laisse seulement on n’est pas bon en
tout, le taquiné-je après ma seconde victoire.
— Les anglos nous ont déjà appris que third
time’s a charm donc l’effet de ton gri-gri sur moi arrive à terme.
— Ah les anglos hein, OK, rigolé-je.
— Didina vient ici. Peut-être c’est lui à
côté de toi qui te fait gagner, dit-il en essayant d’attraper mon bébé qui
l’évitait pensant que Mico voulait jouer. Regarde ce traître de chien. Demain tu
verras quand je vais te filer les croquettes sèches inintéressantes et garder
le Placali avec sa bonne viande juteuse glissante des os pour moi. Un chien
ingrat qui mange la main qui le nourrit.
— Lol il aime le coin des vainqueurs tu crois
quoi. Et au passage explique-moi comment tu donnes du placali et la viande à un
chiot ?
— C’est dans ça il y a les vitamines. Je ne l’ai
pas payé pour qu’il dorme sur mon canapé, mais garder ma maison donc il lui
faut être bien dodu pour ne faire qu’une bouchée des mollets des bandits du
plateau Dokui.
— Et il y a assez de vitamines dans les
croquettes. N’empoisonne l’enfant avec la raison que tu lui donnes les
vitamines.
— Toi tu ne connais pas, c’est un chien
ivoirien. Il aime le Placali. Vous n’avez pas un équivalent de ça au Burkina ? Le tô machin ?
— Oui, mais c’est un peu différent.
— Tant que c’est la farine tournée dans l’eau
j’accepte, mais tu vois ton cœur, vous avez votre version, mais c’est maïs et
fromage tu voulais donner à l’humain. Je t’ai fait quoi la sœur ?
— Faut quitter. Tu as mangé ou pas ? blagué-je tandis qu’on commençait la troisième
partie.
Toutefois nous ne sommes pas arrivés à terme.
J’étais épuisée.
— Je déclare forfait. Tu as gagné, dis-je.
— C’est quelle victoire ça ? Prends ça hein. Moi j’en veux une vraie.
— Ah pardon Mico, je dors debout.
— Bon, si c’est ton argument, je vais laisser
le jeu ici et revenir demain pour qu’on finisse. Didina, on est parti allez, il
lui siffle.
Je me lève pour débarrasser et constate par la
fenêtre que le vent s’était levé. Un vent si violent n’annonçait qu’une chose
au Canada ; une grande tempête à venir. J’allume
la Tv et reçois la confirmation. Toutes les chaînes de météo avaient des
alertes rouges de tempête ayant débuté depuis dix minutes.
— Mince, mieux je pars maintenant. Didina
allez, arrête de jouer on y va.
— Non, mais tu es fou. Tu ne vas pas conduire
de Laval à Verdun, protesté-je.
— Je vais laisser ma voiture devant ton
immeuble, prendre le métro et demain je repasse la chercher.
— Non c’est quand même dangereux ; tu as presque dix minutes de marche de mon
immeuble au métro quand il fait beau et regarde ça tombe déjà. Reste dormir et
tu pars demain.
— Oh, non ce n’est pas utile, je vais me
presser.
— Non Michael s’il te plaît, reste, je serais
plus tranquille. En plus, courir dans un blizzard avec un chiot dans les bras
ce n’est pas safe.
— Bon, dis comme ça tu n’as pas tort, surtout
que celui-ci n’est même pas pressé de s’en aller, il dit pour Didina qui ne
cessait de courir derrière on ne sait quoi.
Le hic maintenant c’est qu’il est bien plus grand
que mon canapé, mais en même temps, je me vois mal dormir avec un gars.
— Mico, prends la chambre je vais dormir sur
le divan, je lui propose donc à la place.
— Ah non toi aussi. C’est moi l’invité.
— Oui, mais c’est moi qui fais la taille
moyenne. Je serais nettement plus à l’aise ici que toi.
— T’en fais pas pour moi va, j’ai connu pire.
Tu m’as déjà donné le nécessaire, dit-il en soulevant la couverture et le
coussin que je lui avais effectivement sortis. Va dormir, on se voit demain.
Michael Koumah
C’est vrai que j’ai dit en avoir vu des pires,
mais ça fait toujours mal au corps quand tu es sur un mini canapé et depuis
deux heures tu ne fais que gigoter, à la recherche de la position qui te
conduira direct dans les bras de Morphée. Mes jambes flottent dans l’air et Didina
à côté ne se gêne pas pour ronfler sans compassion pour ma condition. Le vent
aussi ne me demande pas la permission avant de souffler et secouer les fenêtres
au passage. Une raison additionnelle pour laquelle je ne suis pas fan de ce
pays, ses hivers glacials et nombreuses tempêtes. Et le pire c’est que demain
je dois me déplacer à Québec pour mon training. Puisque le sommeil me fait
défaut, je vais me chercher un ticket de bus pour demain, n’étant pas prêt à
conduire après une nuit agitée. Mais un bruit venant de la chambre de Madina m’alerte.
Pensant que c’était le vent, j’ai continué ma tâche, mais un vrai gémissement
de douleur m’est revenu. Je me dirige vers sa chambre et cogne premièrement à
la porte. N’ayant aucune réponse en dehors des gémissements, je m’excusai avant
d’ouvrir la porte et la trouve en train de se tordre sur le lit, le front perlant
de sueur. Inquiet, je m’approche et m’assois doucement à côté d’elle.
— Yo Madina ça va ? dis-je en lui touchant le bras.
— Le médicament, murmure-t-elle désorientée
tout en grinçant, « mes jambes
Seigneur, j’ai mal ».
— Je vais en trouver où ? balbutié-je tout en cherchant du regard sans
succès.
Un doigt fébrile me pointe son petit meuble de
chevet. Je me mets à fouiner le tiroir et heureusement il n’y a qu’un
médicament, Abstral 100 mg que je prends et lui passe avant de courir lui
chercher de l’eau. Trente minutes plus tard, elle ne semble pas aller mieux et
je commence à m’inquiéter sérieusement alors j’essaye de l’aider à se redresser,
mais l’expérience ne se passe pas vraiment bien. Elle demande un second
comprimé que je lui remets, un peu sceptique avant de l’aider à se recoucher à
sa requête.
Je ne m’y connais pas tant en sciences, mais
prendre un comprimé à la suite comme ça me semble étrange donc j’entreprends de
lire la notice tandis que sa respiration reprenait un rythme plus ou moins
normal. Merde ! fais-je étonné
quelques minutes plus tard et la boîte m’échappe des mains. Il est dit que ce
médicament contient du fentanyl, préconisé pour la gestion des douleurs de
patients atteints de cancer. Pourtant elle n’a que 27 ans. Le cancer ? J’étudie avec une boule dans la gorge son visage
qui paraît plus paisible et décide de me coucher tout doucement à ses côtés d’elle
avant de prendre sa main dans la mienne, le cœur alourdi par cette nouvelle. À un
moment mes yeux se fermèrent seuls.
Je me réveille doucement quand je sens ma main
palper un renflement moelleux sur lequel se trouve un bout pointu qui s’érige
contre ma paume. Inconsciemment je me mets à jouer avec le bout et mon érection
matinale se ramène plus rapidement que d’habitude. Une douce chaleur recouvre la
main qui jouait sur le renflement, me faisant sourire de joie à l’idée de vivre
un si beau rêve. Je frotte même mon nez contre des doux cheveux sentant
légèrement la pomme quand un « Tu es Emmanuel,
Emmanuel mon ami » me ramène
brusquement à la réalité.
— Mais purée, qu’est-ce qui tu fais, j’entends
après avoir reçu un coup sauvage qui m’a fait me morde la langue.
— Merde, je maugrée tout en massant mon
pauvre menton qui s’est fait agresser.
C’est là que je vois ma main sur le
renflement alias le sein droit de Madina recouvert par ma main qui le
pelotait. Nos yeux se croisent et je reçois ma première gifle d’elle. Quelques
minutes plus tard, je finissais de m’habiller après ma douche tandis qu’elle
continuait de s’expliquer et s’excuser.
— Je suis désolée, j’ai lancé la main sans
réfléchir. Déjà que tu n’étais pas supposé être dans mon lit, mais sur le sofa.
— Je devais te laisser agoniser hier
peut-être, bougonné-je. J’ai probablement chopé tes nichons dans mon sommeil.
— Alors, tu vois ? C’est toi qui as commencé.
— Oublions ça Madina. Pourquoi tu ne m’as pas
parlé de ton cancer depuis qu’on se parle ? Je nous croyais amis.
— Mon cancer ? répète-t-elle surprise.
— Je t’ai donné ton médoc comme tu m’as
demandé hier et j’ai lu la notice.
— Je n’ai pas le cancer, soupire-t-elle.
Plutôt une douleur chronique aux articulations et la seule chose qui me calme
dernièrement c’est le fentanyl.
— Mais quand même. C’est quoi comme douleur
et puis ça finit pas ?
— Je…, il faut que je me prépare pour le
travail, je vais être en retard, dit-elle, fuyant clairement la conversation.
Je pris congé d’elle aussi quelques minutes plus
tard. Si elle n’est pas prête, ça ne sert à rien de la pousser.