
<< La voie à suivre >> Chapitre 18
Ecrit par Le Kpetoulogue
Chapitre 18
Leur boss, Tariq, était un Libanais d’une quarantaine d’années, avec un visage légèrement bouffi et une barbe mal entretenue. Il n’était pas très grand et son ventre légèrement rebondi se devinait sous son tablier de cuisine, déjà taché de sauce et d’huile. Avec ses bras croisés et son air contrarié, il ressemblait plus à un chef de restaurant mécontent de ses apprentis qu’à quelqu’un de vraiment dangereux.
Son accent traînait légèrement lorsqu’il parla, et sa posture décontractée contrastait avec l’image qu’on pouvait se faire d’un chef de gang. D’un air dépité, il balaya ses hommes du regard avant de lâcher, comme si c’était une évidence :
Tariq : « Vous êtes inutiles, hein ? C’est un enfant comme ça qui vous domine ? Je vous paie pour rien ou quoi ? »
John : « Ha boss Tariq, c’est parce qu’il a mis dans kung-fu, sinon toi-même tu sais… »
Tariq : « Orh, tais-toi, c’est bon, ça suffit. Jeune homme, qui es-tu ? Et qu’est-ce que tu veux ? »
Luqman : « Hum… vous connaissez un certain Koua, M. Koua ? »
Tariq : « Ouais, pourquoi ? Tu es son fils ?? Ça ne sert à rien de pleurer, ton père me doit 23 millions et je veux récupérer mon argent. »
Luqman : « Je ne suis pas son fils, mais je veux vous racheter sa dette. »
Tariq haussa un sourcil, intrigué. Homme d’affaires avant tout, il voyait là une opportunité inespérée. Cela faisait bien trop longtemps qu’il essayait de récupérer auprès de M. Koua ce qu’il lui devait. Il patientait simplement parce qu’il savait que le grand frère de M. Koua était à la tête d’une université, donc il avait de grandes chances qu’il finisse par se faire rembourser. Mais ce dont lui parlait ce jeune homme en face de lui, c’était de raccourcir son attente.
Tariq : « Mais il fallait commencer par-là, mon fiston ! »
Luqman : « Quand je suis arrivé, j’ai demandé à vous voir, mais vos hommes se sont jetés sur moi. »
Comprenant que leurs postes étaient subitement en danger, vu que Luqman se proposait de payer une dette de 23 millions, Souley, John et Ladji essayèrent de se défendre.
John : « Tchiii, ha fils, qui s’est jeté sur toi ?? C’est faux hein, boss ! Moi, j’ai glissé seulement, hein ! Toi-même, faut voir, jusqu’à mon calba (caleçon) s’est déchiré ! »
Tariq : « CACHE-MOI CE VILAIN TRUC ! Et vous deux, je vous ai pas dit de réfléchir avant de chercher à vous en prendre aux gens ?? »
Ladji : « Wallah boss, on n’a pas entendu tout ce qu’il vient de dire là, hein. Nous, on a cru qu’il venait agresser. C’était un ma-ma-ma-malen… malen… eeeh, Allah, Souley, c’est quoi le mot là-même ?? »
Souley : « Malautrui ? »
Ladji : « Non, l’autre mot là… »
Souley : « Malpoli ? »
Ladji : « Nooon, le mot qu’on prend pour dire quand quelque chose est mélangé, mais par erreur là ! »
Souley : « Tchaii, toi-même tu sais que je n’ai pas fait papier longuelle. Bô a ba ( b+a=ba) même, j’ai appris ça par erreur, et tu veux venir me fé (me fatiguer) la nuit là ! »
Tariq : « Seigneur… il me faut vraiment de nouveaux employés. Fiston, suis-moi. »
Au moment de passer devant Souley, qui était toujours en train de réfléchir à ce fameux mot, Luqman s’arrêta pour l’aider.
Luqman : « Je pense que le mot que tu cherches, c’est "malentendu". »
Ladji : « Tchooor, fiiils, c’est ça même ! Malentendant ! »
Luqman : « … »
Luqman comprit que ce serait une longue et inutile lutte de vouloir aider Ladji avec son vocabulaire. Il suivit donc Tariq à travers une autre porte, un peu plus loin dans la même allée. Avant d’y entrer, Tariq se débarrassa de son tablier.
Ils pénétrèrent dans une pièce qui ressemblait à un casino clandestin. En un coup d’œil, Luqman comprit immédiatement comment M. Koua s’était retrouvé à leur devoir autant d’argent.
Une fois dans le bureau de Tariq, ce dernier lui fit signe de s’asseoir avant de sortir un pistolet et de le poser devant lui sur la table. Il s’attendait à voir Luqman réagir, ne serait-ce qu’un peu, mais ce dernier affichait un air impassible, comme si de rien n’était.
Tariq : « Tout à l’heure, tu as dit être venu pour racheter la dette de M. Koua. On parle de 23 millions de francs CFA. On ne joue pas ici, fiston. »
Luqman : « Tant mieux, ça nous évitera de perdre du temps. En échange, je veux récupérer ce que vous avez sur lui. »
Tariq : « Ha, tu parles de son ordinateur portable ? Ce M. Koua est un vrai pervers. Un vicieux. Il y a plein de vidéos où on le voit faire des choses dégoûtantes à des jeunes filles dans cet ordinateur. »
Luqman : « Est-ce que vous avez fait une quelconque copie de quoi que ce soit qui s’y trouve ? »
Tariq : « Je ne mange pas de ce pain. Qu’est-ce que tu veux que je foute avec ça ? Je ne suis pas un foutu pervers. »
Luqman : « Avez-vous un numéro bancaire ? »
Tariq : « … bien sûr. »
Après avoir utilisé une application bancaire, Luqman transféra à Tariq la somme de 25 millions, à la grande surprise de ce dernier. Il pensait vraiment que Luqman blaguait, mais ce n’était pas le cas.
Tariq : « Eh bien, voyez-vous ça… haha… mais tu as ajouté 2 millions de plus, pourquoi ?? »
Luqman : « Il se peut que j’aie besoin de votre aide. Si ce n’est pas le cas, voyez ça comme un bonus pour avoir tabassé vos hommes. »
Luqman prit l’ordinateur, mais au moment de sortir du bureau de Tariq, il s’arrêta.
Luqman : « Monsieur Tariq, une dernière chose. Il est peu probable qu’on se revoie. Mais si jamais c’est le cas et que vous sortez une arme devant moi, que ce soit pour l’utiliser… sinon, c’est moi qui m’en servirai contre vous. »
Le regard de Luqman, lorsqu’il prononça ces mots, n’avait rien de celui d’un adolescent innocent. C’était le regard de quelqu’un qui avait longtemps vécu dans le côté sombre de ce monde. Tariq reconnut immédiatement ce regard. Il avait côtoyé de nombreux tueurs dans sa vie, mais jamais il n’avait ressenti un tel frisson face à une menace. Le regard de Luqman était bien plus sombre que tout ce qu’il avait vu jusque-là.
Le lendemain, dans le bureau de M. Bathily, Luqman, accompagné de Leila et de Yohan, présenta l’ordinateur de M. Koua. Il refusa de leur dire comment il l’avait obtenu, expliquant que ce n’était pas particulièrement important.
Luqman : « Par contre, il y a un souci. »
M. Bathily : « Lequel ? »
Luqman : « Regardez par vous-même. »
Dans l’ordinateur de M. Koua se trouvaient plusieurs vidéos obscènes. Leila, Yohan et M. Bathily avaient du mal à les regarder, tant le dégoût était palpable sur les visages des jeunes filles dont il avait abusé. Mais le vrai problème était que son visage à lui était flouté. Certes, on pouvait reconnaître sa silhouette, mais jamais son visage n’apparaissait explicitement dans aucune des vidéos.
Luqman : « Il va nier. Il faut que ses victimes, ou au moins l’une d’entre elles, le confrontent. Sinon, nous ne gagnerons pas. »
M. Bathily : « Tu te rends compte de ce que tu demandes ? Je vais devoir présenter ces vidéos dans le bureau des professeurs après y avoir rassemblé tout le personnel enseignant de l’établissement, et tu veux qu’une de ses victimes vienne le confronter ? Tu sais très bien qu’il comptait sur la honte insurmontable qu’elles ressentiraient pour les faire taire. »
Luqman : « C’est la seule solution que je vois… désolé. »
Yohan : « Leila, tu ne peux pas essayer de convaincre Grâce ? Je sais que ce sera difficile, mais si on veut l’aider, on n’a pas d’autre choix. Il ne s’agit pas que d’elle, si on ne fait rien, ce mec recommencera avec d’autres filles. »
Leila : « Je ne sais pas… je vais essayer, mais franchement, je ne sais pas si elle voudra. »
Leila et Grâce s’étaient isolées dans un coin tranquille du campus. La jeune femme semblait tendue, comme si une ombre pesait encore sur elle. Leila prit une grande inspiration.
Leila : « Grâce… on a son ordinateur. On a toutes les vidéos. »
Grâce releva brusquement la tête, ses yeux s’agrandissant sous le choc.
Grâce : « Vous… vous avez tout ? »
Leila hocha la tête.
Leila : « Il n’a plus aucun pouvoir sur toi. »
Grâce porta une main tremblante à sa bouche. Elle avait rêvé de ce moment. De se libérer de ce cauchemar. Mais Leila n’avait pas fini.
Leila : « Il y a un problème. Son visage est flouté sur toutes les vidéos. »
Grâce : « Ahii ?! Comment ça flouté ?! »
Leila : « On a besoin que quelqu’un le confronte. »
Grâce : « QUOI ?! Témoigner ? Devant qui ?? »
Leila : « Devant les professeurs. »
Grâce recula d’un pas, comme si on venait de lui asséner un coup de poignard.
Grâce : « IIIIIIIHHHHH NON NON NON !! Ahii, et si… et si mes parents apprennent ça ?! Je peux pas, je peux pas… »
Elle tremblait. Son souffle était court. Témoigner, c’était revivre tout ça. C’était affronter leurs regards. Leila s’approcha doucement.
Leila : « Grâce, je sais que c’est insupportable. Mais si on ne fait rien, d’autres filles vont vivre la même chose que toi. Est-ce que tu veux ça ? »
Grâce baissa la tête.
Leila : « Tu as une petite sœur… Tu voudrais qu’elle subisse ça ? Qu’un type comme Koua lui fasse ce qu’il t’a fait ? »
Grâce ferma les yeux. Son corps était crispé. Elle savait que Leila avait raison. Mais l’idée de parler la terrifiait. Leila posa une main sur son épaule.
Leila : « Écoute-moi bien. Tu es une victime. Ce n’est pas à toi d’avoir honte. Ce n’est pas à toi de te cacher. Koua, lui, doit avoir honte. M. Bathily fera en sorte qu’il n’y ait aucune fuite. Personne ne saura que tu as témoigné, à part ceux qui doivent l’entendre. Tu ne seras pas seule. »
Un silence s’étira. Puis, d’une voix faible, à peine un murmure :
Grâce : « D-d-d’accord… »
L’après-midi, dans le bureau du président de l’université
M. Koua eut la surprise d’être convoqué dans le bureau du président de l’université. M. Bathily avait rassemblé tout le personnel enseignant et annoncé aux étudiants qu’il n’y aurait pas cours, leur demandant de rentrer chez eux.
M. Koua : « Qu’est-ce qui se passe encore ?? »
M. Bathily : « Veuillez-vous asseoir, M. Koua. J’ai quelque chose à vous montrer à tous. »
Après qu’il se soit assis, il vit M. Bathily sortir un ordinateur. Ce dernier ressemblait comme deux gouttes d’eau au sien, mais il se dit que c’était impossible que M. Bathily puisse en être en possession… jusqu’à ce que les vidéos qu’il connaissait trop bien commencent à défiler l’une après l’autre sur l’écran. Les autres professeurs étaient choqués par ce qu’ils voyaient. Son visage était certes flouté, mais il était impossible de ne pas reconnaître M. Koua.
M. Koua : « Qu’est-ce que c’est que tout ça, M. Bathily ?! »
M. Bathily fixa froidement le professeur assis face à lui.
M. Bathily : « Vous ne vous reconnaissez pas, M. Koua, en train de commettre d’horribles bassesses, tel le porc que vous êtes ? »
M. Koua jeta un regard dédaigneux à l’écran où défilaient encore les vidéos accablantes. Son visage n’y apparaissait pas, et c’était là toute sa défense.
M. Koua : « Je n’y vois qu’un homme dont le visage est flouté. Vous ne pouvez pas prouver que c’est moi. »
M. Bathily : « Monsieur le Président, comptez-vous continuer à protéger votre jeune frère malgré ces preuves accablantes ? Tout le monde dans cette salle sait parfaitement qui se trouve sur ces vidéos. Vous avez vous-même reconnu certaines des étudiantes ayant fréquenté cette université. »
Tous les regards convergèrent vers le président, qui restait silencieux. Son visage était fermé, mais ses yeux brûlaient d’une colère sourde.
M. Koua : « Grand frère, tu ne peux pas croire ça ! Tu sais très bien que M. Bathily cherche à me salir ! »
Mais le président ne répondit pas.
M. Bathily : « Si ces images ne suffisent pas… alors écoutez plutôt le témoignage de sa dernière victime. »
Le silence tomba sur la salle.
Les portes s’ouvrirent doucement, et Grâce entra, soutenue par Leila.
Son cœur battait à tout rompre. Son corps tremblait légèrement sous le poids des regards posés sur elle. Mais elle n’était pas seule. La main de Leila serrait la sienne avec force, chaleur et réconfort. Cette main qui lui disait : Tu n’as plus à avoir peur. Tu n’es pas seule. Leila lui avait apporté un soutien qu’elle n’avait jamais osé espérer. En quelques jours, elle était devenue une sœur, une alliée inébranlable. Grâce prit une grande inspiration, rassemblant son courage. Et elle raconta.
Elle raconta comment elle était tombée dans le piège de M. Koua. Comment il l’avait manipulée, utilisée, brisée. Elle raconta l’horreur, la honte, la peur. Le silence dans la pièce était pesant, chargé d’émotion. Les visages des professeurs se durcirent. Tous avaient reconnu dans les vidéos certaines étudiantes de l’université. Et tous s’accordaient sur un fait indiscutable : ces filles n’étaient pas consentantes. Ce n’était qu’une succession de viols.
La tension explosa brutalement.
M. Koua : « MAIS FERME-LA, PETITE GARCE !!! »
Grâce sursauta, son corps se raidissant sous l’insulte violente. Mais avant qu’elle ne puisse vaciller, une voix forte et autoritaire claqua dans l’air.
Le Président : « FERME UN PEU TA GUEULE !!! Aie un peu honte de ta misérable existence. »
Un frisson parcourut la pièce. M. Koua se tourna vers son frère, abasourdi.
M. Koua : « Grand frère ?!! »
Le président ne lui laissa aucune échappatoire.
Le Président : « TAIS-TOI. »
Sa voix résonna avec une froideur implacable. Il se tourna vers M. Bathily.
Le Président : « Quelle sanction proposez-vous ? »
M. Bathily : « Je veux qu’il soit radié du corps enseignant. Je veux que chaque membre de cette salle signe ce dossier que j’ai préparé contre lui, et que je compte envoyer au ministère de l’Éducation pour que ce porc ne puisse plus jamais enseigner à qui que ce soit. »
Il voulait aller plus loin. Il voulait une plainte en justice, une condamnation. Mais il savait ce que cela signifierait. Une médiatisation, une exposition brutale des victimes. Il refusait de les jeter en pâture à la vindicte populaire. Le Président fut le premier à saisir le dossier et à y apposer sa signature, son regard noir de rage. Un à un, tous les professeurs firent de même. C’était terminé.
Grâce sentit ses jambes flancher sous l’émotion. Un poids qu’elle avait porté bien trop longtemps venait de s’envoler. Elle se tourna vers Leila, et sans un mot, la serra dans ses bras avec force. Elle n’avait pas les mots pour exprimer sa gratitude. À leur sortie du bureau, Yohan accourut vers elles.
Yohan : « Alors ? C’est réglé ? »
Un sourire tremblant éclaira le visage de Grâce.
Grâce : « OuIIIIi… Merci. Merci du fond du cœur. C’est grâce à vous. »
Luqman : « Fais attention à toi, désormais. »
Elle hocha la tête, un éclat nouveau dans le regard.
A Suivre …