Le mariage forcé

Ecrit par Yanolebon

Le père de Claudie, Baligo, décida de donner sa fille en mariage de gré ou de force au richissime commerçant du village voisin : le vieux Diomandé. Ce riche commerçant, bien connu et bien aimé de tout le village, voulait la main de Claudie. Mais, avant de passer à l’acte, Baligo devait en parler à sa femme. Il invita son épouse et lui dit : 

— Baligo : J’ai décidé d’accorder la main de notre fille Claudie à l’honorable Diomandé, le riche commerçant de la région venu respectueusement me la demander. Nous avons déjà fixé le prix de la dot. Je t’en parle. Tu préviens ta fille. 

— Tata Amélia : Tu as déjà pris ta décision, pourquoi m’en parles-tu ? Toi-même tu connais la réaction des jeunes filles d’aujourd’hui ! On devrait la consulter avant. 

— Baligo : Ah bon ? Dis-moi : est-ce que je l’ai consultée avant de la mettre au monde ? Le monde est à l’envers aujourd’hui ! Tu vas simplement l’informer de ma décision et tu me ramènes son consentement ici. Un point, c’est tout. 

L’information fut houleuse entre Claudie et sa mère. Comme on devait s’y attendre, elle rejeta toute proposition de mariage, même venant de son père. Tata Amélia était folle de rage. 

— Tata Amélia : Ton père n’acceptera pas ce que tu dis là. Il faut obéir à son père. C’est mon grand-père qui m’avait donnée à ton père pour rembourser une vieille dette. Hé ! Ma fille : accepte la proposition de ton père.

— Claudie : La coutume, c’était bien avant nous. Aujourd’hui, nous sommes en démocratie. Chacun a le droit de prendre la parole et nous autres enfants avons le droit de parler et de donner notre avis. N’avons-nous pas le droit de vivre librement, d’accepter ou de refuser toute proposition d’où qu’elle vienne ? 

— Tata Amélia : Hé ! Tais-toi vieille vipère avant que le courroux des ancêtres ne te cloue le bec. On ne parle pas comme ça, ni à son père ni à sa mère ! 

Tata Amélia, toute bouleversée et en colère, retourne voir son mari qui l’attendait dans la case. 

— Baligo : As-tu ma réponse femme ? As-tu discuté avec ta fille au sujet de son prochain mariage ? 

— Tata Amélia : Hé, mon mari ! Les enfants vont nous tuer ho ! Elle m’a raconté une histoire à dormir debout. Il s’agit de quelqu’un que je ne connais pas qu’elle appelle démocratie qui demande aux enfants de répondre à leurs parents et à toutes personnes aussi âgées que la pierre. Et tu sais comment ? Négativement et avec arrogance ! 

— Baligo : Et qu’a-t-elle répondu ? 

— Tata Amélia : Elle m’a dit non et non ! Elle m’a dit niet ! Elle n’entend pas se marier ni à Jacques ni à Pierre. Elle ne veut pas épouser Diomandé. 

— Baligo : Effrontée ! Quelle fille effrontée ! Elle va se marier de gré ou de force. C’est ce qu’on verra ! C’est ma vérité. [Très en colère.] Amène-la ici et tout de suite 

Tata Amélia alla chercher sa fille Claudie qui, à son arrivée se tint debout devant son père, les deux mains aux hanches, comme si elle le défiait. 

— Baligo : J’ai parlé de mariage à ta mère. J’ai décidé que tu te maries avec mon vieux frère bien-aimé Diomandé. Ta mère me dit que tu ne veux pas. 

— Claudie : Mais papa…

Au moment où elle ouvrait la bouche, son père l’arrêta aussitôt. 

— Baligo : Depuis quand les enfants ouvrent-ils la bouche devant leurs parents ? Tu n’as rien à me dire. Ma décision est prise et elle est irrévocable. Je dis : irrévocable. On verra si c’est toi qui m’as mis au monde ! Depuis quand le soleil se lève-t-il à l’ouest ?

 [S’adressant à sa femme.] Quant à toi, Amélia, arrange-toi comme tu peux pour que le mariage de ma fille soit une réussite. Sinon, tu sais ce qui vous attend, toi et ta fille. 

— Claudie [se retournant en pleurant, dit péremptoirement à sa maman] : Pour rien au monde, je n’accepterai ce mariage forcé. C’est impossible maman ! J’ai autre chose à faire, j’ai autre chose à faire. Non je ne me marierai pas à cet homme. Non, jamais ! 

Elle quitta sa mère en criant : « Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Maman, non je ne veux pas. »

Malgré tout le mariage est maintenu et un jour est fixé

Depuis le matin, le griot passait de maison en maison pour rassembler sur la place publique, parents, amis et invités. Il annonçait à coups de gong le mariage de Claudie, la fille de Baligo. La place publique était prise d’assaut par les habitants du village qui se bousculaient afin d’être les heureux témoins de cet événement. À l’heure de la cérémonie, les invités, parents et amis furent installés. Le chef du village arriva à son tour, suivi d’un long cortège de notables et de conseillers qui s’installèrent sous des bâches dressées pour la circonstance. 

Le vieux Diomandé arriva à son tour, vêtu d’un beau boubou de soie, bien brodé. Il était suivi d’un long cortège de courtisans qui chantaient ses louanges et dansaient pour sa prospérité. Il y avait une bonne ambiance sur la place publique. Un conseiller de la grande chefferie vint annoncer le début de la cérémonie du mariage qui commencera d’un instant à l’autre. Le vieux Diomandé fut longuement ovationné par le public. Le silence revenu, le chef du village se leva et prononça les mots de bienvenu à la foule et aux invités : parents et amis. Il annonça à cette occasion, avec beaucoup de fierté et d’adresse, le but de ce rassemblement sur la place publique. 

— Le chef du village : C’est un événement heureux qui nous rassemble ce jour. Il s’agit de célébrer le mariage de la fille de Baligo. Aujourd’hui est un grand jour où nous procéderons à la traditionnelle cérémonie de mariage de notre cher ami et bien-aimé Diomandé, commerçant du village voisin, avec notre fille Claudie, fille de Baligo et de maman Amélia.

À ces mots, la foule exulta de joie. Le tam-tam résonna et les danseurs exécutèrent des pas de danse. Baligo se leva à son tour et salua le public de la main. 

— Baligo : Chers parents et chers amis. Je vous remercie d’être venus si nombreux célébrer avec nous le mariage de notre fille bienaimée. C’est un devoir pour moi et pour ma famille et surtout pour le village de donner en mariage notre fille Claudie. J’ai accepté de donner en mariage ma fille ici présente à Diomandé pour honorer une vieille amitié qui liait nos deux familles. Nous nous sommes entendus pour célébrer ce mariage aujourd’hui en votre présence. Après la cérémonie, il y aura à boire et à manger pour tout le monde. À ces mots, la foule exulta de joie et le tam-tam répondit à l’annonce. 

— Le chef du village : Je te remercie Baligo de nous avoir associé à ce mariage et d’avoir honoré tout le village. Le vieux Diomandé est un homme respectable, riche et généreux, et il saura prendre soin de notre fille. 

Le célébrant arriva à son tour devant le canari sacré et salua la foule de sa main droite. Il invitera ensuite les prétendants au mariage à se présenter au milieu du cercle où le canari sacré était posé afin de procéder à la célébration. Le riche commerçant arrivera le premier prestement le premier dans le cercle dessiné au sol et aspergé d’eau. Claudie avançait à pas chancelants et nonchalants et se tint en dehors du cercle. 

— Le célébrant [interrogeant Diomandé] : Veux-tu prendre notre fille pour épouse et la garder fidèlement, l’aimer, et l’aider à vivre une vie heureuse ? 

— Le vieux Diomandé : Oui, je le veux. Je suis très heureux d’être parmi vous et je vous promets de rendre plus heureuse Claudie durant toute notre vie. Je lui serai fidèle et honorerai mes engagements. Elle ne manquera de rien. 

La foule applaudit très chaleureusement. Claudie, qui n’avançait pas dans le cercle, ne serait pas interrogée et elle le savait ; c’était la règle, la coutume. 

Avant de prononcer la parole sacramentelle de l’acte de mariage, le chef de famille devait se lever et invoquer les mânes des ancêtres à travers une libation. Le chef de famille vint dans le cercle et, face à Claudie, prit le verre sacré, le remplit d’eau, le tint dans la main gauche et alla devant elle. Après avoir prononcé les paroles sacramentelles, il voulut verser le liquide mais fut interrompu immédiatement par une main habile. 

— Claudie : Hé chef ! Hé chef ! Ne versez pas cette boisson. Ô les dieux du ciel, de la terre, ne recevez pas cette eau. Ne la recevez pas et ne la buvez pas. Je ne veux pas me marier à cet homme. Mes parents le savent bien. Je ne veux pas me marier. Je refuse ! Non c’est non ! 

Elle prit la main du chef, lui enleva le verre rempli d’eau, et le jeta loin de la foule médusée. 

Ce refus catégorique fut un « boum » dans la foule éberluée, outragée, dupée et fâchée avec son effet de surprise et de colère ! Le vieux Baligo, le père choqué, s’affaissa et tomba à la renverse. Il suffoqua et n’ouvrit la bouche qu’après avoir émis un long cri strident : « Hé ! Ma fille ! Tu m’as tué ! Tu m’as tué, tu m’as honni ! Tu as pu me faire ça ! » 

Ce fut la panique générale dans la foule. La main du chef de famille, restée suspendue, inerte pour quelques secondes, retomba. Baligo tombé, les gens s’affolèrent et se regroupèrent autour de lui. On le ranima, on lui versa de l’eau sur la tête. Les guérisseurs accourent à son chevet. Ils essayèrent de le réveiller en le secouant, en le soulevant. Rien n’y fit. Un vieux guérisseur s’approcha et sortit une poudre blanche qu’il aspergea d’eau. Il sortit plusieurs feuilles de sa sacoche qu’il tritura, aspergea, puis il passa à l’action. Peu de temps après, Baligo soupira lentement, inspira, et toussa. Le guérisseur traditionnel lui permit de respirer. Il respira à fond, puis profondément et répondit enfin à l’appel. 

— Baligo : Où suis-je ? Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Que se passe-t-il ? Où sommes-nous ? 

Tous les regards se détournèrent de lui. Des regards sévèrement pointés vers celui qui traînait ses vêtements dans le sable. Les villageois le maudissaient à la limite et les mauvaises langues ne tardèrent pas à le défier et à l’insulter comme ils en avaient l’habitude : 

— Comment peut-on se faire humilier en public par son enfant ? Les enfants n’ont aucun respect pour leurs parents. 

— Baligo aime trop l’argent. C’est bien fait pour sa tête. Ils ne s’étaient pas entendus avant de se montrer en public et voilà ce qui leur arrive. 

— C’est un jour maudit pour Baligo. Des enfants comme ça, on n’en veut pas. Ils sont bons à jeter à l’eau et hors du village. 

— C’est notre honte à nous tous. Claudie a honni ses parents et tout le village. Son père est tombé de sa chaise. Il peut en mourir. C’est une malédiction ! Des enfants peuvent tuer leurs parents.

 La maman de Claudie était paniquée. On la voyait pleurer et se lamenter. 

— Tata Amélia : Ma fille m’a tuée ! Ma fille m’a tuée ! Elle m’a tuée ! Elle m’a tuée, Oh !

 Le frère cadet du vieux Diomandé intervint : 

— Le frère de Diomandé : Je t’avais pourtant prévenu ! Tu ne m’as pas écouté. Voici ce qui t’arrive, toi un homme respectable et respecté, tu fais aujourd’hui la honte de toute la famille et de tout le village… Tu n’as pas été à l’école et tu veux épouser une jeune fille qui a été à l’école des Blancs. Tu as trois femmes. Ça ne te suffit pas ? Tu as mis la honte sur nous tous. Tu as cherché et tu as trouvé ! 

— Le vieux Diomandé [sorti de la torpeur et revenant à lui] : Je n’avais jamais essuyé un tel affront de ma vie ! Une telle honte dans ma vie, jamais ! Baligo remboursera mon argent jusqu’au dernier sous. 

[Il entre dans une vive colère.] C’est un complot, c’est un complot ! Mes ennemis ont comploté contre moi. Je me vengerai ! Je me vengerai !

 Baligo s’adressa à sa fille Claudie, restée toujours là comme de marbre et comme si rien n’était arrivé. Elle défiait toute la communauté. 

— Baligo : Tu m’as humilié n’est-ce pas ? Tu viens d’humilier le ciel et la terre. À partir d’aujourd’hui, tu es le déshonneur de toute la famille. Tu m’as honni en public, tu m’as sali en public, tu m’as ridiculisé, bafoué. Tu as mis en cause ma dignité, ma personnalité et ma respectabilité. Aujourd’hui, et à l’instant même, tu n’es plus ma fille. Tu n’es plus digne de porter mon nom. Je ne veux plus jamais te revoir. Je regrette de t’avoir mise au monde. Je te renie. Va chercher tes affaires et quitte ma maison. 

— Tata Amélia : Je t’en supplie Baligo. Ne la maudit pas, ne la renie pas ! C’est tout de même ta fille ! Elle n’est qu’une enfant. Elle ne sait pas ce qu’elle fait. 

— Baligo : Tu vas me la boucler, tout de suite, sinon tu la suivras. Je te dis que je n’ai plus de fille qui s’appelle Claudie. Quelle honte, mon Dieu ! Quelle honte ! Et dire que j’ai veillé sur cette enfant nuit et jour.

 Claudie fut chassée de la maison de son père. La maman cherchera un point de chute à sa fille ; elle pense que sa petite sœur peut l’accueillir là-bas, en ville.


Claudie a bien fait de honnir son père comme ça?


Une Amitié Dangereus...