Le retour

Ecrit par Saria


***En milieu d’après-midi***

Quand je me gare dans la concession de la vieille, la première personne que je rencontre, c’est Selma. Elle a les yeux tout rouges comme quelqu’un qui a pleuré. J’espère que Kader n’est pas mort dèh !

Moi : Hey petite sœur, c’est comment ?

Selma : Tu tombes bien… Je crois que je vais te suivre… pour repartir.

Moi : Ok… Où est Kader ?

Elle indique du doigt un abri dans la cour. Je me dirige vers l’endroit en appelant Kader. Il sort… C’est un homme changé ; physiquement il semble épuisé, les traits tirés. Mais ce n’est plus le même homme. Il porte un ensemble en tergal blanc immaculé… et son regard a une telle clarté, une telle puissance qu’on a du mal à le soutenir. Il y a aussi sa posture… Oui il a changé !

Kader : Bonjour Lucien

Moi : Hey Djo ! Te voilà enfin !

On se fait une accolade !

- Tu as fait quoi à la petite puis ses yeux sont rouges ?

Kader : Laisse tomber, on en parle plus tard.

Kompoh (dans mon dos) : J’ai cru que j’allais devoir déplacer la voiture pour te faire venir ici !

Moi (me retournant) : Ah grand-mère toi aussi !

Kompoh : Repartez et ne vous arrêtez pas jusqu’à destination ! Toi jeune homme, n’oublie pas tu devras RASSEMBLER ! Un Toro-Gbaitigui rassemble toujours ! Va et accomplis ta destinée !

Kader : C’est compris !

Le retour se fait dans un silence de plomb. Quelque chose s’est passé entre les tourtereaux, Selma ne décroche pas un regard à Kader et lui dit pas un seul mot. Au bout de quelques tentatives pour animer la galerie, je laisse tomber et me concentre sur la route.

Nous arrivons à Ouagadougou tard dans la nuit. On est tous crevés : je les regarde descendre. Je dis au revoir et je démarre. Le reste se dira demain.

 

***Kader***

Depuis que j’ai ouvert les yeux à Tanwolbougou, je rumine une colère noire. Je voulais savoir alors j’ai su ! Ou plutôt j’ai vu ! Ma vie a défilé de ma naissance à aujourd’hui, tout ! Je sais tout ! Je sais ce que Selma a fait.

On ne s’est pas disputé mais j’ai refusé de lui adresser la parole. Je suis trop en colère et je crains ce qui sortira de ma bouche. Kompoh m’a prévenu : « tu vis une renaissance, tes colères doivent être rares sinon ce que tu diras prendra vie ! Fais très attention car ton rôle est de RASSEMBLER ! Tu es désormais le chef d’une collectivité et sache que l’idée de royauté s’accompagne nécessairement de la maîtrise de soi. Un monarque qui cherche seulement à s’imposer aux autres alors qu’il n’arrive pas à se dominer lui-même n’est pas réellement un roi, mais un esclave. Un vrai roi a d’abord appris à être maître de lui-même. Seul celui qui se fixe pour idéal d’échapper à la domination de ses tendances égoïstes et de contrôler, d’orienter ses pensées, ses sentiments, ses désirs, est sur le chemin de la royauté. Il inspire le respect à tous ceux qui l’approchent, car il a non seulement le pouvoir mais aussi l’autorité [1]».

Dès qu’on entre dans notre chambre, je sépare les lits jumeaux. Toujours dans le silence absolu, je me prépare à me doucher. L’eau ruisselle sur mon corps quand je la sens derrière moi, voilà encore quelque chose que j’ai développé. Mes sens étaient exacerbés. Je vois, entends et sens mieux.

Je continue de me laver tranquillement, elle pose ses deux mains à plat sur mon dos. Elle m’enlace, sa poitrine collée à mon dos a un effet terriblement excitant.  Je me retourne et empoigne sa touffe de cheveux, j'écrase ma bouche contre la sienne. Elle se laisse faire, sans autre forme de procès je la colle aux carreaux et la pénètre. Elle étouffe un cri de douleur dans mon cou ; en silence elle subit mes assauts. Quand tout finit… que nous atteignons le plaisir malgré tout, je refuse de rencontrer son regard. Elle se nettoie, mais le premier pas qu’elle esquisse lui arrache un cri. Alors je la porte dans mes bras et la pose sur le lit. Au moment de me redresser, elle me retient en pleurant.

Selma : Kader par pitié, dis quelque chose… Tu es en colère, je le sens… Mais tout ne peut pas finir comme ça !

Moi : Je veux que tu partes Selma ! Tu rentres demain par le premier bus pour Cotonou.

Selma : Je ne voulais pas te cacher ça indéfiniment ! J’avais besoin de temps, juste un peu de temps.

Moi : Malheureusement tu sais mieux que quiconque que le temps, c’est ce dont je dispose le moins ! Tu m’as caché l’existence de ma famille, tu m’as regardé me torturer l’esprit ! Et tu dis m’aimer ?!

Selma : Tu as raison, je n’ai aucune excuse… Je te demande pardon !

Moi : Je veux que tu t’en ailles !

Je me lève, m’habille et sors. Je reviendrai plus tard. Ses sanglots me poursuivent longtemps ; je ne veux pas la garder. L’acte qu’elle a posé est grave et je ne suis plus sûr d’elle malgré tout l’amour qui brûle en moi. Je n’ai plus confiance en elle. Désolé, je ne peux pas continuer… Tout s’explique maintenant dans ma tête, sa crise d’angoisse la nuit avant notre départ pour le Gourma.

 

***Selma***

Je suis désespérée ! Oh mon Dieu ! Que vais-je devenir sans Kader. Il a pris tellement de place dans ma vie. Tout le temps qu’a duré son internement dans l’abri, j’étais là. Il revivait toute sa vie ; c’était éprouvant. Il a commencé d’abord à vomir ses tripes, tout le breuvage avalé est sorti ; il fallait le déplacer et le nettoyer. Les yeux fermés, il lui arrivait de crier, de rire à gorge déployée, de dire des noms, de manifester de la colère. Mais à l’aube du quatrième jour, je lui nettoyais le visage quand il a ouvert les yeux brusquement. Il m’a reconnue et la seule chose qu’il m’a dite est : « Comment as-tu osé ?! »

J’ai su que c’était fini ! Je n’oublierai jamais ce regard implacable, accusateur, ce silence lourd entre nous.

Il faut qu’il me pardonne ! Je veux bien sortir de sa vie mais il faut qu’il me pardonne ! J’ai le cœur brisé. J’ai envie de mourir ! Je laisse libre cours à mon chagrin.

L'homme qui n'avait...