Les tourtereaux

Ecrit par Farida IB



Emmanuel OSSENI…


À  pas de loup, je m’avance vers la cuisine en supputant chacun de mes faits et gestes. Je pose mon téléphone sur le plan de travail et apprête les ingrédients dont j’ai besoin pour mes pains perdus. Je sors ensuite un plateau de l’armoire sur lequel je pose de fil en aiguille tout ce qu’il faut pour un petit déjeuné copieux en amoureux. Œuf brouillé, pain perdu en forme de cœur, du Nutella, du jus d’orange et un thé bien chaud était agrémentés sur le plateau, ma poussinette se fera une joie de s’en délecter. Je prends le plateau en direction de la chambre lorsque le bourdonnement de mon téléphone me stoppa dans mon élan. Je le repose donc et me saisis de mon téléphone. Je regrette déjà de l’avoir rallumé, là même, je décroche par dépit. Après cela, me joindra qui je voudrai, pas qui pourra. Il est grand temps que je m’intègre définitivement, à commencer par une carte sim béninoise. 


Lorsque je sais de qui il s’agit,  je lève les yeux vers le ciel en refermant délicatement la porte derrière moi. Je me cherche un coin discret, loin des oreilles indiscrètes avant de décrocher. 


Maman (ton inquiet) : Edem tu as décidé de me tuer avant l’heure, c’est cela ? Qu’est-ce qui t’est arrivé mon fils ? Où te caches-tu ? Tu vas bien ?


Moi posément : je vais bien maman, je suis en sécurité de là où je me trouve. Tu n’as pas à t’inquiéter.


Maman hurlant : comment cela ne pas m’inquiéter, tu disparais le jour de ton mariage et tu me demandes de ne pas m’inquiéter. 


Moi (prenant mon souffle) : maman, je vais bien, je te dis.


Maman (ton posé) : et bien puisque tu vas bien et que tu as l’air d’avoir ton cerveau encore en place peux-tu me dire la raison qui t’a poussé à jeter de la disgrâce sur notre famille.


Moi (soupirant de frustration) : ce n’est pas l’heure des remontrances, nous sommes encore aux aurores. 


Maman furieuse : Edem, je n’ai pas passé un long mois d’angoisse pour t’entendre me parler comme si j’étais ton égal. Dis-moi ce qui ne va pas !!


Moi (prenant mon souffle) : excuse-moi maman, (soupir agacé) il faut juste savoir que je devais le faire, je ne pouvais plus me marier à cette femme. Ce n’était pas ma volonté, je voulais convoler en juste noces parce qu’elle me mettait assez la pression et je n’en pouvais plus. Là maman, j’ai rencontré la femme de ma vie avec qui je suis prêt à descendre en enfer s’il le faut. Je suis désolé pour Austine, mais la vie est tellement simple qu’il vaut mieux ne pas la compliquer avec des regrets.


Maman : olé flouyaa ?? (as-tu perdu la tête ?) Dis-moi si je dois déjà apprêter une équipe médicale pour Zébévi. C’est donc vrai ce que racontent tes frères ? C’est miss monde ? Ne me dis même pas que c’est la chienne avec qui tu t’affiches sur les réseaux !! Cette fille à l’allure d’une péripatéticienne ! Celle-là même, cette espèce animalière, c’est pour elle que tu débites autant de sottises ? Que tu décides de jeter le déshonneur sur notre famille ?


Moi en colère : maman, je ne te permets pas.


Maman sur la défensive : je vais me gêner, je ne sais pas quel genre de sortilège cette drôle de tentatrice a bien pu te jeter pour que tu décides de nous faire honte à tous, mais (ton menaçant) où que tu sois je te donne exactement deux semaines pour ramener tes deux pieds gauches ici. Ce n’est pas sur moi que tu mettras la honte Edem, tu viendras épouser Austina (elle l’a toujours appelé ainsi.) que tu le veuilles ou non !!


Moi : il faudrait me revoir pour que cela  se produise, j’ai le droit de gérer ma vie comme je veux. 


Maman (ton égal) : Edem (je réponds.), Edem (je réponds une seconde fois.) E…


Moi (l’interrompant en ayant une idée sur ce qui va suivre) : maman arrête ce que tu veux faire.


Maman : me pawacho (excuse-moi) Dieu te protège mon fils.


Click !


Je me passe la main sur le visage et reste un moment perdu. Que ma mère s’excuse pour quelque chose que j’ai faite n’augure rien de bon, en même temps, je ne m’attendais pas à ce qu’on m’applaudisse donc j’assume jusqu’au bout. 


Austine et moi, c’était une histoire passionnelle datant depuis l’époque du lycée. Nous avons eu une relation fusionnelle embuée par des périodes de troubles que nous avons toujours réussi à surmonter. C’est la fille qui me comprenait le plus au monde, avec elle, j’avais l’amie, l’amante parfaite, la mère et la partenaire idéale. Cependant, le temps a fait son office et j’ai commencé à déchanter. Les mêmes habitudes, les mêmes fréquentations, les mêmes lieux, tout ça a créé une ornière dans nos vies. Je pensais pouvoir apporter un nouveau souffle de vie à notre relation grâce à ce mariage (qui était plus son affaire que la mienne), je voulais vraiment m’efforcer à respecter mon engagement envers elle mais si Dieu a permis que je rencontre ma poussinette pile-poil en ce moment c’est qu’au préalable nous n’étions pas destinés à unir nos vies. 


Si au début la curiosité m’avait poussé vers Annick, c’est qu’actuellement, j’en suis au point d’être hypnotisée par elle. Je suis dingue d’elle, chaque matin je me réveille à ses côtés et me tape la poitrine, très fier à l’idée d’avoir pris une très bonne décision. Je ne regrette pas et ne regretterai rien, adviendra ce qui pourra. Personne ne m’en voudra d’avoir répondu à l’appel du cœur, Annick a réveillé en moi le feu qui a longtemps cessé de brûler pour Austine. Il a fallu que je m’en rende compte à la veille de mon mariage avec l’autre, excusez-moi, mais son nom me sort par les pores. Donc, comme ça, je me suis d’abord réfugié dans un hôtel à Lomé durant une semaine, le temps d’empocher mes avoirs et de régler quelques affaires en cours avant de mettre le cap vers le Bénin pour retrouver de la femme de ma vie, la vraie !!


Je retourne dans l’appartement bien reboosté par mes pensées. Je réchauffe tout le contenu du plateau et l’apporte comme convenu à ma déesse. Elle était encore dans la brume du sommeil lorsque j’ai posé deux baisers sur son front et dans son cou avant d’ouvrir furtivement ses yeux.  


Annick : poussin, c’est toi ?


Moi (lui caressant les cheveux) : oui poussinette réveille-toi, le service de chambre.


Elle acquiesce un sourire en se grattant les yeux.


Annick : je vais finir par devenir énorme avec tout ce que tu me fais goinfrer.


Moi : tu n’es pas grosse ma biquette, tu as juste de la chair et là où il faut. Maintenant lève-toi, va te brosser les dents et reviens vite.


Annick : je ne risque quand même pas de disparaître.


Moi : c’est sûr, mais une tierce de seconde sans toi équivaut à une vie sans oxygène. Tu es mon oxygène poussinette.


Annick : je t’aime mon roudoudou au chocolat.


Moi : je t’aime cent fois plus, allez ! Je t’attends pour savourer ces délices que j’ai mis tout mon cœur à préparer.


Elle s’exécute. 


Lorsqu’elle revient, on s’assit face à face en mangeant dans une bonne ambiance. Je lui raconte quelques anecdotes sur mon boulot et elle se contente de grimacer et de rire par moment.


Annick (d’un coup) : poussin, ça ne te manque pas d’être loin de tout ? Je veux dire, de ta famille, tes amis, ton boulot (hésitante) et elle ? Tu ne penses jamais à elle ?


Moi : il n’y a plus d'elle qui existe. J'ai laissé tout ça derrière moi pour te retrouver pour une raison. Tu es mon monde, mon tout.


Annick : je ne peux m’empêcher de ressentir de la culpabilité envers ton ex.


Moi : décharge t-en, c’est une fille forte. Elle devra se donner la raison qu’à partir de dorénavant jusqu’à désormais, le cœur de Christ-Emmanuel Edem Kola OSSENI appartient à Mlle Annick Oluwafemi ANJO.


Elle me regarde avec des yeux qui brillent, je me penche pour l’embrasser. Le baiser devenait tellement fougueux que nous nous sommes retrouvés sur la moquette. Et comme chaque fois lors de nos ébats, je me laisse volontiers tressaillir sous ses caresses telles une décharge électrique de 20.000 volts. C’est pendant ces moments que je n’ai plus peur de la mort, puisque le paradis, et même l’extrême paradis, cette fille me l’a déjà fait visité et pas qu’une seule fois.


De ses doigts de fée, elle entreprit ce massage des testicules dont elle en a le secret accompagné de son sourire malicieux en me fixant droit dans les yeux. Je me laisse aller par des cris de stupeurs mélangés à la douceur. 


Annick : ce n’est pas encore le moment.


Quand elle constate que je suis à ça de relâcher le jus.


Elle incline l’annulaire vers le grand trou avant de le plonger là-dedans.


Mawou !!! (Dieu !!)


Le seul mot béninois que j’ai intégré dans mon vocabulaire. 


Ding Dong !!!


Je relève ma tête tel un automate, Annick reste tout de même concentrer.


Ding Dong, Ding Dong, Ding Dong.


Là, j’arrête de gémir.


Moi (haletant): il faut qu’on ouvre, tu as une idée de qui ça peut-être ?


Elle secoue négativement la tête, s’assure néanmoins que je ne vienne en douceur avant de se décider à aller ouvrir.


Je rentre dans la salle de bain et profite pour prendre une douche avec une sensation de bien-être dans le corps. Ça, c’est l’une des preuves physiques que j’ai eu à prendre une sacrée bonne décision.


*

*


Annick ANJO…


J’ouvre la porte en pestant depuis la chambre pour la voir arrêtée au pas de la porte le visage bien renfrogné.


Cholah (me dépassant en mode furie, les mains croisées sur sa poitrine) : non mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? 


Moi (l’air de rien) : bonjour Cholah, je vais bien merci et toi ?


Cholah (d’un trait) : de ça, je ne doute même pas, tu pètes la forme, nous nous inquiétions dans le vide. Tu es partie la dernière fois comme si tu avais le feu aux fesses sans explication, ça ne t’a pas effleuré l’esprit de nous donner un signe de vie et pour couronner le tout, tu ignores nos messages et appels. Tu peux me dire ce qui se passe ?


La fille-ci, toujours des plaintes. 


Moi trop zen : respire ! Ma fille respire, dis-moi, papa D ne s’occupe pas si bien de toi pour que tu sois autant stressée à cette heure de la matinée ? Retourne à la maison, je vais lui en toucher deux mots.


Cholah (l'air agacée) : Nicki ne me prend pas pour une dinde, dis-moi ce qui se passe.


Moi : d’accord, je te dirai tout ce que  tu veux savoir, mais une prochaine fois. J’avais juste besoin de prendre du temps pour moi, c’est ce qu’il faut savoir pour l’instant.


Emmanuel (dans le vestibule du couloir) : poussinette ?


Il était nonchalamment adossé à l’encadrement de la porte du couloir l’air d’être fraîchement sorti de la salle de bain. 


Cholah (en fon) : c’est qui lui ? Que je suis bête, le gars de la photo sur Facebook ! 


Moi (prévenante) : poussin viens que je te présente ma sœur.


Par précaution, je m'avance vers lui, enroule mes bras autour de sa taille et l’embrasse avant qu’on ne revienne vers Cholah toujours planté au beau milieu du salon. Il faut déjà que je marque mon terrain parce qu’elle a ses yeux de biche  braqué sur mon homme.


Cholah (toujours en fon) : tu as eu raison de disparaître, un morceau comme celui-ci les rayons du soleil le rendront fragile.


Moi (me raclant la gorge) : Emmanuel Chéri, je te présente ma sœur Cholah. Cholah, Emmanuel !!


Cholah (claquant la langue en lui tendant une main) : je suis plus qu’enchantée de faire ta connaissance beau frère (enchaînant en prenant sa voix la plus fine) toutes mes excuses pour le dérangement de si bonne heure. Ma sœur et moi avions des courses à faire, mais elle m’a complètement zappé. Je vois maintenant pourquoi. Je ne vais plus longtemps vous importuner. (à moi) Dada (grande sœur) on se voit lorsque tu seras libre.


Emmanuel (lui faisant un baisemain) : le plaisir est partagé, je rencontre enfin une personne du même sang que ma poussinette. C’est votre père le plus chanceux, il n’a que des déesses chez lui.


Cholah (voix mielleuse) : ah, tu trouves ? Merci beau frère. (au tac) Je vois qu’elle ne t’a rien dit sur nous, elle aime faire de la rétention d’informations ma sœur.


Ettehh, la sonorité du merci ci.


Moi (en fon) : bat les pattes !!


Cholah (continuant sans faire attention à moi) : nous sommes des sœurs utérines, il y a notre troisième, Asanda qu’on te présentera certainement dans un futur très proche. Voilà, ce sera tout.


Emmanuel : je suis sûr qu’elle est aussi belle que vous deux.


Cholah : bien évidemment, mais ta poussinette est la plus belle de la fratrie.


Emmanuel : ravi de l’apprendre alors, (se tournant vers moi) je me doute que vous avez des choses à vous dire. Je m’occupe de lui préparer un plateau, elle n’a sûrement pas encore pris le petit déjeuné.


Moi (parlant vite) : non, ne te dérange pas. J’irai m’apprêter pour faire les courses, elle peut bien grignoter quelque chose au restau.


Emmanuel : ça ne me dérange pas du tout de m’occuper d’elle en attendant que tu finisses, c’es ma belle-sœur après tout.


Cholah (fixant Emmanuel) : il a raison, en plus je prends juste du jus d’orange comme petit déjeuné. Il faut que je garde ma ligne.


Emmanuel : d’accord met toi à l’aise, je te le sers de suite. 


J’attends qu’il s’éclipse avant de parler.


Moi (ton menaçant) : je ne veux pas te voir l’approcher, même à deux cents kilomètres, asséaa ? (Tu as compris ?)


Cholah : ne sois pas si nerveuse ce beau matin, je ne suis pas aussi fourbe.


Moi (me dirigeant vers le couloir) : tu es une femme avertie.


Et pourtant, je la retrouve aux côtés d’Emmanuel dans la cuisine. Elle avait un coude posé sur le plan de travail, la main sous le menton, lui faisant la conversation, lui s’affairait à laver les ustensiles que nous avions utilisés.


Moi (ton sec) : Cholah on peut y aller.


Ils se font des adieux après que j’aie libéré les lèvres de Manou que j’avais pris en otages durant quelques secondes. On se retrouve quelques minutes plus tard, au restaurant à côté de l’immeuble.


Cholah (me fixant droit dans les yeux) : tu m’expliques ? 


Moi : tu veux quels genres explications ?


Cholah : commence par me décliner son identité.


Moi : c’est le gars de Lomé.


Cholah : celui même que tu fuyais ?


Moi : mouais.


Cholah : il fout quoi dans ton appartement ?


Moi (inspirant profondément) : c’est une longue histoire.


Cholah : dis toujours !


Je me lance dans le récit sans omettre un détail, elle m’écoute attentivement sans broncher. Ce qui m’étonne d’ailleurs, Cholah, c’est le genre de fille avec qui on a que des discussions à bâtons rompus. 


Moi concluant : voilà comment je l’ai retrouvé ici même cette soirée de notre jour culte. Je me suis rendue compte de l’éventualité, celle que je fuyais l’amour et non la personne. Je l’aime vraiment et pour lui je suis prête à faire certaines concessions.


Il eu comme un flottement qu’elle brise par un rire sarcastique.


Cholah (essayant de se calmer) : tu veux dire que tu es prête à devenir une femme au foyer ?


Je hoche simplement la tête.


Cholah : arrête, ne me le fais pas à moi. Tu veux quitter la bande ? 


Moi soupirant : tu sais très bien toi-même que je ne pourrai pas.


Cholah : alors parle-moi de ta solution magique.


J’affaisse mes épaules en prenant mon souffle, la vie était plus facile avec elles loin de moi.


Moi : je ne peux rien décider pour le moment, je verrai comment m’arranger plus tard. Cependant, je ne compte pas le laisser me filer du doigt, il a quitté sa fiancée pour moi. Ce serait un vrai gâchis.


Cholah : tu as senti hein krkrkr... En plus d’être beau comme un dieu.


Moi (sourire ravi) : vraiment !


Cholah : donc si je veux bien comprendre, il a tout envoyé balader rien que pour toi ?


Moi : c’est ce que je viens de dire.


Cholah (sourire malicieux) : c’est que vous allez bientôt vous régaler d’amour kiakiakia…


Moi simplement : d’ici là, on verra.


Elle se tord de rire et je la regarde juste. C’est tout ce que je peux lui dire pour le moment parce que j’ai également des appréhensions sur tout ça. Je n’ai pas encore pris le temps d’analyser les tenants et les aboutissants de cette nouvelle aventure de ma vie. D’un côté, je vais devoir reprendre mes activités et de l’autre, il faut lui trouver une occupation avant que ça ne frise la misère. C’est quelque chose que je ne supporte pas du tout !!







Amour & Raison