L'étranger
Ecrit par Meritamon
Mes parents possédaient une pension familiale réputée à Conakry et avaient pour habitude d’accueillir des voyageurs pour des courts ou longs séjours en Guinée.
Au fil des ans, nous avions vu passer des touristes, des hommes et des femmes d’affaires, des coopérants de tous les horizons. Notre résidence était accolée à la pension, nous possédions le plus beau jardin de la ville et ma mère y faisait les meilleures confitures au monde. Il arrivait souvent que mes frères et moi donnions un coup de main pour le ménage dans les chambres d’hôtes. On avait ainsi de l’argent de poche facile avec les pourboires que les visiteurs nous donnaient ou des objets qu’ils nous laissaient en souvenir.
Nous nouions parfois des liens d’amitié avec ces gens
venus d’ailleurs qui nous faisaient voyager par leur vie, leur quotidien suspendu
momentanément dans d’autres contrées.
Un jour, arriva Alexander, un Danois qui travaillait
pour une organisation de coopération internationale. Il militait pour les
droits humains, aimait la photographie et était passionné de l’Afrique. J’avais
17 ans. J’étais effrontée et libre, un peu perdue aussi alors que je faisais
mes premiers pas dans la vie adulte, sans me douter que des bouleversements
importants traverseraient cette période de ma vie et me marqueraient
profondément des années durant.
Je n’étais pas dupe du velours de son regard qui s’attardait sur moi, insistant et enveloppant. Il m’en disait assez sur son désir pour moi.
J’avais appris tôt, parfois bien malgré moi, à décoder les
signaux du désir des hommes. Et cet homme-là ne différait pas de ceux de son
espèce. Cependant, sa position à lui était paradoxale: d’un côté il revêtait
son armure de preux chevalier, travaillait dans la lutte contre l’exploitation
des enfants dans le monde et, en même temps il ne pouvait s’empêcher d’avoir
des pulsions sexuelles pour l’adolescente que j’étais. Il lui fallait faire un
effort réel pour mettre son système de valeurs amassé tout au long de sa
carrière en mode Off quand il me croisait. J’étais consciente qu’il
me prenait en photo quand il en avait l’occasion sans mon consentement ou
presque, des images volées. Il m’adressait
rarement la parole alors qu’il avait des discussions politiques
enflammées avec mes frères.
J’adorais fouiller dans ses affaires toutes les
fois que je faisais le ménage dans sa chambre. Se doutait-il qu’il m’arrivait
d’enfiler une de ses chemises, de m’étendre dans son lit et me caresser en
pensant à lui? Je commençai à lui voler des affaires, des babioles pour la
plupart du temps, ensuite de l’argent, des petites sommes qui finirent par s’accumuler.
Il ne tarda pas à s’en rendre compte et me confronta en privé, un matin qu’il
revenait de son jogging.
-
Tu me voles, je le sais.
-
Tu ne laisses pas assez de pourboire, alors je
prends ce qui est à moi. Je répondis pour ma défense sans être démontée par le
reproche dans sa voix ni le bleu de ses yeux dans lequel je risquais de me
noyer.
Il avait baissé le ton de sa voix, et, sur la
confidence me dit :
-
Tu peux me demander de l’argent si tu veux, je t’en
donnerais.
-
Je suis au courant que tu me prends en photos.
Il rit parce qu’il ne s’y attendait pas et cela le
rendit extrêmement séduisant.
-
C’est parce que je te trouve très belle. On a dû te
le dire souvent, à voir ton arrogance.
-
Je ne suis pas arrogante.
Il alluma une cigarette et me fixa en plissant les
yeux à travers la fumée comme pour me jauger, sourire en coin, il ne
savait pas par où et comment me prendre. Il réfléchit un instant et
proposa,
-
Ça te dirait de poser pour moi? Officiellement
cette fois?
Je ne répondis pas tout de suite et lui prit sa
cigarette au vol que je fumais à mon tour.
-
Tu paies pour ça?
Il sourit et me fixa intensément à travers ses
sourcils qu’il avait proéminents.
-
Je serais généreux.
Cela me convainquit. Cela et la lueur dans ses yeux, le danger que j’y lisais. Ça disait: viens un peu dans la souricière que je te prenne au piège. Et, la souris que j'étais, voulait jouer avec le chat.
Je le rejoignis tard en soirée dans
sa chambre, à l’heure convenue, le cœur battant, moins sûre de moi qu’au matin,
me rassurant que j’étais là parce que j’avais besoin de son argent et je
voulais aussi voir où cette histoire me mènerait, en connaître l’issue.
Quelqu’un, je ne me souviens plus qui, m’avait prévenu un jour: « les hommes peuvent être pervers ». Cette phrase avait résonné dans ma tête pendant la journée. Pervers.
Qui ne l’était pas? Et cette autre phrase souvent entendue: « Ta curiosité te
perdra ».
Lorsqu’il m’ouvrit la porte en souriant, la petite
voix réticente en moi me supplia de rebrousser chemin. Je l’étouffai pendant
que je franchissais la porte.
Alexander buvait du vin et me tendit un verre
de façon naturelle. Il mit de la musique et des mélodies de Jazz s’échappèrent
du vieux tourne-disque de mes parents. Il avait 38 ans, Il était grand et
svelte avec des yeux aussi bleus que la mer immense. Et, j’eus peur de m’y
noyer une bonne fois pour toute. Il était aussi blond qu’un champ de blé. Il
affichait quelques taches de rousseur que le soleil tropical lui avait donné. À
mes yeux, il était exotique, différent de ce que je connaissais alors et je
désirais en savoir un peu plus, l’étudier de très près comme une anthropologue
de la race des hommes.
-
Nerveuse? Il me demanda en me détaillant, amusé que
j’aie eu le courage de venir.
-
Non, mentis-je. Où veux-tu que je m’installe?
-
Là. Sur ce fauteuil.
Alexander ajusta la lumière et le réglage de son
appareil photo pendant que j’essayai de me détendre en me concentrant sur les
sonorités Jazz et en faisant semblant de parcourir les pages d’un recueil de poésie,
alors que je ne le quittai pas des yeux, une vague appréhension dans le ventre.
- Tu as quel âge?
- 18 ans.
Il marqua une petite pause devant mon mensonge
flagrant, puis continua de manipuler son appareil photo sans me regarder.
- Pourquoi mens-tu?
- Je veux dire que je les aurais bientôt… enfin… Je me mis à patauger maladroitement dans mes mots .
J’étais confondue. Il s’était renseigné avant. Foutu
blanc. Que savait-il d’autres sur mon compte?
- Ça te
dérange?
- Que tu
aies 17 ans? Un peu. Que tu me mentes, beaucoup.
Pourquoi,
diable, me faisait-il la morale?
-
Dans ce cas, je ne devrais pas me trouver ici, en
ta compagnie.
-
Tu es venue malgré tout. Tu en avais envie.
J’étais mal à l’aise tout à coup, cela parut à ma
façon de me tortiller au milieu des coussins du fauteuil. L’homme s’approcha de
moi et me demanda d’un ton bienveillant de quoi j’avais peur, je pouvais partir
à n’importe quel moment, arrêter tout, et c’était moi qui détenais le contrôle
de la situation. Il m’expliqua quel genre de photos il voulait prendre, comment
il voulait que je pose pour lui. À cette évocation, une chaleur me monta aux
joues et je ne pus cacher mon trouble. Il sourit, amusé et rassurant à la fois.
-
Te sens-tu capable de faire ça?
-
Je ne sais pas… je n’ai jamais essayé.
-
As-tu déjà été avec des garçons… je veux dire,
as-tu commencé à avoir des relations sexuelles?
Je hochai la tête en guise de réponse. Il sembla
réfléchir gravement un moment, se resservit à nouveau un verre de vin. Ne m’en offrit
plus, estimant que j’en avais suffisamment eu pour la soirée.
-
Tu aimes ça l’école?
-
Non. Je m’y ennuie.
Et c’était vrai. Il ne put s’empêcher de rire, amusé
par ma spontanéité.
-
Un petit copain quelque part?
Je ne répondis pas tout de suite et haussai les
épaules.
-
Quelle importance?
-
Tu as raison. Ça n’a pas d’importance.
Après avoir pris quelques clichés de mon visage, il
me détacha les cheveux et me demanda enfin de me déshabiller.
-
Je veux d’abord être payée.
Il sourit, amusé et me tendit une enveloppe de liasses de billets de banque qui me laissa sans voix. Il y en avait beaucoup. Beaucoup trop pour une simple séance photo. Je levai des yeux interrogateurs vers lui. Que voulait-il de plus? Était-ce le moment de prendre mes jambes à mon cou? Non, j’avais peur de me couvrir de ridicule. Et puis, qu’est-ce que je pensais faire en venant dans la chambre d’un homme à cette heure de la nuit?
- Je t’avais dit que je serais généreux. Enlève tes vêtements. Maintenant.
J’honorai ma part du marché. Je lui obéis et lentement, avec des gestes un peu nerveux et un peu maladroits, je retirai ma robe, dégrafai le soutien-gorge et libérai ma poitrine. Enfin, je fis glisser ma culotte sans le quitter des yeux. Je sentis son excitation monter d’un cran à la vue des rangées de perles que j’avais aux hanches; celles qui me restaient encore, celles qui avaient résisté aux mains des amants maladroits. Elles étaient de toutes les formes et les couleurs possibles, des cauris, de l’ambre, brillantes, cliquetantes, provocantes. Il ne put dissimuler son trouble, me demanda d’approcher, les toucha avec une fascination mêlée de respect. Moi, qui trouvais ces perles ringardes et comptais m’en débarrasser.
L’homme me demanda de m’allonger dans son lit, me
fit prendre des postures pour la caméra, je fis ce qu’il demanda: « prends
tes seins dans tes mains, entrouvre la bouche, regarde-moi…
Jusque-là, les choses
allaient plutôt bien. Puis, tout se précipita quand il demanda précis et
exigeant :
« Écarte les jambes, glisses les doigts dans
ta vulve...lentement. Caresse-toi… Cambre-toi à présent. Regarde-moi.... Regarde-moi...
».
J'avais chaud. L’excitation me nouait le ventre.
C'était peut-être le vin, ou la situation actuelle, ou encore ses yeux de braise
qui m'enveloppaient, ne me lâchaient pas et me faisaient sentir désirable et
belle. C’était sans doute le velours de sa voix.
Le cliquetis de l’appareil photo m’étourdissait un
peu pendant que je sentais une moiteur poisseuse entre mes jambes. Mes doigts
en ressortirent trempés de ma cyprine. Cela ne lui échappa pas. Il abandonna
l’appareil photo sur le guéridon, s’approcha du lit et se mit à lécher
consciencieusement chaque doigt de ma main. « J’aime
le goût que tu as ». Il m’embrassa profondément pour me faire
goûter. Sa bouche était brûlante, sa langue pressante et exploratrice. Je
la voulais à présent entre mes cuisses, dans mes lèvres gonflées prêtes à céder
pendant que je me sentais alanguie, la tête lourde. Je l’attirais dans mes bras
pour m’offrir à lui, il se dégagea doucement et je le vis s’éloigner, troublé.
- Tu es magnifique, me complimenta-t-il tout simplement. Tout est
tellement naturel avec toi. Ton aisance face à la caméra est
hallucinante. Tu peux te rhabiller maintenant.
Je crus ne pas comprendre. Il ne bougea pas, il ne vint pas à moi comme je m’y attendais et garda ses distances, retranché dans son silence. Que voulait-il vraiment? Pourquoi cette hésitation?
Alexander était prudent. Il tissait sa toile
lentement sans se presser. Il soupesait, avec précaution, les risques que cette
relation impliquait. Mon âge était principalement la cause, en plus du travail
qu’il faisait et son maudit système de valeurs encore bien ancrées. Peut-être
qu’il voulait mieux me connaître, que c’était le genre d’homme qui aimait avoir
une connexion avant le sexe.
Il se détourna pendant que maladroitement je
remettais ma petite culotte et enfilais ma robe, gênée par la situation. Et je
détestais plus que tout être inconfortable. Il fit mine de ne pas voir la trace
de mes secrétions vaginales sur les draps, alors que je ne savais plus où
mettre ma gêne.
Il me tendit l’appareil photo et me laissa
regarder les images sur l'écran bleuté. Moi, qui n'aimais pas particulièrement
me voir en photo, je trouvais ces images fort réussies, loin du mauvais goût. Il
avait beaucoup de talent et avait réussi à capturer la sensualité qu'il avait
devinée en moi. Il avait saisi la femme que je devenais sous le vernis de l'ado
rebelle et mal dans sa peau, mal dans sa vie.
-
Que vas-tu faire avec mes photos?
-
Elles te plaisent? Je ne sais pas encore. Je
t'en laisserais une copie si tu veux, une fois que je les aurais développées. Puis, quand
je m’en irais d’ici, ça me fera penser à toi.
« Emmène-moi avec toi », je lui
demandais, suppliante.
-
Pourquoi voudrais-tu t’enfuir avec moi? Tu ne me
connais pas. Tu ne
sais pas quel genre de personne je suis.
-
Je crois
que tu es gentil et je n'ai jamais voyagé.
Il se
leva et détourna son regard. Pourquoi évitait-il de me regarder?
-
Tu es
encore naïve, si jeune et si naïve et je ne suis pas gentil. Termine au moins
l’école... qu’est-ce que tu veux faire plus tard?
-
Rien.
Il s’approcha et me caressa la joue, amusé par ma
moue boudeuse.
-
J’étais pareil à toi plus jeune, je ne savais pas
quoi faire non plus. Un peu rebelle et pressé de vivre.
Et la question qui me taraudait.
-
Prends-tu des photos de filles partout où tu vas? De
jeunes filles?
-
Si je te réponds oui,
comment te sentirais-tu? Me demanda-t-il, une lueur de malice dans le regard,
désirant connaître ma perception sur son activité.
-
Je trouverais cela bizarre.
-
Tu as raison. C’est « bizarre »
et criminel, dépendamment des législations des pays. Si tu
veux savoir, je ne suis pas comme ça d’habitude... commença-t-il à m’expliquer.
-
Pervers?
Cela le fit rire et
il dit qu’on l’était tous, y compris moi, puis sérieusement : « Je veux
dire qu’il ne m’arrive pas d’avoir une attirance pour des filles particulièrement
jeunes ».
Cela flatta mon ego surdimensionné et rassura en
même temps un peu mes craintes.
Et l’autre question qui me brûlait.
- As-tu quelqu’un là-bas au Danemark? Une bonne femme? des enfants?
Il rigola et cela fit plisser le coin de ses yeux.
- Non. Je suis
seul.
-Tu ne veux pas me toucher. Pas vrai? lui
demandais-je.
Sa réponse fut non, ses yeux promettaient autre
chose.
-
Tes grands frères seront là d'un moment à l'autre.
Ils veulent me sortir en club ce soir.
Je pensais, Les abrutis. Toujours là au mauvais
moment.
-
Ha! il ne faut pas qu'ils me trouvent ici.
Je me levai d’un bond et me préparai à décamper
quand sans prévenir, Alexander me prit par la taille et m'attira contre lui. Contre
toute attente. Je me sentis minuscule face à lui et troublée. Il prit ma main
et la mit sur la bosse de son pantalon, à l’endroit où il y avait son érection.
Il murmura à travers mes lèvres en m'embrassant.
-
Pourquoi es-tu si jeune? Si tu savais tout ce que
j’ai envie de te faire maintenant… tu prendrai peur et t’enfuirais.
-
Je n’ai pas peur. Dis-je en lui rendant ses baisers.
Je crânais comme à
mon habitude alors que des mini bouleversements fissuraient tout mon être.
J’étais un lac placide qui avait reçu une pierre, et qui ondoyait à présent,
ondoyait de tout son être. J’étais l’Eau du puits dans lequel on avait
brutalement lancé le seau. Peut-être qu’à cet instant il était temps que je
m’enfuis.