L'ombre du contrat perdu
Ecrit par Nobody
Ce soir-là, Dalila sortit du bureau de son patron, le cœur lourd et les nerfs à ébullition. Chaque pas qu'elle faisait semblait plus lourd que le précédent, comme si une pression invisible se tenait sur ses épaules. La déception et la frustration bouillonnaient en elle, une rage sourde qu'elle tentait de contenir, de peur de craquer ici, dans ce dédale de couloirs blancs. Elle se refusait à y croire, refusait de se laisser engloutir par ce sentiment d'injustice qui l'étouffait. Comment pouvait-il en être ainsi ? Comment son patron, après avoir si longuement vanté ses efforts, ses heures de travail acharné, pouvait-il lui retirer ce contrat qui, de toute évidence, était le sien ? Mais la vérité était là, trop cruelle : Lisa avait décroché le contrat qu'elle pensait tenir entre ses mains depuis des mois.
Elle se revoyait encore, quelques instants plus tôt, face à son patron, son sourire s’effaçant lentement, remplacé par une peur sourde qu'elle ne savait pas exactement définir. Le temps semblait s’être ralenti dans cette pièce. Le murmure des papiers, le bruit d’un clavier lointain, tout semblait se dilater autour d’elle, alors que son patron prenait son temps pour lui expliquer l'inexplicable.
Flashback
– Monsieur, vous m'avez fait appeler ? Si c'est par rapport au contrat, n'ayez aucune crainte. J'ai passé des jours et même des nuits à l'étudier. Ce contrat n'a plus aucun secret pour moi, vous pouvez me croire.
Dalila avait parlé d’une voix calme, presque trop calme. Elle ne voulait pas que son patron remarque l’angoisse qui la rongeait. Elle savait que la suite de la conversation allait être décisive, mais elle ne s’attendait pas à cela.
Elle le regarda se tourner et se retourner sur sa chaise, comme s’il cherchait les mots pour ne pas l’offenser. Mais elle sentait que la vérité, aussi amère soit-elle, allait bientôt se dévoiler. Un frisson glacial parcourut son échine lorsque son sourire commença à s'estomper. Elle avait un pressentiment. La situation ne se passait pas comme elle l’avait imaginé.
– Mademoiselle Dalila, je vous avoue que vous êtes d’une aide infaillible dans cette entreprise. Depuis des années que vous êtes ici, vous avez su faire vos preuves à plusieurs reprises. Seulement...
– Seulement, monsieur ?
Il s’arrêta un instant, la regardant dans les yeux. Ses yeux, d’habitude perçants, semblaient se détourner maintenant, comme s'il cherchait désespérément la sortie d'une situation qu’il ne maîtrisait pas. Elle n'osait même pas respirer, trop effrayée de briser ce silence lourd de sens.
– Seulement, Lisa semble être la mieux placée pour mener ce contrat à bien. Attention, je ne sous-entends pas que vous n'êtes pas à la hauteur. Tout ce que je dis, c’est que Lisa... permettez-moi de le dire ainsi, a beaucoup plus d’expérience et de... de talent que vous. Et sur ce contrat, vous aussi bien que moi savons qu’il ne faut pas que nous nous loupions.
Dalila sentit une douleur vive dans sa poitrine, comme si chaque mot qu’il prononçait lui entaillait l'âme. Elle s'efforça de rester calme, mais son esprit était envahi par un tourbillon de pensées. Pourquoi ? Pourquoi elle, après tout ce travail acharné, après des semaines de préparation et de nuits blanches, se retrouvait-elle encore à perdre ce qu’elle croyait être sa victoire ? Elle s’efforça de garder un visage impassible, bien que son cœur battait à tout rompre.
– Monsieur... je... je n’ai... pas bien compris.
Elle le vit pousser un profond soupir, un soupir d’impuissance ou de résignation, elle ne savait plus. Puis il adopta cette attitude qu'elle détestait tant : une sorte de froideur distante qu'il avait parfois quand il ne voulait plus discuter, quand la décision était prise et qu'il n'y avait plus rien à redire.
– Mademoiselle Dalila, le contrat est déjà aux mains de Lisa. Elle y travaille actuellement, et ce sera elle qui le mènera à bout. À présent, si vous n’avez plus rien à ajouter, je vous prie de rejoindre votre poste.
Elle sentit une onde de panique l’envahir. Mais elle n'osait rien dire. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Ses pensées se bousculaient trop rapidement, et une étrange sensation de vertige la fit vaciller un instant.
– Mais monsieur...
– Oui ? Avez-vous quelque chose à me dire par rapport à votre travail ?
Elle avala difficilement sa salive, se sentant soudainement plus petite. Pourquoi ça lui arrivait encore, après tout ce qu'elle avait fait pour cet homme, pour cette entreprise ? Était-ce elle qui était fautive ? Était-ce lui qui lui jouait encore un de ses jeux cruels ? Elle se sentait manipulée, comme une marionnette qui perdait son fil. Mais elle n’eût même pas le courage de répliquer.
– Vous pouvez disposer, Mademoiselle.
Il lui coupa la parole avec une telle froideur qu’elle ne comprit plus. Elle se leva, se sentant vide et abattue.
– Que je m’en aille, monsieur ? répéta-t-elle d'une voix tremblante.
– Mademoiselle !
Elle sursauta sous l’autorité de son ton, s'excusant précipitamment, avant de prendre lentement la direction de la porte, son cœur lourd, son esprit embrouillé. Elle se tourna une dernière fois vers lui, s’attendant à ce qu’il lui dise que c'était une blague, que c'était une erreur. Mais rien ne vint. Pas un mot, pas un regard. Il avait tourné la tête, l’ignorant volontairement. Elle s’éloigna en silence.
Elle referma la porte derrière elle. Puis, contre toute attente, elle s’appuya contre celle-ci, les yeux fermés, le corps tout entier tendu par l’émotion. Elle n'avait pas le droit de pleurer. Pas ici. Pas devant ce bureau impersonnel, froid et austère. Mais une larme se fraya néanmoins un chemin le long de sa joue. Une seule. Elle la laissa glisser, espérant qu'elle emporterait un peu de sa douleur. Mais rien ne s'effaçait.
Encore une fois, elle avait perdu. Encore une fois, ce contrat qu'on lui avait d'abord confié, lui avait échappé, emporté par l'habileté d'une autre. Lisa. Toujours Lisa. Elle se demandait si c’était elle, au fond, qui demandait toujours à ce que les contrats soient transférés dans ses mains. Mais peut-être était-ce son patron, qui, comme un joueur sadique, la manipulait avec une telle finesse qu’elle ne savait plus où en était la vérité.
Elle poussa un profond soupir, puis se détacha lentement de la porte pour reprendre le chemin de son bureau. Il fallait qu'elle se reprenne. C’était tout ce qu’elle pouvait faire pour éviter de perdre la tête. Mais, en traversant le couloir, un sentiment de vide profond l’envahit. Elle traversait les groupes de collègues sans pouvoir répondre à leurs salutations, sans même tenter de sourire. Elle n’avait pas la force. Tout ce qu’elle désirait à cet instant, c’était se caler dans les bras d’Amid. Lui seul, peut-être, saurait la consoler, même si elle-même n’était pas sûre d’y parvenir. Elle rêvait d’être seule avec lui, de se réfugier dans cette bulle de confort, loin de ce monde où elle avait l’impression de n’être rien.
Lorsqu’elle ouvrit la porte de son bureau, son regard se figea immédiatement. Une vision qui n’avait rien de familier. Un malaise s’empara d’elle. Lisa. Dans son bureau. En train de fouiller ses documents. Le choc, la colère, et une vague de mépris envahirent instantanément son esprit.
– Je peux savoir ce que tu fais dans mon bureau, Lisa ? demanda-t-elle d'une voix étonnamment calme, mais l'irritation qui y était contenue était palpable.
Lisa leva la tête, son visage masqué par l'étrange expression d'une innocence forcée. Elle semblait avoir été surprise dans son acte, mais Dalila ne lui accorda aucune excuse.
– Oh Dalila, je te promets que ce n’est pas ce que tu crois. Je n’étais pas en train de fouiller tes affaires, mais monsieur John m’a demandé de venir chercher le double du contrat que tu avais, alors je le cherchais, puisque tu n’étais pas là.
Dalila sentit une bouffée de colère la submerger. Comment osait-elle jouer à ce petit jeu ? Elle sentit une envie irrésistible de lui faire face, de lui dire tout ce qu’elle pensait, mais la rage qui montait en elle était trop forte.
– Puisque je n'étais pas dans mon bureau, tu aurais dû attendre mon retour. Tu n'as pas le droit de fouiller dans mes affaires, à ce que je sache. Que ce soit la dernière fois, Lisa, je suis sérieuse. Je n'apprécie pas ça. Jamais je ne me serais permise de faire cela dans ton bureau.
Lisa leva les yeux au ciel et fit un geste désinvolte, mais Dalila choisit de ne pas réagir.
– D'accord, j'ai compris. Excuse-moi, cela ne se reproduira plus. Puis-je avoir le contrat maintenant, s'il te plaît ?
Dalila avala difficilement sa salive en réalisant qu'elle venait vraiment de perdre son contrat le plus important au profit de Lisa.
Elle se dirigea lentement vers son bureau, comme pour retarder le moment où elle allait devoir céder le contrat, puis s'assit derrière son bureau. Elle ouvrit un tiroir et en sortit le contrat, soigneusement rangé dans une chemise de dossier.
Elle le lui tendit sans dire un mot, et lorsqu'elle le saisit, Dalila fit mine de se concentrer sur un autre dossier, comme si l'entretien était terminé. Mais visiblement, Lisa n'était pas du même avis.
– C'est vraiment dommage que le contrat t'ait été retiré. Crois-moi, je n'y suis pour rien, et si tu demandes à Paul, avec qui j'étais dans le bureau du patron à ce moment-là, tu verras que j'ai tout fait pour qu'on te laisse le contrat. Tu dois vraiment me croire, Dalila. Je n'ai aucune envie de me fâcher avec toi, surtout que je n'ai rien demandé dans cette histoire. Et si tu avais été à ma place, je suis sûre que tu aurais fait pareil.
Dalila se radoucit un peu. Elle ignorait que Lisa avait défendu son cas pour que le contrat lui soit laissé, ce qui la toucha. Le problème n'était donc pas Lisa, mais plutôt son patron.
– Ce n'est pas grave, vraiment. Ce n'est pas le premier contrat que tu me prends, je finirai bien par m'y habituer. Il n'y a aucun souci de mon côté, tu peux être tranquille. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'aimerais me concentrer sur ce contrat, avant que le patron ne se fâche et qu'il te le confie encore une fois. Crois-moi, ce n'est rien de bien grave.
Elle sourit, un sourire qui ne semblait pas vraiment sincère, puis observa Lisa sortir après un léger hochement de tête. Dès que la porte se referma, Dalila poussa un long soupir.
Elle ne comprenait plus rien. Si elle n'était plus assez performante aux yeux de son patron, pourquoi ne pas la libérer ? Avec toutes ses compétences, d'autres entreprises se disputeraient sûrement ses services.
Elle mit cette histoire de côté et se concentra sur son travail.
Retour au présent.
– Cette fille, Lisa, c'était bien elle, la victime ? Celle qui a été tuée chez elle, avec plus d'une dizaine de coups de couteau, n'est-ce pas ? demanda Soraya, lorsque son amie s'arrêta dans son récit.
– Oui, Lisa. Ma meilleure ennemie. Elle était brillante, je dois l'admettre.
– Qu'as-tu fait après cette entrevue avec elle ?
– Rien, à part me concentrer sur mon travail, avec difficulté, je l'avoue.
– Et après, quand tu es sortie de là, Dalila ?
Elle se perdit dans ses pensées, comme si ce moment était déjà lointain, bien qu'il ne remontait qu'à quelques mois.
– Je suis rentrée et j'ai tout raconté à Amid… mon… mon fiancé. Il m'a dit qu'il allait s'en charger.
Soraya fronça les sourcils, notant quelque chose sur son bloc-notes.
– Comment ça, "il allait s'en charger", Dalila ? Tu peux m'expliquer ce qu'il t'a dit exactement ?
– Oui, mais laisse-moi juste un moment pour aller me soulager. Je reviens tout de suite.