L'organisation du mariage
Ecrit par Gioia
Madina Bara
Comme chaque matin
Dena Mwana m’a réveillé avec un brutal « Tu es Emmanuel, Emmanuel mon ami, ton
amour me suffit ». J’ôte mon bandeau et prends l’appel qui m’a réveillé.
— Madiiii, tu
es où ? Je t’attends depuis un siècle, me fait la voix stridente de Laure.
— Laure, d’où
sors-tu toute cette énergie sitôt ?
— Pitié, dis-moi
que je me trompe et que cette voix enrouée ne signifie pas dire que tu te
trouves encore au lit Madina.
— Pas de
panique j’ai l’orteil hors du lit déjà, je la taquine.
— Tu veux ma
mort, c’est parti pour midi avant que l’on ne voie ta tête aujourd’hui, elle
râle, ce qui m’amuse.
— Faut pas
non plus exagérer hein, Laval-Saint-Hubert ce n’est pas Montréal-Paris. Je
serais à l’heure pour trouver The robe.
— Tu n’as pas
oublié hein. Les boutiques ouvrent à partir de 10 h donc tu dois être ici au
plus tard à cette heure pour qu'on ne traîne pas.
— Je n’ai pas
oublié madame Koumah, laisse-moi me doucher en vitesse et je vous retrouve.
— D’accord
futur madame K.
J’ai rigolé un bon coup
avant de raccrocher. Quand on dit que certaines personnes ne sont pas seules
dans leurs têtes je pense direct à mon amie Laurence Yapo. Comme madame s’est
fiancée à mon ami Yannick Koumah, elle se plaît à dire que mon futur mari sera
un Congolais au nom de famille commençant par K parce que je chante avec
passion leur gospel. Nous formerons donc le terrible quatuor et nos enfants
seront les premiers de la dynastie K. Toutefois, elle oublie toujours de
prendre en compte les deux détails suivants dans son scénario. Primo, il faut connaitre les gens pour prétendre se
marier un jour or, je ne côtoie réellement qu’elle et Yannick. Secundo, il
faut être assez intéressante pour captiver l’intérêt de quelqu’un et que ce
dernier veuille d’une relation qui pourra aboutir à une union. J’ai la foi qu’un
jour j’irai mieux même si ce n’est pas encore le cas, mais je ne peux pas
non plus vivre avec des lunettes roses sur les yeux. Physiquement ce n’est pas
ça et les gens ne se précipitent pas pour se mettre en couple avec les malades
comme moi. Donc ce n’est pas aujourd’hui que je vais attirer quelqu’un et d’ailleurs
ce n’est pas le sujet de l’heure. La petite Yapo va se marier, Let’s go !
Une trentaine de minutes
plus tard, je prenais la ligne orange en direction de Côte-Vertu au lieu de la
voiture afin de rejoindre ma fofolle au plus tôt. Maintenant que j’y pense, je
ne vois pas trop l’importance de ma présence là-bas. Je ne fais pas partie du cortège
nuptial. En matière de style Laure et moi n’avons pas grand-chose en commun. Je
suis souvent en pantalon taille haute style années 70 et corsages que je
trouve mignons, sinon des robes longues. Je dévoile rarement mes jambes, tout
le contraire de Laure qui est taillée comme les grands mannequins des années
90. Grande avec des courbes délicates qui lui vont super bien. Elle vit en
robes, et même les tenues les plus simples paraissent sensuelles sur elle,
tellement elles épousent bien son corps.
Mais elle m’a supplié et
je dis difficilement non à cette petite donc me voilà sortant du métro une trentaine
de minutes plus tard pour retrouver notre fiancée au Tim (café) qu’elle m’a
indiqué par message quand je quittais la maison. La meuf est installée comme si
elle était dans son salon, téléphone en face, en train de rire bruyamment.
— C’est comme ça que la
gelure mange tes doigts ? je demande
en référence aux messages qu’elle m’envoyait pendant que je m’apprêtais.
— Donc tu n’es pas
contente que j'aie au moins trouvé un Tim. Non tu veux alourdir ton dossier
déjà booké.
— Doucement avec moi
madame, je rigole. Tes demoiselles d’honneur sont où déjà ?
— En train de flâner
les boutiques, elles étaient trop pressées.
— Oh OK, allons-y,
et encore désolée pour le retard en passant
Dix boutiques plus tard
et toujours pas « The robe ». Les prix étaient trop élevés ou les tenues dans
son budget, pas assez somptueuses selon les autres. Pour ma part je les
trouvais toutes belles donc l’une ou l’autre ne changerait pas grand-chose.
C’est Laure qui les rend magnifiques de toute façon. En revanche, les filles ne
semblaient pas trop apprécier ma présence, vu qu’on m’a interrompu plus d’une
fois quand j’ai pris la parole. Aussi j’ai entendu quelques murmures sur le
fait que j’étais à la traine et plombais l’ambiance. Rien de surprenant pour
moi. Je n’avais certes pas prévu que mon
mal allait se réveiller aujourd’hui, mais voilà je suis habituée aux regards,
remarques, et consort.
Laure a décidé de prendre
un break dans la dixième boutique. C’était au tour des demoiselles de faire
leurs essayages. Elles étaient au nombre de cinq : Carla, Judith et trois
autres dont je ne connaissais pas le nom. Après deux tours, chacune avait trouvé
son bonheur dans la couleur choisie par la future mariée, le rose saumon,
toutefois elles avaient des modèles différents.
— Madidi tu ne veux
pas en essayer une aussi, me propose Laure.
— Ermm non c’est
vous qui êtes à l’honneur, fais-je un tantinet gênée.
— Qu’est-ce que tu racontes
? Tu es la dame de la mariée. Tu es aussi à l’honneur.
— Laisse la Laulau, elle
a dit qu’elle ne veut pas. En plus on a encore beaucoup à faire ma chérie, la
journée est longue, intervient Carla avant que je puisse formuler ma réponse.
Les autres approuvaient par des murmures et hochements de tête.
Laure abdiqua et nous
nous dirigeâmes à la caisse pour une longue série de négociations avec le
proprio, parce qu’il était hors de question qu’on paie 700 $ par robe. Et
c’est justement parce qu’on peut négocier dans la plupart des boutiques de
Saint-Hubert qu’une tata de notre église avait recommandé à Laure de débuter sa
recherche ici avant de commander quelque chose sur internet. Enfin, je pouvais
justifier un peu ma présence ici parce que s’il y a bien quelqu’un qui ne se
fatigue pas pour parler lorsque je suis lancée, c’est bien moi. De 700 nous sommes
descendus à 350 $/robe, même si le type râlait tout en nous les laissant.
Je lui rappelais qu’on lui prenait quand même cinq modèles et possiblement la
mariée pourrait revenir trouver son choix ici. Même si je n’étais pas sûr de la
dernière partie, mais on ne sait jamais.
— Maintenant il ne
reste plus que la mienne. On y va ! fit Laure super
excitée.
— Vous pouvez
avancer un peu, je vais m’asseoir quelques secondes ici et je vous rattrape, je
dis après qu'une douleur lancinante m'ait immobilisé pour quelques secondes la
jambe.
— Oh non ma chérie,
ça a recommencé ? s’enquit Laure
avec inquiétude.
— Ne t’en fais pas,
c’est une petite passe, mentis-je avec optimisme, allez-y je vais........
— Non on va se reposer
les filles, elle me coupe, ne remarquant même pas les lèvres pressées et le
regard ennuyé de certaines. Tout ce qui me gêne. Pendant ce temps, je vais te
chercher à manger d’accord, elle rajoute et se précipite avant même que je
puisse répondre.
— Franchement, il y a
des choses qu’on ne fait pas, commence une des filles que je ne connais pas.
Venir chez quelqu’un sans s’annoncer, parler la bouche pleine et faire sa diva
durant la préparation du mariage de quelqu’un d’autre.
— Certainement pas
le troisième, appuie Judith. Mais bon on n'a pas reçu la même éducation hein.
— Ce n’est pas mieux
de parler directement si vous avez quelque chose à me dire ? dis-je à leur encontre.
— Bah qui se sent
morveux se mouche ou bien, réplique Carla tout en regardant ses ongles.
— Essayons de nous
calmer les filles, c’est Laure qui compte, on est là pour elle, fit une autre
des inconnues.
— Les égoïstes sur
qui on ne peut pas compter aussi savent qu’elles sont là pour Laure ? continue Judith.
— Je ne suis pas là
pour elle ? C’est toi qui as négocié le
prix des tenues tout à l’heure ? je
m’échauffe.
— Lol qui ne pouvait
pas le faire ? C’est d’ailleurs toi qui t’es
lancée seule sans qu’on te sonne ma belle. Dame de la mariée mon œil.
C’est parce que j’ai vu Laure
arriver du coin de l’œil, les bras chargés de bouffe que je n’ai pas répondu à Judith.
On est d’accord sur un point. C’est la journée de Laure aujourd’hui. Ça ne sert
à rien de se crêper le chignon avec les autres. Je suis habituée au jugement de
toute façon.
Nous trainâmes pendant
deux heures supplémentaires et ma douleur eut finalement raison de moi. Je ne
pouvais pas aller plus loin. Je m’excusai auprès de Laure, lui expliquant que
je devais rentrer. À mon grand dam, elle insista pour me raccompagner. Elle ne
démordait pas et j’ai dû finalement accepter.
— Je dis tu es maso ? Tu peux m'expliquer le pourquoi tu aimes jouer
au robot qui ne ressent rien surtout quand ça s'empire pour toi, me sermonne-t-elle
quand je me mets à trainer la jambe.
— C’était supportable,
dis-je faiblement.
— Ouais, fais
ça à d’autres hein. On aurait même arrêté depuis si tu avais ouvert ta
bouche, mais non, comme tu aimes souffrir gratuitement........, elle continue
de me gronder tout en m’aidant à descendre petit à petit les escaliers pour
aller prendre le métro.
— Laure tu me mets
mal à l’aise quand tu dis ça.
— J’ai dit quoi de
mal ?
— Tu sais bien que
je n’aime pas être dorlotée. Et puis c’est ton mariage. Je ne veux pas être un
frein à tes activités.
— La prochaine fois
que tu utilises le mot frein et toi dans une même phrase je te ramasse la joue
sans perdre une seconde.
— Laure........, la
supplié-je du regard.
— Ah tais-toi on
avance madame et pour une dernière fois, elle dit avant qu’on entre dans le
métro, sache que je ne compte pas te laisser hors de cette organisation. Si ça
nous prend mille ans, on va se traîner ensemble pour le faire. Ton pied, mon
pied Madidi.
— Une vraie folle, je souris malgré la grimace de douleur.