Ma mère
Ecrit par Nadia.K
Mon esprit embrumé guida alors mes pensées vers ma mère. Ma mère s’appelait Bénédicte AKA, elle aurait eu 45 ans cette année. Elle était une belle femme même à son âge. Le temps ne s’était pas acharné sur elle, la vie s’en chargeait déjà suffisamment.
Mariée au ministre, ils ne vivaient pas ensemble : chacun dans sa maison, chacun le plus loin possible de l’autre. On ne les voyait ensemble que pour les cérémonies officielles, durant lesquelles chacun s’attelait à cacher derrière sa haine pour l’autre un sourire étincelant et un regard amoureux. Il y a bien longtemps que ce mariage n’avait de sens qu’en apparence. Bénédicte AKA en voulait profondément à son mari de lui avoir arraché le bonheur auquel elle avait droit. Elle s’en voulait chaque jour de l’avoir épouser et maudissait le jour où son cœur avait flanché pour cet homme. Rien dans l’histoire de leur rencontre ne présageait ce qu’allait devenir leur mariage. Cette histoire je la connaissais par cœur, tant elle m’avait été contée dans mon enfance.
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AKA Paul, désormais ministre, et Bénédicte ADOUKO, se sont rencontrés en France pendant que chacun d’eux faisait ses études supérieures. Paul était alors un jeune homme, sûr de lui et d’une ambition démesurée. Il n’était peut-être pas le plus beau, mais il dégageait un magnétisme et une assurance qui ne passaient pas inaperçus. Issu d’une famille pauvre et illettrée, il avait pu gravir les échelons de la chaîne sociale par son seul travail. Il travaillait comme si sa vie en dépendait, il s’investissait dans ce qu’il faisait et de ce fait réussissait. Toujours parmi les meilleurs, il était de ceux dont on chantait les louanges dans les cercles intellectuels, il aimait apprendre et était donc cultivé, il avait de la discussion, de la répartie et un leadership indéniable. Bref, il était l’exemple de l’homme sur le chemin de la réussite. Lorsqu’il ne travaillait pas, il passait ses journées à s’adonner à son second passe-temps : les femmes !!
Ah les femmes ! Comme il les aimait ! Il y en avait de toutes les formes et de tous les gouts. Il était jeune et savait s’y prendre. Il les faisait donc toutes tomber comme des mouches. Plus elles semblaient inaccessibles, plus il les appréciait. Elles représentaient pour lui des trophées, qu’il gagnait puis abandonnait tout de suite après.
Lors d’une fête d’étudiant, à un bar avec d’autres ressortissants ivoiriens, il entendit parler de cette gosse de riche belle comme un cœur mais aussi insaisissable qu’un fantôme. Il prit le pari avec ses amis de réveiller le cœur de cette fille, de la faire sienne et de leur prouver qu’à lui Paul AKA, rien ne résistait. Ils en rirent tous et ils continuèrent leurs soirées.
Pour les autres, il ne devait s’agir que d’une blague inspirée par l’alcool, pour PAUL c’était un défi de plus à relever.
Après la soirée, il se renseigna autant qu’il put sur cette Bénédicte. Elle était issue d’une famille proche du pouvoir en place en Côte d’Ivoire. Née une cuillère en or dans la bouche, elle était la fille unique de sa famille et la petite préférée de ses oncles selon beaucoup. Son père passait même la voir chaque mois, la couvrant à chacune de ses visites de cadeaux et de toutes sortes d’attentions. Elle était capricieuse disait-on. Habituée à recevoir tout ce qu’elle voulait, elle s’attendait à ce que son entourage se plie en quatre pour ses moindres désirs et ne supportait pas qu’on lui dise non. Elle n’était entourée généralement que de personnes de sa classe sociale et comme la rumeur le disait, elle était engagée auprès d’un des fils du Président au Pouvoir. Comme on le dit couramment, elle n’était pas n’importe qui.
On disait qu’elle était belle, très belle d’ailleurs et qu’elle s’amusait à tourner en bourrique ses prétendants. Bref, la description qu’il eut à l’époque de ma mère correspondait à peu près à celle qui était faite de moi à Abidjan il y a quelque temps de cela. Finalement le dicton dit vrai, la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre.
Paul AKA, en fin connaisseur et prédateur averti ne s’arrêta pas à ces informations générales que n’importe qui pouvait avoir. Il se rapprocha de proches à elle et même de proche de ses proches afin d’en savoir plus. Il apprit ainsi un peu plus d’elle, ce qu’elle aimait, ce qu’elle ne supportait pas, ce qui l’inspirait… Tout cela, sans même avoir croisé une fois le regard de cette fille.
Un jour, tout à fait par hasard, Paul bouscula une fille dans la rue : « Désolé, je ne vous avais pas vu.
- La faute est partagée, je regardais ailleurs
- Je m’en veux quand même. Laissez-moi me racheter. En vous invitant à prendre un verre par exemple
- Non je crois que ce n’est pas nécessaire …
- J’insiste
Devant l’insistance de ce jeune homme, elle flancha »
Cette erreur la perdit. Paul AKA, l’amena dans un chic café sur les Champs Elysée. Un rapide coup d’œil aux bijoux et au sac de la demoiselle, lui avait fait comprendre qu’elle était nantie. Il était donc prêt à « investir » sa paie du mois qu’il venait de récupérer pour séduire cette belle gazelle qui assurément saurait le lui rendre une fois qu’elle serait dans ses filets. Les présentations effectuées en marchant, lui avait donné l’impression d’avoir touché le Jackpot. La providence avait voulu qu’il rencontre Bénédicte. Elle était encore plus belle qu’on disait et les photos qui lui avaient été montrées ne lui faisaient pas honneur. D’ailleurs, il aurait eu bien de mal à la reconnaitre, elle portait une perruque lisse et de grosses lunettes mangeaient son visage.
De son côté, Bénédicte avait flairé le séducteur fauché dès les premières minutes, elle n’avait pas accepté la rencontre par plaisir mais parce qu’elle s’ennuyait un peu et le ciel lui offrait quelqu’un à martyriser !
Ils s’assirent donc dans un luxueux café dont elle était une des habituées. Elle avait pour plan de commander au maximum et de le laisser se démerder avec l’addition. Fille pourrie gâtée, aussi belle qu’insolente et sachant usé de ses charmes, elle avait l’habitude de jouer des tours aux gens qui croisaient son chemin. A force de se faire répéter par son père qu’elle avait le monde à ses pieds, elle n’avait plus de limites et la barrière entre le bien et le mal était très floue pour elle.
Elle croyait à ce moment être le prédateur, mais elle n’était qu’une proie sans défense.
Bien renseigné, Paul capta son attention, la flatta et fit naître en une heure trente chez elle plus d’intérêt pour lui qu’elle n’en avait porté à aucun homme.
Elle voulait le revoir, d’ailleurs elle le lui proposa lorsqu’il lui annonça qu’il devait retrouver des amis. Elle se surprit même à payer la note pour tous les deux.
Cet homme était différent des autres et elle venait de décider qu’elle le voulait.
Cette rencontre incongrue, fit écho à une autre, puis à une autre encore, et ainsi de suite. 3 mois passèrent mais rien. Il continuait de la traiter comme une amie, tous ses appels de phares restèrent sans réponse. Il ne la voyait pas et laissait d’autres bécasses le toucher alors qu’elle mourrait d’amour pour lui. Elle buvait ses paroles, voulait sentir son odeur chaque jour, avait hâte de se perdre dans son regard. Il l’obsédait et elle ne voulait que lui personne d’autre. Elle en avait marre de voir ces filles baver devant son homme. Elle en avait la certitude, il avait été créé pour elle : il avait appris à la connaitre si rapidement, la comblait, ils avaient les mêmes centres d’intérêts et elle le savait il allait être plein de succès.
Fatiguée d’essayer de lui faire comprendre combien elle se consumait pour lui, elle décida de lui parler directement de ses sentiments. Elle l’appela mais il ne décrocha pas le téléphone qu’elle lui avait offert. Qu’à cela ne tienne, elle allait débarquer ! Elle se prépara donc pour aller le voir en prenant soin de mettre une robe révélatrice de ses formes aguicheuses avec un décolleté plongeant. Elle aimait particulièrement cette robe, sa blancheur contrastait avec son teint d’ébène. Elle se parfuma et sorti avec hâte pour aller chez Paul.
Il avait eu la chance d’avoir un appartement à la Défense. L’appartement appartenait à un de ses professeurs de lycée, vivant désormais en Côte d’Ivoire et qui était en admiration devant cet élève brillant qu’il qualifiait de prodige et de génie. Cet homme était pour beaucoup dans son admission en Classe Préparatoire, il lui avait écrit un nombre incalculable de lettre de recommandations et l’avait aidé à monter son dossier. Il disait que Paul était un bel exemple du potentiel africain et pour ce faire il voulait le propulser.
Arrivée devant la porte du petit appartement, elle cogna plusieurs fois sans réponse. Il y avait pourtant de la lumière. Elle insista alors et la porte s’ouvrit sur une jeune fille métisse emmitouflée dans un drap qui lui demanda de dégager et de la laisser dormir en paix. Sous le choc, Bénédicte la laissa débiter ses conneries 2 minutes avant de se reprendre et de lui donner la gifle du siècle. La pauvre se retrouva au sol en un rien de temps et reçu une pluie de coups la laissant sans défense. Elle déversait sa frustration sur la jeune métisse, lorsque des bras forts la soulevèrent:
« - Mais qu’est ce qui se passe ici Béné ? Pourquoi tu la frappes ? Je ne savais même pas que tu venais ! dit Paul.
En larmes, elle tenta de lui donner des coups sur la poitrine mais il la neutralisa. La vulgaire fille qui lui avait ouvert avait compris qu’elle était de trop. Elle se rhabilla à la vitesse de l’éclair et s’enfuit craignant que Bénédicte se libère et se jette à nouveau sur elle.
- Mais tu vas te calmer !!, tonna Paul alors que l’autre était déjà partie.
Ce ton qu’elle ne connaissait pas eu le don de la calmer.
- Pourquoi tu l’as frappée Béné ?
- …
- Réponds-moi ! Tu viens chez moi tabasser les gens pour quelle raison ?
- Elle n’avait rien à faire ici. Tu as couché avec elle n’est-ce pas ? Pourquoi tu continues de sortir avec des filles qui ne te mérite pas ?
- Ça ne te regarde pas ce que je fais avec les autres filles. Et d’ailleurs qui me mérite toi peut-être ? dit-il d’un ton cinglant
- Oui, moi !
- …
- Moi je te mérite ! Moi je t’aime, moi je sais quel type d’homme tu es et moi je saurais te rendre heureux. J’ai tout essayer pour que tu me remarques mais rien. Je suis belle ! Pourquoi tu ne me vois pas ? Dis-moi ce que je dois faire pour que tu cesses de me traiter comme une amie. Je suis une femme et je te veux.
Le soupir qu’il poussa faillit lui briser le cœur. Elle s’était trop exposée et maintenant elle avait peur qu’il la repousse.
- Tu sais Béné, lui dit-il d’une voix douce. Tu es certainement la meilleure chose qui me soit arrivé. Tu es tout ce que je recherche chez une femme, tu es parfaite…
- Mais alors pourquoi tu m’ignores, dit-elle en le coupant
- Parce qu’on sait tous les deux que tu n’es pas libre. Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu n’es pas promise à la fille du président ! Sois-sincère et dis-moi que tu ne vas pas me laisser t’aimer puis retourner à ta vie de princesse quand tu auras fini de t’amuser. Dis-moi que ta famille acceptera que le va-nu-pieds, orphelin et sans le sou que je suis épouse l’unique fille et héritière du richissime Adouko. Regarde-moi et dis-moi que t’aimer ne sera pas creuser ma propre tombe !
Elle le regarda interdite quelques secondes avant de se jeter à ses pieds. À genoux, elle prit ses mains et le regarda dans les yeux :
- Je te fais le serment que ma famille t’acceptera, qu’ils ne te feront aucun mal et qu’ils ne se mettront pas en travers de nous. Ne te retiens pas de m’aimer. Aime-moi je t’en prie »
C’est sur cette promesse que leur idylle commença, puis après bien des péripéties le mariage et le retour au pays suivirent.