Manaar

Ecrit par Farida IB



Manaar…


Je récupère mon passe et mes papiers d’identification à la grille et attends que la barre de sécurité se soulève suffisamment pour redémarrer. Je viens d’arriver à la base après une longue semaine à tourner sur nos divers chantiers à Accra. En  franchissant la barrière, je soupire à l’idée de devoir encore passer quelques heures au bureau pour faire le rapport de ma semaine au boss. Dire que je suis fatigué est un euphémisme, j’ai l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur. Ça fait un mois que je fais ses tournées de pays en pays. En ce moment, je ne ressemble plus à rien à force de rester sous le soleil tapant de ces derniers jours. 


Je stationne sur le parking réservé au personnel et manœuvre le siège avant de me caler contre celui-ci. Je ferme les yeux pour m’assoupir quelques minutes.


C’est la vitre qu’on cogne qui me fait émerger de mon roupillon. Je la descends et sitôt un collègue s’abaisse à mon niveau.


Christian : bonsoir, Naaro (surnom qu’ils m’ont donné au sein de l’entreprise) tu ne rentres pas ? Ça fait dix minutes que je t’attends pour me dépanner.


Moi : bonsoir Chris, ça ne sera pas possible, je dois faire le point au chef.


Christian : il est en rendez-vous extérieur et ce n'est pas sûr qu'il rentre avant demain.


En fait, lui c’est l’assistant du DG.


Moi ironique : ah, je vois pourquoi tu es pressé d’aller danser avec  madame, le chat n’est pas là.


Christian riant : madame peut attendre, j’ai une nouvelle petite.


Moi sarcastique : doucement avec le cancer de prostate ohh.


Christian : lol man hurry up tu vas me mettre en retard.


Je manœuvre le siège pour le redresser et descends avant de répondre.


Moi : regardez quelqu’un, c’est toi qui veux qu’on te dépanne et c’est toi qui as des exigences. En tout cas, c’est toi qui conduis (lui refilant mes clés) je suis E-P-U-I-S-E.


Christian : avec plaisir, ça va m’éviter de faire l’Ave Maria en cours de route.


J’éclate de rire.


Moi : tu as senti hein !


Christian : et comment ?


Je verrouille ma voiture de service et me retrouve dos à elle alors qu’il va chercher ma Hyundai i40. Ça fait juste quelques semaines que me suis offert une nouvelle voiture en même temps qu’on m’a attribué un véhicule de fonction. Pour des raisons de sécurité, je préfère circuler en ville avec la mienne. Comme Christian vient de l’insinuer, je suis un homme de vitesse, je vais toujours à mille à l’heure. Quand Christian arrive, je monte et attends qu’il démarre pour mettre la musique. Je m'adosse contre le siège dans le but de continuer mon sommeil qu'il avait interrompu.


Christian : on ne dort pas à côté du chauffeur.


Moi ouvrant mes yeux : je suis éreinté mec, ce n’est pas ce qu’on dit.


Christian : heureusement que tu peux compter sur madame pour te remettre d’aplomb.


Moi : mouais, ses massages me feront grand bien.


Christian : j’espère tout de même qu’elle est douée.


Moi : oui… (comprenant) Tu es trop con Chris.


Christian riant : j’ai eu ma réponse et j’ai hâte de la rencontrer, en espérant que ce soit le jour de votre noce.


Moi évasif : weh, c’est prévu.


Christian : cool.


Je me redresse en soupirant intérieurement. Parlant de madame, depuis qu’on a remis le couvert plus rien ne fonctionne entre Nahia et moi. Elle a changé, je la trouve distante et froide. En un mois et demi je peux compter le nombre de fois qu’elle m’a appelé de sa propre initiative et si je prends la peine de le faire, c’est limite si je ne l’agace pas. Toute la magie quand on n’était plus officiellement ensemble a disparu comme par enchantement.   On se chamaille tout le temps, elle ne veut plus rien faire avec moi. En gros on fait du surplace et quand je me plains, elle me donne toujours le prétexte de sa longue période de célibat. Pourtant, je ne sens aucun effort de sa part pour corriger le tir. Outre le fait que je fasse pieds et mains pour me racheter parce que je reconnais avoir foutu la zone dans notre couple. Cependant, l’effort doit venir dans les deux sens pour que ça marche. Autrement, je perds deux fois et ça, ce n’est pas une idée qui me plaît vraiment. 


Christian descend au carrefour Limousine et je reprends le volant pour foncer chez moi. Dès que je franchis la porte, je mets mes clés dans le vide-poche et passe directement sous la douche. C’est après ça que je sors mon téléphone pour le recharger. En attendant que la batterie se remplisse, j’inspecte le frigo dans l’intention de me faire à manger. Au bout d’un moment, je me désiste et opte pour un restau et pourquoi pas avec ma meuf ? Je retourne vers mon téléphone pour l’appeler. Elle décroche à la cinquième sonnerie en riant aux éclats, je crois qu’elle était en conversation avec quelqu’un.


Moi ton suave : bonsoir bébé.


Nahia : s’lut toi.


Moi : comment tu vas, et ta journée ?


Nahia : pas mal et la tienne ? Tu es rentré ?


Moi : oui et je me disais bien qu’on pourrait se faire une soirée restau.


Nahia : euh ça ne sera pas possible.


Moi : ah oui ? Et je peux savoir pourquoi ?


Nahia : je suis en plein cooking chez mes parents.


Moi : ok, j’attendrai que tu finisses.


Nahia : ensuite, il faut que je ramène mon collègue à la maison, ça prendra du temps tout ça et je suis certaine que tu as faim en ce moment.


Moi soupirant : je vois, tu es disponible demain ?


Nahia : oui, je ne compte pas bouger de chez moi tout le week-end. Tu veux passer ?


Moi : possible, au cas où on ne me demande pas au boulot.


Nahia : tu me tiendras informer. Bon, je te laisse, je dois surveiller ma marmite.


Moi : ok.


C’est elle qui raccroche, je reste hébété le téléphone dans la main. Il se passe quelque chose ça, j’en suis sûr et je suis prêt à parier que ce quelque chose à voir avec son soit disant collègue. Lui je ne le sens pas, il a un genre là que je ne blaire pas du tout. J’ai remarqué les regards qu’il lui coule et ces derniers temps, c’est mon collègue par ci, Khalilmachin par là. Je ne sais pas d’où il sort pour s’éterniser ici et j’ignore quel genre de travail, ils font pour que ça prenne autant de temps. Elle n’en parle jamais, elle ne me dit plus rien sur sa vie. Ça, c’est encore une autre histoire. En tout cas, s’il est là pour me faire de l'ombre, il a tiré à terre. C’est vrai qu’il a tout pour faire succomber une femme, mais il m’intimide le moins du monde. J’ai mon meilleur allié avec Nahia, elle m’aime et ça personne ne peut rien y changer. 


C’est sur cette pensée que je retourne à la cuisine pour me faire un sandwich. Je le déguste plus tard avec du café devant Infosport. Je finis de manger et vais ranger les ustensiles dans l’évier pour revenir me mettre devant la télévision. Je passe sur Trace qui joue en ce moment Ankaa End feat Dac " Entre nous deux " (ça vaut le détour pour les amoureux) ce qui amène directement mes idées vers Prisca,  je soupire. Elle a coupé les ponts avec moi depuis que j’ai mis fin à notre relation. Je sais que je l’ai blessé et je me sens coupable vis-à-vis d’elle, même si je reste convaincu que j’ai fait le bon choix. Je décide de lui écrire pour prendre de ses nouvelles, si tant est qu’elle ne m’ait pas bloqué.


 Moi écrivant : bonsoir comment tu vas ? 


Elle me laisse un vu, quinze minutes plus tard, je lui envoie un autre.


Moi : tu peux au moins répondre à mes messages, nous ne sommes pas devenus des ennemis pour autant.


Prisca : tu n’es qu’un salaud toi, un homme sans scrupule. Ne m’envoie plus de messages, efface mon numéro ok ? 


Moi : easy Pris, je voulais simplement prendre de tes nouvelles. Ça fait un bon moment. 


Prisca : tu es maintenant docteur pour me soigner au cas où je n’irais pas bien ? »


Moi : je t’ai connu moins insolente que ça et laisse moi te dire que cette attitude ne te va pas du tout. Je comprends que tu sois blessée, mais cela ne te donne pas le droit de me manquer du respect.


Elle ne répond pas, je renvoie des messages sans réponses. Au bout d’un moment, je ne vois plus son profil, je comprends qu’elle m’a bloqué. Je renverse ma tête sur l’accoudoir du canapé en soupirant de frustration. C’est dans ces moments qu’on dit qu’on est dans la merde n’est-ce pas ?


……


Le lendemain, je me lève avec le cœur léger, c’est l’un des rares samedis où on ne m’a pas appelé pour le boulot encore moins m’envoyer en mission. J’ai décidé de le consacrer entièrement à Nahia, c’est pour cela que je me rends chez elle en ce début de fin de journée. Elle n’en sait rien, je n’ai pas particulièrement envie qu’elle me sorte ses excuses bidon. Je veux passer du bon temps avec elle et en profiter pour faire une mise au point sur notre relation. À l’état actuel des choses, il vaut mieux que je sache où on en est pour savoir quelle orientation donnée à ma vie. Autant dire que j’envisage officialiser les choses entre nous parce qu’il faut le dire, il ne me manque qu’une épouse pour que ma vie soit complète. Je suis au point financièrement, mon ascension au travail permet à mon compte en banque de monter en aval et je souhaiterais que mes enfants en profitent pendant qu’il est encore temps. 


C’est dans cet état d’esprit que je franchis le portail du garage de chez elle et gare sur le stationnement disponible. Je sors mes affaires du coffre et verrouille la voiture pour me retrouver sur son palier en un temps record. Je sonne plusieurs fois sans réponse. Elle m’a pourtant dit qu’elle n’avait pas l’intention de bouger de chez elle. J’attends quelques minutes en supposant qu’elle soit sous la douche ou sortie faire une course rapide. Elle sort finalement de l’appartement voisin avec des gants de ménage autour des poignets. Elle avance le front plissé avant d’égrener un petit sourire, enfin quelque chose qui se veut être un sourire. Si j’ai bon souvenir, c’est là que loge son fameux collègue. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Et surtout avec des gants de ménage. 


J’attends qu’elle ouvre la porte et qu’on soit à l’intérieur pour lui poser la question.


Moi : qu’est-ce que tu fais dans l’appartement de ton collègue ?


Elle fronce les sourcils.


Nahia : Manaar on ne s’est pas vu depuis près d’un mois, la moindre des choses quand tu arrives, c’est de me saluer.


Moi : bonjour,


Nahia : oui bonjour, tu ne m’as pas dit que tu venais.


Moi agressif : je dois maintenant te demander la permission pour venir chez toi ?


Nahia : ce n'est pas ce que j'ai dit, la moindre des choses quand tu viens chez quelqu'un c'est de le prévenir d'avance.


Moi bourru : c'est pour ce genre de situation que je n' l'ai pas fait, pour venir te surprendre dans l'appartement de ton collègue. C'est à cause de lui que tu es distante c'est ça ? 


Elle plisse le front avant de reprendre posément.


Nahia : Manaar s’il te plaît, je ne veux pas me disputer ce matin.


Elle entreprend d’enlever ses gants pour se diriger ensuite vers la salle de bain.


Moi la suivant : je ne suis pas non plus venu pour me disputer, je veux juste que tu m’expliques ce que tu faisais chez ton collègue avec des gants.


Nahia (rinçant ses mains au niveau du lavabo) : je l’aidais à faire le ménage.


Moi sarcastique : votre collaboration consiste également à faire le ménage chez lui ? 


Elle soupire agacée avant de tendre la main pour prendre une serviette et se nettoie les mains.


Nahia : je lui donnais juste un coup de main vu qu’il est allergique à certains produits.


Moi (pendant qu’on passe la porte de sa chambre) : ah, tu es maintenant son docteur ?


Nahia plissant des yeux : mais qu’est-ce que tu veux insinuer au juste ? Ça fait quoi si j’aide mon collègue à faire son ménage.


Moi avec humeur : aujourd’hui, c’est le ménage, demain, ce sera quoi ? La cuisine ? La lessive, des enfants ?


Nahia (fronçant les sourcils) : tu es jaloux ? (remuant la tête) Lol tu es vraiment pathétique.


Moi piqué au vif : tu trouves ça normal toi que sa petite amie fases du ménage pour un homme qui n’est ni son frère, ni son ami.


Nahia (croisant les bras sur sa poitrine) : ce n’est pas non plus mon ennemi. 


Moi : ok, dis-moi, il est qui pour toi ?


Nahia avec humeur : mon collègue, bon sang ! C’est même quoi ton problème ? Pourquoi tu me fais le bruit pour une histoire de ménage ?


Moi : ce n’est pas une simple histoire de ménage, je veux comprendre pourquoi ma femme va faire le ménage chez son collègue. Tu le connais où ? Tu connais ses intentions ? 


Nahia rire dérisoire : ta femme que mes parents ont vu ta dot ? Jusqu’à preuve du contraire personne ne m’a damé, j’ai encore le choix de faire ma vie avec qui je veux.


Moi plissant le front : pardon ? Qu’est-ce que tu viens de dire ?


Elle ne dit rien et s’assoit sur le lit en recroisant les bras sur sa poitrine.


Moi : tu dis que tu as encore le choix ? 


Nahia : est-ce que c’est faux ? Si tu veux me monopoliser, tu sais ce qu’il y a lieu de faire.


Moi m’énervant : tu penses que si j’ai rompu avec Prisca, c’est pour venir t’entendre me dire que tu as le choix de faire ta vie avec qui tu veux ?  


Nahia (sur le même ton) : je ne t’ai pas obligé à rompre avec qui que ce soit, tu l’as fait de ton plein gré.


Moi blessé : Nahia tu ne peux pas me dire ça aujourd'hui. Nous l'avons décidé d'un accord tacite parce que c'est ce qui nous empêchait d'avancer. Et vois-tu, je ne l’ai pas fait non seulement pour ça mais parce que c'est avec toi que je veux être. J’étais prêt à recoller les morceaux, à réparer mes torts et je pensais qu’on était en phase.


Nahia soupirant : je n'ai pas dit le contraire Manaar. Je ne sais pas pourquoi tu t'emportes, je suis avec toi, c’est tout ce qui compte.


Moi : non ce n’est pas suffisant, tu es avec moi sans vraiment l’être. Tu fais ce que tu veux, tu ne me dis jamais rien. Je me sens juste comme un figurant et là, j’en ai marre (elle ouvre les yeux) oui, je veux savoir où on va. Je n’ai plus l’âge de tâtonner, je suis prêt à faire des projets avec toi et pour ça, il faut que je m’assure que nous sommes sur la même longueur d’onde. Et il  est clair que ce n’est pas le cas, déjà tu ne veux plus t’impliquer dans la relation et là, tu me dis explicitement que tu es ouverte à d’autres relations. (me passant la main sur le visage) Avant que ça plus n’aille loin et qu’on se perde du temps à nouveau, je veux que tu prennes le temps de réfléchir à ce que tu veux. Je veux être fixé dans le plus bref délai. 


Nahia perdue : comment ça ? Mais pourquoi ?


Moi : il faut que je sache si tu es prête à faire avancer notre couple, dans le cas contraire il vaut mieux qu’on prenne chacun nos routes avant de finir par se blesser. 


À ces mots, je tourne les talons vers le salon, je prends mon sac et me dirige vers la porte lorsque je sens sa présence derrière moi.


Nahia l'air médusée : mais tu t’en vas ?


Moi : oui, de toute façon, on n’a plus rien à se dire pour le moment. Tu sais où me trouver si tu prends une décision.


Elle ouvre les yeux et me regarde hébétée. Je lui fais un signe de la main pour lui dire au revoir et ressort affligé, ce n'est pas comme ça que j'avais imaginé mon week-end. Mais bon, c'est le mieux à faire.


 Dans les escaliers, je croise l’autre qui me fixe intensément, regard que soutiens. Il me salue lorsque j’arrive à sa hauteur, je le dépasse sans répondre. Il peut mettre son bonjour où je pense !!






 


Le tournant décisif