Mazosse

Ecrit par Aura

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Avez-vous déjà vu quelqu’un et pu lire en lui que sa vie n’en vaut plus la peine ? C’est désolant et triste de lire ce regard ! Non pas parce que la personne le veuille mais parce que la vie l’a transformé de la sorte. C’est l’impression que j’ai eu pour Safiya. La savoir sur un chemin de non-retour me blesse littéralement. J’aurai aimé lui donner un peu d’amour pour la sortir de là. Mais hélas ! Cela semblait insuffisant. 

Pendant toute la durée du récit, Safiya avait les yeux rivés vers un coin de la chambre. Elle n’avait pas bougé d’un seul iota, mais parlait tout simplement. On aurait cru que c’était la première fois qu’elle découvrait l’usage de la parole. Les mots sortaient de sa bouche comme de l’eau d’un robinet. Quand elle acheva son récit je n’ai fait que lui servir de l’eau qu’elle a avalé d’un trait et l’ai serré dans mes bras. Elle n’avait versé aucune larme, mais moi si et je savais que même si ses larmes ne se faisaient pas voir, elles coulaient néanmoins de l’intérieur et c’était encore plus douloureux que la normale. Nous sommes restées longtemps blotties dans les bras l’une de l’autre jusqu’à ce que Safiya s’endorme. 

Son sommeil était profond mais aussi agité. On aurait cru qu’elle souffrait mille tourments. En la regardant ainsi couché, je n’ai pu que ressentir de la peine pour elle car même dans son sommeil, les ténèbres ne pouvaient cesser de l’envahir et lui accorder un peu de répit. Lasse de l’observer, j’ai fini par replonger dans mon téléphone et chatter avec Vincent qui demandait après Safiya et moi tout en souhaitant venir nous rendre visite sous peu. J’ai plus tard entamé la conversation avec Lucien qui était désolé pour moi. Etant au Maroc pour un autre défilé de mode, il ne pouvait que me soutenir de loin. 

Trois jours se sont écoulés et Safiya commençait à se remettre de son état. Elle suivait son traitement normalement quoique dans la nuit elle demeurait dans un état de second. J’ai tenté de nous changer de quotidien en sortant un peu. Nous allions dans les parcs d’attraction qui étaient très animés ou au cinéma, ou encore dans les bibliothèques mais sa joie n’était que de courte durée avant qu’elle ne s’éteigne. J’ai fini par me lasser et j’ai sollicité l’aide de Vincent. Il s’est donc amené le vendredi qui suivait. Il nous a prié d’emporter quelques vêtements avec nous parce qu’il nous emmenait quelque part. Safiya ne voulait pas partir. Elle disait que ça ne servait à rien puisque rien ne pouvait de nouveau raviver cette flamme de la vie en elle. Vincent et moi avons tellement insisté au point où elle a fini par céder. 

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Trois jours au soleil et nous n’avons pas regretté. Nous sommes allés sur une petite île et c’était tellement sympa. Nous avons rencontré les autochtones qui nous ont accueilli à bras ouvert. Nous avons dégusté les plats de la région, fait des balades sur la plage, du jet-ski et bien d’autre. C’était un pur régal. Entre les blagues de Vincent et les délices culinaires des côtiers, Safiya a vite repris un peu de couleurs même si elle demeurait un peu réservée.  Le Dimanche avant notre départ, une femme de la région dénommée « Mazosse » nous a apporté quelques fruits à apporter avec nous. Elle me les remis en main propre avant de prendre de nous serrer chacun dans ses bras. Au tour de Safiya, la dame était prise d’une transe à vous donner le tournis. Elle a commencé à se tordre de toutes les manières possibles. Safiya, Vincent et moi étions tellement étonnées au point de chercher à la ramener à son état normal. Mais les gens autour de nous nous ont prié de ne pas intervenir, qu’elle s’arrêterait quand l’esprit lui demandera de le faire.   Nous étions tous les trois subjugués surtout Safiya qui avait les yeux ronds on dirait des billes. Je suppose qu’elle n’y croyait pas vraiment mais en être témoin était tellement choquant. Elle me lança :

- C’est quoi ce manège ? Tu t’y connais ? 

J’ai juste remué la tête et lui ai lancé

- Du calme ! Tout ça va bientôt prendre fin et on pourra rentrer. 

 ! 

La dame s’est arrêté un moment. Elle a commencé à tourner la tête de tous les côtés comme si elle était à la recherche de quelqu’un. Elle commençait à se rapprocher de chacun de ceux qui était là, mais elle ne semblait pas être satisfaite. Finalement étant lasse de chercher, elle s’est jeté à même le sol et se frappait la tête. Elle s’arrête un instant et croise le regard de Safiya. Elle se relève d’un seul coup prise comme d’une autre dose d’énergie. Elle accourt en direction de Safiya qui tente de s’enfuir. Mais tout le monde lui demande de ne pas se déplacer et de ne pas prendre peur. Je saisis la main de Safiya pour la calmer et pour lui montrer que je suis là pour elle. Mazosse se place devant Safiya, fond en larmes et se jette dans ses bras au point de faire tomber le voile qui recouvre la tête de mon amie. Elle se met à déblatérer certaines paroles que nous ne comprenions pas. Mais plus tard sa voix devient plus clair, plus expressive et plus compréhensible.   

- Je te cherchais partout ! Je n’ai retenu que ton regard, ta tendresse et ton amour. Cesses de garder ce poids pour toi toute seule, partage-le avec elle. 

A ce moment Mazosse prit ma main puis celle de Safiya et les unit. 

- Ce n’est qu’à deux que vous allez y arriver. Soutenez-vous et ouvrez-vous l’une à l’autre, car vous en aurez besoin. Il est plus dangereux que ce que vous pensez, vous allez donc être plus forte que ça. Je t’aime tellement ! Mais venges-moi pour que ce ne soit pas un sacrifice vain. A deux vous y arriverez, mais vous devez être unies. Je ne trouverai la paix que lorsqu’il sera anéanti. La tabdu li baed alan, ‘iinaa mayit Umi ! Alhusul ealaa ma yasilu, han alwaqt lilqital min ajl li ! ‘Ahbak !(Ne me cherches plus, je suis mort. Il est temps de tge battre pour moi ! Je t’aime)

- ‘AMIRI ALSAGHIR (mon petit prince) !!!!!!! avait crié Safiya juste avant que la voyante ne s’écroule à même le sol.

 Les minutes qui ont suivies, elle est revenue à elle complètement inconsciente de ce qui s’était passsé. Safiya a tenté de lui parler, de lui poser des questions afin d’en connaitre davantage mais la pauvre dame n’y comprenait rien ; ce qui était encore plus dur pour Safiya. Elle s’était éloigné de nous en courant et en hurlant de chagrin. Nous avions tenté de la rattraper, mais elle avait besoin d’être seule en ce moment. Elle était sur le rivage à un kilomètre de là où nous étions, mais on pouvait entendre ses cris comme si elle était à deux mètres de nous. Ses cris étaient un mélange de douleur, de chagrins, de tristesse, de désespoir, même si c’était en arabe ou dans je ne sais quelle langue magrébine, il n’y avait aucun doute que le malheur s’abattait sur elle. Elle a longtemps jusqu’à ce qu’on ne l’entende plus. A ce moment, nous avions commencé à prendre peur qu’elle n’ait pensé au pire, mais elle s’est ramené quelques instants plus tard. Le visage bouffi de larmes, les vêtements pleins de boue, les pieds nus, c’était l’image qu’elle nous renvoyait à présent. Lorsque je l’aperçus, je me jetais sur elle et cette fois, j’ai pleuré dans ses bras. Contrairement à moi, elle ne pleurait plus se contentant de me serrer dans ses bras. 

A la tombée de la nuit, nous avions finis par prendre la route non sans avoir remercier les riverains et Mazosse pour ce qui s’était passé. En chemin, Vincent nous proposa de nous héberger car il voulait veiller correctement sur nous. Nous n’avions d’autre choix que d’accepter son offre. Safiya pendant ce temps ne dit mots. Elle se contentait de regarder à travers la vitre. Je comprenais qu’elle était en train de se remettre de ses émotions et pour cela il lui fallait du temps. 

Nous sommes arrivés aux alentours de 22heures chez Vincent. Contrairement à ce que je croyais, il ne logeait pas dans un appartement mais dans une villa en étage. Mon Dieu ! C’était beau, bien bâti mais surtout c’était très grand. En entrant dans la maison, nous avons constaté qu’elle était encore plus ravissante que l’extérieur. Vincent nous a emmené dans une chambre que nous devrions occuper toutes les deux. Il nous a fait comprendre que la chambre était spécialement réaménagée pour que nous l’occupions toutes les deux, car d’après ses dires, il ne voulait pas nous séparer.

Bizarrement, nos quatre valises se trouvaient dans un coin de la chambre. Safiya l’avait remarqué et elle me l’avait signifié. J’étais donc dans l’obligation de poser la question à Vincent de savoir pourquoi nos effets se trouvaient là et non pas à l’hôtel. Il nous a demandé de le rejoindre dans le séjour pour avoir une discussion sérieuse.

Après s’être douché et changé, nous l’y avons rejoints. Là, il nous a signifié qu’il avait dès mon arrivé à l’hôtel demandé à la direction que tout éventuel courrier me concernant lui soit directement remis. Pendant mon séjour en solo à l’hôtel, aucun courrier ne m’était adressé. Mais dès l’arrivée de Safiya, les choses ont pris une autre tournure. Les mots, les cadeaux s’enchainaient. Il avait été alerté dans ce sens et il avait jugé bon de les récupérer et de les mettre dans un carton. Il s’était tapé le luxe de lire au moins les différents mots et il a pu constater que c’était des messages de mort qui nous étaient adressés toutes les deux. Les uns plus virulents, plus menaçants et plus violents que les autres. Quant aux cadeaux, il ne les avait pas ouverts. Mais à voir sa tête, il était plus judicieux de ne pas avoir accès à ces derniers. Vincent avait donc réglé la facture de l’hôtel à notre place et fait transférer nos effets chez lui. Et d’après c’est dire, c’était le moment de répliquer. 

Safiya et moi avons consulté les cartons de cadeaux et ils étaient bourrés des poupées vaudous, des plumes de coqs, les cauris, des souris mortes décomposées. C’était tellement affreux qu’au quatrième carton, j’ai décidé de lâcher prise. Mais Safiya les a tous ouvert, du premier au dernier et c’était vraiment effrayant. Après ces fouilles, nous nous sommes rendues dans la chambre et nous nous sommes couchées chacune dans son lit sans nous adresser la parole. 

Au milieu de la nuit, j’ai sentie pourtant qu’elle était venue près de moi pour dormir. On croirait qu’elle avait besoin de chaleur humaine. Je fis comme si j’étais déjà endormie pour lui donner la possibilité de se détendre. Avant de s’endormir, elle dit dans un souffle : « Je vais lui faire bouffer ses propres restes quand je l’aurais près de moi. »  


Cœur en chantier