Mélaniiie...
Ecrit par lpbk
Un silence surpris suit ma petite
révélation.
— Je savais qu’elle ferait une bêtise. Je te l’avais
bien dit, claironne Coralie en regardant Astride. Tu m’en dois dix.
— Quoi ? m’insurgai-je. Vous avez parié sur moi ?
— Un pari de rien du tout, ne t’emballe pas, tempère
Astride. Coralie disait que tu finirais par retomber dans les bras d’André. Je n’étais
pas d’accord. J’ai gagné, se réjouit la vipère, en faisant la danse de la joie
des bras, un grand sourire aux lèvres.
Visiblement, elle a retrouvé sa bonne
humeur, même si c’est à mes dépens.
— Alors ? Il embrasse toujours aussi bien ? se
renseigne avidement notre journaliste.
— Je suis certaine qu’il embrasse comme un Dieu,
rétorque Astride. Vous vous êtes embrassés quand ? Où ?
enchaine-t-elle en me fixant.
— Ce n’était pas prévu… commençai-je.
— On s’en doutait, merci bien.
— Dans l’ascenseur, lorsque je repartais.
— A la Christian Grey ? s’écrie Astride.
— Ça devait être torride, rétorque Coralie.
— Je suis là, les filles, dis-je d’une voix, voyant qu’elles
m’ont complètement oubliées.
— Enfin, ne nous réjouissons pas trop vite, enchaine la
traitresse, comme si je n’étais pas intervenue. Elle va retomber dans ses bras
et après, lorsqu’il la larguera comme une vieille chaussette parce qu’il aura
eu ce qu’il voulait, elle reviendra nous pleurer dans les bras.
— Et ce sera à nous de réparer les pots cassés, conclut
Astride, en prenant une moue inquiète. Tu n’as pas tort. Il faut que tu cesses
de le voir, m’ordonne-t-elle, en se tournant enfin vers moi.
— Ah, vous vous souvenez que j’existe ? m’exclamai-je,
faussement ravie. Pour votre gouverne, oui il embrasse comme un Dieu et oui, c’était
torride. J’ai pris énormément de plaisir, effectivement. Mais dès que les
portes de l’ascenseur se sont ouvertes, je suis partie. Plutôt précipitamment d’ailleurs.
Depuis, je l’évite comme la peste, et je ne réponds plus à ses textos.
— Ce n’est pas l’un de tes clients ? m’interroge la
fouine.
— Si, seulement tous les messages qu’il m’envoie non
rien à voir avec mon travail…
— Et que vas-tu faire lorsque vous aurez, de nouveau,
rendez-vous ? Pour ton travail, bien sûr, ajoute Astride, mine de rien.
— Je ferais en sorte qu’Olivia ou Pierre soit présent. Ils
feront tampon. Ça lui… enfin nous évitera de faire une nouvelle bêtise.
— Il a l’air d’avoir apprécié votre « bêtise »
comme tu dis, puisqu’il te harcèle de messages.
Brrrrr !
— Tiens, quand on parle du loup, je suis sûre et
certaine que c’est lui. Tu paries combien Astride ? Dix ?
— Non, tu vas encore gagner, ronchonne la mauvaise
perdante.
Je m’empare de mon téléphone et constate
que Coralie ne s’est pas trompée. Il faut aussi lui ajouter le don de double
vue, apparemment.
André, 19h32 :
Réponds-moi Mel s’il te plait. Il faut vraiment qu’on parle. Et je m’inquiète
de ne pas avoir de tes nouvelles.
Je ne sais comment interpréter ses
messages, qui sont tous du même style. Il veut que nous parlions. Mais qu’y
a-t-il à dire ?
Nous nous sommes embrassés ? Oui.
C’était l’extase ? Totalement.
Je voudrais recommencer ? Pourquoi
pas.
Aller plus loin avec André ?
Certainement pas. J’en ai déjà payé le prix une fois, alors merci bien.
Je repose mon smartphone, écran contre la
table.
— Tu ne lui réponds pas ? s’étonne Astride.
— No…
Je n’ai pas le temps de terminer que
Coralie s’est déjà emparée de mon téléphone.
— Coralie, qu’est-ce que tu…
— Il est trop mignon, fait-elle mine de ne pas m’écouter.
Tu n’aurais pas un peu noirci le tableau à l’époque ? se moque-t-elle.
Mélanie, 19H35 :
Je vais bien, ne t’en fais pas. Nous n’avons rien à nous dire, sauf s’il
s’agit du mariage de ta sœur.
— Et voilà, c’est envoyé, s’exclame-t-elle, triomphale.
— Tu n’as pas fait ça ? dis-je, outrée.
— Au moins, il ne s’inquiète plus, le pauvre, se
justifie la vipère. Bref, passons à autre chose. Tu as continué ta quête de l’homme
parfait sur ton site ? me questionne-t-elle.
— Je… Non, je n’ai pas eu le temps de… Enfin, c’est-à-dire
que…
— Mélanie a un petit secret qui lui brûle la langue, se
réjouit Astride en dansant sur le canapé.
— Je crois que tu as raison, Astride. Et elle va nous le
dire tout de suite, n’est-ce pas Mel ? ajoute Coralie en insistant sur ce
surnom.
— Il n’y a rien à dire. Je n’ai pas de secret…
tentai-je.
— Ne nous ment pas, me gronde doucement Coralie, en
levant le doigt comme le ferait une mère face à un enfant récalcitrant.
Je sens leurs yeux braqués sur moi. Elles
m’ont eues, comme toujours. Je n’arrive jamais à leur cacher quoi que ce soit,
sauf par téléphone. Masi face à leurs regards, ma langue se délie toujours et j’avoue
tout :
— J’ai revu Franck.
— Tu as revu Franck ? s’insurgent mes deux amies, à
l’unisson.
— C’est quoi ce bordel ? poursuit Coralie. Tu as
revu ce pervers ? Tu n’as pas fait ça tout de même ?!
— Ce n’est pas un pervers, dis-je pour la défense. Il était
aussi alcoolisé que moi, je lui ai envoyé des signaux qu’il a mal interprétés…
Ou que je n’aurais pas dû lui lancer, plutôt. Et voilà, fin de l’histoire.
— Fin de l’histoire ? Je ne crois pas non !
Astride n’intervient pas dans notre
conversation. Elle se contente de me fixer, ce qui me met encore plus mal à l’aise
que le feu de questions de Coralie.
— Fin de l’histoire du « pervers » comme vous
le dites. Il m’a envoyé un mail via le site pour me dire qu’il s’excusait et
tout le blabla pour se faire pardonner. J’étais chamboulée, j’avais envie de me
changer les idées. Je me suis dit « pourquoi pas ? ». Après
tout, qu’avais-je à perdre, finalement ?
— Ta dignité, peut-être ? crache Coralie, qui n’est
pas du tout contente.
— La ferme ! J’ai moi aussi le droit de sortir et
de m’amuser. Et je peux le faire avec qui je veux.
— …
— Enfin, nous nous sommes revus hier et j’ai passé une
excellente soirée avec lui. Ce n’est pas du tout le même homme que celui que
nous avions rencontré toutes les trois. Il est charmant, gentil…
— Comme tous les mecs, lorsqu’ils veulent te mettre dans
leur lit avant de te dire « Ciao ! », réplique la vipère, en
faisant un signe de main pour nous saluer.
— On peut peut-être lui accorder le bénéfice du doute,
non ? propose gentiment Astride.
— Peut-être, marmonne Coralie.
— De toute façon, je compte bien le revoir. Que vous
soyez d’accord ou non, ajoutai-je après un moment de silence, pour faire bonne
mesure.
Brrrrr !
Brrrrr !
Brrrrr !
Brrrrr !
Mon smartphone se met à vibrer frénétiquement,
annonçant l’arrivée de plusieurs messages.
— Tiens, ton ex refait surface, lâche Coralie,
goguenarde. Il est vraiment accro, dis donc.
André, 19h58 :
Je n’arrête pas de penser à toi.
André, 20h00 :
Je sais que tu as aimé ce baiser autant que moi. Nous étions sur la même
longueur d’onde comme avant.
André, 20h02 :
Rappelle-toi, ça a toujours été « toi et moi à l’infini ».
— Il est très romantique. Et ce « toi et moi à l’infini »,
très kitch quand même, se gausse Coralie, avec un petit sourire en coin.
Brrrrr !
André, 20h05 :
Je passerais te voir demain matin. A ton appartement.
— Il est déterminé, ton André, commente Astride.
— Ce n’est pas mon André. Il n’appartient à personne d’ailleurs.
— Il est au courant pour Franck ? m’interpelle la
fouine.
— Quoi ? Non, évidemment.
— Pourquoi est-ce évident ? Parce que Numéro 5 t’a
pelotée alors que tu étais ivre ou parce que c’est justement André qui t’a
sauvé les miches ce soir-là ou les deux peut-être ? riposte-t-elle.
— J’ai remercié André pour son intervention. Nous nous
sommes expliqués… Et puis, je ne lui dois rien, m’emportai-je, énervée d’être
entre deux feux.
— Si tu le dis, marmonne Coralie.
— Je…
— Et si nous passions à la suite, m’interrompt Astride. Je
crois que le four vient de sonner. Coralie, tu nous ressers. Je suis à sec et
Mélanie, aussi.
Voilà qui met fin au débat.
La soirée se poursuit sans autre incident.
Nous rions, buvons, gloussons et mangeons, jusqu’à n’en plus pouvoir.
Nous finissons par nous endormir toutes
les trois, enchevêtrées dans mon lit.
Lorsque je me réveille, les filles ont
disparu. Et mon réveil hurle, à m’en déchirer les tympans.
J’attrape mon smartphone et coupe la
sonnerie.
Il est huit heures du matin. Je n’ai que
vingt-neuf ans mais j’ai l’impression d’en avoir soixante-dix, au moins. Nous nous
sommes couchées à trois heures du matin passées. Je suis crevée.
Je m’extirpe de mon lit et me dirige vers
la salle de bain. Après une douche revigorante, je m’habille. Comme je n’ai pas
de rendez-vous ce matin, je peux travailler depuis mon appartement. Je file
dans la cuisine me préparer un café serré. Il me faut au moins ça pour terminer
de me réveiller.
Je l’avale tout en détaillant mes messages
et mails.
Franck, 22h43 :
Coucou ma belle. Je pense à toi. La soirée de mercredi me fait espérer
une suite. J’espère que nous sommes sur la même longueur d’onde. Que dirais-tu
de se voir ce week-end ? Si tu ne travailles pas, bien sûr. Bises.
Oui, pourquoi pas ? J’avance bien
avec Olivia et Pierre.
Plusieus mails sont, comme toujours, de
partenaires potentiels.
Plusieurs sont d’éventuels clients, qui me
demandent un devis pour mes services.
Je m’attelle donc à tous leur répondre. Je
jongle entre mon téléphone, mon ordinateur, mon agenda et mon calepin, lorsque
la sonnette de mon appartement se fait entendre.
— Mélanie ! C’est André, tu es là ? Ouvres !
Merde ! André ! Je l’avais
oublié, dans la brume de l’alcool.
Des coups pleuvent contre ma porte, en plus
des coups de sonnette.
Il veut alerter tout l’immeuble ou quoi ?
Je me détaille de la tête aux pieds :
cheveux attaché vite fait en ananas à l’aide d’un crayon qui trainait, absence
totale de maquillage, lunettes vissées sur le nez, t-shirt délavé et bas de
survêtement gris très large, sans oublier les pantoufles roses bonbon. La tenue
idéale pour recevoir un André, évidemment.
— Mélanie, réponds-moi s’il te plait, reprend André,
implorant cette fois. Il faut que nous parlions, tu le sais aussi bien que moi.
Et puis, tu ne vas pas rester cacher éternellement.
Je regarde autour de moi, me sentant prise
au piège dans mon propre appartement. Impossible de le quitter.
J’ai la présence d’esprit de couper la
sonnerie de mon téléphone. Il serait capable de m’appeler et s’il entend la
sonnerie, il saurait que je suis chez moi et que je ne veux pas lui ouvrir. Je sais
que cette réaction peut paraitre puérile mais je ne me sens pas d’attaque. Ma
tenue, ma légère gueule de bois. Et puis, j’ai besoin de temps, point !
C’est alors que la fenêtre me donne alors
l’idée de génie qu’il me manque. Enfin, plutôt les rideaux qui voltigent dans
le vent de ce début de journée.
Ethan !