Mon viol
Ecrit par Kossilate
Chapitre trois : « MON » viol
Mademoiselle Shadé, Je ne sais pas si vous avez eu à rencontrer d'autres personnes qui se sont fait violer mais j'aimerais vous faire part d'un secret que nous victimes de viol avons entre nous sans même le savoir. Nous nous approprions cet acte ignoble. En effet, nous disons « mon » viol et pas « ce » viol. Cette façon de parler est bien au-delà d'un quelconque désir de respecter les règles du « parler français » et trouve son essence dans les sentiments même de la victime. De cet acte, que je ne souhaite pas même à la personne la plus détestable sur terre, découle une myriade de sentiments et d'émotions. Il s'agit de NOTRE douleur, de NOTRE dégoût, de NOTRE honte, de NOTRE désespoir et de NOTRE tristesse. Ces émotions nous définissent à ce moment, et sont d'ailleurs les seules choses auxquelles nous nous accrochons pour ne pas sombrer dans un monde fait de chaos et de vide même si c'est l'impression que nous donnons à nôtre entourage. Autant nous nous approprions ces émotions, autant nous nous approprions leur origine d'où le « mon » viol.
Toutefois cela est un cercle vicieux car dès que nous commençons à ne plus ressentir ses émotions, nous ne comprenons pas que c'est un désir de notre corps et de notre être d'aller de l'avant, de dépasser cet événement. Alors, nous nous remémorons encore et encore ce qui s'est passé et ce « mon » devant le mot viol ne fait que nous entraîner dans cette spirale infernale.
C'est dans cette spirale que j'étais le lendemain cette funeste soirée. De moi-même, je ne saurai pas vous dire exactement ce qui s'est passé car lorsque je n’eus plus assez de force ni assez de souffle pour me débattre ou crier, ce ne fut pas que mon corps qui lâcha prise et se soumis aux assauts de Rodrigue. Mon âme en fit de même. Je me souviens juste m'être retiré dans un coin de ma tête et avoir prier pour que tout ce qui s'était passé depuis la mort de ma mère ne soit qu'un cauchemar dont je ne tarderais pas à émerger. Quand enfin ma prière fut exaucée et que je me réveillai, ce fut pour me rentre compte que ce que ce mauvais rêve était ma réalité et qu'elle était bien plus sordide encore. En effet, lorsque j'ouvris les yeux le lendemain, Kira était à mon chevet et me raconta ce qui s'était passé. Ayant fini avec son client, elle fut étonnée que je sois encore dans la salle avec le mien car étant désormais seule, je ne faisais que de courtes prestations. Lorsqu'elle voulut savoir pourquoi je tardais, l'une des filles lui dit que le client avait demandé plus de temps, et elle lui demanda de ne pas intervenir. Cela alluma aussitôt une sorte de signal d'alerte en elle. Elle se retournait pour aller cher sa mère afin de comprendre ce qui se passait lorsque je poussai mon premier cri. Elle se rua sur la porte mais trois filles lui firent barrage.
Le temps qu'elle se débarrasse de ces gardiennes à coups de griffes et de dents, Rodrigue avait déjà fait de moi une femme blessée. Je ne compris pas exactement comment elle s'était prise pour le faire sortir de moi car ma pensée était restée focalisée sur ce qu'elle venait de dire. Enfin de compte, je n'avais pas crié en vain. On avait juste décidé de ne pas m'écouter. Pire, Madame K avait même prévue que cela arrive si elle avait ordonné à ses trois filles de surveiller l'entrée. Telle une automate, je me levai et sans un regard pour Kira je me dirigeais vers le bureau de mon bourreau.
- Combien… ? Murmurai-je en regardant Madame K comme une démente.
- ……
Elle se contenta de lever les yeux pour voir qui osait lui parler ainsi, puis les replongea dans ses comptes.
- Allez-vous me répondre oui ou merde ?
- …..
- Combien vous a-t-il payé ??
- Kira fait la sortir d'ici, répondait calmement Madame K ?
- Phoebe vi…
- Ne me touche pas Kira dis-je en dégageant mon épaule de la main de Kira.
- ……
- Vous n'avez même pas assez de dignité…
- Hahaha, s'esclaffa Madame K.
- ….
- …..
- Dignité ?? Tu me parles de dignité après avoir écarté tes jambes à un inconnu ? Et puis admettons que tu puisses en parler, laisses moi te dire que j'en ai pas et cela ne me manque pas. Ce n'est pas avec de la dignité qu’on s'habille. Ce n'est pas avec de la dignité qu'on est respecté. Alors maintenant ferme la et sortez toutes les deux de mon bureau, ordonna t'elle en se rasseyant dans son siège et en recommençant à compter ces liasses de billets.
Ce qu'elle venait de dire me glaça le sang et amplifia mon hystérie. J'avais grandi avec les valeurs que sont l'humilité, le partage, la compassion, la dignité en tant que femme et en tant qu'être humain. Ma foi et ma mère me disaient que ces qualités m’élèveront et c'était d'ailleurs pour cela que je n'avais rien dit quand mon père me battait, quand il m'a vendu et quand j'ai été contraint de danser dans ce bordel, car après la soirée passée le boudoir était repassé dans ma tête au statut de bordel. Alors entendre cet être sans scrupule dénigrer ainsi cette grande valeur qu'elle m'avait arraché, ne pouvait que me glacer le sang.
- J'espère pour vous qu'il vous a au moins bien payé. J'espère que vous vous briserez les doigts en comptant tout cet argent qu'il a souillé de mon sang, j'espère que vous profiterez bien de cet argent. Car, tout comme cette douleur qui étreint maintenant, cet argent finira un jour. De même que tout votre argent sale. Et ce jour je vous souhaite d'avoir retrouvé un peu de cette dignité que vous dénigrez aujourd'hui pour ne pas vous suicider devant les regards moqueurs de ceux qui vous ont vu si hautaine et sans cœur.
- Phoebe…..
Au moment même où Kira murmura mon nom, sa mère me gifla.
- Tu oses me maudire après ce que j'ai tout ce que j'ai fait pour toi ??
- …..
- Kira si tu tiens à elle, sort la d'ici avant que je ne me décide à la virer.
- Vous…..
- Stop Phoebe. Ça suffit, répliqua Kira en voyant que je m'apprêtais à répondre.
Ce jour-là, je ne pu rien faire et je restai fermer à toutes les tentatives de Kira pour me dérider, me faire parler ou même m'amener à pleurer et à lui confier ma douleur. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que j'avais dépassé le stade des pleurs et même des cris. Mon cœur, mon corps et mon être étaient bien trop blessés pour que des larmes ou des cris soient assez puissants pour exprimer ma douleur. Je ne me levai qu'une seule fois pour m'asseoir près de la fenêtre et admirer le soleil couchant. J'ai toujours eu une forte affinité avec la nature. J’y trouvais et y trouve toujours l'apaisement dont j'ai besoin quand je me sens mal à l'aise en moi. C'est donc assise près de la fenêtre de notre ancienne chambre que Kira me trouva.
- Coucou ma belle.
- ……
- Je comprends pourquoi tu aimes regarder les couchers de soleil, dit-elle tout doucement en s'approchant de moi et en me rejoignant dans ma contemplation.
- …….
- On dirait un tableau d'art.
- ……
- …..
- Ma mère disait que lorsque le soleil se levait ou se couchait, on pouvait voir dans le ciel les routes du paradis…
- Je comprends maintenant d'où tu tiens ta sensibilité, répondit-elle en riant.
- Tenais…..
- …….
Je me levai alors et m'en allai m'asseoir sur mon petit lit.
- Je suis vraiment désolée pour ce qui t’est arrivée. J'aurais voulu venir plus tôt.
- Ça n'a pas été le cas, donc arrête d'y penser et passe à autre chose.
Dès que cette phrase sortit de ma bouche, je la regrettai mais j'avais trop d'orgueil en moi pour la retirer. Ce n'était pas mon intention mais je souffrais tellement que j'avais besoin de partager cette douleur avec les autres. Pas en en parlant pour trouver une solution, non. Je voulais lire sur le visage des autres une infirme portion de ce que je ressentais. Kira fut ma première victime mais contrairement à ce à quoi je m'attendais, elle ne m’abandonna pas.
Au cours du mois qui suivit, je fus aussi visible qu'un fantôme. Après les spectacles que j'avais recommencé à assurer avec Kira, j'allais directement me coucher à grand renforts de somnifères pour ne pas avoir à sombrer dans ce cauchemar familier ou je me faisais violer encore et encore par la même ordure. Entre temps, j'avais sérieusement commencé à penser à mon évasion de ce lieu. Le seul hic, je n'avais pas d'argent car c'était le créancier de mon père qui recevait ce que je percevais en me dansant. D'autre part, je ne savais pas où aller. Retourner chez moi serait une bêtise, mon père me renverrai ici illico presto, et errer sans but précis dans les rues de Lagos était une issue non envisageable pour moi. Je me contentais donc de mettre en place des plans plus impossibles les unes que les autres en attendant de trouver une réponse à ma question qui était : Que ferai-je une fois loin d'ici ? Mon quotidien se résumait donc à travailler, dormir et imaginer. En somme, rien d'intéressant et ça m'allait comme cela. Au moins, il était en accord avec mon état d'âme. Mais comme le disait ma mère, la vie est une femme africaine. C'est grâce au palabre qu'elle existe. Dès qu'on en résout un, elle se débrouille pour en ramener un autre.
Plus de deux mois s'étaient banalement écoulés depuis le soir du viol et je n'avais toujours pas mes règles. Au départ, je le remarquai pas je n'ai pas la chance de faire partie de ses rares femmes élues pour ne pas souffrir le martyr et faire une overdose de doliprane en essayant de lutter contre la douleur. Aussi, plus mes règles mettaient du temps à venir, mieux je me portais. Ce fut donc la perspicacité de Kira qui me permit de m'en rendre compte et accéléra ainsi le cours de ma vie.
- Coucou chérie.
- Coucou Kira.
- Tu as déjà mangé ??
- Ouais.
- ….
- Mais Kira tu pourrais arrêter de mettre tes serviettes partout, dis-je en la voyant déposer une serviette usage sur la commode.
- Désolée mais je n'ai que deux mains et elles sont occupées à placer ma nouvelle serviette, répondit elle en se concentrant sur son action comme si sa vie en dépendait.
- Tu me désespères.
- Quand tu as tes règles comment fais-tu Madame ?
.
- Déjà je commence à me changer dans les toilettes pour que personne ne me voit. C'est intime ces choses.
- Humhum
Je préférai me taire car je sentais une sourde colère montée en moi.
- Au fait….., Phoebe tu sais que ce n'est pas mon truc les ragots. Mais je veux avoir le cœur net sur une certaine situation pour savoir comment réagir.
- …….
- Les filles pensent que tu es enceinte.
- Aucune chance.
- Je me le disais aussi….
- Mais…
- Mais depuis le v…. bref tu ne m'as pas demandé de te prendre des couches.
- ….
- J'ai d'abord cru que tu l'avais demandé à quelqu'un d'autre vu que Madame K ne te laisse pas sortir. Toutefois, avec les ragots des filles, je me suis rendue compte que ce n'est pas le cas.
- …….
- Alors je vais te poser une question et s'il te plaît réfléchit avant de répondre.
- …..
- Tes dernières règles remontent à quand ?
D’instinct, je failli lui répondre trois semaines mais d'un regard, elle me dissuada de répondre sans vraiment réfléchir. Nous étions au début du troisième mois et mes règles auraient dû venir avant la fin du mois passé, ce qui n'avait pas été le cas. Pire la dernière fois que je les avais eues, c'était deux semaines avant l'événement Rodrigue.
- Cela fait un peu plus de deux mois, dis-je d'une petite voix en me sentant pâlir.
- Je m'en doutais, annonça Kira en fouillant dans son sac.
- ……
- Prends ces tests de grossesse et va dans les toilettes de la chambre.
- Deux ??
- Vaut mieux être sûr, lança t’elle en agitant les boites devant mon nez.
Comme on pouvait s'y attendre, le test fut positif. Sur le coup, Je fus tellement choquée par la nouvelle que ce ne fut qu'au moment où Kira me prit dans ces bras et me serra contre elle, que je me rendis compte que je m'étais affaissée.
- Pourquoi ??
- …..
- Pourquoi Kira ! Pourquoi moi ??
- ……
- Un enfant n'élève pas un enfant, bon sang.
- …….
- Je viens à peine d'avoir dix-neuf ans.
- …..
- …..
- ....
- Et Madame k ? Elle va sûrement me mettre dehors et je n'ai nulle part où aller.
- Tu sais tu es encore à deux mois de grossesse, tu pourrais te faire av…..
- N'ose même pas finir ta phrase.
- ……
- Ce petit être n'a pas demandé à venir. Et même si je ne l’ai pas désirée, jamais je n'oserai commettre un tel acte contre mon Dieu.
- ……
- …..
- Alors que comptes-tu faire ??
- Je n’en ai pas la moindre idée.
- Alors commence par me remercier car moi j'ai un plan et même un bon plan.