Nouvelle vie, nouveaux pas

Ecrit par Kossilate

Chapitre quatre : Nouvelle vie, nouveaux pays.


En Afrique, il y existe un proverbe qui dit «On ne peut pas avoir un parent sur le pommier et manger des pommes vertes ». En un mot, il n'y a que des avantages à connaître quelqu'un de haut placé, et dans ma situation, cette personne c'était Kira. Le fait d'être la fille de la tenancière lui conférait le privilège, de pouvoir sortir seule de l'établissement. Ces sorties chèrement acquises depuis l'ouverture de l'établissement furent ce qui permis à la jeune fille de former un plan véritable et plausible afin de me faire sortir d'ici. En effet, grâce au différentes rencontres qu’avait faites mon amie au cours de ces sorties, elle put trouver quelqu'un pour m'emmener à Porto-Novo au Benin où je travaillerai pour un de ces contacts en attendant qu’elle puisse me rejoindre.


Pendant les deux semaines qui suivirent la découverte de ma grossesse, Kira s'activa pour mettre au point les diverses étapes de son plan dont je ne fus mise au courant que de l'aspect global. Moi, pour ma part, j'avais entamé un processus pour sortir de l'abysse de douleur dans laquelle m'avait plongée le viol. Je ne luttais plus uniquement pour moi. Nous étions deux maintenant et peu importe comment cet enfant a été conçu, peu importe que je ne l'attendais pas avant longtemps, il était hors de question que je sois une mauvaise mère pour lui. Pire un mauvais exemple pour lui. Au cours de ces deux semaines une phrase que ma mère m'avait dite mon premier jour de classe, me revint souvent en tête.


- Obiri la wa so people think that a o lé be  strong like okunri. Man fi è si lè ko man dja foun thing that Matter For you. (Nous sommes des femmes alors les gens pensent que nous ne pouvons pas être aussi fortes que les hommes. Ne te laisses pas faire et bats toi pour ce qui à de l'importance à tes yeux)


J'avais désormais quelque chose, non quelqu'un pour qui lutter. Bien évidemment, l'information de ma grossesse ne fut pas transmise à Madame K et Kira m'aida à dissiper les soupçons des autres filles. Mon évasion était prévue pour la fin du mois mais un nouveau paramètre nous obligea à accélérer le plan.


Un peu plus d'une semaine avant mon départ, je surpris une conversation qui me chamboula. J'avais fini mon repas et comme à l'accoutumée, je me dirigeais vers ma chambre pour une bonne nuit de sommeil lorsque j'entendis mon nom. 


- Phoebe sera disponible la semaine prochaine monsieur, murmura madame K derrière la porte de son bureau.


Je me dis que c'était juste un client qui me demandait en particulier, ce qui arrivait souvent ces derniers temps pour je ne sais quelle raison. Je me réprimandai même d'espionner ainsi  la directrice et je pivotai sur mes talons pour repartir vers ma chambre quand la discussion reprit et me cloua définitivement sur place.


- Monsieur Rodrigue, vous êtes un de mes meilleurs clients et c'est toujours un plaisir de faire affaire avec vous.


- ……..



- Ne vous en faites pas. Cette fois ci, je veillerai personnellement à ce que quiconque ne vienne vous déranger.


- ……..



- Vous pourrez profitez paisiblement et à satiété de votre agneau, ajouta Madame K avant d'éclater de rire.


Je ne voulus ou ne pu en entendre davantage. Mon cerveau ordonna à mon corps de s'en aller en direction de ma chambre. Je n'avais entendu ni la voix ni  les propos de l'interlocuteur de madame K car de toute évidence elle était au téléphone. Mais aucun doute n'était possible sur l'identité de la personne et les plans de la tenancière. Elle comptait me livrer à Rodrigue, une fois de plus. La nouvelle me sidéra tellement que ce ne fut qu'une fois cachée sous les couvertures de mon lit, que je remarquai le tremblement de mes membres. Je pris plusieurs inspirations pour me calmer et je pensai très fort au bebe pour qui mon agitation et mon trouble était dangereux. Aussi, quand Kira vint dans la chambre, ce fut une Phoebe calme et déterminée qu'elle trouva assise sur son lit.


- Je dois partir d'ici ce soir, murmurai-je dès qu'elle eut refermée la porte.


- Toi qui voulait qu'on parte ensemble, t’es déjà fatiguée de moi ?, me répondit elle en souriant avant de se laisser lourdement tomber sur son lit qui se trouvait face au mien.



- Je dois partir d'ici ce soir. C'est impératif, me contentai-je de répéter.


- Je sais que tu dois partir mais tu as oublié que ce ne sera possible que la semaine prochaine.



- La semaine prochaine, Rodrigue sera revenu, m'aurai encore violée. Cette fois ci tu n'auras pas pu intervenir et je me retrouverai encore l'entre jambe en feu, la dignité en miette ou pire ces assauts violents auront causé du tort à mon bébé, car il est hors de question que je le laisse faire cette fois ci.



- Tu me racontes quoi là…. ?



- Je te raconte que j'ai surpris une conversation téléphonique de ta mère qui donnait rendez vous à cette ordure pour la semaine prochaine afin qu'il profite de son petit agneau alias moi.



- Non ce n'est pas possible. Elle n'est…..



- Oh que si. Elle est assez avide d'argent pour faire cela.


Le visage de Kira se décomposa un bref instant devant moi avant qu'elle ne retrouve son expression sûre d'elle. Je savais que cela était dû à ce que je venais de dire sur sa mère mais à ce moment, j'avais trop à perdre pour faire attention aux mots. Comme tout enfant africain, qui a un parent qui ne joue pas son rôle, Kira a toujours espéré au fond d'elle que sa mère finisse par changer un jour et qu'alors elle lui portera plus d'attention qu’à son argent. Ce que je venais  de lui apprendre à visiblement  briser ces espoirs mais je n'avais pas d'autres choix. Je sais tout cela car jusqu'à mon arrivée ici, j'espérais que mon père soit pris de véritables remords et qu'il vienne me chercher. J'ai attendu un an en vain. Alors même si ma façon de lui parler avait surtout pour but de lui faire comprendre l'urgence de ma situation, je trouvais aussi bien qu'elle lui ait ouvert les yeux sur qui était vraiment sa mère. 


- Allô Charlie.


- ……..



- Oui. Il y a eu un petit contre temps. Est-ce que se serait possible qu'on effectue le voyage ce soir ??


- ……..



- Tu me sauves la vie mon cœur.


- …...


- Ok.  Phoebe, j'ai appelé Charlie…celui qui doit t'emmener. Il ne va tarder à venir et tu pourras y aller.



- Mais je ne peux pas passer par l'entrée. Les gardiens savent qui à le droit sortir ou pas, répondis je.



- Qui t'a dit que tu sortiras par la grande porte ?...



Les heures qui suivies furent consacrés à préparer le peu d'affaire que j'avais afin que je sois prête à partir dès l'arrivée de Charlie. C'était en réalité le petit ami de Kira et il n'a pas hésité à m'aider lorsqu'elle lui a expliqué ma situation et lui a laissé comprendre que mon départ serait bientôt précédé du sien. Le pauvre devait en avoir marre que celle qu'il aime se fasse reluquer par tous les vicieux de Lagos et même du Nigeria. Aux environs de cinq heures du matin, un appel de Charlie nous donna le signal de départ. Les activités finissent ordinairement à trois heures du matin et cinq heures était cette heure creuse entre l’activité avant coucher des unes et l'activité au réveil des autres. On était donc assurées de ne croiser presque personne. Kira me fit escalader le petit muret dans l'arrière cour de l'établissement et Charlie me récupéra de l'autre côté. Après quelques échanges sentimentaux, une promesse de se revoir bientôt et quelques larmes, Charlie pris le volant en direction de ma nouvelle vie. Une nouvelle vie que je commençais avec un numéro, quelques milles de francs CFA dégotés par Kira et la certitude d'échapper à un avenir funeste.


- Phoebe, appela Aladja en yoruba.


- Oui Maman.



- Je vais déjà au marché.


- …….



- J'ai déposé de l'argent et la liste des courses sur la table.


- …….


- Papa va revenir de voyage aujourd'hui. Il faut donc prépare la sauce de adidon1 comme je t'ai montré là.



- Oui Maman. Et je vais faire quoi dessus ?


- Hmmm… il faut lui faire du èba2 dessus. Et il faut acheter deux bières Beninoise.



- Oui Maman.



- Je vais vite rentrer aujourd'hui. 



- Ah j'oubliais…..il faut passer un coup de serpillère dans la maison, ajouta Aladja en sortant du salon.


Dès que j'entendis le bruit de la voiture qui démarrait, je me suis dirigée vers la table basse du salon pour prendre connaissance de la liste des courses à faire. 


Cela faisait deux mois que je m'étais enfuie du boudoir de Madame K et sept semaines que je travaillais pour Aladja. Le contact que m'avait donné Kira s'était révélé être celui d'un démarcheur présent à Porto-Novo. Il devait apparemment un service à Kira et il fit donc tout pour me trouver un travail une semaine après ma venue. Aladja fut la seule de ses clientes à m'accepter malgré mon ventre qui pointait déjà et mon jeune âge. Heureusement pour moi d'ailleurs car elle avait une belle petite  maison. Cela m’évitait d'avoir  trop de pièces à entretenir et ce n'était que bénéfique pour mon bébé dont je sentais déjà les premiers mouvements. Entre temps, je recevais sporadiquement les messages de Kira car je n'avais pas encore de portable. Certaines découvertes qu'elle a faites sur les affaires de sa mère, l'empêchaient de venir me rejoindre aussi vite que prévue. 


Après avoir essuyé la maison, je me rendis au marché Gbègo pour faire les emplettes. Je marchandai avec les diverses vendeuses et m'en sorti avec toutes les produits et même un reliquat plus élevé que ce qui était attendu. Je n'étais pas peu fière de moi et je me félicitais de ne pas avoir dénigré l'apprentissage du yoruba malgré mes cours. Cela me servait beaucoup dans cette ville où à part le goun et le français, tout le monde parlait yoruba. Je finissais de ranger la cuisine lorsque j'entendis des coups de Klaxon. J'ai rapidement jeté un coup d'œil à la montre murale et je suis rendis compte qu'il était déjà dix huit heures. L'heure à laquelle le mari d’Aladja devait venir. J’arrangeai les bordures des récipients contenant la nourriture une dernière fois avant de me rendre au salon. Depuis mon arrivée, ce fut la première fois que je vis le mari de ma patronne.


- Bonsoir papa, dis-je en fléchissant le genou.


- Bonsoir…….. ?



- Phoebe, ajoutai-je en remarquant qu'il attendait mon nom.



- Bonsoir Phoebe. Ma femme n'est pas encore arrivée ??



- Non pas encore. Mais elle m'a dit qu'elle ne va pas tarder à rentrer aujourd'hui.



- D'accord.



- Le repas est déjà prêt. Voulez vous l'attendre pour passer à table

.


- Hmmm……je vais allez prendre une douche si après elle n'est toujours pas rentrée je passerai à table sans elle.


- D'accord.



- Va ranger mes affaires dans la chambre.


Je ne me fis pas prier avant de m'exécuter. Une fois de plus je bénis mon Dieu de m'avoir conduite dans une maison petite et sans étage. Je tirai tant bien que mal les valises de monsieur dans la chambre à coucher de Aladja. C'était  la première fois que j'y entrais. Aladja était de ces femmes qui tenaient beaucoup à leur intimité. Elle rangeait elle-même sa chambre et ne me faisait jamais laver un habit qui l'avait touché intimement.


Lorsque mon patron finit sa douche, Aladja n'était pas encore rentrée. C'était tout à fait normal puisqu'elle allait tous les jours jusqu'au marché Dantokpa de Cotonou pour vendre ces tissus importés. Même si elle avait vraiment  prévu de rentrer plus tôt que d'habitude, les embouteillages à l'entrée de Porto-Novo avaient sûrement dû avoir raison de son plan. Je me retrouvais donc seule à servir monsieur. 


- Phoebe, appela t il lorsqu'il finit.


- Oui papa.



- C'est toi qui a préparé ceci, demanda t-il en me fixant.



- Oui papa.



- C'était très bon. En plus c'est mon plat préféré. 


- …….



- C'est Madame qui t'a dit de me faire cela, ajouta t il en se lavant les mains sans détourner le regard.


- Oui papa.



- C'est bien mais s'il te plaît arrête de m'appeler papa. Je ne suis pas si âgé que ça. 


- …..



- Je me nomme Silvain. Appelle moi donc ainsi.


- Je ne peux pas …….



- Pourquoi ? Demanda alors que de nouveaux Klaxons de voiture se fait entendre à  l'entrée.


Profitant de cette interruption, je me dépêchai de ranger la table à manger puis je m'en allai aider Aladja avec ces sacs. 









Cher destin