Mots Fêlés Acte I

Ecrit par Fortunia

Les mots ont un sens. 

Ils désignent des choses, des émotions, des idées, des êtres vivants. Mis ensemble, ils forment un langage grâce auquel les humains peuvent communiquer.

Les mots sont puissants.

Grâce à eux, vous pouvez attendrir, invectiver, séduire, dominer. Et les humains ont fini par les prendre pour acquis, les modifiant, les altérant, oubliant jusqu’à leur signification initiale.

Les mots sont vicieux.

Vous croyez savoir comment les utiliser, mais vous avez tort. Vous croyez que c’est vous qui les exploitez alors que c’est le contraire. Vous ignorez qu’ils peuvent se retourner contre vous à tout moment, tout instant. 

Vous ignorez que les mots ont... un pouvoir.

***

J’ai commencé à parler très tôt.

Tandis qu’à l’âge de deux ans, certains enfants en étaient encore au stade des balbutiements incohérents, je savais m’exprimer correctement. Bien sûr, je ne pouvais pas utiliser des mots bien compliqués, mais c’était déjà suffisant pour susciter l’admiration de mes géniteurs. Mon éloquence ne cessa de grandir en même temps que mon corps et pour la première fois à l’âge de douze ans, l’on me désigna du doux qualificatif de « charismatique ».

J’avais un don. Je savais manier les mots.

Grâce à ce don, toutes les portes m’étaient ouvertes. Mon aisance me valait beaucoup d’attention. Un homme d’affaire important m’a parrainé dès l’école secondaire et m’a suivi jusqu’à ce que j’entre à l’université. J’avais tout ce dont je pouvais rêver. Et dès qu’il m’en sentit capable, cet homme a demandé à ce que je le suive dans ses affaires.

Il m’aimait comme son propre fils, du moins, je me plaisais à le croire. Il me faisait rencontrer des gens haut-placés : des hommes politiques, d’autres affairistes, des gens bien nés et d’autres qui se sont construits. Je côtoyais les plus grands, délaissant une famille issue de la classe populaire que j’exécrais. Elle n’existait plus que dans un coin reculé de ma tête et de la vie que je menais. Une vie sans souci dans laquelle j’entamais une carrière dans la politique. « Quel parcours pour un jeune homme d’à peine vingt-deux ans », se plaisait-on à me rappeler. Ce n’était pas bien compliqué lorsqu’on savait quel mot placer, et à qui.

J’étais béni.

Jusqu’à ce jour…

Je m’en rappelle comme si c’était hier. De fait, peu de temps s’est écoulé depuis lors. Je me souviens de la lumière des lustres, de la musique de l’orchestre, des effluves enivrants des alcools et des parfums des dames. Mon corps ressent encore la moiteur de la nuit et mes oreilles écoutent son silence. Mais durant cette nuit qui marquait mon vingt-troisième anniversaire, sonnait également mon glas incarné en trois femmes. 

La première je l’ai rejetée.

La deuxième ne m’a jamais aimé.

Et la troisième m’a ensorcelé.

Ceci n’est pas une fable ou une histoire qu’un vieillard racontera sous la lumière du feu. Ceci est une leçon, la mienne, celle dans laquelle je suis tombé de haut sans espoir de me relever. C’est celle que je grave sur ces feuilles, avant de partir, clôturé par le visage de celle qui m’a maudit, le visage de cette sorcière…


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