Mots Fêlés Acte II

Ecrit par Fortunia

L’alcool coulait à flot ; les musiciens rendaient l’atmosphère légère et le vent de cette nuit de mai était frais. Je me déplaçais dans l’immense salle de réception des Adama au milieu de la foule d’invités venus célébrer mon anniversaire. Partout, de la soie, du satin et des tissus aux motifs finement travaillés, des bijoux d’or et d’argent sertis des plus belles pierres. C’était le festival des lumières, et toutes me gratifiaient de leur éclat.

Je ne pouvais pas passer sans répondre à un sourire, un compliment, des vœux, une accolade, un toast. Personne ne pouvait se douter que je ne connaissais pas la moitié des gens présents ce soir.

C’était du Gérard Adama tout craché. Mon tuteur que j’appelais « mon oncle » avait toujours aimé me mettre dans ce genre de situation. Me jeter dans la fosse aux lions et voir comment je m’en sortirais. Il me testait comme il avait pris l’habitude de le faire depuis qu’il m’avait pris sous son aile. Il me faisait user du charme de mes belles paroles et vérifier que je saurais me sortir de n’importe quelle conversation. Surtout avec des gens hauts-placés. Ça ne  me déplaisait pas, c’était devenu une sorte de rituel. Notre rituel.

On aurait pu croire que depuis vingt heures que la soirée avait commencé, je me serais fatigué, mais trois heures plus tard, j’étais toujours aussi pimpant. Je me devais de l’être. Il en allait de mon image et de celle de la prestigieuse famille Adama. Et si je voulais continuer de profiter des largesses de cet homme, je ne devais pas baisser ma garde.

Alors je parlais, sans arrêt. Je saluais, complimentais, plaisantais, trinquais, le tout avec un sourire à m’en faire tomber la mâchoire. Heureusement pour moi, un serveur en jaquette et nœud papillon de la couleur préférée de mon oncle, le bordeaux, me tira des griffes du sénateur Okani en me prévenant que le gâteau allait arriver sous peu. Le maître des lieux m’attendait sur l’estrade.

Je pris congé de mon interlocuteur en affichant une mine contrite et fendis à nouveau la foule pour le rejoindre. Il y était déjà, imposant dans son costume à l’extravagance caractéristique du personnage. Le jabot de dentelle bordeaux de sa chemise lui donnait un port altier. Rien n’allait de travers sur son apparence, de ses cheveux aux contours nets d’où foisonnaient des mèches blanches, grise et noires, à la pointe de ses souliers cirés. De son piédestal, il dominait l’assemblée et la couvait d’un regard à la fois doux et condescendant. Un mélange pour le moins atypique.

Lorsque je m’approchai de lui, ses yeux noirs se plissèrent, faisant ressortir les profondes ridules qui marquaient son regard, et il m’octroya l’un de ces sourires soulignés par sa moustache soigneusement entretenue qui me faisait oublier tous ces tests ridicules. J’arrivai à sa hauteur et il me fit grâce d’une tape vigoureuse sur l’épaule. Il semblait satisfait de ma performance.

— Joyeux vingt-troisième anniversaire, Alexandre.

Sa voix altérée par ce que je devinai être de l’émotion, me gêna. Je n’étais pas habituée à ces élans sentimentaux. Certes, il était toujours très aimable, mais avec cette retenue digne des gens de son rang social. Je lui répondis par un sourire avant qu’il ne prenne le micro que le chef d’orchestre lui tendait. Après avoir attiré l’attention des convives, il se racla la gorge avant d’entamer son discours :

— Mesdames et Messieurs, chers invités, ma famille et moi-même sommes heureux de vous accueillir dans notre demeure ce soir. En parlant de famille, vous n’êtes pas sans ignorer la raison de cette petite fête. Alexandre que voici, a aujourd’hui atteint l’honorable âge de vingt-trois ans. Souhaitez-lui un bon anniversaire.

« Joyeux anniversaire, Alexandre ! », clamèrent les invités en levant leur verre.

Et moi de m’enorgueillir de ces honneurs.

— J’ai un cadeau tout particulier pour toi, mon garçon, continua mon oncle. Vois-tu, je n’ai jamais eu d’enfant, et tu as été ce qui s’en rapprochait le plus durant ces dernières années. Alors que dirais-tu de ne plus être un Kouegni et de devenir un Adama ?

Même si mon visage exprima à ce moment une vive émotion, mon esprit était tout ce qu’il avait de plus serein. Je me demandais depuis longtemps déjà à quel moment il allait se décider. Il fallait le dire, il s’occupait bien de moi depuis le jour de ce gala où moi, ainsi que des nombreux autres jeunes de mon âge devions présenter des projets divers pour leur prouver que nous méritions leurs dons. Mais ça ne me suffisait pas. Je voulais plus. Je voulais prendre son nom, sa position, sa fortune. Je voulais tout. Et la première phase venait de s’enclencher.

Je n’eus pas besoin de feindre des larmes de crocodiles. L’excitation d’avoir enfin franchi une étape me fit larmoyer et pour dissimuler mes émotions à mon futur père, je le gratifiai d’une solide accolade sous les ovations des invités. La charmante union père-fils que voilà. J’espérais qu’ils n’oublieraient jamais le jour où cet homme a choisi faire de moi son enfant.

A suivre...

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Hello guys, j'espère que vous allez bien.bien n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.

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