Mots Fêlés Acte V
Ecrit par Fortunia
D’habitude, je suivais mon oncle dans ses multiples réunions. Je faisais toujours le maximum pour me tenir à ses côtés, surtout lorsque cela me permettait de peaufiner mes relations. Aujourd’hui, il m’avait pourtant laissé… abandonné. Cela n’arrivait qu’à de très rares occasions et je ressentais une certaine frustration. Mais je devais reconnaître que ce jour, je n’avais envie de rien. Mon corps et ma tête me faisaient mal et lorsque je fermais les yeux, des images floues envahissaient mon esprit à tel point que même le sommeil me fuyait.
L’heure tournait lentement. Et plus je restais là à ne rien faire, plus je me noyais dans une mer de réflexion. Excédé, j’envoyai un message à Marcel. C’était un de mes rares amis, l’homme de toutes les situations, toujours prêt pour une virée, surtout lorsqu’il s’agissait de s’installer sur les sièges de ma Mercedes. Aussitôt m’assura-t-il de sa disponibilité que nous convînmes d’un point de rendez-vous. J’enfilai rapidement des vêtements de ville et attrapai mes clés de voiture.
***
Conduire me faisait toujours du bien. Au volant de ma voiture, les vitres hermétiquement fermées à la poussière et au bruit, l’intérieur rafraichi par la climatisation et un air à la mode s’échappant des enceintes, j’avais l’impression que rien ne pouvait m’atteindre. Malgré les embouteillages de cet après-midi, pour rejoindre le point de rendez-vous : un de ces snacks chic qui bordaient les rues du quartier Bastos, j’arrivai assez vite. Encore dans ma voiture garée à quelques mètres du lieu, je décidai d’appeler mon ami pour m’assurer de sa présence.
Trois sonneries plus tard, le bon monsieur décrocha.
— Je suis sur place, où est-ce que tu es ?
Sa voix était camouflée par le bruit alentour. Brusquement, les parasites disparurent, comme s’il venait de sortir.
— Ouais, je suis sorti là, tu me vois ?
Je me tordis littéralement le cou pour regarder l’entrée du snack où un jeune homme un peu trop en muscles braillait sur son téléphone à grand renfort de gestes. Soudain, il sembla reconnaître ma voiture et me fit signe.
— Ok, c’est bon. J’arrive.
— Attends un peu je pose mes fesses sur tes sièges, ça fait longtemps.
— Tu étais déjà bien installé à l’intérieur, Mars. Tu ne peux pas attendre quand on va rentrer ?
Téléphone à l’oreille et sourire aux lèvres, il évoluait vers moi.
— Je ne peux pas. Toi tu sais même que je vais faire quoi après ? répliqua-t-il avec un grand éclat de rire. On n’est jamais à l’abri avec toi. D’un coup, ton oncle peut t’appeler pour je-ne-sais quoi et tu vas tout plaquer pour le rejoindre. Ce n’est pas tous les jours qu…
Tout allait bien la minute d’avant. Je discutais avec mon ami. Il m’avait gratifié de ces éclats de rire qui lui appartenaient et ferait trembler un camion. La lumière du soleil faisait briller son crâne rasé de près. Il s’apprêtait à me rejoindre. Il ne restait plus qu’un tronçon de route à traverser et il se serait installé près de moi dans la voiture. Il m’aurait charrié sur ma vie amoureuse trop vide à son goût ou alors sur mon planning trop souvent chargé.
Mais cette minute fut la dernière que nous ayons partagée.
Aussitôt se tint-il au milieu de la chaussée qu’un véhicule le faucha. On aurait dit que tout avait été calculé. Sa vitesse de marche, le moment où il devait être au milieu de la route, la vitesse de la voiture. Tout. Mes yeux arrivèrent par le grand des mystères à suivre son parcours de la terre vers le ciel et vers la terre ensuite. Je vis son corps se ratatiner sur plusieurs mètres avant d’achever son parcours dans un caniveau.
C’était irréel, tellement irréel que ma réaction s’effectua avec un décalage. Je ne me souvins pas être sorti de ma voiture. Tout ce dont je me rappelais était la couleur du sang sur l’asphalte et ce corps ensanglanté dans le caniveau.
— Tu as trop bu ou quoi ? Il est encore tôt…
C’était impossible.
— Ne déconne pas, Mars…
Il ne me répondit pas. Il ne me répondrait plus jamais. Il était mort. Et tout comme le sol, mes yeux se teintèrent de rouge. Puis de noir…
Ce jour-là, marqua sans doute le début de ma folie. Et encore, ce n’était que le début. Je m’en rendis compte bien vite.
Lorsque je m’éveillai, le tumulte alentour me fit revenir sur terre et me rappela ce qu’il venait d’arriver. Encore une fois en l’espace de vingt-quatre heures, la mort venait de frapper. La foule s’était amassée autour de moi et des restes de mon ami. La sirène de l’ambulance martelait mes oreilles en même temps que des questions de toutes parts.
— Hey, vous allez bien ?
— Laisse-le, c’est un fragile. Il est sans doute tombé en regardant le corps.
— Ecartez-vous, vous autres !
Ainsi je fus relégué au second plan, alors que mon meilleur ami venait d’être écrasé par un véhicule. Ils ne me regardaient pas, je ne comptais pas, je n’étais rien. J’essayais de m’en persuader. Mais d’un coup, des doutes se mirent à monter en moi. Une crainte sourde qui se rapprochait de plus en plus.
« Que tes mots ne soient que malheur et leur portée horreur »
Je voulais fuir. Fuir cet endroit teinté de rouge. Et comme un lâche, j’abandonnai la dépouille de mon ami là, entouré par une foule de curieux et d’hypocrites qui partageraient ses photos sur les réseaux sociaux.
***
Je tournai longtemps dans les rues de la Yaoundé, cette appréhension grossissant dans ma poitrine. D’abord mes parents, ensuite Rodrigue, et maintenant Marcel. Tous morts en moins de vingt-quatre heures. Je n’étais pas stupide. Quelque chose ne tournait pas rond, c’était évident. Mais quoi ? Qu’est-ce qui avait changé depuis ce matin ? Ce matin seulement ? Et hier soir ?
Déconcentré, je franchis la ligne médiane de la chaussée et j’évitai une voiture qui venait face à moi dans un crissement de pneus. Une sueur froide glissa sur mon échine. Je ne sus dire si ça venait de cet accident manqué ou de tout ce que je réalisais avoir oublié. De nombreuses pièces manquaient sur le puzzle de ma vie depuis la veille et outre ces bribes de mots qui me revenaient en tête par vagues, quelque chose de plus grave s’était passée.
Il était plus de vingt-et-une heures lorsque je franchis le portail de la demeure, la tête aussi vide de réponses qu’à mon départ. Chaque fois que j’essayais de me rappeler de quelque chose, une migraine fracassante me consumait le cerveau, comme si l’on m’empêchait de me souvenir. Une fois garé, je m’enfonçai davantage sur mon siège pour réfléchir.
J’essayai encore une fois de me remémorer ma fête d’anniversaire. La musique traversa mes tympans, l’odeur des mets cuisinés emplit mes narines, le goût du vin rouge enveloppa ma langue. Les rencontres, les vœux, l’annonce de mon oncle, la danse et puis…
Encore une fois, un haut-le-cœur me prit et je me retins de régurgiter le néant de mon estomac.
— Je ne comprends rien ! rageai-je en donnant un coup sur le volant.
Le ciel était d’un noir d’encre et les lampions qui décoraient les pointes du portail en fer enveloppaient l’immense cour de sa lumière blanchâtre. J’avais passé toute la journée dans ma voiture, mais peut-être qu’une petite marche me ferait du bien. Sans attendre, je sortis du véhicule et me mis à déambuler dans la cour. Les frissons ne disparaissaient pas. Les craintes non plus. Au contraire. L’on aurait dit que plus je parcourais cet endroit, plus mon angoisse grossissait.
Ces lumières donnaient un aspect fantomatique à ces lieux. L’immense portail noir était impressionnant et lorsque je passai une main sur ses décorations stylisées, sa froideur me surprit. Était-ce le métal qui était froid, le vent qui me fouettait ou alors mon sang qui se glaçait dans mes veines ? Je n’en avais aucune idée. Ce sang pulsait dans mes tempes. J’étais près de quelque chose, d’une réponse.
Et je la vis, cette chose échouée sur le sol, attendant d’être découverte de façon inopinée. Elle m’attirait et m’effrayait en même temps. Mais de façon irrésistible, je m’approchai d’elle. Je tendis la main pour attraper cette chose. Elle était colorée. Elle avait l’air douce. Un effleurement me le confirma. Je la saisis.
Il s’agissait d’un bout de tissu. Sa texture me rappelait la soie. Deux couleurs prédominaient : le blanc et un rouge presque hypnotique. Et sur l’un de ses côtés, sur la partie encore d’un blanc immaculé, des initiales. Les miens. Et une fois encore, une phrase me revint :
« Avant que ce bout de soie ne soit entièrement teinté de rouge, ton âme ne t’appartiendra plus »
A Suivre...
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Ainsi s'achève ce cinquième acte de Mots Fêlés. Si vous êtes pressés de savoir comment va finir Alexandre, dites-le-moi, peut-être que je serai gentille en vous donnant la suite plus tôt. (/◕ヮ◕)/
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