Mots Fêlés Acte IV
Ecrit par Fortunia
Encore emmitouflé dans mes draps, j’émergeais à peine lorsque Rodrigue, un jeunot embauché il y a peu, m’annonça la nouvelle de but en blanc. L’information tarda à atteindre la partie intelligente de mon cerveau. J’en étais encore à me demander comment j’avais fait pour me retrouver dans ce lit. Je ne me souvenais pas de la fin de la soirée. Et qu’est-ce que Rodrigue entendait par « famille » ? Mon oncle et ma tante étaient-ils décédés cette nuit ? A son air indifférent, j’en doutais. Parlait-il… de l’autre ?
— Que s’est-il passé ?
Il me relata ce que l’un des vigiles lui avait répété, à savoir qu’un incendie s’était brusquement déclaré dans la nuit et que la maison fut réduite en cendres. Ainsi s’en étaient allés mes parents, deux êtres dont je ne me rappelais même plus le visage.
« Tu es la chair de ma chair, le sang de mon sang »
Un haut-le-cœur me prit et son visage me revint en tête. De la crasse, des rides, un sourire aux dents jaunies. C’était elle. Ma mère. Et elle était morte la nuit de mon vingt-troisième anniversaire.
« Un jour, tu regretteras de rejeter ainsi la main qui t’a nourri pour celle qui t’a dressé »
Tels étaient ses derniers mots avant de disparaître dans la nuit. Et après ? Que s’était-il passé ? Je m’efforçai de m’en souvenir, mais sans succès. La bile remonta plus loin. Je me précipitai dans la salle de bain et régurgitai tout ce que j’avais avalé la veille. Haletant, transpirant, mon reflet dans le miroir me rendit mes yeux exorbités et injectés de sang, se demandant ce que j’avais loupé en l’espace d’une soirée.
— Monsieur, vous allez bien ?
Rodrigue m’interpella derrière la porte. Je n’allais pas bien, non. Mais moi-même je n’aurais su dire ce qui clochait.
— Ça va.
— Vous êtes sûr ?
Sa voix m’irritait, son inquiétude m’agaçait. Je sentis de la pitié dans sa voix. Je le détestais.
— Oui, oui. Maintenant, laisse-moi un peu seul.
J’étais plus jovial d’habitude, surtout le week-end. Mais aujourd’hui, je n’étais pas d’humeur. Tout comme la veille face à… qui ? Une image… le brouillard. Un grand bruit me déroba à cette vision et je me précipitai hors de la salle de bain et hors de ma chambre, encore en short.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? s’écria mon oncle en sortant de sa chambre en peignoir.
Ma tante apparut à sa suite en tirant sur sa robe de chambre sombre, l’air irrité. Et j’assistai au spectacle de son visage marqué par le choc, avant de tourner la tête vers l’objet de cette expression. Du haut de l’escalier, nous assistâmes à un triste spectacle. Au pied de ce dernier, gisait le corps de Rodrigue, reste enchevêtré de sa chute. Un vent de panique s’éleva rapidement. Des cris, des gémissements, des prières.
Seul mon oncle garda son calme et distribua des ordres. Moi, une autre phrase me revint en tête : « Que tes mots ne soient que malheur et leur portée horreur »
Et je vomis à nouveau...
***
Je chipotais sur mon déjeuner. Il n’y avait pourtant que de bonnes choses. Un plat de viande et de légumes sautés, accompagné d’un bon vin. Pourtant, ni moi, ni ma tante, ni mon oncle, n’arrivions à en profiter. La pièce était silencieuse, uniquement troublée par le raclement des fourchettes sur les assiettes, remuant leur contenu sans rien en sortir.
Planait sans doute dans chacun de nos esprits l’image de ce jeune homme parti dans des circonstances inexplicables. Une chute, un accident. Son corps échoué au pied des escaliers, sanguinolent et entortillé, dansait devant nos yeux, se substituant à la nourriture dans nos assiettes. L’ambulance nous avait quitté tantôt en l’emportant avec elle, mais déjà tout le monde avait repris ses activité normales, du moins, essayait de les reprendre.
Mon oncle finit par briser ce silence embarrassant :
— C’est un événement tragique, mais ce sont des choses qui arrivent. Essayons d’oublier cela rapidement.
Le bruit des couverts de ma tante heurtant la table résonna dans la salle.
— Oublier quoi, Gérard ? Son corps sanguinolent au bas de mes escaliers ou alors le fait que sa mort est une épine dans le pied de ta blanche réputation ?
— Dans l’un ou l’autre cas, tu ne tiens pas à ce que ça s’éternise, n’est-ce pas ?
— Hum ! Franchement, ce genre de chose n’est jamais arrivé dans cette maison. Et comme par hasard dès que tu décides d’adopter cet… tout part en vrille !
Evidemment, elle ne pouvait s’empêcher de m’indexer. Comme si j’avais quoi que ce soit à voir avec sa mort.
— Je ne vois pas quel est le rapport, Ornelle, mais tu devrais faire preuve de plus de compassion. Je te rappelle que cet enfant vient de perdre ses parents.
— Comme si ça le dérangeait !
— Ça suffit !
Elle prit une mine outrée avant de se lever brusquement et de sortir, sans manquer de me jeter un regard venimeux avant de partir. Je n’avais même pas eu le temps de prononcer une parole. Pour dire quoi, d’ailleurs ?
— Excuse là, elle est juste fébrile. D’ailleurs, toutes mes condoléances, Alex. Mais ne t’en fais pas. Tu as peut-être perdu une famille, mais tu en as déjà une autre. J’ai une réunion tout à l’heure, je te laisse ta journée de libre.
Et lui aussi s’en alla.
J’avais l’impression que tout s’était passé en mon absence. On avait parlé de moi, pour moi, contre moi, et je n’avais rien eu à dire. Mon plat toujours intouché, je levai mon verre de vin et en prit une gorgée qui me chauffa la gorge. Au moment de la déposer, il m’échappa des mains et se brisa en mille morceaux sur le carrelage. Ma main se tendit machinalement vers un morceau pour le ramasser.
— Aïe !
Une coupure. Une goutte d’un liquide rouge vermeille. Du sang. J’épongeai mon doigt avec une serviette de table qui se teinta rapidement de rouge. Ce bout de tissu m’hypnotisa. Encore une fois, cette image me rappela quelque chose… quelque chose qui avait du mal à se matérialiser.
— Qu’est-ce qui se passe ?
A suivre...
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Yeah, l'Acte IV est dans la place ! Le sang eeeeh, et ce n'est que le debut ! ????