ON LÂCHE PRISE, ON VIT DE REGRETS.

Ecrit par Chelso

Lorsque j'ouvre la porte, je rigole d'abord, mesquinement, je l'avoue, puis je me reprends. 

- Tiens tiens, mais qui avons nous là ?

Devant mes yeux ébahis, se tient ... Yves. Accompagné, comme par hasard, de sa superbe femme qui me sort par les pores. Bernice. Le visage indéchiffrable, je leur demande s'ils ont besoin de quelque chose.

 Derrière moi, mon frère, surgi de je ne sais où, prend la parole :


- Bonsoir Monsieur et Madame MAMA. Soyez les bienvenus dans notre humble demeure. Vous tombez a point, nous allions nous mettre a table. 


Yves lui sourit, m'adresse un regard perplexe, prend la main de sa femme et entre, me laissant plantée sur le seuil de la maison. L'envie me prend brusquement de les tirer par le col de leurs tenues, et de les balancer sur le perron de la maison. Mais vu que je suis mieux éduquée que ça, je me contente de les traiter intérieurement de tous les noms d'oiseaux que je connais.

 Lorsque je les rejoins, mon visage est fermé. Personne ne peut deviner la quantité de mauvaises ondes qui émanent de moi, que ce soit vers mon frère ou vers mon ex et sa femme. 

Je souris machinalement, alors qu'en moi, c'est un tumulte d'émotions, d'incompréhensions, et surtout d'insultes. 

Le dîner aurait pu être silencieux, si mon frère n'avait pas eu la merveilleuse idée de vouloir mieux connaitre celle qui m'a remplacée dans les bras d'Yves. Tellement brillant... Je me disais qu'en ne connaissant cette Bernice que de vue, je pourrais mieux la détester. Et jusque là, ça marchait. Mais grâce a mon frère, je suis obligée de me rendre a l'évidence, elle est gentille, généreuse, altruiste,  empathique, et sympathique. Elle m'insupporte de plus en plus. 


Lorsque je finis de manger, je n'attends pas les autres. Je me rends a la cuisine, je lave mon couvert, et je passe par la porte de derrière pour rejoindre le couloir puis ma chambre. Cette soirée est finie pour moi. 

Je ferme ma porte a clé, éteins mes lumières, et rejoins mon lit. Quelques instants plus tard, mon frère tambourine a la porte, me sommant de sortir de la chambre d'arrêter de faire ma tête brûlée, et ainsi de suite. Je ne réponds pas, je ne fais aucun bruit, comme si je dormais. Intérieurement, je fais une petite danse de la victoire, parce que je n'ai toujours pas digéré le coup qu'il m'a fait tout a l'heure. 

Lorsqu'il laisse finalement tomber, je contemple le plafond quelques minutes, et sans savoir comment, je m'endors. 


Les jours défilent...

Au service, Yves n'a fait aucune allusion a la soirée de la dernière fois.

Bernice, elle, m'a remerciée pour la '' merveilleuse soirée '' et a manifesté le désir que nous fassions ce genre de choses '' plus souvent '', entre '' amis sur lesquels on peut compter ''.

Je ne fais que reprendre ses mots, mais dans ma tête, je me suis vraiment moquée. Je me demande si Yves lui a raconté, pour nous.

 Enfin.. 


Un beau samedi matin, alors que je suis a table avec Imdad et maman, quelque chose attire mon attention. Maman a recommencé avec ce tic qu'elle a, de bouger frénétiquement les mains, les pieds, tout en regardant a gauche et a droite, comme si elle avait quelque chose dont elle ne voulait pas parler. 

Depuis que papa a disparu, elle le fait de plus en plus souvent.

Je la fixe, j'essaie de lire en elle, pour voir ce qui se passe. Peine perdue. Je n'arrive pas a comprendre. Finalement, je ne tiens plus, je lui demande :


- Maman, qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu as l'air aussi bizarre ? Qu'est-ce qui ne va pas depuis un certain temps ? 


Imdad, qui est au téléphone, me regarde, étonné, et blasé. On dirait qu'il se moque de moi, que je ne sois pas arrivée a comprendre ce que maman a.

Je reprends la parole.


- Maman ? Tu veux quelque chose ? Tu étouffes ? Tu veux un verre d'eau ?


Plus je la tanne pour qu'elle me réponde, moins nos yeux se croisent. On dirait qu'elle a honte. Les idées les plus farfelues possibles me traversent l'esprit.

 Elle a peut-être du mal a retenir sa vessie, elle a donc mis une couche et celle ci est pleine ? 

Elle a envie de se gratter les fesses ? Ou de péter mais elle ne peut pas parce qu'on est a table ? 

Tout mon esprit part en vrille, parce qu'a force de réfléchir, je ne sais plus quoi penser. 


Mon regard tombe sur Imdad, qui vient de raccrocher.

Il me regarde, amusé, et pose tranquillement son coude sur la table, avant de lâcher :


- Ma très chère soeur, tu es tellement innocente... Mais a ce point là, c'est de l'aveuglement. 


Je le toise, ébahie. Maman le fixe, paniquée. On dirait qu'elle ne savait pas qu'Imdad percerait son secret. L'autre, avec des gestes de présentateur_télé, reprend la parole :


- Notre mère, que voilà, est nymphomane. Elle trompait papa depuis un moment, parce qu'il ne la satisfaisait pas assez. Mais ça a empiré depuis qu'il a disparu. Et d'ailleurs, tu connais bien son amant. C'est ...


La sonnerie de l'entrée retentit. Imdad finit sa phrase en indexant l'entrée. 


- ... Lui.


Je suis assise, mais j'ai l'impression de tomber. Je ne sais tellement pas quoi penser, que lorsque je vois Monsieur Joshua KASSA entrer dans le salon derrière Imdad, je rigole. J'ai été tellement naïve.


Mon regard tombe sur maman, qui a la tête baissée. Imdad a l'air imperturbable, comme s'il s'était résigné devant tout le tordu de notre famille. Monsieur KASSA nous regarde a tour de rôle, et le visage dédaigneux que je lui présente doit lui faire comprendre que je sais tout, parce qu'il change d'expression et prend une tronche de coupable. S'il savait a quel point je n'en avais rien a foutre...

 J'ai tellement de questions qui se bousculent dans ma tête.


Papa était-il au courant de la nymphomanie de sa femme ?

Serait-ce pour ça qu'il s'est enfui ?


Je ferme les yeux un moment, vaincue. J'ai l'impression de tomber dans un puits sans fin. 


Monsieur KASSA savait-il que j'étais la fille de son amante ?

Est-ce pour ça qu'il m'a recommandée a son patron ?


Je ne sais pas si je dois crier de rage, pleurer de découragement ou rire hystériquement.


Yves est-il au courant de la relation entre son adjoint et la mère d'une de ses employés ?

Depuis quand Imdad savait-il tout ça ? Et comment ?


Ma main fouille nerveusement dans la poche de mon Jean. Je prends plusieurs chewing-gums que j'envoie dans la bouche. 

Depuis que j'ai arrêté de fumée, chaque fois que l'envie me reprend de me shooter, je prends des chewing-gums. Remplacer une addiction par une autre...


Pourquoi je n'ai rien vu ?

Combien de secrets encore cachent les membres de ma famille ? 


Je suis complètement dans les vapes. J'attrape mon téléphone sur la table basse, et, sans plus regarder personne, je prends la direction de la porte. Je dois aller prendre de l'air. Aérer ma tête. Et mon esprit. 


J'ouvre la porte, et je vois un visage familier. Un homme. Il contemplait la sonnerie comme s'il avait peur d'elle. Celle là, c'est la meilleure ! 

J'éclate de rire, et je tourne les talons en sifflant ironiquement :

- Je te jure, papa, tu as raison d'hésiter a sonner. Bonne arrivée dans cette maison que tu n'as sûrement pas contribué a acheter. Je suppose que tu as besoin d'argent ?

 

Je n'attends même pas sa réponse, je vais directement dans ma chambre, et j'attrape une valise dans laquelle je fourre mes habits. C'est quoi cette famille ?

J'en ai marre. J'attrape mes économies, mes chaussures, et je sors de la chambre.

Je m'en vais. Très loin. Ne serait-ce que pour le moment. 

Lorsque je rejoins le salon, je vois quatre policiers debout a côté du guéridon. Le salon, qui me paraissait déjà rempli avec maman, Imdad, Monsieur KASSA et papa, a maintenant l'air d'être trop petit.

J'arrive dans la pièce au moment où l'un des policiers déclare  :


- Monsieur Imdad HOUSSOU ? Vous êtes en état d'arrestation. Tout ce que vous direz pourra être et sera retenu contre vous devant un tribunal. Vous êtes accusé de faux et usage de faux, corruption, chantage, ....


Le reste de son monologue se perd dans le brouillard de mes émotions. J'ai les yeux, le coeur et la tête vides. Je me contente de fixer Imdad, qui me regarde silencieusement, l'air d'attendre une réaction de ma part. Je suis désolée, frère, mais cette fois, je suis a bout. Calmement, je rejoins le seuil, tirant derrière moi ma valise. 


Je dépasse mon frère.


Je dépasse ma mère.


Je dépasse Monsieur Joshua.


Je dépasse papa.


Je dépasse les policiers.


Dans un silence absolu. 


Lorsque je me retourne, tout ce que je vois, c'est une famille qui a implosé.

 

Un père irresponsable.

Une mère instable.

Un frère coupable.


J'aurais bien voulu que nous soyons normaux.


On aurait pu s'en sortir. Rester unis. 


On aurait pu être là l'un pour l'autre. Se soutenir. 


On aurait pu se tendre la main. Mieux se connaître.


On aurait pu... Être normaux.


Mais non. 


Nous ?


Normaux ?


Qui a dit ça ?


NOUS, NORMAUX ? QUI...