RETOUR INATTENDU

Ecrit par Chelso

Aujourd'hui lundi, j'ai commencé a travailler dans la société d'Yves il y a quelques heures, et j'avoue : le rythme est infernal. Ils sont spécialisés dans la conception et la vente de presque tous les outils électroniques possibles. Le fait qu'il y ait une partie de leurs employés affectés a la fabrication de ces objets joue en leur faveur, ils ont même une équipe spécialisée dans la couverture de l'entreprise sur les réseaux sociaux. Toute cette organisation, c'est exactement le genre d'Yves. Il aime régner sur son monde, ne laisser aucun grain de sable glisser dans la machine parfaitement huilée de son monde. Aussi ai-je du mal a comprendre pourquoi il a accepté de m'embaucher. Mais vu qu'il l'a fait, je ne me pose pas plus de questions et je fais ce pourquoi je suis là. J'en fais même beaucoup plus, par gratitude. La secrétaire personnelle d'Yves me confie certaines tâches, que j'exécute aveuglément. Et l'après-midi, je suis convoquée dans le bureau du boss. Je doute que ce record ait jamais été battu, je n'ai même pas fait une journée et je vais être virée. 

A pas de loup, j'entre dans l'antre du loup après avoir entendu son ''Entrez'' retentissant, et je veille a rester très près de la porte. Qui sait, je pourrais être obligée de battre en retraite très rapidement...

Pendant cinq minutes, Yves fait semblant de s'intéresser a des dossiers disposés sur son bureau. Il m'ignore totalement, et laisse le silence s'installer, histoire d'asseoir sa supériorité. Je le laisse jouer son jeu, après tout, c'est grâce a lui si j'ai actuellement une source de revenus. Puis il prend la parole. D'une voix doucereuse, il déverse son fiel.


- Mademoiselle HOUSSOU, j'aime votre travail. J'aime le travail de chacun de mes employés. J'aime ma société. J'aime ma vie, ma famille, la paix et les succès. A votre avis, qu'est-ce que je n'aime pas ?


        Je reste stoïque. Quand on était encore ensemble, il n'aimait pas l'ananas a cause de son allergie. Mais vu qu'on est censés être des inconnus, je ne suis pas censée le savoir, aussi, je le regarde juste en attendant qu'il me réponde. Je sais qu'il a lu dans mes yeux que j'ai pensé a l'ananas, et il sait que je sais ce qu'il a lu dans mes yeux. Mais notre jeu du chat et de la souris est si captivant... Il continue :


- Je n'aime pas les gens qui entrainent les autres dans le vice. Je n'aime pas les employés qui rendent leurs collègues paresseux. Je n'aime pas les personnes qui poussent le dévouement jusqu'à faire le travail des autres a leur place. Et par conséquent, je ne vous aime pas, mademoiselle HOUSSOU.


         Je le fixe, éberluée. Je ne sais pas de quoi il parle. 

Il attend une réaction de ma part, qui confirmerait ses accusations, mais je ne sais même pas ce qu'il me reproche. 

Il me dit que je peux disposer, et replonge dans ses papiers. Je ne sais pas ce qui vient de se passer, et quand je rejoins le bureau que je partage avec trois autres collègues, je sens leurs regards pleins de curiosité se poser sur moi. Nous ne sommes pas assez proches pour qu'ils prennent le risque de me demander ce qui se passe. Je reste silencieuse quelques minutes, et je ne tiens plus, je leur raconte mon entrevue. Rosalie, la seconde fille de l'équipe, éclate de rire. Vexée, je me renfrogne, je ne vois pas encore ce qui est drôle dans l'histoire.

Lorsqu'elle se calme, elle prononce un nom, et automatiquement, les autres aussi se mettent a rigoler. Qu'est-ce que la secrétaire personnelle du DG a à voir avec tout ça ?

Perdue, je les fixe a tour de rôle, avant de comprendre.

Toutes les tâches qu'elle me faisait faire en plus, étaient les siennes ?! Je fulmine. A cause d'elle, je me suis fait savonner. J'en suis a ce point de mes réflexions quand la porte du bureau s'ouvre, et une jeune femme souriante et sérieusement jolie fait son entrée. Elle a l'air si heureuse qu'elle sourit a tout bout de champ. Mes collègues ont l'air de la connaître.


- Bonjour madame MAMA, lance Rosalie.


Ma tension chute brutalement, l'atmosphère de la pièce devient trop lourde pour moi et j'inspire brusquement. Alors, Yves a refait sa vie après moi au point d'être déjà marié... Je sais, vous me demanderez si pour moi, cinq ans ce n'est pas  suffisant pour se refaire ?

 Mais je crois que découvrir Yves marié, avec cette magnifique jeune dame, qui plus est, me fait réaliser tout le bordel que mon père a laissé dans ma vie.

Comme un ouragan.

Qui s'en va, loin devant.

Et qui laisse derrière lui, destruction.

La jeune fille ne se fait même pas annoncer, elle va juste taper a la porte de son bureau, et y entre simplement. En passant devant le bureau par ''hasard'', je les vois par la porte entrebâillée, s'embrasser comme si leur vie en dépendait. Ma fureur monte de trois crans. Durant le reste de la journée, je suis d'humeur massacrante. Mes collègues ne me reconnaissent pas.

Et lorsque la secrétaire d'Yves vient me confier des documents a saisir, je lui demande, hargneuse, si c'est pour mon propre compte ou pour le sien. Gênée, elle rebrousse chemin, tranquillement. 

Le soir, je rentre vers 20h, et je découvre ma mère, habillée, prête a sortir. Je la toise silencieusement, elle baisse le regard. Je la dépasse sans dire un mot, et vais dans la chambre. Yves s'est absenté, apparemment. Étonnant. Il ne sort pas comme ça, et encore moins la nuit. Je l'appelle mais il ne prend pas, aussi je lui laisse un message. Et je m'affale sur le lit, épuisée. 



Quelques heures plus tard, j'ouvre les yeux, désorientée. Je me suis endormie. C'est un bruit dans la cuisine qui m'a réveillée. Je m'apprête a aller voir, lorsque Imdad rentre dans la chambre, un autre plat a emporter dans la main. Avant même que je n'ouvre la bouche, il me stoppe :


- Grande soeur, j'ai trouvé un appartement convenable, nous irons habiter là bas dès demain. J'ai déjà payé les trois premiers mois de loyer. Et je te jure, tout est légal.


A peine m'a t'il annoncé cela qu'il me fourre la nourriture entre les mains, repart en trombe dans sa chambre et referme la porte a clé. Il ne veut pas que je vienne lui soutirer des informations. Je souris, amusée. Du moment que c'est légal... Mon frère n'a qu'une seule parole, je le connais. Alors je remets a plus tard mon interrogatoire musclé, finis mon repas, et je vais me coucher au moment où maman rentre de sa petite escapade nocturne.


Le lendemain, a cinq heures pile, mes yeux s'ouvrent. J'ai encore sommeil, mais je ne peux plus me rendormir.. Fichue horloge corporelle... Je me lève, et me prépare pour le boulot, en me demandant comment je vais bien pouvoir demander une permission a mon boss pour rentrer tôt et déménager, alors que je n'en suis qu'à mon deuxième jour de travail.

A peine arrivée, je remarque les coups d'oeil furtifs qui me sont lancés. Me rappelant mes éclats d'hier, je me sens si coupable envers mes collègues qui n'ont rien demandé, que je m'incline pour m'excuser. Un silence de plomb me répond. Lorsque je relève la tête, ils ont tous un large sourire. Je suis pardonnée. Je soupire, soulagée.

Le soir, a peine rentrée, je remarque que quelque chose cloche. 

La maison est vide. 

Entièrement. 

Silencieuse. 

A souhait.

Plus rien n'indique qu'il y a eu des occupants dans cet appartement. Sur la terrasse, mon frère m'attend.


- Bonne arrivée, grande soeur. La journée s'est bien passée ?


Je le regarde, l'air de lui demander s'il a fumé une mauvaise herbe.

Il sourit, amusé, et répond a ma question muette.


- J'ai organisé le déménagement aujourd'hui, pendant que vous étiez au travail. Et je suis revenu vous chercher, maman et toi. En parlant du loup, dit_il en désignant maman qui vient d'arriver. En route pour notre nouvelle maison !!


Je ne peux même pas placer un mot. Comme hier soir, il me coupe puérilement la parole. Et nous amène jusqu'à une maison blanche, simple et jolie. Exactement le genre de maison que j'aimerais me construire. Prévenant le flux de questions qui va jaillir de mes lèvres, Imdad pose un doigt sur ma bouche, et s'étant ainsi assuré que je ne dirai plus rien, il nous fait visiter la maison.

Ensuite, il nous conduit a table, où nous attend un repas digne de ce nom.

Je n'aime pas du tout la tournure que prennent les choses. Mon regard soupçonneux le sonde, il évite de le croiser. 

Une heure plus tard, chacun de nous est dans sa chambre. 

Et la nuit passe.

Les jours se succèdent. 

Le père d'Yves a récupéré l'ancienne maison, les créanciers de papa ne se manifestent plus, Yves est un patron plus ou moins normal, maman est toujours aussi bizarre, bref, tout va mieux dans le meilleur des mondes. 


Jusqu'à ce soir là. 


Ça fait maintenant cinq semaines qu'Imdad nous entretient sérieusement, que nous vivons en paix et incognito dans ce nouveau quartier.


Nous sommes assis a table, en train de manger, quand la sonnette de l'entrée retentit. Nous nous regardons, étonnés, car aucun membre de notre entourage ne connait notre nouvel emplacement. Je me dévoue, et me lève pour aller ouvrir.

Lorsque j'ouvre le portail en fer, je suis sidérée. J'éclate de rire, puis me reprends. Je déclare, sardonique :


- Tiens tiens, mais qui avons-nous là ?

NOUS, NORMAUX ? QUI...