Partie 1

Ecrit par Loranna Crew

Octobre 2014, Lara Nianga

J'ouvre les yeux sur le plafond de ma chambre. Je le regarde sans le voir, trop occupée à déterminer comment je me sens. Mon cœur bat normalement, mes paupières ne sont pas lourdes. Comme si je ne m'étais jamais endormie. Je m'étire douloureusement et souris. Mes muscles, eux, s'en rappellent parfaitement. J’enfonce mon dos dans le matelas puis me redresse d'un bond, pressée d’entamer ma journée. Dans ma hâte, je me cogne le gros orteil contre la table de chevet. Une douleur fulgurante traverse ma jambe et je serre les dents. Ça fait un mal de chien. J’attrape mon pied dans un mouvement instinctif et je baisse les yeux pour évaluer les dégâts ; ça va, je ne suis pas blessée. 

Je repose précautionneusement mon pied sur le plancher avant de m’arrêter de nouveau. J'ai la tête qui tourne. La saisissant des deux mains, je m’appuie contre le mur. En dépit des coups de marteau dans mon crâne, je souris ; je viens de découvrir l'un des avantages de ma chambre : trouver un appui quelle que soit ma position est un atout non-négligeable.
Mon mal de tête s'étant estompé, je me redresse et pénètre dans la salle de bains. En faisant attention cette fois. 

Une bouffée de fierté m’envahit en observant l’espace exigu que ma sœur appelle mon cagibi. Mon nouveau « chez moi ». Un sentiment doux-amer m’étreint la gorge. Je bats les cils et m’empresse de le chasser. 

Reportant mon attention sur ce qui m’entoure, je promène paresseusement les yeux dans la petite pièce. Une douche encastrée avec peine dans un coin, un lavabo bas et un miroir occupent le côté droit. Les toilettes prennent une place disproportionnée sur la gauche. Celui qui les a installées a dû juger qu’il valait mieux être à l'aise en faisant ses affaires qu'en prenant sa douche ! m’amusé-je intérieurement.
Mon regard se pose sur le miroir et mon sourire s’efface. Sans le quitter des yeux, je m’approche pour procéder à une inspection. Avec un mélange d’espoir et de réticence, je me concentre sur l’image que me renvoie la surface polie. 

Un visage ovale encadré de tresses mi longues, de grands yeux marron clairs hérités d'une mère centrafricaine, un nez camus et une bouche charnue me font face. Des fossettes qui font mon désespoir -elles me font ressembler à un bébé-, un menton volontaire et un front haut et dégagé. Le même visage depuis dix-neuf ans. Son visage. Ma gorge se serre de nouveau. 

Pas maintenant, pas aujourd’hui Lara. M’exhorté-je mentalement. Je serais débarrassée de ces pensées tout à l’heure, il faut juste que je vérifie une dernière chose avant. Je me reconcentre sur mon reflet. 
Pas de cernes, ok. Pas de blessures non plus, c'est bon signe. La tension qui raidissait ma nuque se relâche ; Tout va bien. Je vais bien. J'inspire une goulée d'air puis l'expire lentement. Oui, tout va bien. Je gère. Je dois gérer. Je cligne des yeux et me saisis de ma brosse à dents.

Après m'être méticuleusement lavé le visage, je me débarrasse de mon pyjama, le jette sur le lit et enfile une paire de leggings et un débardeur de sport, direction le salon. Je pousse la table basse et le pouf contre le mur puis je déroule le tapis. 
Je rejoins le centre de la pièce en m’efforçant de réguler ma respiration. Je tourne ma conscience vers l’intérieur, place mes pieds parallèles l’un à l’autre et je maintiens mes mains au niveau de mon bas-ventre, paumes vers le haut. Je m’enracine solidement dans le plancher et laisse le calme m’envahir. 

Une alarme résonne au loin, à la périphérie de ma conscience. J’ignore combien de temps j’ai passé dans cette position, probablement quinze minutes. Je soupire, je n’ai pas envie de m’interrompre. L’alarme retentie de nouveau et j’ouvre les yeux. Il est 7 heures, je dois aller en cours. 
Je quitte à regret ma posture, et m’empresse de remettre les meubles à leur place. Je passe dans la salle de bains en me déshabillant. Je prends une longue douche, puis m’habille de nouveau en évitant de regarder la table de chevet. J’empoigne mon sac avant de me résigner à jeter un coup d’œil au cadran du réveil. Il est 7 heures 25.

J'ai cours à 8 heures 15, le trajet en train dure environ vingt minutes, auxquelles il faut ajouter dix minutes de la gare à l’université et cinq minutes de l’immeuble à la gare. Je vais être en retard. 
J'enfile précipitamment mes bottines et me rue hors du studio. L'air froid du matin me glace ; j'accélère l'allure, il est hors de question que je rate mon train, je n’ai pas envie d’arriver en plein cours. Je valide rapidement mon pass et marche plus vite. J’arrive juste à temps, il y a un train sur le quai. La sonnerie retentie et je cours. Je réussis à grimper avant que les portes ne se referment. Ma respiration plus rapide me fait sourire, il est temps que je recommence à courir. 
Je m’avance dans la rame à la recherche d’un siège libre, je n’en trouve aucun. Tant pis, je ferais le trajet debout. Je prends appui sur la partie latérale d’un siège, bascule mon sac vers l’avant et en sors mon iPod. Je glisse les écouteurs dans mes oreilles ; je sélectionne l’album « Monde arabe », de Koffi Olomide. Les notes de « Stand by » s’élèvent aussitôt.

Amour e bomaka, love e bomaka eh
(L’amour est meurtrier, l’amour est meurtrier eh)

Je remue doucement la tête en mimant les paroles, Koffi a le don de chanter les maux de l’âme, à défaut de les soigner.

Dois-je préciser qu'un commentaire me ferait plaisir?


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